samedi 29 décembre 2018

Hommage à Osvaldo Bayer au lendemain de Noël [Actu]

Página/12 le 26 décembre 2018

Tout au long de la semaine, la presse a rendu hommage à Osvaldo Bayer, inhumé au milieu d’un grand concours de peuple à Buenos Aires. Página/12, dans les pages duquel l’historien avait tenu des chroniques fréquentes, lui a consacré sa une du 26 décembre, avec ce portrait signé Daniel Paz.

Une photo choisie par Página/12
Osvaldo Bayer chez lui, dans son patio,
un décor typique de la classe moyenne portègne

La Prensa a critiqué vertement les prises de position du disparu, avec des arguments catho-aigris,  particulièrement désagréables au moment de Noël et qui remontent à une Guerre froide qui est finie depuis longtemps.

Pour aller plus loin :
lire l’article de Página/12 du 26 décembre
lire l’article de Página/12 du 27 décembre
lire l’article de Página/12 du 29 décembre

Bilan socio-économique désastreux et perspectives peu engageantes [Actu]

Página/12 a choisi de reproduire un tableau du peintre Antonio Berni (1905-1981)
qui fait lui-même allusion à un autre chef d'œuvre de la peinture argentine,
Sin pan y sin trabajo (sans pain et sans travail) de La Cárcova (1)
Le gros titre est un jeu de mot : "une fin d'année avec des licenciés"
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Página/12 clôt l’année 2018 avec une revue de détail des catastrophes économiques qui s’abattent sur l’Argentine. En 2019, les élections se tiendront : président, Congrès national, gouvernorats provinciaux et chambres législatives locales. Le journal fait déjà campagne contre l’actuel président. Et tout y passe : les pertes d’emplois, la perte de confiance des investisseurs (qui n’en ont jamais eu beaucoup pour l’Argentine), les augmentations de tous les services qui prennent effet au début de l’année prochaine (transports publics, eau, gaz et électricité)…

Le gros titre : "Toutes les mauvaises nouvelles d'un coup"
avec une photo du ministre de l'Energie, démissionnaire le lendemain
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Daniel Paz et Rudy, sur la une de Página/12 le 27 décembre (ci-dessus)
Le conseiller : Votre image se détériore à cause de l’inflation
Mauricio Macri : Tu vois ? L’année dernière, j’ai demandé au Père Noël qu’il baisse l’inflation. C’est ce type qui n’a pas tenu ses promesses mais c’est moi qui paye les pots cassés !
Traduction © Denise Anne Clavilier

Le ministre de l’Energie a d’ailleurs dû démissionner le jour après avoir annoncé cette série de mesures, montant à dix le nombre de ministres et secrétaires d’État qui ont quitté le gouvernement en 2018. Cela dit assez bien la fragilisation politique du président qui n’arrive plus à fidéliser ses collaborateurs et qui continue à vouloir modifier le code du travail, avec les arguments classiques des néolibéraux : il faut flexibiliser le marché du travail, réduire les droits des salariés et libérer le droit des patrons de licencier en justifiant de moins en moins leurs décisions. Et creuser ainsi les inégalités encore et toujours...

Le gros titre : "Tout augmente"
Les chiffres sont inscrits à gauche, en gras et en bleu

Pour en savoir plus :
lire l’article de Clarín sur les boutiques de la rue Florida qui ont baissé le rideau (Florida est la plus commerciale des rues du centre de Buenos Aires, très courue des touristes)
lire l’article de La Nación sur la réforme à venir du marché du travail
lire l’article de Página/12 du 28 décembre
lire l’article de La Nación sur l’augmentation de l’électricité (le quotidien a publié également un article aux prix des transports et au sursaut d’inflation que provoquent toutes ces hausses)
lire l’article de Clarín sur la démission du ministre
lire l’article de La Nación sur ce sujet.



(1) De la Cárcova et Berni font partie de ces peintres qui ont marqué le patrimoine argentin de leur sensibilité que je ferai découvrir aux voyageurs qui s'inscriront aux voyages que je prépare avec l'agence Odeia et que je présenterai le 17 janvier prochain, à Paris.

Gastronomie en deuil : Choly Berreteaga est décédée [Actu]


Ce Noël 2018 aura été lourd en deuils : le mardi 25 décembre, une grande dame de la vulgarisation culinaire a quitté ses fourneaux pour toujours. Choly Berreteaga avait à son actif une cinquantaine de livres et diverses émissions de cuisine. Elle s’est effondrée, le jour de Noël, à l’âge de 91 ans.

La dame était née dans le nord de l’Espagne, en Galice. En 1963, elle avait fait sa première apparition à la télévision argentine et démarré une carrière de grande figure médiatique.

