jeudi 28 décembre 2023

Une loi « Omnibus » qui menace gravement la culture [Actu]

La Prensa a choisi pour sa une cette photo
de la remise de la lourde caisse
contenant le projet de loi
La Prensa est le seul quotidien qui évoque
la figure de Jacques Delors ce matin
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Le président Javier Mileí vient de déposer sur le bureau du Congrès, convoqué en session extraordinaire pour janvier, traditionnellement le premier mois des grandes vacances d’été, un projet de loi de 664 articles, rien de moins, pour continuer d’annuler ou d’amoindrir la portée d’un siècle de lutte démocratique en vue de réguler les activités économiques du pays et de doter la République d’institutions qui ont favorisé le développement du secteur non marchand, notamment la culture, l’éducation et la santé, qui font de l’Argentine le géant régional qu’elle est devenue avec son taux d’alphabétisme et de diplômés, ses prix Nobel en pagaille et ses artistes reconnus sur tout le continent et pour certains dans le monde entier, à la différence de ses voisins qui n’ont rien de tout cela, pas même l’immense Brésil voisin.

Tout cela rayé d’un trait de plume avec ce projet si dense qu’il sera impossible d’en débattre convenablement. Or c’est bien là l’intention du président qu’il soit adopté sans examen approfondi. Avant-hier, Mileí est allé jusqu’à menacer le Congrès de recourir à un référendum si son projet n’était pas adopté en quatrième vitesse. Chiche !

"Nous ne sommes pas la caste [des gouvernants],
nous sommes les travailleurs", dit le gros titre
de Página/12 avec cette photo de la manifestation
d'hier devant le palais de justice
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Au regard des amples manifestations qui se succèdent dans le pays depuis Noël et de la prise de conscience d’un bon nombre d’électeurs qui se réveillent douloureusement après avoir voté pour lui parce qu’ils étaient aveuglés par la colère et croyaient le gouvernement en place responsable de tout (comme si un exécutif quel qu’il soit disposait d’une baguette magique qu’il aurait oubliée dans un coin de vestiaire), le résultat d’une telle consultation pourrait bien se retourner contre son promoteur, qui, pour casser toute la société argentine, tente, vainement, de se couvrir en ce moment d’une figure historique, celle du père de la Constitution, un juriste, homme de lettres et compositeur des plus distingués et des plus prudents, Juan Baustita Alberdi (Tucumán, 1810 - Neuilly-sur Seine, 1884).


Dans cette délirante avalanche de mesures législatives, Mileí a empilé les articles qui, s’ils sont adoptés, détruiront d’importantes structures culturelles et artistiques du pays : le Fonds national des Arts, l’Institut national de la Musique, récemment obtenu de haute et longue lutte par la profession réunie tous styles confondus, son équivalent pour le théâtre (beaucoup plus ancien), le marché du livre qui dispose d’une loi de type loi Lang, qui, comme en France, protège le prix de vente du livre et par conséquent l’existence des petites librairies et des petits éditeurs (sans parler des auteurs), les bibliothèques populaires représentées et défendues par une commission nationale (menacée de disparaître) et l’INCAA, l’institut national du cinéma et des arts audiovisuels, qui perdrait ses financements publics alors qu’il fait exister un cinéma national dans le cadre d’une sorte d’exception culturelle, comme la France, à l’initiative de Jack Lang, s’en est elle aussi dotée, il y a de nombreuses années, avec le succès que l’on sait pour son cinéma, toujours bien vivant en Europe alors que dans les autres pays du continent, il a bien du mal à survivre. Les derniers grands succès internationaux du Septième Art argentin sont des films qui ont bénéficié du soutien de l’institut.

En gros titre : quelques unes des 664 mesures
du projet de loi Omnibus
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Il est donc à craindre une mise à mort d’une grande partie de l’impressionnant dynamisme culturel argentin et une disparition partielle ou totale du rayonnement dont il avait doté le pays, sur son continent comme en Espagne, voire ailleurs dans le monde mais à un degré moindre. Il ne restait plus qu’à mettre le turbo pour réussir à vaincre enfin cette barrière de la langue ! Et maintenant, ce gouvernement fait tout l’inverse.

Cet aspect-là de ce projet de loi, aussi scélérat qu’obèse, est surtout analysé et commenté par Página/12, les journaux de droite en faisant le cadet de leurs soucis… mais souci tout de même et il est juste de le noter car cela montre que le problème a été identifié même par la droite dotée de raison. Ainsi La Nación parle-t-elle ce matin de « tsunami » pour la culture, dangereusement menacée par la disparition du Fonds national des Arts.

