dimanche 28 février 2021

Plaza de Mayo, défouloir de la droite [Actu]

"La marche de la rage", dit le gros titre
en surplomb d'un article sur la reprise de l'épidémie !
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Sous prétexte de condamner la quarantaine de vaccinés VIP dont l’existence fait déjà l’objet d’une instruction judiciaire et a provoqué le renvoi immédiat du ministre responsable, la droite libérale a appelé ses partisans à manifester hier samedi sur Plaza de Mayo qui s’est remplie de slogans haineux à l’égard du gouvernement (de gauche) qui a pourtant fait tout ce qu’il pouvait pour réagir sainement à la sortie de route de quelques vieilles badernes de la mouvance kirchneriste. Quelques slogans visaient même le Pape François (1), en qui la droite voit un péroniste sectaire (faut le faire, tout de même !). Comme d’habitude, peu de masques et beaucoup de bouches hurlantes et cette fois-ci, les gens sont venus à pied (non pas en voiture), ce qui risque de relancer la contamination, d’autant que les variants ont bien atteint l’Argentine (variant dit anglais et surtout celui dit brésilien).

Comme si souvent depuis le début de la pandémie, les manifestants étaient encouragés et excités par Patricia Bullrich, une présidente du PRO qui se trumpise à vue d’œil et à toute vitesse.

Pagina/12 préfère traiter du scandale de l'emprunt accordé par le FMI
au-dessus des capacités d'endettement de l'Argentine
et traite la manifestation en manchette (en haut à droite)


Sur la place, devant les grilles de la Casa Rosada (2), les manifestants ont étendu à même les dalles de fausses housses mortuaires, rembourrées pour faire réaliste. Elles étaient marquées aux noms des principales figures de la majorité actuelle, en particulier ceux des dirigeant(e)s des associations historiques des droits de l’homme, fondées et toujours animées par les victimes de la dernière dictature militaire (Madres de Plaza de Mayo, Abuelas, H.I.J.O.S, etc.).

Outre Patricia Bullrich, on a vu dans la foule à Buenos Aires deux députés, un sénateur, un représentant du parti radical (allié au Pro) et un ancien ministre de Cristina Kirchner, qui a viré à droite depuis longtemps (Martín Lousteau). Mauricio Macri, pas fou !, a soutenu la manifestation par un tweet sans sortir de chez lui… D’autres ténors de l’opposition manifestaient dans d’autres villes, un peu partout dans le pays.

En banlieue sud de Buenos Aires, la violence des mots et des symboles a fait place à de la violence tout court : le siège social de La Campora, mouvement ultra-kirchneriste de jeunesse, a été incendié à Avellaneda.

"Défilé de protestation dans tout le pays
contre les vaccinés par privilège"
En haut : la réouverture des cinémas jeudi
et le centenaire de Piazzolla (le 11 mars prochain)
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Comme pendant cet automne et cet hiver, la presse de droite parle à nouveau de manifestations massives et de banderazos mais les photos qui illustrent les articles ne montrent que des vues partielles de Plaza de Mayo, ce qui laisse la place au doute quant à ces affirmations triomphalistes (surtout en début d’année électorale).

Pendant ce temps-là, dans l’affaire de la privatisation de la vaccination, la justice semble avoir mis au jour un mode de fonctionnement très contestable au sein de la Ville autonome de Buenos Aires, ce dont seul Página/12 parle aujourd’hui.

"Protestation et mal-être sur la place"
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Demain, 1er mars, le président Alberto Fernández ouvrira la session ordinaire du Congrès. Ses partisans s’étaient proposé de venir en masse le soutenir sur Plaza del Congreso pour réagir à cette manifestation de la droite mais le chef de l’État les a expressément priés de n’en rien faire afin de ne pas participer à l’aggravation de l’épidémie. Il demande à tout le monde de rester chez soi ou à son travail et de suivre la séance parlementaire à distance par Internet, par la radio ou la télévision. « Faisons attention les uns aux autres même s’il y en a qui ne le font pas », a-t-il twitté hier.

