mercredi 30 septembre 2009

Le tango est inscrit au Patrimoine immatériel de l'Humanité [Actu]

Voilà, c'est fait... La demande avait été faite en octobre de l'année dernière par les villes de Buenos Aires et de Montevideo et le Comité Intergouvernemental de Sauvegarde du Patrimoine immatériel, composé des représentants de 24 pays membres de l'Unesco, réuni en ce moment à Abu Dhabi, vient d'inscrire 76 expressions culturelles du monde entier à ce Patrimoine de l'Humanité.

Le communiqué de l'UNESCO, en français, cite le tango en premier lieu (Argentine, ça commence par un A dans toutes les langues) avec le texte suivant :

Argentine, Uruguay - Le Tango : La tradition argentine et uruguayenne du Tango, aujourd’hui renommé dans le monde entier, est née dans les milieux populaires des villes de Buenos Aires et de Montevideo, dans le bassin du Rio de la Plata. Dans cette région où se mêlent des immigrants européens, des descendants d’esclaves africains et des autochtones, les criollos, a émergé un mélange hétéroclite de coutumes, de croyances et de rituels qui s’est mué en une identité culturelle caractéristique. Parmi les formes d’expression les plus connues de cette identité, la musique, la danse et la poésie du Tango sont à la fois le reflet et le vecteur de la diversité et du dialogue culturel.

Ce vote intervient alors que je comptais terminer mes publications d'aujourd'hui par l'hommage à Alorsa. Mais je crois que là où il est, il se réjouit encore plus que nous de cette réussite de son pays et du pays frère. Ce vote intervient aussi au moment où l'Argentine et l'Uruguay s'affrontent, et de méchante façon, devant la Cour du Tribunal international de La Haye, pour des problèmes de gestion d'un autre bien commun, très matériel celui-là, géographique et hydrologique, le fleuve Uruguay, l'un des deux principaux cours d'eau qui forment le Río de la Plata (avec un accent sur le i).

L'Uruguay de son côté a obtenu l'inscription du Candombe au Patrimoine, une tradition venue des esclaves noirs et demeurés très vivante à Montevideo et dans tout le pays, sans solution de continuité, à la différence de l'Argentine, où cet héritage noir a été un temps nié et le candombe oublié avant d'être redécouvert par des artistes comme Alberto Castillo, Sebastián Piana et Homero Manzi, et plus près de nous Juan Carlos Cáceres, Juan Vattuone, Néstor Tomassini (et Alorsa lui-même qui adorait cette musique). Le texte du communiqué dit :

Uruguay - Le Candombe et son espace socioculturel : une pratique communautaire - Les dimanches et jours fériés, les llamadas de tambores de candombe ou appels de tambour du candombe retentissent dans les districts de Sur, Palerme (1) et Cordón, au sud de Montevideo, en Uruguay, où réside une population d’origine africaine. Marquant le début des festivités, des feux communaux sont allumés autour desquels tous se rassemblent pour accorder leurs tambours et discuter entre eux avant le défilé.

Parmi les 76 expressions culturelles déclarées aujourd'hui Patrimoine de l'Humanité, on en trouve 21 qui ont été présentées par la Chine, dont l'opéra tibétain (!). Et la Procession du Saint-Sang à Bruges en Belgique, une tradition qui remonte au 13ème siècle. Félicitations aux amis belges, qu'ils soient francophones, néerlandophones ou germanophones... La Croatie a six éléments culturels désormais inscrits eux aussi au Patrimoine de l'Humanité. La France obtient trois inscriptions, dont la Tapisserie d'Aubusson (les deux autres sont une tradition de musique et de danse de la Réunion, le Mayola, et la tradition du tracé de la charpente française). Le Japon fait pas mal non plus avec neuf éléments ! La République de Corée, quant à elle, compte trois inscriptions, ce qui n'est pas rien non plus...

Bravo ! Les bouchons de champagne, français, ou de vin blanc pétillant nacional, vont sauter ce soir des deux côtés du large estuaire du monde, mais aussi du côté d'Aubusson et un peu partout dans la Creuse, à Bruges (et à Bruxelles aussi, en tout cas, je l'espère, à Paris, la déclaration de la tapisserie d'Aubusson laisse la presse plutôt indifférente) et dans quelques autres coins du monde.

Pour en savoir plus :
Lire le communiqué (en français) de l'UNESCO sur la déclaration du tango et du candombe Patrimoine culturel immatériel de l'Humanité
Lire mon article du 2 octobre 2008 sur la demande conjointe qui avait été présentée par Buenos Aires et Montevideo.

(1) Le quartier de Palermo, celui de Montevideo, pas celui de Buenos Aires.

Hommage de Página/12 à Alorsa [Actu]

C’était le mercredi 2 septembre sous la plume de Carlos Bevilacqua, lui-même vivement affecté par l’événement qui s’était produit dans la nuit du 30 au 31 août.

Je vous traduis ci-après l’intégralité de l’article, qui nous avait tous beaucoup émus (et ce n’est pas fini).

Aujourd’hui, voilà un mois qu’Alorsa nous a quittés et nous continuons à ne pas pouvoir y croire.

Miércoles, 2 de septiembre de 2009
MUSICA : MURIO JORGE PANDELUCOS, EL LIDER DE LA GUARDIA HEREJE
Alorsa, un ejemplo tanguero a seguir

Mercredi, 2 septembre 2009
Musique : Jorge Pandelucos, l’animateur de la Guardia Hereje, est mort
Alorsa, un exemple tanguero à suivre

Fue anteayer. La noticia se metió como un puñal artero por las casillas de mail y por los teléfonos celulares de tantos que habían tenido la suerte de conocerlo personalmente: “Se murió Alorsa”. A continuación, se cruzaron las preguntas teñidas de dolor tratando de entender cómo alguien sano, de 38 años, se va sin previo aviso, por un infarto como toda explicación. La tristeza se multiplica todavía en el ambiente del tango más genuino, ese que no resigna sus principios por un par de morlacos, porque Jorge Pandelucos, más conocido como “Alorsa”, fue además de un buen tipo, un artista talentoso, creativo y tesonero.
(Carlos Bevilacqua, Página/12)

C’était avant-hier. La nouvelle s’est plantée comme un poignard bien manié dans les messageries et les téléphones portables (1) de tant de gens qui avaient eu la chance de le connaître personnellement. "Alorsa est mort". Et aussitôt après, les questions imbibées de douleur ont fusé de toutes part pour tenter de comprendre (2) comment une personne en bonne santé, à l’âge de 38 ans, pouvait s’en aller sans crier gare, avec l’infarctus pour toute explication. La tristesse croît toujours dans le milieu du tango le plus authentique, celui qui ne renonce pas à ses principes pour une poignée de thunes (3), parce que Jorge Pandelucos, plus connu sous le nom de Alorsa, était non seulement un type bien, mais aussi un artiste talentueux, créatif, solide.
(traduction Denise Anne Clavilier)

La mayor exposición pública de Alorsa se dio a través de La Guardia Hereje, un cuarteto platense de guitarras, percusión y cantor que desde 2002 refrescó la letrística del tango con verdades actuales, sin perder por eso una visión poética del mundo ni enfrascarse en metáforas crípticas. Como alma mater del grupo, él escribía las letras, colaboraba en su musicalización en formas de tangos, milongas y candombes, se ocupaba personalmente de producir los discos, de armar el cronograma de conciertos y de hacer la prensa. “Hay un placer en hacerlo así, a pulmón”, decía. A pesar de llevar la pelota, Alorsa supo repartir juego al crear el Tango Criollo Club, un espacio pensado para compartir escenario con El Yotivenco, La Chicana y La Orquesta Típica Fernández Fierro, entre otros grupos del palo menos prejuicioso del tango. Luego de un año en un local de 7 y 42, el ciclo logró recalar en Buenos Aires.
(Carlos Bevilacqua, Página/12)

La plupart de ses apparitions publiques, Alorsa les a faites au sein de La Guardia Hereje (4), un quatuor de La Plata avec guitares, percussion et chanteur qui, depuis 2002, donnait un coup de jeune aux textes du tango avec des vérités actuelles, sans perdre pour autant une vision poétique du monde ni s’emprisonner dans des métaphores indéchiffrables. En sa qualité d’Alma mater du groupe, il écrivait les textes et faisait un travail collectif pour les mettre en musique sous forme de tangos, de milongas et de candombes, il se chargeait personnellement de la production des disques, de l’établissement du calendrier des représentations et assurait le service de presse. "Il y a du plaisir à faire ça de cette manière, à la force du poignet" disait-il. Le fait d’avoir le ballon (5) n’empêchait pas Alorsa de savoir distribuer le jeu lorsqu’il créa le Tango Criollo Club, un espace qui avait été conçu pour partager la scène avec el Yotivenco, La Chicana et la Orquesta Típica Fernández Fierro, entre autres groupes de la trempe la moins médiocre du tango. Au bout d’un an dans une salle située à l’angle des rues 7 et 42 (6), les concerts réussirent à se poser à Buenos Aires (7).
(traduction Denise Anne Clavilier)