Parmi les autres vandalismes contenus dans ce projet de loi, la privatisation du Banco de la Nación, l’entité commerciale mariée à l’autorité monétaire nationale (Banco Central de la República Argentina), et le retour, par une porte dérobée, de la loi de l’obéissance due (obediencia debida), une crapulerie qui, sous le ménemisme, accordait aux militaires et aux policiers, de tout niveau hiérarchique, l’impunité pour tous les crimes contre l’Humanité qu’ils ont commis, en toute connaissance de cause, sous la dernière dictature militaire (1976-1983) et pour lesquels plusieurs d’entre eux purgent actuellement de longues peines de prison quand ce n’est pas une condamnation à vie (voir l’article de Página/12 à ce sujet dans l’édition d’aujourd’hui).

Même politique ici : sous la photo, quelques
unes des mesures contenues dans le gros dossier
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D’autres modifications substantielles introduites par ce projet de loi visent à supprimer certains instruments de protection des petites filles et des femmes majeures et de lutte contre les violences domestiques, dont les tout premiers avaient été mis en place par l’action énergique et volontariste de Eva Perón, en avance sur son temps et disparue il y a déjà plus de soixante-dix ans ! Où Mileí, qui n’est pas à une incohérence près, rejoint donc Poutine, qu’il voue pourtant aux gémonies pour la guerre contre l’Ukraine, puisqu’à son exemple, il entend accorder de nouveau aux hommes la liberté de battre leurs femmes… Comme quoi, avec lui, on ne blague pas avec les libertés des Argentins. Celles des Argentines, en revanche, on s’en bat l’œil !

Dans le même ordre d’idées immondes, le champ de la légitime défense pourrait lui aussi s’élargir si le Congrès y donne sa bénédiction. Désormais, si le texte passe, on pourra aussi tuer quelqu’un qui s’en prend à des biens sans menacer la vie de qui que ce soit. Et ce n’est là que le début du mandat. Il a commencé il n’y a que dix-huit jours ! Que peut encore nous réserver la suite ?

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

Pause austro-estivale [Activités de Barrio de Tango]

La grande plage de Mar del Plata au début de l'été
En pleine saison, vous ne trouvez pas un point pour y déployer votre serviette


Comme tous les ans à la même époque, ce sont les vacances d’été en Amérique du Sud et pour Barrio de Tango, un temps de pause plus ou moins tranquille…

Cette année, vue la rage du nouveau président à tout mettre sens dessus-dessous dans son pays, il est probable que mes « vacances » austro-estivales, que je passe toujours en hémisphère nord, risquent d’être sérieusement bousculées par l’actualité sociale et économique et que je devrais revenir sur ce blog plus souvent que les autres années pour vous tenir au courant des conséquences catastrophiques de la politique de cet ostrogoth.

Néanmoins, je vais tâcher de mettre à profit comme d’habitude cette période supposée plus calme pour me consacrer à d’autres projets. Les uns sont couronnés de succès, les autres n’ont pas cette chance mais on continue à créer. Cette année, je profite de l’été argentin pour me tourner vers un autre pays qui présente les mêmes enjeux que ceux qui me passionnent depuis plus de quinze ans dans le Cono Azul : les efforts d’un pays pour sortir de trois siècles de colonisation et construire un État moderne et démocratique, doté d’un patrimoine culturel, depuis la langue nationale jusqu’à la cuisine en passant par l’architecture, le théâtre et la musique, et cette conscience d’un avenir politique collectif qu’on appelle désormais d’une expression à la mode : l’identité nationale. Et cette fois-ci, cela ne se passe ni en 1810, ni en 1816, ni en 1880 mais sous nos yeux.

Vous avez reconnu l’Ukraine à travers laquelle je retrouve, en ce moment même, tous les phénomènes que j’ai étudiés à travers les figures historiques, politiques, militaires et intellectuelles de San Martín (1778-1850) et de Belgrano (1770-1820) et grâce aux textes magiques de Homero Manzi ou Horacio Ferrer comme des conteurs au fin fond des pampas et dans les vallées de Córdoba ou de San Luis : la volonté, la liberté, l’humour, le courage, l’inventivité, la richesse de la culture populaire, celui dont le peuple se nourrit et grâce à laquelle il parvient à repousser le désir d’annihilation du colonisateur, même si cette fois-ci ce n’est plus l’affreux roi Fernando  mais le pseudo-tsar poutine (les Ukrainiens l’écrivent avec une minuscule, dont acte).