Les quatre quotidiens nationaux lui ont rendu hommage mercredi dernier.

Pour en savoir plus :
lire l’article de Página/12, qui publie une interview de 2013

Hommage à Jaime Torres au lendemain de Noël [Actu]

Une des pages culturelles de Página/12 le 26 décembre

Mercredi, différents journaux ont rendu hommage à Jaime Torres mais la mort de Osvaldo Bayer lui a manifestement fait de l’ombre. Ce sont surtout les quotidiens locaux des provinces qui ont salué sa mémoire. L’événement fait apparaître clairement la différence culturelle entre la capitale fédérale, où Bayer était très connu et très apprécié, et le reste du pays, où Torres était crédité d’une plus grande influence, à juste titre d’ailleurs.

Pour aller plus loin :
lire l’article de Página/12, qui a consacré au musicien la une de ses pages cultuelles
lire l’article de Página/12 du 27 décembre : un hommage de l’historien militant de gauche Pacho O’Donnell.

jeudi 27 décembre 2018

Une merveille des Andes prise en otage à Jujuy [Actu]

Une de El Tribuno de Jujuy le 14 décembre
En manchette, le scandale Juan Darthés (voir mon article du 21 décembre)
en bas, une manifestation d'habitants de Purmamarca
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Au début du mois de décembre, le chanteur Memo Vilte a clôturé un chemin d’accès au Mont des Sept Couleurs (Cerro de los Siete Colores), une des merveilles du patrimoine naturel argentin inscrit au Patrimoine de l’Humanité depuis 2003. A ce titre, le site et son environnement sont inaliénables : ils ne peuvent être ni vendus ni achetés, que ce soit par un particulier ou par une personne morale. C’est un lieu public dont l’entretien dépend des pouvoirs publics légitimes locaux : municipalité de Purmamarca, province de Jujuy ou Etat fédéral argentin, ce qu’on appelle là-bas gobierno de la Nación.

El Tribuno de Jujuy, le 7 décembre
En haut à gauche : une photo avec les écriteaux privatifs posés par la famille Vilte
En manchette, les mariés quechua : le gouverneur et sa "femme"
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Or Memo Vilte et son père prétendent être les propriétaires du lieu. Ils auraient acheté ces terrains, sans avoir pu, semble-t-il, produire un titre légal de propriété. Le chanteur, qui se répandu en vidéo sur les réseaux sociaux, dit avoir clôturé le lieu parce qu’il est chez lui. Dans un second temps, il a argumenter qu'il voulait nettoyer le site en vue de le transformer en amphithéâtre naturel, à ciel ouvert, au profit de la collectivité. La démarche est pour le moins contestable, surtout pour quelqu’un qui se revendique descendant des peuples originaires, lesquels ont l’habitude et une solide tradition de tout traiter sous forme de solutions collectives et holistiques et ce n’est pas le cas de cette privatisation sauvage, qui a empêché des touristes de faire le tour du mont, un must des circuits nationaux et internationaux (1).

El Tribuno de Jujuy, le 10 décembre 2018
On y voit le mont dans toute sa splendeur (photo de manchette)
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Memo Vilte, je vous en ai déjà parlé : c’est un excellent chanteur, une voix puissante et un talent incontestable. Mais c’est aussi un homme qui n’inspire qu'une confiance limitée à l'expérience. Certains festivaliers de Toulouse ont encore en travers de la gorge l’achat pour 20 €, soi-disant au profit de la communauté amérindienne de Purmamarca, d’un CD de ses chansons dont la plupart des acquéreurs n’ont jamais pu tirer un son. Le mien n’a jamais été remplacé par un disque lisible sur un lecteur de CD et je crois savoir ne pas avoir été la seule dans ce cas (2).

A partir du 7 décembre dernier, les habitants de Purmamarca ont beaucoup manifesté : ils étaient nombreux à estimer inadmissible la démarche du chanteur, qui avait osé apposer des panneaux explicites sur ses grillages : "Propriété privée – Entrée interdite".

Hier, l’affaire, qui a été plus d’une fois à la une de El Tribuno de Jujuy, est arrivée jusque dans des quotidiens nationaux, Página/12 (qui l’a mis en manchette de sa une) et La Nación hier, puis Clarín, ce matin (3).

El Tribuno de Jujuy ce matin
En manchette, à droite : l'affaire du Mont des Sept Couleurs
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Poussé par le scandale qui grandissait, le gouvernement provincial (4) aurait trouvé une solution négociée (sic) avec le soi-disant propriétaire, ce qui revient à accepter l’état de fait imposé par Vilte. On aurait attendu des pouvoirs publics qu’ils fassent intervenir la justice pour faire annuler le titre de propriété (si le chanteur est bien en possession d'un tel titre et de poursuivre le vendeur du bien et le notaire qui l'a établi) ou faire reconnaître la nullité de celui dont il se prévaut, puisqu’un site inscrit au patrimoine de l’UNESCO est inaliénable.