La Guardia Hereje había editado en 2004 Tangos y otras yerbas, su único CD íntegramente compuesto por piezas propias que pronto parió un hermano en vivo con varios recitados como atractivos bonus tracks. Luego de siete años de trajinar por el circuito “under”, el jueves pasado se había presentado por primera vez en el marco del Festival y Mundial de Tango. Por estos días, preparaba la presentación en La Plata del material para un segundo CD que pensaba titular “Canciones para mandinga”. En el camino los herejes también llenaron dos veces el histórico Teatro Coliseo Podestá, algo así como el Colón de La Plata.
(Carlos Bevilacqua, Página/12)

La Guardia Hereje avait sorti en 2004 Tangos y otras yerbas, son unique CD intégralement composé de morceaux originaux qui très vite enfanta un frère [enregistré] en public avec en plus des paraboles racontées (8) comme autant de bonus captivants. Après 7 ans à se trimbaler à travers le circuit underground, jeudi dernier pour la première fois il s’était produit dans le cadre du Festival et du Mundial de Tango. Ces jours-ci, il préparait la présentation à La Plata du contenu de son second CD qu’il envisageait d’intituler Chansons pour Mandinga (9). En chemin, les hérétiques avaient aussi rempli deux fois l’historique Théâtre Coliseo Podestá, qui est un peu à La Plata ce que le Colón est à Buenos Aires (10).
(traduction Denise Anne Clavilier)

Como pocos, Alorsa supo aprovechar las bondades de Internet para hacerse un lugar en los oídos de la gente. Además de grabar en forma independiente, vendía sus discos a precios accesibles por canales no tradicionales y durante el último verano decidió liberarlo por Internet a través de una descarga gratuita a pedido. “Por cada disco que alguien se descarga hay diez personas que cantan nuestras canciones en diferentes lugares del mundo”, había dicho en una nota para este diario.
(Carlos Bevilacqua, Página/12)

Comme peu de gens, Alorsa avait su profiter des avantages d’Internet pour se faire une place dans les oreilles des gens. Non content d’enregistrer en toute indépendance, il vendait ses disques à des prix accessibles, hors des circuits traditionnels et l’été dernier, il avait décidé de le libéraliser sur Internet à travers un téléchargement gratuit sur demande. "Pour chaque disque que quelqu’un télécharge, il y a 10 personnes qui chantent nos chansons en différents points du monde" avait-il dit dans un entrefilet à ce journal. (11)
(traduction Denise Anne Clavilier)

Alorsa llegó al arte de una manera oblicua. Luego de estar a punto de graduarse como ingeniero electrónico, trabajar como profesor de matemática y viajar como mochilero-guitarrero por América latina, estaba manejando un taxi por la Ciudad de las Diagonales cuando sintió que tenía que hacer algo con esos papelitos que llenaba con apuntes de lo más disímiles. Nacieron entonces las primeras canciones , que después trascenderían como “La pesadilla”, “Para verte gambetear” o “Ezeiza”.
(Carlos Bevilacqua, Página/12)

Alorsa était venu à l’art par un chemin de traverse. Après avoir été à deux doigts de passer son diplôme d’ingénieur en électronique, avoir travaillé comme professeur de mathématiques et avoir voyagé sac à dos et guitare en bandoulière à travers l’Amérique Latine, il conduisait un taxi dans la Ville des Diagonales (12) quand il sentit qu’il avait quelque chose à faire avec ces bouts de papier qu’il couvrait de notes dans tous les sens. C’est ainsi que sont nées les premières chansons qui ont ensuite connu le succès comme Le Cauchemar, Pour te voir jouer, ou Ezeiza. (13)
(traduction Denise Anne Clavilier)

Así como tras perder las facturas del domingo en una de sus letras él advierte que acechan los traidores, su partida recuerda que en cualquier momento hay que dejar el puesto. Pero también que mientras se pueda continuar jugando hay un ejemplo a seguir.
(Carlos Bevilacqua, Página/12)

Comme, quand il ne retrouve plus les viennoiseries du dimanche dans un de ses textes (14), il nous avertit que les traîtres sont à l’affût, son départ nous rappelle qu’à n’importe quel moment on peut avoir à quitter le terrain (15). Mais aussi que, tant qu’on peut continuer à jouer, il y a un exemple qu’il faut suivre.
(traduction Denise Anne Clavilier)

Vous pouvez retrouver un bon nombre des spectacles auxquels Carlos Bevilacqua fait allusion dans les entrées de ce blog consacrés à Alorsa. Pour y accéder, cliquez sur le nom du chanteur dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search en haut de l’article ou dans la rubrique Vecinos del Barrio (j’ai maintenu pour le moment Alorsa en première position, comme de son vivant, et je ne sais pas quand ni si j’aurai un jour le courage ou la résignation de l’installer plus bas, dans la section Toujours là. Il le faudra bien un jour mais... on a le temps).

Pour accéder directement à l’article de Carlos Bevilacqua, sans passer par ma traduction, cliquez sur ce lien.

(1) Mes amis belges écriraient GSM...
(2) Carlos a lui-même fait partie de ces personnes sonnées qui cherchaient à comprendre. Sa question est revenue sur ma messagerie en réponse au mail que j’avais moi-même envoyé pour annuler la réunion festive que je comptais organiser la veille de mon départ, dans une pizzeria de San Telmo, où j’avais déjà réuni mon petit monde l’année dernière. Le 20 juillet de cette année, pour la fête de l’amitié (día del Amigo), j’avais publié dans ce blog une deuxième photo de cette réunion, précisément celle de la partie de la tablée où Alorsa s’était installé et où on ne voit guère que le noir de jais de ses cheveux...
(3) thunes : argot parisien pour traduire le lunfardo morlacos
(4) Guardia Hereje : la Garde Hérétique. Allusion aux deux grandes écoles-époques du tango des origines, qu’on a appelées Guardia Vieja et Guardia Nueva, laquelle commence avec Julio De Caro. Depuis, ces deux termes sont une référence permanente, qu’on met à toutes les sauces. Alorsa l’avait choisie, en référence à beaucoup de choses et en particulier à une oeuvre du poète et dramaturge populaire Evaristo Carriego, Misas Herejes.
(5) Carlos Bevilacqua utilise ici une métaphore footeuse très classique en Argentine et dont Alorsa adorait se servir.
(6) A La Plata, les rues ont plus souvent des numéros que des noms. Ce n’est pas ce qui aide le plus l’automobiliste à s’y repérer.
(7) Carlos fait ici allusion aux deux séries de shows que La Guardia Hereje a données au Conventillo de Teodoro, dans le quartier de Almagro, et dont j’ai plusieurs fois parlé dans ces colonnes... Cela avait été un travail ardu pour Alorsa de trouver ce lieu et de conclure cet accord. Cela avait commencé par un essai de 2 mois, qui avait été couronné de succès, puis il était à nouveau revenu pendant deux nouveaux mois. Il avait ensuite réussi à faire un soirée dans un café de l’avenue Corrientes. Je me souviens qu’il était en pleine négociation avec le patron du Conventillo le jour où Cucuza fêtait à El Faro le 1er anniversaire de El Tango Vuelve al Barrio. C’est pour ça que c’était Alorsa qui m’avait raccompagnée jusqu’à mon hostel, à Almagro, dans sa voiture...
(8) c’est moi qui choisis de traduire ainsi le terme recitativo. C’est en fait une notion intraduisible. C’est un mot qui s’utilise beaucoup pour parler de ces morceaux dits et non chantés qu’Horacio Ferrer a introduits dans le genre avec le début de Balada para un loco et qu’il cultive avec un admirable talent. Alorsa était et Juan Vattuone est, autant l’un que l’autre, de grands experts dans le maniement de ces temps éminemment théâtraux et très difficiles à faire passer sur scène de manière naturelle, sans artifice.
(9) Mandinga est un personnage du carnaval sur les deux rives du Río de la Plata. Il symbolise l’héritage noir présent dans la culture de cette région. Mandinga est le nom d’une ethnie d’Afrique de l’ouest à laquelle appartenait la majorité des esclaves qu’on débarquait dans le port de Buenos Aires aux 17 et 18èmes siècles.
(10) Teatro Colón : l’opéra de Buenos Aires. Dans le domaine de la musique populaire, seuls de très, très grands y ont été admis : Troilo, Pugliese, Piazzolla, Salgán... Carlos Bevilacqua fait ici allusion aux deux représentations au Teatro Coliseo Podestá, dont je vous ai présenté en juillet la deuxième.
(11) Le chroniqueur fait allusion à une interview d’Alorsa qu’il avait lui-même fait paraître dans Página/12 en juillet dernier.
(12) surnom de La Plata
(13) Les chansons citées ici (et d’autres aussi), il en sera question dans les livres que je prépare en ce moment et qui paraîtront pour l’un, je l’espère, avant Noël (je croise les doigts) sinon vers février et pour l’autre, dans le courant du premier semestre 2010. Je suis en train de faire des changements que la disparition de l’auteur impose. Quand tout est consommé, il faut présenter les choses différemment et il m’en coûte de s’y résoudre.
(14) Allusion à Te morfaste las facturas, avec lequel il avait ouvert son spectacle du 27 août, au Konex, à la stupéfaction ébahie d’un public venu pour danser et pour "écouter du tango" et qui se trouvait face à cette espèce d’ovni culturel, quelque chose de totalement inattendu mais qui fut chaleureusement applaudi.
(15) autre métaphore footballistique, si fréquente dans le langage quotidien à Buenos Aires.