Mes fidèles lecteurs l’ont aussi compris depuis un moment : je me suis mise à l’apprentissage de l’ukrainien et j’ai maintenant accès à d’autres personnages extraordinaires qui ont nom Petro Mohyla (1596-1647), Ivan Mazepa (1639-1709) ou Mikhaïlo Hrouchevsky (1866-1934) ; à Байрактар News et Бункер (ça, c’est pour la pinte de rire quotidienne) et des musiciens comme Антитіла et d’autres qui prennent à bras le corps les enjeux politiques existentiels du moment

Deux mois d’une virée à l’est avant de revenir vers l’ouest ou vers ce que Mileí en aura laissé… et sur ce point, je n’ai jamais été aussi inquiète pour tous mes amis là-bas !


© Denise Anne Clavilier


Retour à un rythme normal de publication au début mars, lorsque les Argentins feront leur rentrée.

D’ici là, il y aura plusieurs festivals à suivre (celui du chamamé au premier rang) et le carnaval pendant tout février.

mardi 26 décembre 2023

Virés ou en sursis : le triste Noël des salariés de l’État national [Actu]

Le gros titre est une citation d'un tango célèbre :
La casita de mis viejos (à écouter ici sur Todo Tango)
C'est le premier vers, signé par Enrique Cadícamo
"Me voici vaincu de retour chez mes parents"
(Ce tango fait partie du corpus de
Barrio de Tango, recueil bilingue de tangos argentins,
Editions du Jasmin, 2010
Voir l'article de une Página/12 sur le drame
des locataires chassés de chez eux par les nouvelles
règles de location de résidence
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Par un nouveau décret, le président vient de mettre fin à tous les contrats de travail publics signés pendant l’année 2023. Environ sept mille personnes perdent leur travail.

"Le gouvernement commence aujourd'hui
la réduction du personnel de l'Etat" dit le gros titre
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Les autres, qui ont signé leur contrat avant le 1er janvier de cette année, se voient accorder un délai de 90 jours pendant lesquels le gouvernement est censé les passer en revue avant de les licencier, de les maintenir à leur poste ou de les muter.

Clarín préfère taper sur l'opposition
au pouvoir dans la province de Buenos Aires
(certains impôts subissent de fortes augmentations)
En revanche, l'info sur l'interruption des contrats de travail
est traitée discrètement en haut de la colonne de droite
"Mileí licencie sept mille salariés publics embauchés en 2023"
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Ajoutez à cette situation tous les locataires qui sont maintenant à la merci de leur propriétaire qui peut exiger d’eux le règlement du loyer en dollar ou ne pas renouveler le bail, à moins qu’il ne le renouvelle que pour deux mois comme un précédent décret leur en donnera le droit lorsqu’il entrera pleinement en vigueur.

"Le gouvernement va licencier 7000 salariés publics
embauchés cette année", dit le gros titre
sur une photo des deux généraux iraniens
tués lors d'opérations ciblées par les Etats-Unis
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Actuellement, le décret n’est pas encore juridiquement opposable aux citoyens mais les propriétaires n’attendent pas qu’il le soit. Quel été se prépare !

Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

lire l’article principal de Página/12
lire l’article de La Prensa
lire l’article de La Nación
Clarín en parle aussi mais son article en ligne est réservé aux abonnés.

jeudi 21 décembre 2023

Dérégulation à gogo [Actu]

C'est la seule une drôle et c'est la plus caustique.
Sous Mauricio Macri, Página/12 le caricaturait
comme le "birrey", entendez le "deux fois roi" mais aussi
le vice-roi d'Ancien Régime, avant l'indépendance.
Virey (vice-roi) est très proche, vocalement, de birrey
Là, ils font mieux : Mileí devient Mi ley (ma loi)
et cette fois, c'est exactement les deux mêmes syllabes.
Avec la couronne du sacre de Charles à Westminster en prime !
L'Angleterre !
L'image même, vue depuis la gauche surtout péroniste,
du libéralisme qui casse tout sur son passage !
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Hier, à la télévision publique, assis derrière le bureau présidentiel apporté dans le salon d’honneur de la Casa Rosada et entouré de tout son gouvernement (sauf la ministère des Affaires étrangères, qui se trouve à Paris pour négocier la dette du pays), lui vaguement ridicule à force de solennité et eux ressemblant à un tribunal de mafieux réunis autour du parrain, Javier Mileí a fait l’annonce des mesures qu’il prend par décret-ordonnance (DNU en Argentine) pour « reconstruire l’économie » du pays.