© Denise Anne Clavilier

Pour aller plus loin :


Ajout du 16 mars 2021 :
lire cet article de La Prensa sur l'enquête judiciaire concernant les housses mortuaires exhibées sur Plaza de Mayo (l'affaire quitte les juridictions portègnes pour passer à la justice fédérale)



(1) Dans un interview publiée très récemment, il a dit qu’il comptait mourir à Rome, qu’il ne retournerait pas en Argentine et que le pays ne lui manquait pas (ne lui manquait plus, serait plus exact car au début de son pontificat, il ne cachait pas sa nostalgie pour sa ville natale). Il est possible que ces déclarations en blessent certains en Argentine où l’on n’a que trop tendance à lire tous les faits et gestes du pape en fonction du pays en prenant rarement en compte, surtout à droite, qu’il est pape pour tous les catholiques dans le monde entier et dans toutes les cultures.

(2) Donc au pied de la statue de Manuel Belgrano. Quel manque de respect pour ce que signifie cette place et ce monument dans l’histoire du pays ! La Prensa (droite catholique) et La Nación (droite libérale de la bourgeoisie d’affaires) ont tenu à relayer les propos du chef de l’État contre cette symbolique odieuse et dégradante, surtout dans les circonstances tragiques que le pays (et le monde) connaît.

vendredi 26 février 2021

Le centenaire de Piazzolla au Teatro Colón [à l’affiche]


Le 11 mars prochain, l’Argentine fêtera le centenaire de la naissance de Astor Piazzolla à Mar del Plata.

Du 5 au 20 mars, tous les soirs à 20 h, avec une jauge draconienne et un protocole sévère (distances physiques, masques, prise de température, présentation d’une pièce d’identité en cours de validité et d’une attestation sur l’honneur concernant l’état de santé du spectateur téléchargeable sur le site du théâtre, etc.), le Teatro Colón propose des concerts avec de nombreux grands musiciens et formations prestigieuses : le groupe Escalandrum, fondé et dirigé par Pipi Piazzolla, le petit-fils du maître, programmé le 11 mars au soir, la Orquesta-Escuela de Tango Emilio Balcarce sous la direction de Víctor Lavallén pour un concert, avec le contrebassiste fondateur Ignacio Varchausky pour le second, l’orchestre symphonique résident, le Quinteto Astor Piazzolla, la Orquesta Filarmónica de Buenos Aires avec Daniel Binelli au bandonéon, les chanteurs Susana Rinaldi, Amelita Baltar, Teresa Parodi et Jesús Hidalgo, pour n’en citer que quelques uns.

Les prix sont très élevés, conformes à ceux d’un opéra national : ils vont de 4 375 pesos pour des places sans visibilité à 7 500 pesos pour les meilleurs emplacements.

Cette série de concerts constitue l’ouverture de la saison 2021 de ce théâtre, le plus prestigieux du pays. Elle résulte d’un partenariat entre le Colón et la Fundación Piazzolla.

© Denise Anne Clavilier

Pour aller plus loin :


Ajouts du 6 mars 2021:
lire cet article de Clarín sur la première du cycle et la réouverture du théâtre avec galerie de photos

Une de Clarín le 6 mars 2021

Ajout du 7 mars 2021 :
lire cet article de Pagina/12 sur la réouverture du théâtre et l'hommage à Piazzolla

Au retour du Mexique, crochet présidentiel par Yapeyú : hommage à San Martín [Actu]

Photo service de presse de la Casa Rosada


C’est la première fois depuis 2003 qu’un président vient visiter le village de Yapeyú, dans la province de Corrientes, là où est né le père de la patrie, le général José de San Martín, le 25 février 1778. Il est vrai que ses prédécesseurs n’étaient guère intéressés. Cristina Kirchner n’aime pas San Martín, parce qu’elle en a une image faussée par l’odieuse récupération du personnage par les différentes dictatures militaires qui ont ravagé l’Argentine entre 1930 et 1983 (1). Quant à Mauricio Macri, il est en histoire d’une ignorance crasse et n’a jamais eu que faire du patrimoine historique du pays.