Hymne à la céréale locale dans le supplément gastronomique de Clarín [Coutumes]

Photo Clarín

Les lecteurs habituels de Barrio de Tango connaissent déjà bien le supplément gastronomique de Clarín : on y trouve plein d’infos sympathiques et d’idées (pour nous très originales) pour argentiniser nos menus...

Cette semaine, Ollas y Sartenes déroule le tapis rouge pour le maïs et toutes les manières de l’accommoder en entrée, en plat principal et même en dessert (surprenante recette de crème brûlée, en français dans le texte, au maïs), et en couleur...

En Europe, nous ne connaissons guère que le maïs jaune, en boîte de conserve, en épis ou en grains pour pop-corn, mais les Argentins et les Latino Américains en général connaissent le maïs jaune, blanc, rouge, noir et toutes les couleurs intermédiaires. Ils connaissent aussi une variété incroyable de pommes de terre (papas) de toutes les couleurs, de toutes les textures et pour tous les usages. En plus, le maïs en Argentine comme les pommes de terre sont le plus souvent très savoureux (alors que notre maïs en boîte est un produit nourrissant certes mais fade et insipide). L’ennui, c’est qu’on ne trouve que très difficilement en Europe du maïs argentin (ou de n’importe quel autre pays d’Amérique du Sud) : il ne peut être importé car il s’agit le plus souvent de maïs OGM, les agriculteurs là-bas préférant les OGM à l’utilisation abusive, compliquée et très coûteuse, vu les immenses étendues à traiter, des produits phytosanitaires industriels, eux-mêmes très chers et, en plus, particulièrement polluants, ce qui là-bas aussi commence à être un vrai souci pour le monde agricole comme pour les pouvoirs publics.

Essayez de trouver sur nos marchés de bons maïs et mettez-vous aux fourneaux, avec l’aide éventuelle d’un bon dicco...

Dema et La Petitera au CAFF samedi soir [à l’affiche]


Tout est dit dans l’affiche que Dema et La Petitera ont choisi de diffuser. Sauf l’adresse exacte : rue Sánchez de Bustamante, 765, dans le quartier de l’Abasto, le quartier de Gardel et de Troilo.


Pour en savoir plus sur ce chanteur et ses musiciens (La Petitera), cliquez sur son nom, ci-dessus, dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search. Ce clic vous donnera accès à l’ensemble des articles que je leur ai déjà consacrés dans ce blog, depuis son ouverture le 19 juillet 2009.

Le chiffre d’affaires des supermarchés montre une baisse de la consommation au cours de l’hiver [Actu]

D’après l’institut national des statistiques argentin, dont les chiffres sont toujours contestés mais sont peut-être beaucoup plus fiables qu’on veut bien le croire, le chiffre d’affaires des supermarchés et des centres commerciaux (shoppings) a atteint les 4 267 millions de pesos en août, soit seulement 0,3% de plus qu’en juillet (4 253 millions). Chiffres qu’il convient de tempérer en fonction des variations saisonnières puisque le mois de juillet est traditionnellement le mois des vacances scolaires. Ainsi corrigées, les données accusent une baisse de 2,8% de juillet à août.
Néanmoins en comparant les chiffres avec ceux du même mois l’année dernière, on observe une augmentation de 12,7 %, ce qui revient à une hausse de la consommation d’une année sur l’autre de 8%, puisque l’INDEC estime à 4,8% le taux d’inflation annuelle entre 2008 et 2009.

Les études des officines privées estiment quant à elles que le coût des denrées alimentaires et des produits de première nécessité (hygiène et produits ménagers) aurait augmenté d’au moins 10%, ce qui reviendrait en fait à une baisse de la consommation réelle...

En savoir plus :
Lire l’article de Clarín Eco de ce jour

Démission de Daniel Pastor [Actu]

L’avocat Daniel Pastor, qui avait été choisi fin mai par Mauricio Macri pour diriger l’école de la police portègne (Academia de Policia Metropolitana), a finalement remis sa démission sans avoir jamais exercé ses fonctions à la tête de cette toute nouvelle institution de Buenos Aires.

Sa nomination avait jeté un froid avant les élections du 28 juin. En effet, dans des publications professionnelles spécialisées, Daniel Pastor a soutenu que les crimes contre l’humanité devaient pouvoir être prescrits, ce qui est contraire à toute la jurisprudence dans le monde entier. Il s’est permis de contester différents jugements rendus par des tribunaux internationaux des droits de l’homme, dont le tribunal international compétent pour les violations des droits fondamentaux en Amérique du Sud, et son hostilité aux organisations de défense des droits de l’homme est connu de tous les spécialistes et militants argentins en la matière. Au début juin, Página/12 avait sorti toutes les armes de son humour ravageur et de ses jeux de mots bien affûtés pour dénoncer le choix du Chef du Gouvernement portègne, assimilant Daniel Pastor à un berger allemand (pastor aleman), lui-même assimilé à un chien SS (voir mon article avec reproduction de la une de ce quotidien le 3 juin).
Daniel Pastor, jeune avocat brillant et bien propre sur lui, à qui on donnerait le Bon Dieu sans confession en voyant sa tête de premier de la classe (1), semble avoir rencontré de sérieuses difficultés après sa nomination puisqu’il aurait à plusieurs reprises dû reculer la date de sa prise de fonction, sous des prétextes variés, d’incompatibilité d’agenda et d’engagements antérieurs, jusqu’à finalement remettre, au début de ce mois ou à la fin août, sa démission au ministre de la justice portègne, Guillermo Montenegro, qui l’a acceptée le 4 septembre. L’information n’a toutefois été publiée au Bulletin officiel de la Ville que le 29 septembre (hier) et sans qu’il y soit fait écho sur le portail officiel de Buenos Aires, vitrine Internet du Gouvernement portègne.

Il semble qu’il y ait eu à la Legislatura des oppositions fortes à cette nomination (ça se comprend, dans une assemblée où le Gouvernement ne dispose pas de la majorité) et que pendant la période de non prise de fonction, pendant laquelle nul ne sait qui a dirigé de fait la Academia de Policia Metropolitana, Daniel Pastor ait tout de même participé à l’établissement des programmes d’enseignement et à la structuration des études.

Certains députés de la Legislatura sont bien déterminés à tirer l’affaire au clair et à passer le ministre à la question sur ce sujet. Il est en effet de première importance de savoir si les manuels qui serviront à former les futurs agents de la force publique de la Ville Autonome de Buenos Aires ont ou non des relents d’idéologie anti-démocratique.

Página/12 triomphe donc aujourd’hui et y va de son calembour habituel : un pastor que abandonó a su rebaño (un berger qui abandonne son troupeau).

Pour en savoir plus :
Lire l’article de Página/12 d’aujourd’hui (en espagnol)
Lire l’article de Barrio de Tango au moment de la désignation officielle tant controversée (en français).

(1) Ressemble un peu à Agnan adulte, ce garçon ! Un peu trop lisse, un peu trop brillant pour être vraiment franc du collier (sans allusion aucune à son nom de famille, qu’allez-vous imaginer là !). En plus, il a des lunettes, lui aussi. Comme ça, les copains peuvent pas lui taper dessus... Mais les journalistes de Página/12 ne faisant pas exactement partie de sa bande de copains, eux, ils ne se gênent pas pour lui régler son compte. N’oublions pas que le modèle du Petit Nicolas, dont l’adaptation au cinéma sort aujourd’hui en France, est sans doute à chercher dans les salles de classe et la cours de récréation du Lycée Français de Buenos Aires, où René Goscinny avait fait toute sa scolarité dans les années 30 qu’en Argentine on appelle la Decada Infame (c’est vous dire si ces 13 années de dictature et de gouvernements anti-constitutionnels ont laissé de bons souvenirs aux Argentins).

mardi 29 septembre 2009

Final du Mundial avec deux surprises dans les deux catégories [à l'affiche]

Le Mundial de tango a pris fin à Buenos Aires les deux derniers jours d’août. Les résultats n’étaient pas vraiment attendus.








Dans la catégorie Tango Salón, c’est un couple japonais, Hirochi et Kyoko YAMAO, qui l’a emporté, les premiers Argentins, Gonzalo Angeles et Sabrina Tonelli, tous deux de Buenos Aires, n’arrivant qu’en troisième position, après le couple russe, Andreï Panferov et Natalia Alioushkina.
Derrière eux et parmi les 10 premiers, viennent 5 couples argentins, dont les quatrièmes qui sont de Bahía Blanca, un couple italien et un couple uruguayen. Les jours suivants, tout Buenos Aires ne parlait que de la surprise de la veille : c’étaient des Japonais qui étaient couronnés champions du monde de tango. Cela les faisait un peu ricaner, les Portègnes... Moi, j’avais l’esprit tout à fait ailleurs, comme vous le savez si vous avez lu l’article unique que j’ai publié, depuis un inconfortable locutorio de la Avenida Rivadavia, la veille, le dernier publié depuis Buenos Aires même.
Le monde à l’envers ! ¡Qué falta de respeto! comme on dit là-bas quand on constate une aberration et qu’on s’en offusque.
Comme quoi, le jury de cette compétition n’est pas aussi partial ni aussi chauvin que les perdants, habituellement étrangers, ont l’habitude de le penser in petto.