Il est probable qu’il est très difficile pour les artistes locaux de se faire connaître et de disposer de lieux pour se produire. Mais la violence est d’autant moins une solution que le monde culturel argentin ne manque pas de ressource pour confronter un Etat provincial et national qui se détourne de la culture, surtout avec des atouts aussi immobiles qu’une montagne et aussi célèbres que celle-là.

Pour en savoir plus :
lire l’article de El Tribuno de Jujuy du 6 décembre 2018
lire l'article de Página/12 d'aujourd'hui
lire l’article de Clarín d'aujourd'hui
lire l’entrefilet de El Tribuno de Jujuy d’aujourd’hui.



(1) Le Cerro de los Sietes Colores sera au programme du voyage culturel que Odeia vous propose en novembre prochain, au printemps austral, et que j’accompagnerai. J’en parlerai sans doute lors de l’après-midi Odeia du 17 janvier prochain, à Paris (voir mon article sur cette proposition).
(2) Personnellement, j’étais conférencière invitée à cette même édition du festival de Toulouse. J’avais pris contact avec lui en vue de l’intégrer à mon carnet d’adresses qui me permet de concevoir, hors des sentiers battus, des activités exclusives et authentiques en Argentine pour les voyages culturels que je développe avec mes partenaires voyagistes. Son indifférence pour ce que je lui exposais m’avait laissée sans voix (à ce jour, c’est le seul acteur culturel argentin qui ne m’ait pas témoigné un enthousiasme actif suivi d’une efficacité certaine, comme l’ont toujours fait depuis près de huit ans tous ses autres confrères et consœurs qui vivent en Argentine). Quant à son ignorance profonde de l’histoire de son pays, elle était ridicule. Il prétendait pourtant "enseigner l’histoire" (sic) aux enfants des écoles à travers son répertoire de chansons qu’il envisageait (très vaguement) de faire tourner dans toute l’Argentine. Il m’avait en particulier affirmé, avec un aplomb stupéfiant, que San Martín était enterré à Boulogne-sur-Mer, dans le sud de la France (sic). Quand on considère que San Martín est en Argentine le Père de la Patrie, cela fait beaucoup d’erreurs en une seule phrase, puisque le grand homme repose depuis mai 1880 dans la cathédrale de Buenos Aires et que… Boulogne-sur-Mer ne se situe pas précisément sur la Côte d'Azur ni en Aquitaine ! Bref, j'étais restée suffoquée devant autant d’incompétence et de désinvolture (chez un musicien qui a par ailleurs un vrai talent) et j’étais sortie de cette entrevue convaincue qu’il n'y avait rien à attendre d’un bonhomme qui plastronnait ainsi tout en laissant échapper des remarques tâchées d’un racisme anti-blanc sous-jacent, tout aussi odieux que celui dont les Amérindiens ont souffert et continuent à souffrir de la part de trop nombreux descendants de colonisateurs espagnols.
(3) Autant Página/12 et La Nación s’insurgent devant le caractère illégal de la privatisation d’un lieu public et patrimonial, autant Clarín prend l’affaire à la légère : il titre "Insolite : un artiste clôture le mont des Sept Couleurs". Comme s’il s’agissait d’une petite anecdote distrayante pour occuper le temps entre Noël et le Nouvel An !!!
(4) Il faut dire que la province de Jujuy est aux mains d’un gouverneur qui a une très curieuse conception de la légalité. Alors qu’il est très indifférent, pour ne pas dire hostile, aux réalités amérindiennes de la population provinciale (qui compte de nombreuses ethnies précolombiennes), il vient de se marier, avec un tapage ahurissant (et quelque peu ridicule, tant la cérémonie était insincère), en rite quechua, parce qu’il ne pouvait pas épouser légalement sa fiancée, dont le divorce n’était pas encore prononcé. Depuis, ce divorce est intervenu et les tourtereaux ont convolé en justes noces devant un officier d’état-civil, comme le veut la loi (issue du Code Napoléon). L’Argentine ne reconnaît pas la validité du mariage religieux, qui est une démarche privée. Et - cerise sur le gâteau !, le couple présidentiel était invité à la noce, le gouverneur appartenant à la majorité nationale dont il est un élu-godillot dans toutes les dimensions du terme.

mardi 25 décembre 2018

L'histoire des anarchistes perd son plus grand militant : Osvaldo Bayer [Actu]


L'historien avait 91 ans. Il s'était fait connaître en Amérique latine et dans le monde pour un livre sur les révoltes ouvrières en Patagonie au début du vingtième siècle : La Patagonia rebelde (la Patagonie rebelle). Jusque très récemment encore, il participait à des rencontres culturelles militantes où il prenait la parole.