Le miroir de Ya es Ay
Ya : tout de suite (les hurlements des partisans de Mileí avant l'élection).
Ay : aïe ! (sans commentaire)
Dessin de Miguel Rep, aujourd'hui dans Página/12

Court-circuitant le Congrès, il annule 366 lois et décrets précédents, ce qui a aussitôt soulevé les doutes de nombreux juristes et constitutionnalistes un peu partout en Argentine, à commencer par l’ancien président, lui-même professeur d’université en droit pénal.

"La révolution libérale (enfin !)" prétend le gros titre
En-dessous, les manifestations : "Il y a eu des tensions
mais on a maintenu la paix"
Bandeau rouge : décret sur une urgence publique
étendue pendant deux ans
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Parmi les 366 règles qui disparaissent :

  • la période d’essai des contrats de travail passe de 3 à 8 mois et les indemnités de licenciement sont considérablement réduites ;
  • pour le logement, les contrats de location pourront être signés pour deux ans et les loyers pourront être réglés en dollars US (inutile de dire que de nombreux propriétaires exigeront cette devise en lieu et place du peso national) ;
  • les cotisations aux complémentaires de santé ne seront plus versées par les assurés aux syndicats, mutuelles et autres institutions sociales qui proposent ce service à leurs adhérents ;
  • quatre instruments de protection des producteurs et des consommateurs disparaissent : la loi sur la relation fournisseur-distributeur (ley de Abastecimiento), la loi dite des rayons de supermarché (ley de gondolas) qui établissait les règles régissant la vente en grande surface, la loi de la préférence nationale (une protection des producteurs locaux qui avaient la priorité de distribution sur le marché intérieur dans un pays encore très peu industrialisé) et l’Observatoire des Prix qui contrôlait le respect de la loi, celui des engagements des distributeurs et celui des accords qu’ils avaient signés, notamment ceux qui permettaient de proposer une gamme de produits à prix gelés sur deux mois, régulièrement renégociés entre tous les acteurs du marché avec la médiation des pouvoirs publics (Precios Cuidados devenu Precios Justos sous Alberto Fernández) ;
  • toutes les entreprises nationales sont transformées en sociétés anonymes en vue de leur privatisation prochaine (et en ce qui concerne Aerolíneas Argentinas, la compagnie aérienne a vocation à être vendue à ses salariés) ;
  • dérégulation de la production dans les secteurs du vin (on va boire n’importe quoi !), du sucre (nous avons intérêt à surveiller ce que nous mangeons si nos industries agro-alimentaires se fournissent en sucre argentin, ce que nous ignorons bien sûr) et de l’extraction minière (ainsi que du commerce des produits miniers) ;
  • dérégulation du commerce des pharmacies (les médicaments seront désormais des marchandises comme les autres, dans un pays où il y a eu récemment des scandales divers et variés dans ce secteur) ;

j’en passe et des meilleures !

Dessin de Erlich à la dernière page de Clarín ce matin
Elle : Où allons-nous dîner à Noël ?
Lui : "Parce qu'on va dîner à Noël ?
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Dans son allocution solennelle, le président n’a cité que trente mesures. Il en dérégule plus de dix fois plus.

En haut : Mileí dérégule l'économie avec un super-décret :
les loyers, les mutuelles, les privatisations et la réforme
du code du travail
En bas : Avec un grand déploiement de forces de l'ordre,
le défilé des auteurs de barrage routier a été maigre
et n'a pas coupé les rues
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Mileí n’avait pas fini que parler que les rues des grandes villes se sont remplies de manifestants chantant, hurlant et tapant sur des casseroles dans un protocole de manifestation que la ministre Patricia Bullrich avait pris la précaution de modifier par décret il y a quelques jours. Il est désormais interdit de bloquer les rues pour laisser passer un cortège (il faut donc défiler sur les trottoirs) et l’armée peut être appelée pour faire régner l’ordre. De plus, quiconque montera un barrage routier (une grande tradition de la revendication sociale qui gêne tout le monde, c’est vrai) se verra retirer les allocations qu’il touche. Or toutes les allocations sociales en Argentine sont accordées sous plafond de ressources et les plafonds en question ne sont pas très hauts. Ainsi donc ceux que toutes ces mesures vont frapper le plus durement sont ceux-là même qui sont susceptibles d’exprimer publiquement leur désaccord et que la ministre empêche donc de manifester (il faut dire aussi que ce sont souvent ceux qui ont voté pour Mileí au premier tour).