Aussi hier, à son retour de Mexico qui fêtait le bicentenaire de l’indépendance, la visite de Alberto Fernández a enorgueilli la modeste bourgade. D’autant que le chef de l’État en a profité pour réunir les dix gouverneurs des provinces du Grand Nord et leur annoncer un plan destiné à les sortir de la pauvreté qui les handicape depuis toujours.

En rendant hommage au général San Martín devant les ruines de la maison coloniale qui l’aurait vu naître, le président a lancé que lorsqu’il était en but à des manœuvres hostiles pour le faire trébucher (ce qui est amplement le cas en ce moment, où l’opposition monte en épingle les vaccinations VIP comme s’il s’agissait du scandale du siècle ou du millénaire), il se tournait vers le souvenir du héros qui n’a jamais vacillé. « C’est le courage qui rend possibles les transformations et les grands changements » a-t-il déclaré. Une nouvelle fois, il a insisté sur la nécessité pour les Argentins de surmonter leurs divisions (en année électorale, cela pourrait bien n’être qu’un vœu pieux) afin de construire un véritable fédéralisme, dans un pays certes fédéral mais dont la capitale a depuis toujours un méchant penchant au centralisme le plus jacobin.

Si l’on en croit son discours, le président a de l’histoire nationale une plus juste et plus fine connaissance que sa vice-présidente, pas trop aveuglée par ses passions idéologiques et partisanes.

La plupart du temps, les célébrations autour de la naissance de San Martín se tiennent en présence du maire du village, du gouverneur de la province, de quelques autorités ecclésiastiques et d’un grand nombre de gradés qui viennent tous rendre hommage à celui qui reste le généralissime de toutes les forces armées du pays, même s’il est mort à Boulogne-sur-Mer le 17 août 1850. Cela reste toutefois un événement local auquel les journaux nationaux n’accordent jamais une ligne. Cette année, c’est l’exception !


En 1817, Yapeyú s’est trouvé pris au milieu de la guerre que le Brésil, aux mains des Portugais, eux-mêmes dominés par les Britanniques, faisait aux Provinces-Unies du Sud (future Argentine) pour tenter de prendre pied sur la rive droite du Río Uruguay, une querelle qui durait depuis au moins un siècle entre les deux empires coloniaux de l’Espagne et du Portugal. Au cours de cette attaque, la ville a été incendiée et la maison natale de San Martín, qui avait abrité la famille du sous-gouverneur Juan de San Martín, a disparu pour toujours dans les flammes, tout comme l’église et les archives paroissiales. Ce qui permet aujourd’hui aux auteurs en quête de mystère de faire régner un doute dénué de fondement sur la date exacte de la naissance du héros mythique, ce qui renforce le côté christique du personnage.

La maison fut recherchée à la fin du 19e siècle et un ensemble de ruines a fini par être identifié, dans les règles de l’art de l’époque. Pour protéger ces murs effondrés, on a bâti un véritable palais colonial par-dessus, le Templete (le reliquaire). C’est ce monument que l’on voit derrière la brochette de dignitaires entourant le président.

Un détachement de grenadiers à cheval, le régiment d’élite fondé par San Martín à son arrivée à Buenos Aires en mars 1812, après sa jeunesse passée dans l’Espagne natale de ses parents, y monte la garde en permanence. Ce sont ces soldats sanglés dans ce bel uniforme de type napoléonien que l’on voit présenter les armes au chef d’État.

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Cet ensemble architectural historique et muséographique est le trésor de la petite bourgade sise sur la rive du Río Uruguay. On y vient en pèlerinage de toute l’Argentine et même d’au-delà des frontières.

© Denise Anne Clavilier
www.barrio-de-tango.blogspot.com

Pour en savoir plus :

lire l’article de El Litoral (édition de Corrientes), plus intéressé par les propos du gouverneur que par ceux du président



(1) Pour de très mauvaises raisons, elle lui préfère Manuel Belgrano (1770-1820) : il a été avocat. Comme elle !