Ce vieil anarchiste meurt à Noël, comme un ultime pied de nez à l'Argentine bien pensante.

Comme c'est aujourd'hui un jour férié où la presse ne paraît pas, les nécrologies ne se trouvent que sur les sites Internet des quotidiens et ne sont pas encore à la hauteur du personnage et de ses contributions à la vie intellectuelle du pays pendant plus d'un demi-siècle.

Osvaldo Bayer avait été chroniqueur à Página/12 depuis la fondation du journal. On ne sera donc pas surpris que la rédaction lui ait déjà consacré un grand nombre de pages en ligne, en attendant l'édition papier de demain.

Les obsèques du disparu devraient avoir lieu demain, selon la coutume en Amérique du Sud.

Pour aller plus loin :
lire une interview inédite que Clarín a ressortie de ses archives pour l'occasion

Noël en deuil : Jaime Torres joue pour toujours Navidad Nuestra – article n° 5800 [Actu]


Jaime Torres venait de fêter ses 80 ans mais depuis plusieurs mois, sa santé vacillait. Le grand charangiste a rendu l'âme dans une clinique de Palermo, pendant que Buenos Aires et le reste du pays était plongé dans les préparatifs de Noche Buena (le réveillon hispanique).

Il avait été l'un des créateurs de Misa Criolla, de Ariel Ramírez, et de cette sorte de cantate folkloriste qu'est Navidad Nuestra, du même compositeur (paroles de Héctor Luna). Il avait eu l'occasion de transporter son charango jusqu'au Vatican où il avait interprété à nouveau Misa Criolla en décembre 2013, pour la fête de Notre Dame de Guadalupe, pendant la messe que le Pape François avait présidée en l'honneur de la sainte patronne de l'Amérique.

Jaime Torres était une icône du folklore argentin et de ce petit instrument à cordes pincées, qui en est l'une des plus belles expressions.

Sa disparition va laisser un vide immense.

Comme le jour est férié, les hommages dans la presse ne sont pas encore à la hauteur et tout ce qui existe a été publié en ligne.

Pour aller plus loin :

dimanche 23 décembre 2018

Les vœux de la Academia Nacional del Tango [fin d’année]

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C’est avec cette carte numérique de vœux diffusée par la Academia Nacional del Tango, dont j'ai l'honneur d'être la correspondante en France, que je souhaite moi-même de bonnes fêtes à mes lecteurs.

Comme d’habitude à cette période de l’année, mes articles sur Barrio de Tango vont prendre leur rythme d’été austral, au moins jusqu’à la fin du mois de février et peut-être, exceptionnellement, plus longtemps.

Vous aurez remarqué que l’année a été difficile pour moi, il suffit pour cela de comparer le nombre d’articles de 2018 avec celui des années précédentes. Mon prochain livre a fait les frais de ces complications. Il faut donc que j’y mette un bon coup pour pouvoir remettre le manuscrit à mes éditeurs à la date qu’ils m’ont fixée si je veux que l’ouvrage sorte à temps pour le bicentenaire qui se profile en 2020 !

A tous, bonnes fêtes de Noël et de Nouvelle Année !

Bêtisier des gourous de l’économie néolibérale [Actu]

"Les spécialistes de la grosse gaffe", dit le gros titre

Aujourd’hui, à la une de son supplément économique Cash, Página/12, l’actualité hétérodoxe, revient sur les prédictions des experts économiques qui se sont plantés dans les grandes largeurs sur ce qu’allait être 2018.

Parmi les pronostics dont les agences de consultants économiques et financiers avaient abreuvé les Argentins :
  • le PIB va augmenter (résultat, il est à -2 %)
  • l’inflation va baisser pour atteindre les 20 % (elle frôle les 50 % à la fin du mois de novembre)
  • le dollar ne sera pas une source d’inquiétude (or c’est la politique de la Réserve fédérale des USA qui a détruit le peso argentin).

Le tableau comparatif des prédictions et de la réalité publié par Cash
PBI : produit intérieur brut
Consultoras : agences de consultants et think tanks
Bancos : banques de proximité
Banca de inversión : banques d'affaires

Plusieurs pages de Cash analysent ce matin toutes ces vaticinations et en démontrent la vacuité, fondée sur l’arrogance de la vulgate fanatique des néolibéraux qui refusent de regarder les effets néfastes de leurs décisions sur cette part de la société qui ne les intéresse pas, les gens simples qui n’ont que leur travail pour vivre.