Aussitôt son allocution prononcée, le chef de l’État s’est donc de son côté précipité au centre de surveillance de la voie publique de Buenos Aires pour vérifier le bon déroulement des opérations de maintien de l’ordre dans la capitale, ce qui lui a valu des remerciements de Jorge Macri, le cousin de Mauricio, qui vient de prendre ses fonctions comme Chef du gouvernement (de droite) de la Ville Autonome de Buenos Aires.


A la fin, nous y sommes allés à deux seulement et ça ne suffit pas
pour violer le protocole
Dessin de El Niño Rodríguez dans Clarín
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Comme il avait aussi été annoncé par Román Riquelme dans le cadre des chicaneries judiciaires provoquées par Macri (Mauricio, cette fois) dans la tenue des élections du club Boca Juniors, le président de la Nation vient bel et bien d’annoncer que les clubs pourraient désormais devenir (s’ils le souhaitent, ils ne sont pas obligés) des sociétés commerciales sportives, dont il crée le statut par décret sans même l’ombre d’un début de commencement de débat parlementaire et donc démocratique. Autrement dit, si un club tombe demain entre les pattes d’un type comme Macri, il en fera une pompe à fric, comme c’est le cas en Europe, et accessoirement dans le cas précis de Macri, une plateforme de financement d’une campagne électorale en vue de protéger les intérêts de la droite affairiste. Et il est probable que le premier club qui va basculer dans ce nouveau statut entraînera peu à peu tous les autres derrière lui parce que la concurrence évoluera dans ce sens et c’en sera alors fini des bals à la bonne franquette où les joueurs professionnels se mêlent à la foule de leurs supporters, qui sont tous membres du club, des grands asados partagés sur la pelouse du stade pour la fête des supporters par les sociétaires, qu’ils habitent le quartier ou qu’ils viennent de l’autre bout de la ville pour l’occasion, des spectacles de fin d’année de leurs enfants sur le terrain avec les familles au grand complet dans les gradins et enfin du dispensaire où, tout au long de l’année, les sociétaires peuvent venir faire vérifier leur vue ou celle des personnes à leur charge (enfants, parents) et surveiller leur diabète gratuitement ou à moindre prix...

Le rôle du Congrès, où ce nouveau gouvernement ne dispose d’aucune majorité gouvernable et où Mileí n’a pas voulu tenter de monter la moindre coalition avec la droite libérale traditionnelle, se trouve de fait nié. La séparation des pouvoirs semble vouée à disparaître pendant ce mandat.


En haut : "Mileí lance par décret une réforme
draconienne des lois et des règlements"
En bas : "Une grosse opération a tenu à distance
le défilé des organisateurs de barrages routiers"
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Ce mega-DNU a été publié au journal officiel, le Boletín Oficial de la República Argentina, ce matin, à la première heure. Par conséquent, il est d’ores et déjà entré en vigueur.

"Celui qui barrage la route ne touche pas un sou", dit la formule en haut
Si on te contraint, tu peux porter plainte anonymement au 134
Annonce dans une des grandes gares de Buenos Aires

Les quatre années qui viennent ne promettent rien qui vaille. Pour ma part, je ne me rendrai pas cette année en Argentine faute de visibilité à six mois pour organiser quoi que ce soit pendant mon séjour sur place. Je suppose que mes correspondants là-bas sont incapables de prévoir quoi que ce soit avec plus de 48 h d’avance (je n’exagère pas en donnant ce chiffre, il faut le prendre au pied de la lettre). L’hiver 2022 avait déjà été si peu viable que, cette année, j’avais décidé de ne pas renouveler l’expérience, d’autant que la campagne électorale battait son plein à l’époque où je peux me rendre à Buenos Aires et s’ajoutait donc au chaos déjà gigantesque à lui tout seul de cette énième crise économique. Je n’ose pas trop m’imaginer ce que va être cet été qui commence là-bas sous de tels auspices et encore moins ce que pourra être l’année 2024.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