Dans la catégorie Tango Escenario, ce fut aussi la surprise lorsqu’un couple qui avait fait une prestation toute en sobriété l’a emporté sur les prouesses très spectaculaires mais à l’expression émotionnelle moins riche des 9 autres couples en compétition au Luna Park.

Les deux nouveaux champions, qui se voient offrir une prime de 15 000 $ offerte par la Ville de Buenos Aires et un contrat de deux mois au Japon ainsi que de belles perspectives de carrière, sont deux amis, lui, Jonathan Spitel, de Córdoba et elle, Betsabet Flores, de Zárate (1) qui ne dansent ensemble que depuis quelques mois. Elle vient de la danse classique mais gagne encore sa vie comme opératrice dans un centre d’appel et lui est un danseur professionnel de danses de société qui a démarré le tango il y a 18 mois. Ils avaient choisi pour leur chorégraphie un morceau de Fabio Hager, Encanto Rojo, dont je vous ai parlé (lire l’article) au sujet de la sortie du récent disque homonyme de ce compositeur-bandonéoniste, ex-directeur artistique du Viejo Almacén (il a quitté ses fonctions au début de l’année) (2).
En Tango Escenario, les vainqueurs 2009 l’ont emporté sur 171 couples venus de 25 pays. Ils étaient en fait les premiers surpris de leur arrivée en finale au Luna Park et comme ils n’avaient plus rien à perdre, ils ont décidé d’apprécier ce moment unique dans leur vie et de profiter sans se mettre une quelconque pression de cette heure de gloire qui leur était offerte de danser sur la mythique scène du non moins mythique Luna Park. Cela leur a réussi.

Pour en savoir plus :
Lire l’article de Carlos Bevilacqua sur la finale du Tango Escenario dans Página/12 du 2 septembre dernier.

Pour les amateurs de danse, j'ajoute aujourd'hui dans la Colonne de droite, dans la rubrique Eh bien dansez maintenant ! (en partie inférieure de la Colonne), deux liens vers deux revues argentines spécialisées sur la question, El Tangauta et La Milonga Argentina (un petit bonjour à Silvia Rojas, la fondatrice et rédactrice en chef de La Milonga Argentina, en passant, quelques semaines après notre dîner chez Ramos). Les photos qui illustrent cet article sont issues du site de La Milonga Argentina.

(1) Córdoba est une ville du centre de l’Argentine. C’est entre autres la ville natale de Rubén Juárez, un chanteur, compositeur et bandonéoniste très célèbre. Zárate est une ville du nord de la Province de Buenos Aires, sur le Paraná, comme Rosario plus à l’ouest, et qui vit grandir Homero Expósito, naître son frère cadet Virgilio et toute une palanquée de musiciens qui débutèrent tous dans l’orchestre de Miguel Caló dans les années 40.
(2) C’est ça, le Cena-show. De la rentabilité et du moins disant social à tout va.

Maintenant on ne rigole plus, on confisque [Actu]

Désormais, les contrevenants aux limitations de vitesse dans les rues de Buenos Aires (où certains n’hésitent pas à se prendre pour Fangio) pourront se voir confisquer leur sacro-saint véhicule, qu’ils transforment en arme par destination, s’ils dépassent de 40 km/h la vitesse autorisée. C’est une loi récente, la loi n° 3129/09, votée cette année par la Legislatura Porteña, qui permet à la police de procéder au séquestre.

La loi est entrée en vigueur le 17 septembre et deux postes de contrôle, munis de radars, ont été mis en place sur deux grandes artères des quartiers de Palermo et de Villa Soldati. Hier, le premier conducteur en infraction s’est fait confisquer son dangereux joujou à 4 roues, une Peugeot 307, avec laquelle il roulait en pleine ville, sur l’avenue du 27 février, à la hauteur du numéro 5700 (Villa Soldati) à la vitesse de 126 km/h, pour une vitesse limitée à 70 km/h sur cette voie de circulation. Le chauffard est un banlieusard qui vit à Haedo, au sud de Buenos Aires, dans la Province. Son permis de conduire est bonaerense, il ne subira donc aucun retrait de point alors que le même chauffard portègne aurait eu droit en plus à la perte de quelques points sur son permis. Mais l’infraction sera néanmoins enregistrée dans les registres de la police à Buenos Aires même.

Pour récupérer sa voiture, ce monsieur devra comparaître devant un tribunal (équivalent en France au Tribunal de Police) et payer l’amende prévue, qui peut monter jusqu’à 1000 pesos (1). 1 000 pesos, c’est peu ou prou le salaire minimum mensuel à temps plein. Ce n’est donc pas rien. Surtout pour quelqu’un qui vit à Haedo, qui est une banlieue populaire.

Les automobilistes avaient été amplement prévenus et les points de contrôle avaient même été annoncés par la presse.
Pour aller plus loin :
Lire l’article d’hier dans Clarín sur l’infraction sanctionnée
Lire l’article du 17 septembre dans Clarín sur la mise en place du dispositif
(1) Ce serait plus pour un conducteur professionnel (taxi, remis, routier, chauffeur de bus...). Dans ce cas l’amende va de 300 à 5 000 pesos.

lundi 28 septembre 2009

Litto Nebbia à Paris : retour sur images [ici]

Litto Nebbia sur le pont, le vendredi, avant l'arrivée du public

Dix jours plus tard, je trouve enfin le temps de publier quelques photos des deux premiers concerts que Litto Nebbia a donnés à Paris, avant de s’en retourner en Espagne, où il était attendu à San Sebastián dès le lundi suivant pour un nouveau concert et où sa tournée européenne continue, avec la présentation un peu partout outre-Pyrénées de son disque enregistré l’année dernière et paru sous le label Pescador de Estrellas (lire l’article de Barrio de Tango sur Soñando Barcos).

Il me l’a promis quand nous nous sommes quittés : il reviendra l’année prochaine. Avis aux Parisiens et aux Bretons, dont il a beaucoup aimé les petits villages comme Ploërmel et ses environs...





Avec Gonzalo Aloras, l’invité surprise des concerts parisiens, pendant les essais de son.





Avec Corentin, l’ingénieur du son du bord (pull orange), et Gonzalo Aloras, debout de dos.



Ecoutant Gonzalo Aloras
(Gonzalo est un guitariste et un chanteur qui vient de sortir son premier disque, où il chante des succès de Litto Nebbia, Charly García et Luis Alberto Spinetta, trois grands du rock nacional en Argentine. Il est lui-même l’un des musiciens d’un autre grand du rock argentin, Fito Paez)
Litto Nebbia s’est produit à Ploërmel, le 11 septembre, au Thy-Roir Café Concerts, sous les auspices de l’Association Culturelle Franco-Argentine (ACFA), et à Paris, à la Péniche Demoiselle, amarrée au Bassin de La Villette, dans le 19ème arrondissement. Un grand merci des organisatrices à ces deux salles très jolies, très agréables, qui nous ont reçus avec autant d’amabilité...
Un salut amical pour finir à Ivan Schuliaquer, le très aimable, très sympathique et très jeune correspondant à Paris du quotidien argentin Crítica de la Argentina, qui s’est précipité sur le musicien dès son arrivée dans la capitale pour obtenir en exclusivité sa toute première interview sur le sol français... Un article et un entretien à lire (en espagnol) sous le lien précédent pour vous rendre compte de ce que signifie pour un Argentin le passage de ce créateur dans la Ville-Lumière, comme on l’appelle encore à Buenos Aires et à Rosario. Merci à lui d’être venu et d’avoir fait à Barrio de Tango sa première citation dans la presse du Cono Sur.
Merci aussi à Ouest-France d’avoir relayé l’information de cette tournée au pays de Brocéliande...

En savoir plus :
lire les articles sur cette tournée en France de Litto Nebbia, en cliquant sous le mot-clé LN Tour France 09 dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, en haut de l'article.Vous pouvez aussi visiter le nouveau site de Melopea, le label discographique fondé par Litto Nebbia en 1988, et qui dispose depuis le mois de juin dernier de pages en français (c’est Bibi qui a traduit !), sur la biographie du maître des lieux, l’histoire de cette maison de disque (610 albums parus en 20 ans) et la philosophie qui préside à la politique éditoriale du label. Vous trouverez le site dans la rubrique Les commerçants du Barrio, dans la partie basse de la Colonne de droite.

Mujica a dit des gros mots [Jactance & Pinta]

Le 13 septembre 2009, José Mujica, candidat socialiste à l’élection présidentielle en Uruguay, a accordé une interview, depuis Montevideo, au quotidien argentin La Nación. Il y a fait des déclarations qui n’ont pas passé inaperçues et dont le contenu manquait visiblement et de nuances et de diplomatie.

Mujica est un ancien guerrillero, qui a combattu dans la clandestinité la Dictature militaire qui a sévit en Uruguay entre 1973 et 1985. C’est aujourd’hui un Sénateur élu sur le programme du Frente Amplio, la fédération de tous les partis de la gauche uruguayenne. Il est membre du Parti socialiste et, vu l’état de la droite en Uruguay et le haut degré de popularité de l’actuel Président Tabaré Vázquez, lui-même élu du Frente Amplio via le Parti Socialiste, il a de bonnes chances d’accéder à la magistrature suprême de son pays le 25 octobre prochain.