Pour aller plus loin :

samedi 22 décembre 2018

El Culpo fait ses adieux à 2018 [Actu]

El Culpo est ce personnage récurrent de poulpe vert (pulpo en espagnol) inventé par le dessinateur de presse et artiste peintre Miguel Rep qui a joué avec la notion freudienne de faute (culpa) et de culpabilité y afférente.

El Culpo est un personnage sadique et odieux, un féroce céphalopode à la dentition de caïman, et qui occupe une vignette toujours très drôle.
Ceci dit, cela faisait longtemps qu’on n’avait pas vu ses tentacules d'alien sur les pages de Página/12.

Ici, il reprend le discours culpabilisant des néolibéraux qui ne cessent d’accuser les gens modestes d’être les responsables de la dégradation de leur situation.

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Vous avez beaucoup souffert cette année ?
Ça, c’est parce que vous avez pris des vacances
parce que vous avez acheté des téléphones portables et des livres
parce que vous êtes beaucoup allés au cinéma et au théâtre.
Tout se paye !
Quelle bonne année ça a été pour moi.
Et si vous saviez ce que va être la prochaine !
Traduction © Denise Anne Clavilier

Dema et la Petitera samedi au CAFF [à l’affiche]

Pour le tango d'aujourd'hui, combien as-tu dépensé ?
Sur une photo de Carlos Gardel (1890-1935)

Ce soir, au CAFF, Sánchez de Bustamante 722, l’auteur-compositeur inteprête Dema et son groupe La Petitera, se produiront à 22h. Et pour une fois, c’est dans La Nación qu’a été publiée une des très (trop) rares interviews de l’artiste, sous la plume de Gabriel Plaza, DJ de tango et l'un des critiques musicaux les plus audacieux du paysage journalistique portègne actuel.

"Qui flanche perd"

Entrée : 200 $ ARG.

Le tango sera populaire ou il ne sera pas

Dema a multiplié sur la page Facebook de La Petitera les visuels pour annoncer le concert de ce soir. Et chaque visuel est un manifeste de politique culturelle. Avec beaucoup d’humour, ce qui ne gâche rien.

"Qu'est-ce que vous venez me parler d'amour !"
Titre d'un célèbre tango où un voyou se la joue indifférent mais dérouille sentimentalement

Dema est en train d’enregistrer son troisième album qui devrait sortir en 2019.

Le visuel le plus génial de tous, non ? Faut oser !

Pour aller plus loin :

Crise à Radio Nacional [Actu]


Une profonde crise secoue à nouveau Radio Nacional, dont la directrice exécutive, Ana Gershenson, une étoile du Macriland, ancienne journaliste et ancienne directrice des antennes publiques portègnes, vient de démissionner avec pertes et fracas pour ne pas avoir à gérer une nouvelle saison sans négociation salariale avec son personnel. Pourtant, elle lui a mené la vie très dure pendant les trois ans où elle a exercé ses fonctions, avec ce qui ressemblait à beaucoup d'insensibilité et une absence totale de respect humain et de considération pour les salariés (1).

La semaine dernière encore, un producteur-animateur a appris du jour au lendemain que son émission s’arrêtait et qu’elle quittait la grille des programmes de la rentrée. C’était une émission d’actualité littéraire, d’autant plus nécessaire que le secteur du livre souffre mille morts avec la récession et l’inflation qui frappent encore plus durement depuis le mois de juin et le recours au FMI.

Radio Nacional dépend de Hernán Lombardi, qui n’a plus rang de ministre mais reste à la tête d’un ensemble bizarre constitué par les médias publics, le CCK et ce qu’il reste de Técnopolis. Il n’a pas encore nommé de remplaçants. Très inquiet, le personnel de Radio Nacional s’est mis en grève dans tout le pays et partout, c’est une boucle de sons enregistrés qu’émet la radio publique.

Depuis l’arrivée de Mauricio Macri au pouvoir, Radio Nacional a perdu 70 % de son audience. Une bonne partie sont des auditeurs de gauche qui ne se reconnaissent pas dans la nouvelle orientation politique du média national mais Radio Nacional a été incapable d’attirer à elle des auditeurs de droite, alors que la majorité du pays avait basculé de ce côté-là en novembre 2015 !

Le directeur des Médias nationaux auprès de Hernán Lombardi a lui aussi démissionné en novembre dernier.

C’est la Bérézina !