Le Notorious n’aura pas passé l’été [Actu]


Le café Notorious, l’une des plus célèbres scènes de musique populaire à Buenos Aires, vient d’annoncer qu’il baissait définitivement le rideau. La crise sanitaire aura eu raison de cette salle qui a vu passer tout ce qui compte en Argentine et au-delà en matière de jazz latino et de musique brésilienne.

A ces moments perdus, le Notorious a aussi accueilli quelques grands musiciens de tango.

Ainsi donc, ce sont des hauts lieux touristiques qui sont atteints : Avenida de Mayo en plein centre de Buenos Aires ou ici, le quartier nord de Palermo, l’un des plus vastes et des plus vivants en matière culturelle.

C’est aussi un catastrophe pour les musiciens qui avant la crise avaient déjà des difficultés pour trouver des lieux où se produire. Il va leur falloir à tous beaucoup de courage pour se relever et reconstruire une nouvelle fois les institutions qui avaient pu surgir depuis le retour de la démocratie. Le Notorious avait été ouvert il y a vingt-trois ans, il tournait à plein régime avant la pandémie.

© Denise Anne Clavilier
www.barrio-de-tango.blogspot.com

Pour aller plus loin :

jeudi 25 février 2021

Cinémas dans les starting-blocks à Buenos Aires et dans la province [Actu]

 "Cinéma et pandémie protocolisés"


A Buenos Aires, dans sa banlieue, administrée par la province de Buenos Aires, et au-delà, les cinémas vont pouvoir rouvrir leurs portes à partir de jeudi prochain, le 4 mars 2021.

A Buenos Aires même, les cinémas devront fonctionner avec seulement 30 % des capacités de leurs salles (probablement à cause du retard pris dans la vaccination des Portègnes). Dans la province, où la vaccination est beaucoup plus avancée, ils pourront les remplir jusqu’à 50 %. Dans un cas comme dans l’autre, ces conditions économiques sont bien entendu fort peu rentables.

Dans le reste du pays, huit provinces ont déjà autorisé les cinémas à reprendre les projections publiques : Córdoba, Mendoza, Santiago del Estero, Jujuy, Entre Ríos, La Pampa, Chubut et Tierra del Fuego.

Página/12 en fait la une de ses pages culturelles (ci-dessus). Les cinémas de Buenos Aires sont en effet fermés depuis le mois de mars.

Dans les journaux mainstream, seule La Nación s’intéresse à la question aujourd’hui, mais l’actualité est très chargée si l’on veut discréditer le gouvernement en place.

© Denise Anne Clavilier

Pour aller plus loin :

lire l’article de Página/12
lire l’entrefilet de La Nación qui a publié un peu plus tard que l’heure de bouclage de son concurrent de gauche (entre-temps, le Bulletin officiel de la République argentine a en effet publié les décrets des ministères concernés).

Ajout du 26 février 2021 :

Ajout du 28 février 2021 :

L’autre scandale vaccinal : la justice enquête sur la Ville de Buenos Aires [Actu]

En titre principal : le féminicide de Villa La Angostura
(je suis née pour être libre, pas pour être assassinée)
En haut au centre : le scandale vaccinal à Buenos Aires
En haut à droite : le verdict contre Lázaro Báez


Actualité chargée ce matin ! Elle permet aux journaux de droite de passer très discrets au-dessus de l’autre scandale public des vaccins, à savoir la privatisation du plan de vaccination portègne. Le gouvernement de la Ville Autonome de Buenos Aires a en effet préféré déléguer cette opération à des entreprises privées, lesquelles vont donc pouvoir s’enrichir grâce à la pandémie et à des vaccins achetés sur les deniers de l’État fédéral qui les a remis aux entités fédérées au prorata de leur population. Une nouvelle fois, le gouvernement de Buenos Aires s’est arrangé pour exclure d’une opération d’intérêt général le système de santé public qui à Buenos Aires repose sur un réseau plus dense qu’ailleurs d’hôpitaux financés par les contribuables mais dont la gestion a été volontairement sous-budgétée depuis plus de douze ans (1) par une politique municipale néolibérale qui fait de la santé, de l’éducation et de la culture des business comme les autres.