José Mujica en garçon de parilla (une photo de Federico Guastavino pour La Nación)

Sur le plan politique, cette longue interview (que vous pouvez lire en cliquant sur le lien) est passionnante. Sur le plan diplomatique, elle est désastreuse car il a osé s’en prendre au couple Kirchner, dont l’épouse gouverne le pays frère, l’imposante et frontalière Argentine (1) au moment même où l’Argentine et l’Uruguay s’affrontent devant le Tribunal international de La Haye à cause de l’installation sur la rive orientale du fleuve Uruguay d’une papeterie (industrie très polluante) de capitaux finlandais, Botnia. Mais plus que sur le message proprement politique et polémique délivré par le candidat uruguayen, ce sur quoi je m’arrêterai dans cet article, c’est l’emploi de quelques expressions de charretier dont il a pimenté son discours (déjà suffisamment corsé, pourtant) et sur les réactions que l’emploi de ce langage a suscitées en Uruguay.

Les faits : en parlant de la justice, c’est-à-dire de la répression judiciaire contre les anciens tortionnaires et responsables de la Dictature militaire, qu’il a lui-même combattus les armes à la main, Mujica a tenu un discours qui ressemble beaucoup (le langage fleuri en plus) à la position publique que Robert Badinter eut le courage d’exprimer (plus élégamment) lorsque la Justice française devait se prononcer sur la libération pour raison de santé du condamné pour crimes contre l’humanité Maurice Papon. Souvenez-vous, l’ancien Garde des Sceaux, le vainqueur de la cause de l’abolition de la peine de mort, le fils de déporté, avait milité pour la libération du vieillard, parce que son maintien en prison n’aurait pas été justice mais vengeance et que la vengeance déshonnore la démocratie. Mujica, avec moins d’années de recul sur les faits reprochés aux criminels, a plaidé la même chose dans un langage moins châtié. "La Justice, ça pue la vengeance, a-t-il déclaré en substance. Je n’y crois pas. La justice, je m’en fous comme de mon premier mouchoir"

Aussitôt, la droite uruguayenne est montée sur ses grands chevaux et l’adversaire de Mujica, Alberto Lacalle, ancien président et actuel candidat, en a appelé à l’exemplarité du langage devant les tendres oreilles des nos chères têtes blondes et le respect du rude travail des institutrices pour leur apprendre le beau langage (2).

Racontée ainsi, la querelle paraît bien légère et, pour tout dire, assez dérisoire. La lecture du papier d’opinion signé par l’écrivain uruguayen Jorge Majfud, enseignant à l’Université Lincoln aux Etats-Unis, dans l’’édition de Página/12 du 18 septembre, vous permettra de comprendre qu’il n’en est rien.
Verbatim...

Escuchando los discursos del senador Mujica, siempre me asaltan dos reacciones contradictorias. Una, de respeto ante sus habilidades intelectuales a las que suma una cultura ilustrada que deliberadamente oculta detrás de una fachada tipo Diógenes. Otra, cierto rechazo ante el abuso, a veces populista –como cuando presentó el titulo universitario de alguien no como un mérito sino como un defecto, como si se tratase de un titulo nobiliario–, del “chorizazo”, de la simplificación extrema de los medios de expresión que en el pasado y hasta ahora le han dado mucha popularidad.
(Jorge Majfud, Página/12)

Lorsque j’écoute les propos du sénateur Mujica, je suis tiraillé entre deux réactions contradictoires : l’une de respect pour ses capacités intellectuelles auxquelles il joint une culture insigne qu’il cache délibérément sous une façade façon Diogène, (3) l’autre un certain refus devant l’usage abusif et parfois populiste -comme lorsqu’il lui est arrivé de présenter le titre universitaire (4) de quelqu’un non comme un mérite mais comme un défaut, comme s’il s’agissait d’un titre nobiliaire- du loubard, de la simplification extrême des moyens d’expression qui, dans le passé et encore aujourd’hui, lui a valu une grande popularité.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

[...]

Para pensar en los pobres es necesario sentir como los pobres pero no necesariamente implica pensar como un pobre.
En Uruguay como en Estados Unidos, un lugar común, una vaca sagrada declara que uno debe elegir un presidente “como uno”. Pero ese narcisismo, propio de nuestra cultura del siglo XXI, no me sirve. Prefiero elegir a alguien que sea mejor que yo. Creo que el senador Mujica sería, por lejos, mejor presidente que yo y que muchos “hombres comunes”. Por eso debería ser presidente, no por ser “como cualquiera”. Es lo menos que podemos pedirle al obsoleto y contradictorio sistema de democracia representativa.
(Jorge Majfud, Página/12)

Pour penser aux pauvres, il est indispensable de sentir les choses comme les pauvres mais cela n’implique pas nécessairement de penser comme un pauvre.
En Uruguay comme aux Etats-Unis, un lieu commun, un poncif dit qu’on doit choisir un président comme soi. Mais ce narcissisme, propre à notre culture du 21ème siècle, ne me sert à rien. Je préfère choisir quelqu’un qui soit mieux que moi. Je crois que le sénateur Mujica serait, et de loin, meilleur président que moi et que de nombreux hommes du commun. C’est pour cela qu’il faudrait qu’il soit président, pas parce qu’il est comme n’importe qui d’autre. C’est le moins que nous puissions demander au système obsolète et contradictoire de la démocratie représentative.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

[...]

Ahora, vamos a suponer, por un momento de delirio lingüístico, que el idioma es lo más importante en la vida de una sociedad. Aun así, en lingüística los prescriptivistas han perdido casi todo el terreno que poseían desde que en 1492 Nebrija escribió la primera gramática castellana para, como el mismo autor lo reconoció, apoyar las fuerzas del imperio que nació de la intolerancia, de la limpieza étnica, religiosa y lingüística. Es decir, de la exclusión, de la exclusividad.

En los países latinoamericanos, los prescriptivistas se convirtieron en policías del lenguaje. Durante la dictadura, en Uruguay se invirtieron inmensos recursos del Estado en una campaña nacional conocida por el lema “hablemos correctamente nuestro idioma” que simplemente consistía en “así no se dice; se dice así”. Y punto. Lo paradójico es que en nuestras escuelas los maestros privilegiaban e incluso imponían una gramática y hasta una pronunciación peninsular en desmedro del más antiguo y castellano voceo, asociado a las clases populares. Ni qué hablar que estas “prescripciones” van en sustitución de la crítica abierta y suelen ser obra de regímenes dictatoriales (régimen del dictado) donde los seres humanos son tratados como errores ortográficos: se los corrige o se los elimina.

Personalmente, ni siquiera como escritor de novelas suelo recurrir al “puteo” como estilo. No me interesa, no le encuentro ventajas. Dejo a mis personajes libres de putear, pero yo sólo lo uso en mi casa cuando me martillo un dedo. Según estudios en Estados Unidos, putear ayuda a resistir el dolor.
Pero tampoco me escandalizo por escucharlo de boca de un presidente. De un presidente me escandalizan más sus silencios.
(Jorge Majfud, Página/12)

Et maintenant, nous allons supposer, pendant un moment de délire verbal, que la langue est ce qu’il y a de plus important dans la vie d’une société. Ainsi donc, dans le domaine du langage, les puristes n’ont pas perdu le terrain qu’ils occupaient depuis qu’en 1492 Nebrija écrivit la première grammaire castillane pour, comme l’auteur lui-même l’avait avoué, soutenir les forces de l’empire qui était né de l’intolérance, du nettoyage ethnique, religieux et linguistique (5). C’est-à-dire de l’exclusion et de l’exclusivité.
Dans les pays d’Amérique Latine, les puristes sont devenus des policiers du langage. Pendant la Dictature en Uruguay, on a investi d’immenses ressources de l’Etat dans une campagne nationale connue sous le slogan de Parlons correctement notre langue et qui revenait tout bonnement à “on ne dit pas comme cela, on dit comme ceci", point à la ligne
(6). Le paradoxe, c’est que dans nos écoles les instituteurs privilégiaient et allaient même jusqu’à imposer une grammaire et une prononciation péninsulaires (7) coupées de la manière de dire la plus ancienne et la plus castillane, celle qui est associée aux classes populaires. Et ne parlons même pas du fait que ces prescriptions se substituent à la critique ouverte et sont d’ordinaire l’oeuvre de régimes dictatoriaux (régime de la dictée) où les êtres humains sont traités comme des fautes d’orthographe : on les corrige ou on les élimine.

Personnellement, même comme auteur de roman, je n’ai pas pour habitude de recourir au langage du ruisseau en tant que style. Cela ne m’intéresse pas. Je n’y trouve pas d’avantage. Je laisse mes personnages libres de dire des grossièretés mais pour ma part, je ne m’en sers chez moi que lorsque je me tape sur les doigts avec un marteau. Selon une étude aux Etats-unis, dire des grossièretés aiderait à supporter la douleur.
Mais je ne me scandalise pas non plus d’en entendre dans la bouche d’un président (8). D’un président, ce qui me scandalise le plus, ce sont ses silences.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

[...]