Pour en savoir plus :
lire l’article de Noticias sur l’élimination de l’émission littéraire



(1) Peut-être n’en était-ce pas. Peut-être s’est-elle contrainte à appliquer la politique qu’on a exigée d’elle. Elle serait alors à l’image de ces si nombreux managers obligés par le système dominant à faire fi de leurs propres valeurs jusqu’au moment où, n’en pouvant plus, ils jettent le gant...

Moins de cours du soir et de formation professionnelle à Buenos Aires [Actu]

Manifestation d'enseignants syndiqués sur Plaza de Mayo, rue Bolívar
Le mur blanc derrière, c'est un pan du Cabildo
Le bâtiment beige, c'est l'arrière du palais de la Legislatura
Photo : syndicat UTECTERA

Au début de la semaine, un syndicat de l’enseignement a dénoncé publiquement la décision du gouvernement de la Ville Autonome de Buenos Aires de fermer, dans des quartiers modestes, 14 des écoles publiques qui offrent des formations professionnelles aux adolescents qui sortent du système général après 14 ans et d’autres qui dispensent des cours du soir aux adultes ayant interrompu leurs études à l’âge de la fin de la scolarité obligatoire, à 14 ans, et reprennent des études pour obtenir tout de même leur baccalauréat (1).

La ministre de l’éducation portègne justifie ces fermetures en avançant trois motifs : ces établissements sont trop peu fréquentés, les programmes scolaires ne sont pas à jour et les dispositifs sociaux (d’aide à la formation), qui datent de 1974, sont dépassés. Elle ajoute qu’à 10 cuadras des centres qu’elle ferme, il y a d’autres écoles où les élèves peuvent s’inscrire. 10 cuadras, c’est à peu près 1 km. Imaginez un peu, à la fin de votre journée de travail, être obligé de vous taper à pied plus d’un kilomètre pour vous rendre à votre cours et la même chose pour rentrer chez vous, avant de vous lever de nouveau le lendemain, à 5 ou 6 h du matin, pour vous rendre à votre boulot à l’autre bout de la ville (qui est immense), comme magasinier de supermarché, commis de boulangerie ou serveuse dans un café-restaurant où le client vient manger à toutes les heures du jour et de la nuit, coiffeur ou employé(e) de bureau dans une banque qui ne connaît de vous que votre matricule...

Peu à peu, la colère des syndicats a fait tâche d’huile et la nouvelle atteint l’opinion publique. Le 18 décembre, elle n’a fait qu’un petit entrefilet dans Página/12. Elle gagne maintenant les pages de Clarín et de La Nación, provoquant même une prise de bec spectaculaire, sur les ondes de Radio Continental, entre Nelson Castro, un éditorialiste vedette du groupe Clarín (qui soutient la politique néo-libérale du gouvernement municipale), et la ministre, qui n’en mène pas large. A un moment donné des neuf minutes d’interview, Castro lui demande si elle est elle-même enseignante, elle répond non et il lui rétorque : "Eh bien, ça s’entend. Il n’y a que quelqu’un qui n’enseigne pour dire ce que vous êtes en train de dire ! 

Daniel Paz et Rudy ont fait de ce nouveau scandale social le sujet de leur vignette d’aujourd’hui.

La journaliste : Pourquoi fermez-vous des écoles ?
Le politicien municipal : Parce qu’on est moderne
et que les dispositifs sont dépassés.
La journaliste : Et pourquoi n’améliorez-vous pas les dispositifs ?
Le politicien : Parce que nous ne sommes pas des dispositeurs. (2)
Traduction © Denise Anne Clavilier

C’est un nouvel effet de la politique d’austérité qui maintient le pays dans la médiocrité et prend pour variable d’ajustement les citoyens les plus pauvres et les plus précaires, au lieu d’inventer des solutions modernes pour améliorer leur situation et tirer tout le monde vers le haut. C’est aussi la première fois depuis le retour à la démocratie en 1983 que des institutions publiques d’enseignement et de formation sont fermées en Argentine. Cela va de pair avec les coupes budgétaires sévères dans les crédits accordés à la recherche, dont je vous parlais dans un article de Barrio de Tango hier.

La Legislatura, parlement monocaméral de la Ville, va s’emparer du sujet la semaine prochaine, en dépit de la prochaine fin de session et de l’arrivée des grandes vacances d’été, qui ont déjà commencé pour les scolaires.

Pour aller plus loin :
lire l’entrefilet de Página/12 du 18 décembre
lire l’article de Página/12 du 19 décembre, suivi de l'article d’hier
lire l’article de Página/12 aujourd’hui



(1) Notons que cette interruption des études à 14 ans n’explique pas autant qu’en Europe par un décrochage scolaire, de mauvais résultats ou un dégoût de l’école mais par le choix des familles de mettre leurs enfants au travail, faute de pouvoir s’accorder le lux de leur offrir de longues études. Une partie de l’échec scolaire et des redoublements en Argentine est dû au fait qu’en dehors des horaires scolaires, l’enfant travaille souvent à un âge très précoce : il travaille sur la parcelle agricole personnelle de ses parents, dans leur magasin, dans leur restaurant, dans leur atelier...
(2) Planero est un néologisme, il résonne un peu comme platero, argentier, celui qui travaille l’argent (métal).