Ce quotidien de droite doit sentir que la situation se présente mal car, à ma plus grande surprise, il rend compte des critiques des constitutionnalistes et de l’ex-président Alberto Fernández (!!!) : voir cet article
La Prensa, quant à elle, qui se félicite en une de toutes ces saines mesures socio-économiques, n’en attaque pas moins l’élu à travers un éditorial d’un archevêque émérite particulièrement réactionnaire, l’octogénaire Héctor Aguer, qui reproche au nouveau chef de l’État… de ne pas savoir faire correctement ni son signe de croix ni sa génuflexion et de s’intéresser au judaïsme plus qu’au catholicisme, qui est la religion d’État en Argentine (ce à quoi il y a longtemps qu’une grande majorité de citoyens ne prêtent plus attention, puisque la religion est désormais vécue comme une affaire d’adhésion spirituelle personnelle et non plus un enjeu politique collectif). Ce prélat pour le moins désagréable se scandalise que pour son investiture, Mileí ait fait organiser une cérémonie inter-religieuse à la primatiale, sur Plaza de Mayo (voyez l’horreur !), plutôt que le traditionnel catholico-catholique Te Deum ! Un article passablement nauséabond, il faut bien le dire, annoncé à la une du journal ce matin.

mardi 19 décembre 2023

Raúl Barboza de retour à Buenos Aires [à l’affiche]

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Raúl Barboza, le maître du chamamé, auteur-compositeur et interprète à l’accordéon, originaire de la province de Corrientes mais établi à Paris depuis de nombreuses années, est, comme à son habitude et en dépit de ses 85 printemps, de retour au pays natal pour une tournée d’été.

Il sera ce soir, mardi 19 décembre 2023, à 20h30, au Café Berlín, avenida San Martín 6656, dans le quartier très excentré de Villa Devoto, pour un tour de chant qui s’annonce « sans frontières », le chamamé étant un patrimoine commun à l’Argentine, au sud du Brésil, au nord de l’Uruguay et au Paraguay.

Entrée : 8 000 $ ARG.

Página/12, toujours le même quotidien, en a profité pour l’interviewer.


© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

lundi 18 décembre 2023

Élections à Boca Juniors : ¡Viva Riquelme! [Actu]

Jeu de mot : "empire romain" se dit "imperio romano"
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Finalement, toutes les finasseries judiciaires du clan Ibarra-Macri n’auront servi à rien. La liste de Riquelme l’a emporté haut la main hier, dimanche, au stade de la Bombonera : l’ancien footballeur, de modeste extraction, est bel et bien élu, incontestablement élu à la tête de Boca Juniors à plus de 65 %.

Sur le compte Twitter du club dans la soirée d'hier

« Le président de club le mieux élu de toute l’histoire du football argentin », a plaisanté le service de communication de la plus célèbre institution de la Boca en reprenant le slogan entendu lors de l’élection présidentielle à la mi-novembre (« le président argentin le mieux élu depuis la récupération de la démocratie », avec 55 % des voix sur son nom).

Les résultats officiels !
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Ibarra, le candidat malheureux, n’a d’ailleurs pas tardé à reconnaître sa défaite, tout en continuant à soutenir qu’il y avait bien eu manipulation du scrutin et que les votes des électeurs jugés irréguliers par lui et son compagnon de formule le démontraient parfaitement (sur 13 000 noms que Macri et lui récusaient, seuls 8 500 personnes sont venu voter : cela ne saurait mettre en doute le résultat total sur l’ensemble des électeurs). Ibarra a concédé la victoire à Riquelme alors que les scrutateurs étaient encore loin d’avoir dépouillé 50 % des votes. Or le score du vainqueur était déjà à 60 %.

Jeu de mot habituel : "Histoire d'amour"
dit le gros titre dans les couleurs du club
En haut, le président argentin en tenue de guerre !
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L’un des plus célèbres sociétaires, le nouveau Président de la Nation, Javier Mileí, est venu déposer son bulletin. Il appelait à voter pour Ibarra et Macri, dans un beau renvoi d’ascenseur puisque Macri avait appelé à voter pour lui dans un autre scrutin ! Ce qui tend à prouver une fois de plus que tout ce barnum était bien une opération purement politique de la part de Macri et de son associé (et probable prête-nom dans ce qui serait passé de club associatif à fort retentissement social et culture à société commerciale avec arrière-pensée politique). Mileí a été copieusement hué par la foule des autres sociétaires déjà présents au stade pour le scrutin. Il ne s’est donc pas attardé. Il est aussitôt parti, avec son imposant dispositif de sécurité, pour le sud de la Province de Buenos Aires récemment affectée, sur toute la côte, par une redoutable tempête qui a fait 13 morts à Bahía Blanca, des blessés un peu partout et des dégâts considérables dans cette ville, comme à La Plata (la capitale provinciale) et à Buenos Aires où les beaux quartiers, notamment Palermo, ont été sévèrement touchés, avec des arbres déracinés et tombés en travers des rues et des réseaux électriques endommagés.