Los candidatos que le disputan la presidencia se burlaron del lenguaje y de las ideas del senador Mujica sin ninguna idea y sin hacer gala de ninguna riqueza en el lenguaje. Porque normalmente la riqueza en el lenguaje y las ideas van juntas, se retroalimentan. Por el contrario, escuchamos una plétora de lugares comunes, apelaciones a la patria, al futuro y a la decencia.
(Jorge Majfud, Página/12)

Les candidats qui lui disputent la présidence (9) se sont moqués du langage et des idées du sénateur Mujica sans aucune idée [eux-mêmes] et sans faire montre d’aucune richesse de langage. Or normalement, la richesse du langage et les idées vont ensemble, elles s’alimentent réciproquement. Bien au contraire, nous avons entendu une pléthore de lieux communs, d’appels à la patrie, au futur et à la décence.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Ce dont parle Jorge Majfud dans cette première partie de son article, c’est la même chose que ce que construisent avec toutes les difficultés du monde les poètes et écrivains populaires qui s’expriment à travers le tango (et les musiciens, c’est le même combat, dans l’un et l’autre domaine), ce sur quoi revenaient dans tous leurs essais des écrivains militants comme Arturo Jauretche et Raúl Scalabrini Ortiz en Argentine, ce pourquoi un Mario Benedetti s’est battu une bonne partie de sa vie (voir mes articles sur ce grand poète uruguayen récemment décédé) : une identité culturelle propre, celle du peuple et non des élites, distincte de l’identité européenne imposée,précisément par ces mêmes élites économiques plus que culturelles, pendant la période coloniale puis depuis l’indépendance à travers la pression des différents impérialismes des grandes puissances successives de l’hémisphère nord, l’Angleterre (et à un moindre titre la France) au 19ème siècle et jusqu’à la montée du nazisme en Allemagne, puis les Etats-Unis à partir de la déclaration de guerre en 1939 (et déjà un peu avant).

Dans la deuxième partie de son papier, Jorge Majfud discute avec beaucoup d’équilibre et de mesure la prise de position politique de Pepe Mujica sur le type de justice qu’il convient d’appliquer aux criminels de la Dictature alors qu’ils sont souvent à présent des vieillards (viejito, petit vieux), les uns bien gaillards et donc tout à fait susceptibles d’endurer la prison, les autres en bien moins bon état de santé physique ou mentale, auquel cas le maintien en prison pose des problèmes éthiques non négligeables dans une démocratie...

Je vous laisse le lire. Il est instructif, pour nous aussi, ici, en Europe, qui nous battons encore et toujours avec les fantômes non apaisés des deux tragédies qui ont ravagé notre continent, la Seconde Guerre Mondiale il y a 60 ans et l’occupation communiste des pays de l’Europe orientale, jusqu’à il y a 20 ans.

L’élection présidentielle en Uruguay aura lieu le 25 octobre et le nouveau président prêtera serment et prendra ses fonctions le 1er mars 2010.

Pour aller plus loin :
Lire l’interview de José Mujica dans La Nación du 13 septembre
Lire l’article sur ses regrets quelques jours plus tard dans Clarín du 18 septembre
Lire l’article sur le désaveu de Tabaré Vázquez des propos de son compagnon politique dans Clarín
Lire l’article de Clarín sur les réactions de la presse uruguayenne à l’interview du candidat du Frente Amplio
Lire l’article de Jorge Majfud dans Página/12 du 18 septembre

(1) Il a osé dire qu’il ne comprenait pas quelle idéologie soutenait leur action. Et il a servi deux ou trois idées assez hostiles au péronisme, traitant même les voisins occidentaux de son pays de iracionales (fous). Quand on sait quelle est la part de l’irrationalité du côté uruguayen, qui n’en manque pas non plus, depuis l’Europe, ces propos prêtent à sourire. Sur place, beaucoup moins.
(2) les enfants uruguayens sont sûrement très en avance sur leurs homologues argentins s’ils lisent déjà La Nación... Chapeau au système éducatif ! Il faudrait que nous nous en inspirions...
(3) Diogène, dit Diogène de Sinope, ou Diogène le cynique, philosophe stoïcien du 4ème siècle avant Jésus Christ, qui dormait dans une amphore à grains et ne s’encombrait pas de bonnes manières vis-à-vis de ses contemporains (les Rioplatenses parleraient d’un atorrante), leur disant toujours ce qu’il pensait, de la manière la plus abrupte possible et parfois avec des gestes obscènes, quelque soit leur rang et leur pouvoir. Célèbre entre autres pour avoir dit à Alexandre le Grand la phrase légendaire : "Ote-toi de mon soleil".
(4) Un titre universitaire en Argentine et en Uruguay, c’est très respecté. Rien à voir avec ce qui se passe chez nous où ces titres tendent à se déprécier considérablement avec la montée en prestige social des décideurs économiques et autres vedettes des salles de marché, du show business et du sport surpayées au détriment du monde de la culture et de la recherche.
En Argentine et en Uruguay, le respect est tel que tous les titres universitaires, quelque soit leur niveau, sont cités publiquement et accolés aux noms des titulaires dans tout contexte officiel. Vous verrez couramment apparaître ainsi les abréviations Lic. (pour Licencié), Dr (pour Docteur, lequel n’est pas utilisé que pour les médecins mais dans toutes les disciplines possibles et imaginables) et Ing. (pour Ingénieur, qui est aussi un titre universitaire là-bas). Vous entendrez couramment à Buenos Aires la Présidente Cristina Fernández de Kirchner apostropher fort peu aimablement le Chef du Gouvernement de Buenos Aires Mauricio Macri en lui envoyant du "Ingeniero !" à la figure (ce n’est pas un nom d’oiseau, c’est le titre auquel il a droit. Elle, elle est docteur, doctora, en droit).
(5) allusion à la politique des Rois Catholiques, Isabel de Castille et Ferdinand d’Aragon, qui dès la chute de Grenade en 1492, ultime victoire chrétienne contre les musulmans à la fin de la Reconquista (reconquête de l’Espagne sur les vainqueurs musulmans du 1er millénaire), avaient décrété la conversion obligatoire des musulmans et de juifs dans leurs royaumes, chassé ceux qui s’y refusaient et fait mettre à mort ceux qui conservaient en secret leurs anciennes pratiques après une conversion feinte. La même année, Christophe Collomb découvre une nouvelle terre à l’ouest, au nom des Rois Catholiques qui ont armé son expédition, laquelle démontre que les astronomes qui affirment que la terre est ronde ont raison.
(6) En Argentine aussi, il y a eu une grande (et heureusement vaine) opération de purification du langage entre 1943 et 1949. Il s’agissait d’une censure implacable du lunfardo, des argentinismes et de diverses réalités sociales de l’époque comme le cabaret, la prostitution, l’alcoolisme, le suicide etc. Cette censure moralisante et linguistique du lunfardo poursuivait exactement le même but politique que l’opération des années 70 en Uruguay Voir à ce propos le Vademecum historique dans la Colonne de droite, dans la rubrique Petites chronologies.
(7) la Péninsule : l’Espagne. Les différences linguistiques qui caractérisent la manière de parler sur les rives du Río de la Plata viennent pour beaucoup de l’état de la langue espagnole à l’époque des Conquistadores, c’est-à-dire plus ou moins à l’époque de Cervantes (le même phénomène existe avec le français parlé au Québec et par les Acadiens de Louisiane francophone).
(8) Ouf, Sarkozy est sauvé !
(9) Luis Alberto Lacalle pour le Partido Nacional et Pedro Bordaberry pour le Partido Colorado, lui-même fils du dictateur José María Bordaberry dont il défend vigoureusement l’oeuvre politique. Ces deux représentants des deux partis de droite qui se sont succédé au pouvoir entre 1830, date de l’indépendance, et 2004, année de l’arrivée au pouvoir (asunción) de Tabaré Vázquez, s’en prennent plein la tête et les dents dans la suite de l’article. C’est normal : n'en doutez pas, Página/12 est un journal de gauche.

Les quartiers sortent l’article 67 [Actu]

L’article 67 de la Constitution de la Ville Autonome de Buenos Aires permet à la population d’organiser un référendum pour destituer le Chef du Gouvernement. Il suffit (façon de parler, bien sûr) de réunir sur ce projet 20% des inscrits sur les listes électorales (padrón de electores), ce qui représente 504 983 personnes, selon les listes qui ont servi aux élections du 28 juin dernier. Le projet de référendum doit ensuite être présenté devant le Tribunal compétent pour la Ville de Buenos Aires (le Tribunal Superior de Justicia, TSJ de son petit nom) qui doit le valider et le faire mettre en oeuvre.

On peut donc dire que cette deuxième partie de mandat risque d’être chaude pour le gouvernement de Mauricio Macri, ce qui n’est pas pour me surprendre, personnellement, car j’ai pu constater à Buenos Aires combien le secteur des travailleurs sociaux et celui des animateurs culturels, très proches l’un de l’autre là-bas, étaient remontés contre la politique de ce gouvernement.
En l’occurrence, c’est un rassemblement d’associations de quartier, d’ONG qui aident les sans-logis, de syndicats (la section portègne du CTA, ce qui correspond au syndicat Sud français en Argentine) et de toutes petites formations politiques qui vient d’entamer cette campagne auprès de la population, sous le slogan La dignidad no se privatiza (la dignité, ça ne se privatise pas). Tout un programme en réaction contre la politique de privatisation tous azimuts pratiquée par Mauricio Macri dans de très nombreux domaines, y compris culturels et artistiques.
Ce rêve de destituer Mauricio Macri a pris naissance en janvier de cette année quand une fratrie d’enfants âgés de 1 à 13 ans a trouvé la mort dans l’incendie d’un squat dans le quartier défavorisé de La Boca. Depuis, le cahier de doléances des associations s’est enrichi de nombreuses revendications touchant le secteur hospitalier et scolaire, les cantines pour adultes et pour enfants, la construction de logements sociaux. Tous ces budgets sont à la baisse tandis que les associations accusent Macri d’augmenter les subventions publiques à ses propres emprises et à celles de ses amis.