Le ministère de la Justice ferme sa salle de cinéma à l’ex-ESMA [Actu]


Le ministère de la Justice anime depuis dix ans, sous le premier mandat de Cristina Kirchner, un centre culturel sur le campus des droits de l’homme et de la mémoire qui a été installé sur le domaine de l’ancienne Ecole supérieure de Mécanique de la Marine (ESMA), qui avait servi sous la dictature de prison et de centre de torture clandestins. Ce centre est le Centro Cultural Haroldo Conti, qui dépend du Secrétariat d’État aux Droits de l’Homme, qui a son siège dans les mêmes locaux.

Or les travailleurs du Centro Cultural Haroldo Conti viennent de découvrir leur salle de cinéma vidée de son matériel. Or le CC Haroldo Conti n’a pratiquement payé aucun des artistes qui se sont produit dans ces murs pendant cette année ni aucun des animateurs qui y ont mené des ateliers : la dette salariale s’élève à 3.865.333 pesos.
La conclusion va de soi : sans matériel de projection, la salle a cessé de fonctionner. C’est le syndicat des salariés de l’État qui mène la lutte pour limiter les dégâts dans cette déperdition d'infrastructures publiques et d’accès gratuit à la culture.

Pour aller plus loin :

Un p'tit dernier Menesunda pour l’été [à l’affiche]

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Le chanteur Cucuza Castiello (de dos sur l'affiche) se produira ce soir, samedi 22 décembre 2018, à 21h, au Teatro Monteviejo, Lavalle 3177, à cent mètres de l’avenue Corrientes, la grande artère des théâtres à Buenos Aires.

Entrée : 250 $ ARG

L’artiste sera accompagné de son habituel trio : Mateo Castiello à la guitare, Noelia Sinkunas au piano et Sebastián Zasali au bandonéon.

Il a invité de nombreux autres musiciens, dont le chanteur Walter Chino Laborde.

Retournement dans l’affaire Nisman [Actu]

Sandra Arroyo Salgado, l’ex-épouse du défunt procureur fédéral Alberto Nisman, vient de se désister de son statut de partie civile dans l’instruction qui doit déterminer si le décès du procureur était un suicide ou un assassinat. Un dimanche soir de janvier 2015, le magistrat avait été retrouvé chez lui baignant dans son sang, alors qu’il s’apprêtait à accuser le gouvernement argentin de vouloir protéger les auteurs iraniens d’un attentat antisémite sur lequel il enquêtait (1).

L'une des apparitions devant la presse de la juge, en 2015

En sa qualité de partie civile, son ex-épouse représentait ses filles mineures. En se désistant, elle se libère de toute obligation procédurale dans le cours de l’instruction, elle perd aussi le droit de réagir aux thèses de la défense du seul inculpé dans l’affaire, Diego Lagomarsino, l’ancien informaticien du procureur, celui qui lui a fourni l’arme avec laquelle il s’est donné ou on lui a donné la mort, et dont le rôle qu’il jouait dans le cabinet d’instruction sur l’attentat contre l’AMIA reste un mystère. Or elle l’a accusé sans relâche et a fait feu de tout bois pour obtenir son inculpation. Le laisser désormais se défendre sans jamais lui faire opposition est un vrai retournement chez cette accusatrice féroce. Lagomarsino lui-même dit aujourd’hui son étonnement (voir l'entrefilet de La Prensa).

Cette femme, elle-même juge fédérale, a mené un combat très rude d’abord pour que la justice locale, celle de Buenos Aires, soit dessaisie de l’affaire : elle préférait en effet que le dossier passe à la justice fédérale, dont elle connaît parfaitement le personnel puisqu'elle en fait partie. Elle s’est beaucoup démenée, dès les premiers jours, pour convaincre tout le monde qu’il s’agissait d’un assassinat aggravé contre un représentant de l’autorité dans l’exercice de ses fonctions (magnicidio).

Elle se retire du procès en invoquant la nécessité de protéger sa famille de menaces qu’elle ne cesserait de recevoir et de reprendre elle-même le cours de sa vie professionnelle et personnelle. On ne peut évidemment pas savoir s’il s’agit là des vrais motifs puisqu’elle connaît parfaitement la procédure pénale et qu’elle sait comment en jouer, comment justifier son retrait d’une manière formellement parfaite (au sens juridique de l’adjectif). En tout cas, Página/12 doute de l’existence des menaces puisqu’elles ne font pas l’objet de plaintes devant la justice. Pour une juge, c’est en effet assez suspect.