En haut : le président, son ministre de la Défense
et la ministre de la Sécurité qui le chapeaute à Bahía Blanca
avec le maire de la ville (debout) et le gouverneur (péroniste)
En bas : Riquelme fait la fête
A gauche, l'anniversaire du pape François au Vatican
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Là-bas, notre apprenti-chef d’État a voulu se la jouer Zelenski, dont il n’a pas la classe : le cheveu en bataille comme d’habitude, il est apparu en battle-dress, en compagnie de son ministre de la Défense, lui aussi porteur du même déguisement (ils ont deux mois d’avance sur le carnaval), dans un pays qui vivait sous la pire dictature militaire de son histoire il y a un tout petit peu plus de quarante ans ! Notons d’ailleurs que Zelenski ne revêt jamais la tenue de camouflage : il porte certes des vêtements militaires, mais ce sont des tenues de sport et non pas l’uniforme de service ou d’entraînement au combat.

Quant à Macri, se sachant déjà vaincu sans doute (il ne fallait pas être grand clerc pour le deviner), il n’a même pas voté : quand le scrutin s’est ouvert dimanche matin, il était déjà dans un avion et volait vers la Péninsule arabique où se tient une compétition de la FIFA. Il s’est toutefois fendu d’un tweet pour s’offusquer que des « soi-disants supporters » aient osé siffler le « Président de la République » (reprenant à son compte une expression peu usitée et qui remonte à la guerre civile de 1820-1880). Il est probable pourtant qu’il faille que l’intéressé s’y habitue. A la manière dont il s’y prend, des sifflets et des hués, il va en entendre souvent pendant ses quatre ans de mandat.

Clarín a préféré titrer sur les dégâts de la tempête
Photo principale : Buenos Aires
Photo en insert : Bahía Blanca
Riquelme est en haut à droite
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Ce matin, l’article de presse le plus sévère à l’endroit de Macri est sans doute celui de La Nación qui analyse toute l’opération menée par l’ancien chef de l’État comme un lamentable échec personnel où l’homme s’est ridiculisé en tentant de revenir dans le jeu politique d’un pays qui, très visiblement, ne veut plus de lui depuis quatre ans. Il n’a pas pu présenter sa candidature à la présidence du pays, il a vu la candidate qu’il soutenait officiellement (en réalité comme la corde soutient le pendu) loin très loin de pouvoir atteindre le second tour, candidate qui lui a faussé compagnie par la suite en s’affranchissant de son autorisation pour entrer dans le gouvernement à un poste régalien. Voilà maintenant qu’il rate aussi la présidence du club sportif où il a fait ses débuts dans la vie publique avant de se lancer en politique. Sur quoi, il fuit en Arabie pour ne pas assister au désastre. L’article traite cette dernière campagne électorale de « titanesque » (propre au Titanic).

Un choix presque identique à La Nación
En haut, les dégâts (620.000 foyers toujours privés d'électricité)
En bas, la réunion à Bahía Blanca
Tout en haut, Riquelme
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Quant à Página/12, ravi du succès d’hier au point d’en faire son centre de une, sa rédaction analyse les enjeux de ce scrutin : s’opposer aux projets de l’actuel gouvernement qui entend transformer les clubs en sociétés commerciales sportives, à l’image des clubs des pays industrialisés qui en ont fait des caisses à pognon sans autre horizon que le bénéfice. En Argentine, les clubs sont des centres d’animation locaux, avec des tas d’activités culturelles et de services sociaux qui viennent, comme nos associations, pallier les carences de l’État, qu’il soit national ou local.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

lire l’article principal de Página/12
lire l’entrefilet de Página/12 sur la signification socio-politique de la victoire de Román Riquelme contre l’élite affairiste et politique que représente Mauricio Macri
lire l’entrefilet de La Prensa
lire l’article de Clarín
lire l’article de La Nación
lire l’article de Olé, le quotidien sportif du groupe Clarín

Le seuil de pauvreté a augmenté plus que l’inflation mensuelle [Actu]

Les promos d'aujourd'hui et demain chez Coto,
grande enseigne argentine de la grande distribution
Notez en bas les 70% de rabais sur les principales
spécialités de Noël : version locale du panetone,
des gâteaux de type quatre-quarts, des tourons et des confitures
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Avec une inflation moyenne nationale de 12,8 % par mois en novembre dernier, le seuil de pauvreté a augmenté dans le même mois de 13,1 % alors que celui de l’indigence a grimpé de 15,2 %.

