Santiago Cafiero, le ministre argentin des Affaires étrangères, à la tribune du Conseil des Droits de l'Homme auprès de l'ONU Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Depuis quelques semaines, c’est un diplomate argentin qui préside le Conseil des droits de l’Homme à l’ONU. Le gouvernement argentin s’en était félicité à ce moment-là. La position quelque peu timide au début de l’agression russe, dans la journée de jeudi, était incompatible avec cette position en vue dont le gouvernement argentin est si fier. Cette majorité se veut exemplaire en matière de droits de l’homme. C’est elle qui mène le combat pour les réparations des crimes de la dictature militaire des années 1976-1983, un combat qu’elle n’a jamais lâché.
Il fallait donc en finir avec
tout ce qui pouvait paraître ambigu, quelle que soit la politique
menée jusqu’à présent et qui tendait à voir en Vladimir Poutine
un partenaire diplomatique et politico-économique présentable.
Dans le cadre du Conseil des droits de l’Homme et par la voie de son ministre des Affaires étrangères qui a fait le voyage jusqu’à Genève, l’Argentine vient donc d’appeler Moscou à l’arrêt de l’utilisation de la force, abandonnant définitivement toute tentation de ménager la chèvre et le chou. Malgré le FMI et tout le reste ! Et très probablement au grand soulagement de toute sa diplomatie, à peu près sous toutes les latitudes. Le ministre a utilisé le verbe « condamner » et a prononcé le mot d’« invasion ». Il a parlé de « violation de l’intégrité territoriale d’un autre État ». Désormais, l’expression est claire.
Il est vrai que le gouvernement argentin a aussi mis sur les plateaux de la balance les risques que courent son économie dans l’actuel contexte international ainsi que son intention de reprendre au plus tôt les négociations commerciales entre le Mercosur, accord régional dont elle est l’un des fondateurs et des actuels leaders, et l’Union Européenne, laquelle montre tous les signes de s’impliquer de plus en plus concrètement et au-delà de tout ce qui pouvait être imaginé il y a seulement une semaine dans le soutien actif à l’Ukraine, qui résiste encore et toujours à l’empire russe.
L’actuelle vice-présidente Cristina Kirchner, qui avait ouvert cette voie de la coopération avec Poutine au cours de son premier mandat présidentiel, vient de sortir de son lourd silence à travers un texte où elle maintient son ambivalence : elle estime en effet que la communauté internationale applique deux poids-deux mesures en ne condamnant pas la Grande-Bretagne pour l’occupation des Malouines (qui remonte à 1833, ce qui n’est pas tout à fait la pleine actualité au moment où la communauté internationale cherche à arrêter un bain de sang en Ukraine) tout en surréagissant lorsqu’il s’agit de la Russie, avec des motifs qu’elle estime montés en épingle pour l’occasion. Lorsque Poutine s’était emparé, presque sans coup férir, de la Crimée en 2014, alors qu’elle était à la tête de l’Argentine, elle avait déjà développé le même raisonnement. Pas sûr que les Argentins, même dans son électorat fidèle, approuvent cette réaction qui s’oppose à la diplomatie nationale, pendant que le sang coule et qu'est brandie la menace nucléaire, et qui n’a qu’un mérite, celui de la constance (ce qu’elle revendique explicitement).
Comme si l’évolution du contexte
géopolitique comptait pour rien. Comme si le cours de l’histoire
n’existait pas. Son long silence depuis jeudi avait fait beaucoup
jasé. Ce message ne met pas fin à ces commentaires acerbes.
Rien de tout cela n’empêche Página/12 de tenter depuis jeudi d’expliquer tant bien que mal, voire hélas, de justifier le motif de la dénazification avancé par Poutine : le quotidien ne cesse de revenir sur le bataillon Azov qui, malgré tout le bruit qu’il avait fait au moment de la révolution de Maïdan et de la prise du Donbass en hurlant ses slogans nazis, n’a pas réussi sa percée politique dans le pays (l’extrême-droite ne représente que 2 % des élus au parlement ukrainien).
Pour aller plus loin :
lire l’article de La Nación, le seul organe d’information argentin qui ait une correspondante sur place, la journaliste Elisabetta Piqué, sa correspondante permanente à Rome
sur la déclaration de Cristina
Kirchner :
Ajouts du 1er mars
2022 :
Des voix, notamment celle d’une parlementaire de
droite, s’élèvent pour que soit rompu l’accord signé en 2014
et valide jusqu’en octobre de cette année entre l’Argentine et
la Russie pour accorder un créneau à Russia Today dans le bouquet
gratuit de la TNT (TDA) qui arrose tout le pays. A noter que c’était
l’ancien président de droite Mauricio Macri qui avait fait
prolonger ce contrat jusqu’en 2022 malgré ses déclarations
précédentes (en 2016, il voulait évincer RT et Telesur, la chaîne du Venezuela).
Pour aller plus loin :
lire l’article
de Clarín
lire l’article
de La Nación
Ajouts du 5 mars 2022 :
Au
Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, présidé par un
diplomate argentin, l’Argentine a voté pour l’ouverture d’une
enquête sur les atteintes aux droits de l’Homme en Ukraine.
Pour aller plus loin :
lire l’article
de Página/12
lire l’article
de La Prensa
lire l’article
de La Nación
Ajout du 15 mars 2022 :
Le
gouvernement argentin renonce à exécuter l’accord tout récemment
signé entre les présidents Alberto Fernández et Vladimir Poutine juste avant les
Jeux Olympiques d'hiver de Beijing et qui devait permettre la formation d’officiers
argentins par l’armée russe.
Pour aller plus loin :
lire l’article
de La
Nación