Fait nouveau, Sandra Arroyo Salgado reconnaît que les actes d’instruction, dont elle salue la qualité de l’exécution (c’est nouveau !), n’ont pas été concluantes sur le point de savoir si la mort de son ex-mari est ou non de nature criminelle. Or elle n’a cessé de proclamer le contraire à longueur de conférence de presse et devant de nombreuses instances judiciaires depuis l’été 2015. Cette argumentation est donc pour le moins troublante.

Página/12, peu enclin à accepter la thèse de l’assassinat, qui mettrait en cause le gouvernement Kirchner, y voit l’écroulement d’un château de cartes, une manipulation de l’opinion pour salir le nom de Cristina Kirchner en essayant de l’impliquer dans une commandite d’assassinat politique.
Clarín et La Nación se contentent d’une paraphrase de la lettre dont les deux quotidiens reproduisent un fac-similé et d’un rappel de l’affaire et de ses multiples rebondissements.

La mère de Alberto Nisman reste, quant à elle, partie civile dans ce procès.

Les deux femmes ont toujours montré un visage plutôt antipathique. Toutes deux ont un style très agressif, en grand décalage avec l’idéal féminin de la haute société à laquelle leur mode de vie pourrait les assimiler (idéal parfaitement assumé par des personnes comme Julia Awada, l’actuelle épouse du président Macri, ou la reine Máxima des Pays-Bas, elle-même issue de l’oligarchie des grands propriétaires agricoles argentins). Toutes deux sont à peu près aussi souriantes et avenantes que la ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich. Elles n’ont jamais gagné l’affection ni de l’opinion publique ni de la presse, même de droite.

Pour aller plus loin :
lire l’article de La Prensa

Ajout du 23 décembre 2018 :
lire cet éditorial de Clarín, qui a toujours soutenu la thèse du crime et qui se retrouve bien mortifié par le retrait inattendu de Sandra Arroyo Salgado



(1) L’attentat contre la AMIA a fait en 1995 85 morts et environ 300 blessés, dont de très nombreux survivants sont restés handicapés à vie après consolidation du cadre clinique. C’était l’affaire, gigantesque, dont s’occupait exclusivement le procureur, qui en assurait l’instruction, jusqu’à la découverte des auteurs ou de l’auteur des faits, qui n’ont toujours pas été identifiés. En procédure criminelle argentine, dès lors qu’un auteur est déterminé, l’enquête est confiée à un juge d’instruction.

vendredi 21 décembre 2018

Justice et science sans budget de fonctionnement [Actu]

"Droits de l'homme en faillite", dit le gros titre

Le laboratoire argentin d’anthropologie judiciaire, connu dans le monde entier pour avoir réussi à rendre des identités de naissance à une centaine d’adultes enlevés en bas âge à leurs parents sous la dictature et à des ossements de plusieurs victimes des persécutions de cette même dictature, vient d’annoncer qu’il ne pouvait plus maintenir ses activités dans le pays, faute de budget. Le gouvernement lui a en effet coupé les crédits. Or ce corps de techniciens hyper-qualifiés était occupé depuis plusieurs mois à mettre un nom sur les soldats argentins tombés aux Malouines lors de la guerre de 1982 et qui ont été inhumés anonymement sur les îles par les autorités d’occupation britannique (1).

De son côté, et pour les mêmes raisons de coupe budgétaire, le CONICET, centre national de recherche scientifique et technologique, a annoncé qu’il était contraint pour l’année prochaine de renoncer à toutes les rencontres scientifiques dans tout le pays, les journées, colloques, symposiums, congrès et autres séminaires, qui permettent aux chercheurs d’établir des échanges nationaux et internationaux et de se faire connaître auprès des uns et des autres. Or le CONICET est l’un des organismes scientifiques les plus prestigieux du continent sud-américains.

Une catastrophe culturelle et politique qui obère l’avenir du pays.

Pour en savoir plus :
lire l’article principal de Página/12 sur l’arrêt des activités d’identification judiciaire
lire l’article de Página/12 sur la paralysie du CONICET
lire l’article de La Nación sur les techniciens judiciaires.



(1) Comme le savent déjà bien mes lecteurs assidus, les îles Malouines ont été prise par un coup de main de la Royal Navy, en janvier 1833, sans déclaration de guerre alors qu’elles étaient habitées et exploitées par des Argentins et que la Grande-Bretagne avait reconnu le nouvel Etat en 1824.