Un gros titre en rouge sur le verdict contre Báez
Une photo en bas pour parler de la récession
Un titre secondaire sur la mode vestimentaire !
Une petite manchette pour la victime du féminicide (en haut à gauche)
et un jolie photo (en bas à gauche) pour en rajouter sur les "vaccins VIP"
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De surcroît, le chef du gouvernement portègne, Horacio Rodríguez Larreta, et ses ministres refusent de se faire eux-mêmes vacciner : comme la plupart des hommes politiques de droite, ils affectent de croire que l’achat du vaccin à la Russie correspond à un choix idéologique de la gauche au pouvoir au niveau fédéral alors que c’est un choix de raison, qui s’avère plutôt judicieux. En effet, jusqu’à présent, aucun accident vaccinal n’a été enregistré ni n’a même filtré dans cette presse de droite qui s’efforce de discréditer Sputnik V, sous prétexte qu’il n’est utilisé ni en Europe ni aux États-Unis, les deux seuls modèles qu’ils consentent à reconnaître comme valides. Inutile de dire dans ces conditions que le lot de vaccins chinois qui arrive en Argentine en ce moment n’a pas non plus l’heur de leur plaire ! Pourtant il faut bien vacciner la population à prix accessibles, eu égard à l’état des finances publiques qu’a laissé Mauricio Macri en quittant le pouvoir le 10 décembre 2019 après quatre ans de présidence.

Gros titre et photos pour le verdict Báez
Petit titre secondaire (en bas à gauche)
pour la jeune femme assassinée
et un petit encart à côté pour la mayonnaise des "vaccins VIP"
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Dans la capitale argentine, l’opposition de gauche a maintenant suffisamment d’expérience des manœuvres qui ont permis à des intérêts privés de se gaver sur les deniers publics pour soupçonner que les contrats en question sont irréguliers. Des plaintes ont été déposées dans ce sens il y a quelques jours et la justice fédérale (dont les magistrats sont pourtant majoritairement à droite) s’est bel et bien saisie du sujet. Deux inculpations ont été prononcées hier, celles du chef de Gouvernement et de son ministre de la Santé, Fernán Quirós. Le gouvernement municipal est sommé de produire devant l’autorité judiciaire les contrats concernés et le ministère de la santé municipal a fait l’objet d’une perquisition en bonne et due forme.

Ce matin, seul Página/12 met l’affaire à sa une, tandis que les trois autres quotidiens n’en disent pas un mot sur leur première page. Un fait divers atroce en Patagonie, une jeune fille qui a fui son ex-compagnon en courant sur un kilomètre en pleine ville et qui a succombé aux coups de l’homme qui la poursuivait sans que personne n’intervienne, et le verdict dans l’un des procès intentés aux amis et alliés politiques du couple Kirchner (12 ans ferme contre le principal prévenu) font diversion et permettent de reléguer loin dans les pages intérieures cette autre enquête pour malversation. D’autant que ces quotidiens continuent à faire monter la mayonnaise sur les "vaccins VIP", dont on a vu qu’il s’agissait en grande partie d’une tempête dans un verre d’eau et que la présidence avait pris toutes les mesures qui s’imposent à la vitesse de l’éclair.

Un gros titre pour le verdict, une photo de une
qui ridiculise les présidents de gauche mexicain et argentin
Un titre secondaire en rouge sur le féminicide de Villa La Angostura
Et dans la colonne de droite, au milieu, un titre secondaire sur...
les "vaccins VIP"
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A Buenos Aires, la vaccination pour les plus de 80 ans ne s’est ouverte que cette semaine, soit beaucoup plus tard que partout ailleurs dans le pays (et surtout dans les pays dits sérieux, la Grande-Bretagne, l’Europe et les États-Unis), et le système informatique de prise de rendez-vous s’est effondré dès le premier jour. Les personnels enseignants et administratifs des écoles n’ont toujours pas accès au vaccin alors que l’heure de la rentrée a sonné la semaine dernière.

© Denise Anne Clavililer

Pour aller plus loin :

lire l’article de Página/12
lire l’article de La Prensa (qui date d’avant-hier, date du dépôt de plainte)
lire l’article de La Nación
(Clarín privilégie d’autres sujets)



(1) Les deux mandats municipaux de quatre ans de Mauricio Macri + un mandat de l’actuel chef de Gouvernement, Horacio Rodríguez Larreta, qui s’est succédé à lui-même le 10 décembre 2019.

mercredi 24 février 2021

Maradona : ils ont tué la poule aux œufs d’or [Actu]


Très vite après la mort du dieu du ballon rond, sa famille et son ancien médecin ont fait valoir devant la justice argentine leurs doutes sur les conditions de vie et les soins apportés à Diego Maradona dans les dernières semaines de sa vie. La justice a pris ces doutes au sérieux : elle a enquêté, soumis les dossiers médicaux à des experts, ouvert les ordinateurs et fouillé les téléphones portables du personnel médical et paramédical qui entourait le défunt dans les dernières semaines.

Ce qu’on a déjà trouvé fait froid dans le dos : faux et usage de faux de la part du supposé médecin traitant pour faire sortir, beaucoup trop tôt, Diego Maradona de la clinique où il avait subi une intervention au cerveau ; échange de SMS et autres conversations cyniques entre ce médecin et la psychiatre censée suivre le footballeur où il apparaît clairement qu’ils n’étaient quasiment jamais auprès de leur malade censé être hospitalisé à domicile et conscient de la gravité de son état clinique ; des équipements non fournis et pourtant indispensables à la présence d’un grand malade dans une maison particulière et pour finir, la mort qui intervient au moment où Maradona est seul dans sa chambre, sans aucune surveillance depuis plusieurs heures.

Les diagnostics qui filtrent à travers l’instruction sont terribles : Maradona aurait été pris de delirium tremens et atteint d’un début de Parkinson, il aurait subi un traitement de cheval pour « être présentable » le jour de son anniversaire, un traitement qui a peut-être précipité sa fin puisque quelques jours après ses 60 ans, il était admis d’urgence à la clinique pour y être opéré en urgence et n’y rester que quelques jours…

Aujourd’hui, la justice a inculpé sept personnes, dont le médecin supposé traitant, un neurochirurgien à l’attitude des plus suspectes, la psychiatre et les deux infirmiers fournis par l’hospitalisation à domicile, un psychologue, le médecin coordinateur de l’hospitalisation à domicile pour un service d’assistance fourni par une grande enseigne d’assurance privée, et enfin le cadre de santé censé coordonner les soins infirmiers.

Le 8 mars, les médecins experts doivent rendre un rapport coordonné que toute la presse attend avec impatience.

© Denise Anne Clavilier

Pour aller plus loin :
lire l’article de Página/12
lire l’article de La Prensa
lire l’article de Clarín

mardi 23 février 2021

Le scandale grossit et la justice enquête [Actu]

"Cela a été une erreur très ponctuelle"
a déclaré la nouvelle ministre de la Santé (en photo)


Ils n’étaient donc pas seulement neuf comme on l’a cru à la fin de la semaine dernière mais beaucoup plus à s’être fait vacciner sur passe-droit du Ministère de la Santé à l’hôpital Posadas qui a dû rendre des comptes devant la nouvelle ministre et subir une perquisition en règle ordonnée par la juge d’instruction ! Le gouvernement qui ne peut donc pas être accusé de protéger les brebis galeuses de sa majorité a publié une liste de 70 personnes, dont certaines ont été vaccinées en toute légalité et toute transparence. C’est le cas du premier nom de cette liste : celui du chef de l’État lui-même, qui a reçu son injection devant les caméras comme tant et tant de mandataires dans le monde pour montrer l’exemple et légitimer le vaccin (en l’occurrence Sputnik V).