Sur douze mois, ces augmentations sont respectivement de 167,5 % et de 189,1 %.

Infographie extraite du rapport de l'INDEC
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C’est ce qu’a indiqué vendredi l’institut national des statistiques, l’INDEC, qui mesure tous les mois ces deux seuils à l’aide de deux paniers de produits et de services élémentaires dont les prix sont relevés à Buenos Aires et dans son bassin de vie. Le seuil de pauvreté est mesuré par un panier de produits alimentaires et de services indispensables tels que la téléphonie et la fourniture d’énergie. Le seuil d’indigence est mesuré uniquement par le contenu alimentaire de cette sélection.

Eu égard à l’actualité politique brûlante, l’information a rencontré peu d’écho dans la presse nationale. Elle augure pourtant d’une situation catastrophique pour près de (et peut-être plus que) la moitié de la population au cours de ces mois d’été et dans l’année qui s’ouvre avec les coupes sombres que préparent les pouvoirs publics au niveau national et dans plusieurs provinces.

L’inflation est telle que les enseignes de la grande distribution font des promotions valables pour deux jours seulement alors qu’on est à une semaine des fêtes de fin d’année.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

lire l’article de La Prensa
consulter le rapport de l’INDEC, à télécharger gratuitement en format pdf.

samedi 16 décembre 2023

Le petit-neveu de León Gieco retrouvé mort à Gaza. Il avait 19 ans [Actu]

Le jeune homme fait la une
C'est le premier mort confirmé parmi les Argentins
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Ron Sherman, ce tout jeune homme binational argentin et israélien, effectuait son service militaire lorsque le groupe d’attaquants du Hamas a pris d’assaut sa caserne. Comme beaucoup de ses camarades qui ont survécu, il avait été emmené comme otage.

Tsahal a retrouvé son corps à Gaza et la justice israélienne ont pu l’identifier.

L’auteur-compositeur interprète León Gieco, un très talentueux musicien de rock et de folklore célèbre dans toute l’Argentine, avait fait savoir que ce jeune homme avait disparu et il avait lancé des appels en faveur des otages et de la paix entre l’État hébreu et l’enclave palestinienne d’où étaient partis les terroristes du 7 octobre.


L'information est traitée en titre secondaire
en bas, à droite
(Le Hamas a tué le neveu de León Gieco qui était séquestré)
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Ron Sherman était le fils d’un de ses neveux.

On pense à lui et à son chagrin ainsi qu’à celui de toute la famille.

Eu égard à la violence déployée par l’armée d’Israël contre la Bande de Gaza et le refus consommé des deux côtés d’une solution politique quelconque, il est à craindre qu’on ne retrouve plus que des corps sans vie.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

lire l’article de Página/12, un journal de gauche nettement plus pro-palestinien que compréhensif pour la tragédie vécue aussi de l’autre côté du conflit mais la rédaction aime beaucoup Gieco et sa musique
lire l’article de Clarín, plutôt pro-israélien encore qu’avec l’opération sur Gaza ça bouge…
lire l’article de La Nación, dans la même situation.

vendredi 15 décembre 2023

Teresa Parodi présente un Portrait de famille [Disques & Livres]

"Routine de rencontres", titre le journal
sur cette belle photo de l'artiste, aujourd'hui, à 75 ans
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L’autrice-compositrice interprète de Corrientes, Teresa Parodi, sort un nouveau disque de sa musique litoreña (du littoral des fleuves Paraná et Uruguay) : Retrato de familia. En ces temps désastreux pour la gauche, dont elle est l’une des figures culturelles emblématiques, cela lui vaut la une du supplément Cultura & Espectáculos de Página/12, qui n’oublie pas qu’elle a été la première ministre de la Culture de la Nation, sous la seconde présidence de Cristina Kirchner.

Un ministère qui a été menacé de disparition pure et simple et qui vient d’être rétrogradé au rang de simple secrétariat d’État dans le fourre-tout du ministère du Capital humain.

Ce portrait de famille se compose de douze chansons de son crû qu’elle interprète dans cet album avec ses enfants et petits-enfants.

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La campagne de promotion sera courte. L’artiste a en effet été élue au parlement du Mercosur, le Parlosur, et elle doit prêter serment dimanche à Montevideo.

Le disque est disponible sur plusieurs plateformes spécialisées.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :