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Santa Catalina aujourd'hui (source : site Internet du centre pastoral) Cliquez sur l'image pour une meilleure résolution |
L’une des plus vieilles églises de Buenos Aires toujours debout
est l’église Santa Catalina de Siena, dédiée à celle que nous
appelons en français sainte Catherine de Sienne. Elle a été bâtie
en 1745 sur un terrain qui se situait alors en dehors de la ville,
bien au nord, pour abriter son premier monastère féminin. A
l’époque coloniale, on comptait surtout des communautés
régulières masculines, appartenant à des ordres missionnaires
insérés dans la ville, les franciscains, les dominicains, les
jésuites entre autres, et des communautés féminines cloîtrées.
Santa Catalina a donc abrité les « catalinas », que l’on
retrouve dans de nombreux toponymes de la ville, des moniales de la
famille dominicaine. Le monastère accueillait en ses débuts les
filles des grandes familles du vice-royaume du Río de la Plata,
jusqu’à ce qu’un évêque l’oblige à accepter une sœur de
couleur, pour mettre fin à un grand scandale qui secouait toute
l’agglomération. Le recrutement resta élitiste jusqu’à la
Révolution de 1810 tant et si bien que seule une petite centaine de
femmes y ont fait profession de 1745 jusqu’à cette année qui
marque la fin du système colonial. De 1745 à 1810, le monastère a
possédé une quinzaine d’esclaves, des femmes affectées aux bas
travaux (ménage, cuisine, soin des cultures vivrières et de la
basse-cour, etc.)
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La même église encore dans sa sobriété coloniale |
Ce domaine, déclaré monument historique national en 1942, a cessé d’être un monastère en 1974. Il est aujourd’hui un centre pastoral, à la charge d’une petite équipe de trois prêtres, qui dépend directement de l’archevêque et qui propose des retraites prêchées ou en silence, une boutique d’objets religieux (santería), des conférences, un espace de prière et d’adoration au beau milieu du quartier commercial (la rue Florida) et financier (la rue San Martín, qui traverse la « City » portègne). C’est aussi un lieu historique de grande importance pour la mémoire locale et nationale : de grandes figures indépendantistes sont liées au monastère qui conservent aussi certaines pièces historiques relatives aux Invasions Anglaises (1806-1807), pendant lesquelles le monastère s’est transformé en hôpital pour soigner les soldats blessés, aux premières années post-coloniales et aux années postérieures à l’épidémie de fièvre jaune de 1872, quand les familles aisées du sud de Buenos Aires vinrent s’installer définitivement au nord, réputé plus aéré et plus sain. Et n’oublions pas le patrimoine architectural, dont il reste peu de témoignages dans une ville qui a pratiqué la destruction active de tout ce qui rappelait son passé espagnol.
Or l’une des manzanas, quadrilatères bâtis qui entourent l’ensemble monastique, a été racheté dernièrement par un promoteur immobilier lié à la communauté mormone de l’Utah, qui entend y bâtir un temple hors dimension. Comme tout ce que font en Amérique du Sud ces sectes d’origine protestante qui pullulent aux États-Unis et qui ont aujourd’hui un rôle politique actif à la droite de la droite, cela promet d’être un énorme machin très agité, drainant une population bruyante et particulièrement invasive, notamment par ses actions prosélytes. Or pour ce qui est du bruit et de l’agitation, le quartier est le champion local. Il tient donc à cet îlot de tranquillité.
Or à l’occasion des nombreux projets immobiliers qui ont vu
successivement le jour dans les années 2000 pour aménager cette
manzana, qui accueillait alors un parking désaffecté (playa de
estacionamiento), des fouilles préventives ont permis la découverte
de vestiges archéologiques qui documentent la vie quotidienne du
monastère. Un trésor pour l’histoire de la ville coloniale !
Il a donc été convenu que cette manzana resterait non bâtie et
accueillerait un espace vert dont ce coin ultra-urbanisé à le plus
grand besoin.
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L'ensemble conventuel aujourd'hui (vue aérienne tirée du site Internet du centre pastoral) |
Le projet mormon réveille les habitants qui réclament désormais qu’on respecte ce qui a été convenu : ils veulent ce qu’on appelle une place en Argentine, un coin de verdure, avec des arbres !
Página/12 et Clarín en ont parlé ces derniers jours mais les deux journaux ont réservé leurs articles sur le sujet à leur abonnés.