"Inculpation et perquisitions" déclare le gros titre
au-dessus d'une photo de la Maison Blanche en deuil

Dans cette liste, on découvre le nom de plusieurs ministres dont, si on veut bien déposer les armes partisanes, il n’est pas scandaleux qu’ils aient bénéficié d’un traitement de faveur. Après tout, ce sont des personnalités-clé dans l’État, leur santé importe au bon fonctionnement des institutions, surtout dans cette double crise sanitaire et économique. Dans la liste, il y a en particulier une personne pour qui on ne peut pas parler de passe-droit : Daniel Scioli, ambassadeur au Brésil, qui a donc profité de ses vacances d’été dans son pays pour se protéger du virus. Tout le monde devrait l’accepter dès lors que l’état sanitaire catastrophique qui règne dans le pays voisin est largement connu ! Pourquoi un diplomate devrait-il prendre des risques pour sa santé et même pour sa vie alors qu’il exerce une mission pour son pays ? Un ambassadeur argentin est déjà mort du covid ; il vivait en France et représentait son pays à l’UNESCO, le cinéaste Fernando Solanas décédé cet été. Ce matin, en pièce jointe de son article principal, Clarín inclut la liste complète.

Une très agressive avec cette série de photos
de quelques unes des vaccinés par passe-droit
Le deuxième dans le sens de lecture
n'est autre que Daniel Scioli, l'ambassadeur argentin au Brésil
et ancien gouverneur de la province de Buenos Aires

Il apparaît clairement que certaines personnes impliquées dans les vaccinations à passe-droit, y compris les soignants qui y ont procédé, étaient au fait du caractère contestable du processus puisque ils ont falsifiés le motif de certaines injections. C’est ainsi qu’un homme politique qui compte dans le courant kirchneriste est inscrit dans les registres de vaccination comme personnel de santé, ce qu’il n’a jamais été !

"Zannini, Scioli et famille de Massa
entre plusieurs dizaines de vaccinés VIP"
hurle le gros titre au-dessus d'une photo
de la perquisition au ministère de la Santé hier

L’ancien ministre de la Santé et son neveu, qui avait des fonctions officielles dans son cabinet quand le scandale a éclaté, sont d’ores et déjà inculpés. Pour ces quelques resquilleurs et leurs bienfaiteurs, la justice n’a donc pas traîné ! La droite n’est pas en reste. Toute une palanquée de ténors et de divas de l’opposition s’est déjà porté partie civile dans cette affaire, comme si cette démarche était nécessaire après que le parquet se soit emparé du dossier.


Une de Página/12 dimanche dernier
Le président entouré de l'ancien et de l'actuelle ministres de la Santé

Hier, Página/12 tentait de tourner la page en évoquant à la une un scandale privé au sein de la famille Macri : l’une des sœurs de l’ex-président a été écartée de l’héritage par ses frères et sœurs et réclame maintenant son dû, comme dans la famille Etchevere, celle de l’ex-ministre de l’Agriculture, si représentative de ces clans de grands propriétaires agraires qui se sont toujours crus au-dessus des lois et professent un machisme d’un autre âge. Pourtant, malgré cet effort du quotidien de gauche pour passer à autre chose ou allumer un contre-feu, c’est bien le scandale des vaccinations qui rebondit ce matin en cette toute fin d’un été miné par la pandémie et la carence de vaccins alors que le président est au Mexique, pour une rencontre au sommet à l’occasion du bicentenaire de l’indépendance du pays. Il n’est pas interdit de penser que la presse de droite fait d’autant plus de bruit autour des vaccinations passe-droit qu’elle pourrait vouloir détourner l’opinion des ennuis judiciaires qui s’accumulent sur la tête de Mauricio Macri, le champion du néo-libéralisme : procès privé avec sa sœur cadette et malversations diverses et variées qui pourraient être imputées à l’ancien président pour ses agissements à la tête du pays ou pour son action comme actionnaire du groupe industriel familial, titulaire de plusieurs concessions de service public bizarrement administrées.

© Denise Anne Clavilier

Pour aller plus loin :

samedi 20 février 2021

Des piqûres qui font valser un ministre [Actu]

"Le gouvernement bouge sa dame", commente le gros titre
En haut, à droite : "obtenir un créneau : l'odysée"


Devant la révélation des vaccinations accordées par privilège par le ministère de la Santé à une dizaine de personnalités en vue à gauche à Buenos Aires et à La Plata, le président Alberto Fernández a réagi avec une rapidité à laquelle les Argentins ne sont guère habitués en cas de scandale politique : il a fait démissionner le ministre dans la journée même et l’a aussitôt remplacé.