Il y a plusieurs années, au moment de la tragédie du night-club Cromañon, où de très nombreux jeunes gens avaient péri dans un incendie provoqué par des feux de Bengale et des fumigènes sur scène alors que les issues de secours avaient toutes été condamnées pour éviter que les clients entrent ou sortent sans payer, une initiative citoyenne visant à destituer le Chef du Gouvernement de l’époque, Aníbal Ibarra, avait été tentée mais elle avait échoué.

Si cette fois-ci, la manoeuvre aboutissait, en l’absence de vice-président, puisque Mauricio Macri a fait démissionner sa vice-présidente Gabriela Michetti avant les élections du 28 juin, ce serait Diego Santilli, Président de la Legislatura Porteña, qui assumerait la direction du Gouvernement de la Ville.

D’ici là, Mauricio Macri dispose encore de quelques nuits pour dormir tranquille. La complexité de la procédure lui laisse une bonne marge de sécurité avant une éventuelle destitution...

Pour aller plus loin :
Lire l’article de Página/12
Tous les articles concernant l’actualité politique dans la Ville Autonome de Buenos Aires sont regroupés sous le mot-clé GCAB (pour Gobierno de la Ciudad de Buenos Aires) dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, en haut, entre le titre et le présent article.

dimanche 27 septembre 2009

Il y a un mois : le dernier show d'Alorsa. Retour sur image [à l'affiche]

Pour Monsieur et Madame Pandelucos, pour Talo, pour Sebastián Linardi et ses copains de Fractura Expuesta, pour Sebastián el Ñato, Fernando et Leo...

C'était le jeudi 27 août dernier, à la Ciudad Cultural Konex, au coeur du quartier de l'Abasto. Alorsa et La Guardia Hereje étaient les invités de la Ciudad Cultural Konex dans le cadre du 11ème festival de tango de Buenos Aires. C'était la première fois qu'ils se produisaient à Buenos Aires dans ce cadre prestigieux. Ils ont joué pendant une demi-heure au cours d'une soirée très complète qui mêlait cours d'initiation (très, très basique), milonga, démonstration de la danseuse et professeur Milena Plebs, le tout animé par le DJ Gaby Plaza (qui est aussi journaliste au quotidien La Nación) et trois shows (mais je n'en ai vu que deux). Ceux que j'ai vus, c'était donc d'abord La Guardia Hereje puis le faux contrapunto (défi, tournoi, confrontation) entre deux chanteurs, Javier Cardenal Domínguez et Pablo Banchero.

Par un de ces tours du hasard dont Buenos Aires a le secret, surtout pendant le festival, je me suis trouvée à la même table que Sebastián Linardi, l'un des journalistes de l'émission de radio Fractura Expuesta, dont je vous parle souvent. On se connaissait de nom, on s'est rencontrés ce soir-là. On l'ignorait encore mais nous devions nous revoir, dans des circonstances très tristes, le lundi suivant à La Plata.

Alorsa et ses musiciens, les deux guitaristes Sebastián et Fernando et le percussionniste Leonardo, ont joué devant un public très attentif, qui majoritairement ne les connaissait pas et cela se sentait dans la surprise épatée qu'on devinait dans la qualité de l'écoute. La Guardia Hereje, c'était un groupe de La Plata, pas de Buenos Aires, et La Plata se trouve à 80 km au sud de la capitale fédérale... Alorsa a démarré avec son récit pamphlétaire et parabolique sur les ravages de la corruption au quotidien, Te morfaste las facturas (tu t'es boulotté les viennoiseries). Il a mélangé les morceaux de son premier disque dont je vous ai déjà parlé (Tangos y otras yerbas) et de son second disque, qui va sortir à titre posthume. Il a terminé sous les applaudissements avec cet autre récit homérique qu'est Vuelve el Tango. Et ils ont fait un bis, Ezeiza, une chanson qui parle des Argentins qui partent à l'étranger chercher un sort économique meilleur...

Après la Guardia Hereje, venait la fausse confrontation entre Cardenal et Pablo Banchero, l'un chevelu façon hippie, l'autre, plutôt gendre idéal. Cardenal s'accompagnait lui-même à la guitare tandis que Pablo Banchero chantait sur des pistes d'orchestre enregistrées. A la fin de ce tour de chant partagé, j'ai aperçu Alorsa qui se glissait à l'arrière de la salle. Je suis allée le rejoindre et retrouver aussi Lucio Arce et Cardenal ainsi qu'un ami de Alorsa que je ne connaissais pas et qui est devenu le mien maintenant, Talo. Nous nous sommes éloignés vers la cour de la Ciudad pour prendre un verre et bavarder sans déranger le public. On est restés là à cette table jusqu'à ce que l'extinction des lumières nous jette dehors... C'est la dernière fois que j'ai vu Alorsa. C'est aussi la dernière fois que le public a pu l'entendre...

A la demande de ses parents, Sebastián, Fernando et Leonardo préparent en ce moment même un spectacle avec des artistes invités pour la présentation du nouveau disque. Ce sera le 3 octobre, à la date que Alorsa avait lui-même fixée.

Les photos que je publie ci-après ont été prises pendant la soirée par Sebastián Linardi, qui me les a fait parvenir et m'a autorisée à les publier du vivant d'Alorsa... Il faisait très chaud ces jours-là, environ 30 degrés, très inhabituel en hiver à Buenos Aires, et je n'avais pas voulu prendre le risque de prendre mon appareil photo (sur une touriste, ça se voit et ça attire le prédateur).

Je m'étais dit que j'aurais d'autre occasions de photographier Alorsa et ses musiciens sur scène. Je comptais de toute manière le revoir le jeudi 3 septembre, lors d'un petit dîner que je voulais organiser pour dire au revoir avant de me rendre à Ezeiza...


La Guardia Hereje au grand complet


Te morfaste las facturas...


Cardenal

Pablo Banchero

Ajout du 28 septembre 2009 : Sebastián Linardi m'envoie par mail ces deux liens vers des extraits du show du Konex que ni lui ni moi n'avons encore le courage de regarder. Mais vous, rien ne vous en empêche. Alors profitez-en... Vous allez voir ce que nous avons perdu et celui que nous continuons de pleurer.
Extrait n° 1 du show La Guardia Hereje au Festival de Tango de Buenos Aires
Extrait n° 2 du show La Guardia Hereje au Festival de Tango de Buenos Aires
Alorsa les avait mis en ligne le lendemain ou le surlendemain en prévision de la présentation de son nouveau disque, qu'il comptait faire le samedi 3 octobre. Et le disque sera bien présenté samedi, avec plusieurs artistes invités qui viendront ainsi lui rendre hommage, à la demande de ses parents.

Quand on se promène au bord de l’eau... [Coutumes]

Avec tous mes remerciements à Luis, Vicky et Virginia...

C’est avec cette chanson française très connue, écrite par Julien Duvivier et composée par Maurice Yvain, pour le personnage joué par Jean Gabin dans La Belle Equipe, en 1936 (1), que je vous emmène -enfin !- faire une balade au bord du Luján et du Tigre, dans ma série des Dimanches à Buenos Aires, inaugurée l’année dernière avec plusieurs articles (le 3 août, le 11 août et le 18 août 2009). Série qui n’aura malheureusement cette année qu’une seule entrée, celle-ci, pour toutes les raisons que j’ai exposées au long de mes articles du mois d’août dernier.
Et encore, celle-ci a bien failli, elle aussi, passer à la trappe ! Des amis m’avait proposé cette excursion pour le 30 août mais deux jours avant, à ma plus grande consternation, tout a été annulé. Après, il a fallu un incroyable concours de circonstances et d’avatars, tous plus invraisemblables les uns que les autres tout au long du week-end, et la sollicitude, la délicatesse, la générosité et l’amour de la culture des amis chez qui je déjeunais ce vendredi (un grand merci à Virginia, au passage) pour que l’excursion s’improvise tout de même ce dimanche, d’une manière bien différente, à l’initiative cette fois-ci d’un poète. Et quel poète ! (3)
Ami de Enrique Cadícamo, Troesma de los Troesmas, qu’il accompagnait lorsque la ville de Luján a fait apposer sur une arcade de la galerie de la Basilique (Vieja recova, ici dans un enregistrement de Juan D'Arienzo avec le chanteur Juan Carlos Lamas, en 1942, grâce à Todo Tango) une plaque en l’honneur de l’enfant du pays (Cadícamo était né à General Rodríguez, le 15 juillet 1900, un hameau alors, donc sans registre d’état-civil, c’est donc à Luján, la bourgade voisine, que son père a dû aller déclarer sa naissance).

Auteur d’une très belle hymne à la Vierge de Luján que je connais bien.

Et propriétaire d’une superbe représentation de cette Vierge, un cadeau de mariage que lui avait fait le Maestro fileteador Carlos Carboni en 1984...

Aujourd’hui, Luján n’est plus la bourgade qui vit naître Cadícamo. C’est une petite ville de 68 000 habitants (voir les chiffres de Buenos Aires dans la partie médiane de la Colonne de droite). A 67 km de la Capitale, c’est une agglomération qui, un peu comme Chartres dans la Beauce, au sud de Paris, surgit soudain dans la plaine rurale (llanura), une plaine normalement humide mais très sèche en cette saison, un paysage à la fois herbeux et désolé, où paissent tranquillement des vaches, des chevaux et quelques moutons et où la présence humaine est très discrète... Luján abrite le plus important sanctuaire marial d’Amérique du Sud. La ville porte le nom de la rivière aux eaux limoneuses qui la traverse et appartient à un inextricable enchevêtrement de cours d’eau qui se jettent dans le Río de la Plata et participent à son gigantisme (4). La rivière et la ville portent toutes deux le nom de Pedro (ou Diego) Luján, officier espagnol qui se fit tuer à cet endroit par des Indiens, en 1536, l’année de la première fondation de Buenos Aires.

Ce dimanche-là, le 30 août, il faisait un temps magnifique et une température d’été. Le soleil tapait fort. Dans l’après-midi, le thermomètre a flirté avec les 32 ou 33 degrés. Même les Argentins avaient chaud... Sur le coup de 11 h 15, nous avons quitté le quartier de Villa Urquiza en prenant la General Paz, cette avenue aux allures de voie rapide, en fait un boulevard périphérique autoroutier (5) qui sépare Buenos Aires et la Province sur toute la limite ouest de la capitale puis donne accès à l’autoroute qui file vers la région natale de Cadícamo, au-delà du Gran Buenos Aires, la première ville de "l’Intérieur". Plein ouest.

La Basilique et moi devant, avec le soleil dans les yeux (et il tapait fort) à la demande de Luis Alposta. Je crois que c'est Luis qui a pris la photo, mais il est possible qu'en fait ce soit sa fille. Il y en a eu plusieurs, dans tous les sens, avec plusieurs appareils photos. Celle-ci a été prise avec le mien...

Une maquette de la statue de la Virgen originale. La Vierge vénérée aujourd'hui et qui est placée au dessus de l'autel majeur dans la Basilique a subi au cours des siècles plusieurs modifications. Cette maquette est exposée dans le musée de la Basilique, situé dans la crypte, et où l'on peut admirer une exposition de Vierges du monde entier, dont celle de Lourdes bien sûr. Je n'ai pas vu celle de Banneux mais il y avait plusieurs chapelles interdites au public pour travaux.

Les jardins du Cabildo avec la Basilique en arrière-plan. La chemise bleue sur le côté droit, c'est Luis Alposta.

La fameuse place en l'honneur de Enrique Cadícamo devant laquelle Luis m'a fait poser. Sous cette arcade de la galerie (recova) qui borde le parvis de la Basilique et du Cabildo, nous avons parlé à un marchand de souvenirs qui a demandé à Luis, sans savoir à qui il parlait bien sûr, s'il s'intéressait au tango. Et devant sa réponse positive, ce monsieur s'est lancé dans un éloge de Cadícamo en citant certains de ses textes, dont Madame Yvonne quand il a su que j'étais française...

Luis Alposta posant pour nous et pour lui aussi devant la brouette du Vasco de la Carretilla, un Argentin qui ralia le sud au nord de l'Argentine ou peu s'en faut, à pied, avec tout son barda dans cette brouette, dans les années 30 (Luis est né en 1937). El Vasco de la Carretilla s'appelait Guillermo Larregui et il a fait étape à Buenos Aires en 1936. Il a eu droit en son temps à la une des journaux de la capitale. Cette photo a été prise au Musée des transports, sur la grand place de la Basilique. Je vous conseille cette visite mais allez-y avec des Argentins pour sentir leur coeur vibrer devant la locomotive la Porteña, devant les chariots de l'Armée des patriotes pendant la guerre d'indépendance, devant les aéroplanes et les embarcations qui ont accompli telle et telle première traversée sur l'eau ou dans les airs. Sans eux, ce musée ne vous dira pas grand-chose car cette histoire n'est pas la nôtre. L'expérience m'a fait toucher du doigt à quel point l'histoire argentine existe et à quel point nous l'ignorons alors qu'eux connaissent si bien notre histoire (enfin, je parle là de l'histoire de France, l'histoire de la Belgique ou de la Suisse leur est aussi inconnue qu'aux Français...)


Une guinguette où nous nous sommes restaurés avec une bonne pizza, une bière et une grande bouteille de soda nord-américain...

Le bord de la rivière... en été ! Non : en hiver, mais par un temps très beau et très chaud... avec pédalo et barques à rames sur l'eau et manège de chevaux de bois sur le quai...

La fête foraine au chevet de la Basilique

Après Luján, Luis Alposta m’a proposé de rentrer par Tigre, dans le delta du Paraná, à seulement 31 km de Buenos Aires. Tigre est une petite ville très jolie, d’environ 32 000 habitants, dont les promenades au bord de l’eau sont très réputées depuis le siècle dernier. La cité doit son nom actuel (récent, en 1952 seulement) à la rivière principale qui la traverse, le Tigre, qui doit lui-même son nom aux jaguars qui y rôdaient au moment de la fondation de Buenos Aires (en voyant les fauves, les Espagnols eurent vite fait de confondre le jaguar américain avec le tigre asiatique). Le Tigre est une rivière qui se jette dans le Luján (Río Luján) (6). Le maire actuel, qui vient de retrouver ses fonctions locales, n’est autre que l’ancien Premier Ministre, Sergio Massa, débarqué du gouvernement après des élections législatives qui ont mis à mal le parti péroniste (lire mon article du 8 juillet à ce sujet). Tigre, qui est la préfecture du département homonyme (partido del Tigre), a connu, à partir des années 80, un fort développement urbanistique. Certains habitants de Buenos Aires ont commencé à quitter la capitale en quête d’un cadre de vie un peu plus tranquille, moins bruyant, moins pollué. Et dans les années 1990 est apparu le phénomène des countries, ces quartiers résidentiels privés, dûment clôturés de murs et de barbelés et surveillés par des vigiles, où vous ne pouvez pénétrer qu’en montrant patte blanche et qui sont devenus des villes dans la ville, avec supermarchés, banques, bureau de poste et écoles. Tentatives d’isolement quasi-autarcique pour gens riches ou aisés (le "pendant favorisé des villas miseria" (7) comme m’a dit Luis), les countries n’échappent cependant pas aux problèmes qui sévissent dans le reste du pays. Des cambriolages et parfois même des agressions s’y produisent aussi, au point que le Gouvernement, il y a quelques mois, a dû annoncer que la gendarmerie entrerait désormais dans ces quartiers pour assurer la sécurité des biens et des personnes. Bien entendu, les countries ne se visitent pas et ce ne sont pas eux qui font l’intérêt touristique et culturel de cette jolie ville où les deux tâches les plus ardues que nous aurons connues furent de trouver une place de stationnement puis un glacier... pour nous rafraîchir en prenant un dessert qui nous faisait défaut depuis Luján !
Le Tigre à Tigre, avec les bateaux de transport collectif qui joue dans le Delta le rôle des vaporetti à Venise...

Si vous hésitez entre Bombay, Dinard et Nice, c'est normal... Cet hôtel très célèbre a été construit pour les investisseurs anglais de la fin du 19ème siècle, quand la Grande-Bretagne rêvait de faire de l'Argentine un dominion de l'Empire et que la Generación del 80 en rêvait aussi (voir le Vademecum historique sur l'histoire des pays du Río de la Plata dans la Colonne de droite, en partie médiane, dans la rubrique Petites chronologies)

Il avait fait une grosse chaleur toute la journée. Le soir tombait. La photo est prise du banc où nous nous étions affalés pour manger notre glace. Et pour en profiter...


Luján et Tigre sont deux promenades très appréciés des Portègnes et des habitants du Gran Buenos Aires, les dimanches par beau temps...

(1) l’année où le gouvernement du Front Populaire institua des congés payés en France.
(2) Alors tant mieux, puisque je n’y ai pas perdu au change et vous encore moins...
(3) Les lecteurs habituels de Barrio de Tango savent combien j’apprécie les poètes de Buenos Aires. Je me demande parfois si dans ce blog je ne parle pas plus de poésie que de musique. En tout cas, une chose est sûre, je parle plus de poésie que de danse... Car le tango, ce n’est pas que de la danse !
(4) La General Paz fait partie du réseau des Autopistas del Sol (autoroutes du soleil), le concessionnaire qui gère les infrastructures et empoche les droits des péages. Pour les curieux, vous pouvez aller visiter
son site. C’est très intéressant.
(5) Une centaine de kilomètres de large à la hauteur de Buenos Aires et jusqu’à 220 km à l’embouchure maritime, à la hauteur de Montevideo, sur une profondeur qui n’excède nulle part les 10 mètres.
(6) La langue espagnole ne fait pas de différence entre rivière et fleuve. Les deux s'appellent río.
(7) villa miseria : l’expression désigne les bidonvilles situés au sud des grandes villes, Buenos Aires la première, où vivent les plus défavorisés dans un grand isolement par rapport au reste de la population. Il est d’ailleurs fortement déconseillé aux touristes de s’aventurer dans une villa miseria. Non pas que les habitants y soient plus délinquants qu’ailleurs mais parce que la police est aux abonnés absents et la misère et l’abandon sont facteurs de violence.