Particulièrement malvenu au début de cette année de campagne électorale de mi-mandat, le scandale est arrivé d’où on ne l’aurait pas attendu et montre la déconnexion de la réalité dont souffrent certains vieux membres des cercles de la majorité : c’est Horacio Verbitsky lui-même (79 ans), très célèbre journaliste d’ultra-gauche et président d’un organisme de défense des droits de l’homme, qui a révélé avoir bénéficié d’une vaccination hors des circuits mis en place par les pouvoirs publics alors même que son âge le plaçait dans les publics prioritaires et qu’il suffisait donc qu’il se montre patient comme n’importe lequel de ses concitoyens. D’après le ministre débarqué, c’est l’une de ses secrétaires privées qui se serait emmêlé les pinceaux et aurait court-circuité le parcours officiel au bénéfice de ces quelques personnalités bel et bien prioritaires mais connues pour leur militance politique et/ou syndicaliste.

"A cause du scandale de la vaccination VIP,
le ministre González García prend la porte"
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Dans le reste de la population, se faire vacciner relève encore de l’exploit : pas assez de doses tout de suite par rapport au nombre de personnes prioritaires qui veulent s’inscrire et des systèmes de réservation de créneaux qui buguent ou qui explosent comme dans beaucoup d’autre pays, y compris en Europe. Ce sont souvent les enfants adultes qui piaffent devant leur écran ou leur téléphone pour tenter d’obtenir un rendez-vous pour leurs parents pendant des heures et sur plusieurs jours ou semaines. Alors les petites manip au Ministère font très mauvais effet : le président l’a parfaitement compris et, pour trois vaccinations clandestines, a pris ses dispositions.

Exit donc Ginés González García dont la gestion de crise devant la pandémie et les erreurs d’appréciation qu’il avait faites en février-mars de l’année passée à ce sujet lui valaient d’être très contesté, malgré son métier initial (il est médecin). Il semblerait que le ministre se soit constitué une caisse noire vaccinale en prélevant 3 000 doses de Sputnik V pour en faire un usage discrétionnaire selon un schéma venu d’une très ancienne tradition de corruption gouvernementale qui remonte à l’époque coloniale et dont l’appareil d’État argentin a bien du mal à se défaire.

Son portefeuille est repris par Carla Vizzotti, jusqu’à présent secrétaire d’État à l’Accès à la santé. Deux autres des vaccinés VIP devaient accompagner le président dans un tout prochain déplacement au Mexique en leur qualité de parlementaire. Hier, ils ont été écartés de la liste des participants (1). L’un des deux a osé déclarer qu’il n’avait pas eu conscience de commettre quelque chose d’illégal !

"Ginés est mis à la porte du ministère de la Santé
à cause du scandale de cabinet de vaccination VIP"
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Quant aux salariés du CELS, l’ONG présidé par Verbitsky, ils ont fait paraître sur les réseaux sociaux de l’organisme un communiqué pour condamner l’abus commis par leur président. Une première là encore ! Página/12, dont Verbitsky a longtemps fait partie de la rédaction, n’est pas en reste et consacre plusieurs articles à ce scandale qui affecte le gouvernement que le quotidien soutient. Le journaliste a été radié des cadres de la radio où il officiait jusque ici.

La nouvelle ministre doit prêter serment devant le président cet après-midi à 17h à la résidence de Olivos, dans la grande banlieue chic de Buenos Aires.

© Denise Anne Clavilier

Pour aller plus loin :



(1) Ce voyage officiel est atteint d’un autre scandale : un aide-de-camp du président en partance pour Mexico pour préparer le déplacement a été arrêté hier à l’aéroport de Buenos Aires lorsque les systèmes de contrôle des bagages ont découvert dans sa valise une arme qu’il n’avait pas déclaré à l’enregistrement. Il a été aussitôt démis de ses fonctions auprès du président.