Le témoignage d’un écrivain colombien rescapé de Kramatorsk

Victor Abad Facilince portant un portrait de Viktoria Amélina
lors d'un hommage à l'écrivaine décédée, le 13 septembre 2023,
trois mois après le bombardement de Kramatorsk qui l'avait tuée
(photo Yves Herman, pour Reuters)


Le 27 juin 2023, l’écrivain colombien Héctor Abad Faciolince se trouvait dans l’est de l’Ukraine, à Kramatorsk, le chef-lieu provisoire de l’oblast de Donetsk dont la moitié occidentale résiste encore et toujours à l’envahisseur. Faciolince était venu dans le pays à l’invitation de ses éditrices ukrainiennes pour participer au salon du livre de l’Arsenal à Kiyv. Il était accompagné d’un négociateur international, Sergio Jaramillo, qui lançait au même moment une campagne pour l’Ukraine.

Au salon, il avait pris contact avec des membres de la branche ukrainienne de PEN, sorte de « Lions Club » pour écrivains du monde entier ou presque (1). C’est ainsi que l’auteur colombien fit la connaissance d’une romancière ukrainienne trentenaire Viktoria Amélina, devenue enquêtrice sur les crimes génocidaires commis par l’ennemi russe.



Surmontant avec courage des appréhensions naturelles et légitimes, Faciolince avait accepté de visiter le territoire libre de Donetsk pour voir de plus près la réalité de la vie quotidienne près du front. Et c’est ainsi que la petite délégation sud-américaine, accompagnée d’une fixeuse-interprète, Dima, et de Viktoria prit place ce soir-là sur la terrasse de la meilleure pizzeria de la ville convoitée par les Russes. À 19 h 28, un missile chargé de 600 kg d’explosif toucha la terrasse où ils venaient de lever leurs verres à la pais, à la victoire, à l’amitié et à la solidarité culturelle entre leurs deux pays. L’explosion fit 13 morts sur le coup et plus de 70 blessés, graves et moins graves. Héctor Faciolince faisait partie des seconds et toute l’Amérique latine a pu le voir couvert de sang et très secoué, quelques heures après avoir été extrait du restaurant en ruine. Viktoria Amélina faisait, quant à elle, partie des blessés très graves. Le cerveau transpercé par un objet projeté par le souffle de l’explosion, elle est décédée à l’hôpital dans la nuit.

Couverture du livre
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Il a fallu beaucoup de temps à Héctor Faciolince pour s’en remettre un peu et reprendre son travail d’écriture. Son premier livre de survivant de cette attaque russe contre un objectif strictement civil a été publié il y a quelques mois en Colombie : il s’agit d’un hommage à Viktoria, cette jeune consœur de l’autre bout du monde qu’il a trop brièvement connue et qu’il a beaucoup appréciée.

Édité par la filiale hispanophone de Penguin, l’ouvrage s’intitule Ahora y en la hora. Cette expression est tirée du dernier verset de l’Ave Maria, cette prière catholique que presque tout le monde connaît par cœur en Amérique latine :

Santa María, Madre de Díos,
Ruega por nosotros, pecadores,
ahora y en la hora de nuestra muerte

Sainte Marie, Mère de Dieu,
priez pour nous, pauvres pécheurs,
maintenant et à l’heure de notre mort
(traduction officielle en français).

Quand Héctor Faciolince a présenté ce livre, la presse hispanophone s’en est fait l’écho.


Capture d'écran du compte X de Faciolince
Il a écrit : "Trois œillets rouges pour Viktoria Amélina,
de la part de nous trois, les Colombiens qui étions avec elle.
Catalina Gómez les a fait parvenir sur le lieu du massacre"
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Penguin, dans son Club de Lectura, a mis en ligne les premières pages de l’ouvrage. Une lecture que je trouve particulièrement émouvante.

En ukrainien
(traduction officielle catholique) :

Свята Маріє, Мати Божа,
молись за нас, грішних,
нині та в годину смерті нашої

in memoriam


© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

En Argentine :
lire l’article de Clarín
En Colombie :
lire l’article de El Colombiano
En Espagne :
lire l’article de El País dans son supplément culturel Babelía
Lire la présentation du livre sur le site de Penguin
En français, dans Barrio de Tango, lire les articles relatifs à la guerre russo-ukrainienne vue depuis l’Argentine.

* * *


Si vous voulez suivre l’actualité de la résistance ukrainienne, j’ai plusieurs volgs Youtube à vous recommander, ceux grâce auxquels je m’informe moi-même au jour le jour.

En espagnol, je vous conseille le vlog d’Olga Tarnovska. Cette professeure de linguistique hispanique à l’Université métropolitaine Boris Grinchenko à Kiyv n’a pas quitté son pays. Elle travaille toujours dans la capitale ukrainienne et dans un espagnol d’Espagne impeccable, elle s’adresse aux Européens et sans doute encore plus aux Latino-Américains.

En anglais, You Tube vous donne l’embarras du choix entre experts et activistes, tant en Ukraine qu’à l’extérieur (excellents spécialistes aux États-Unis, au Danemark, en Grande-Bretagne entre autres). Personnellement, je suis au jour le jour, entre autres sources, une autre professeure de linguistique, anglophone cette fois-ci, Anna Danylchuk, qui travaille à l’université de Lutsk, à quelques kilomètres de la frontière polonaise, une ville longtemps épargnée par l’artillerie russe. Cette époque est hélas révolue et cette belle et très ancienne cité reçoit toutes les nuits ou presque son lot d’objets volants destructeurs et meurtriers. Ce volg quotidien s’intitule Anna From Ukraine et s’adresse en priorité aux Américains (US). C’est donc très intéressant pour nous, en Europe, car nous sommes plus proches des opérations et plus menacés par l’impérialisme russe et le retournement d’alliance qu’opère Taco (Trump Always Chickens Out, traduisez : cette poule mouillée de Trump). Anna recueille des dons du monde entier pour équiper certaines unités combattantes de son pays et elle propose à ses spectateurs de nombreux articles, T-shirts et accessoires, siglés, souvent avec humour, pour porter son message dans le monde entier.

Vous pouvez également regarder GRATUITEMENT ce documentaire-reportage ( bande-annonce et long-métrage complet) sur le site Internet monté par la production : Kherson, Human Safari, de la reporter de guerre états-unienne Zarina Zabrisky. Le site vous offre une possibilité de sous-titrage en plusieurs langues.

La semaine dernière, j’ai pu assister à la première du film en France, dans un cinéma du Quartier latin. Il est éprouvant mais il faut le voir pour prendre conscience de ce qu’il se passe là-bas. Zarina Zabrisky est restée à Kherson. Cette femme jeune et courageuse est désormais la seule journaliste étrangère sur place.

En français enfin, Alla Poedie, ancienne interprète ukraino-russo-anglo-français et maintenant consultante auprès des entreprises francophones qui veulent travailler avec ou en Ukraine, dispose elle aussi d’une chaîne où tous les soirs, elle décoiffe, en direct, depuis la France où elle vit, grâce à une information à jour, vérifiée et ultra-documentée : Alla Poedie sans filtres. Son vlog se révèle beaucoup plus instructif que bien des plateaux sur les chaînes d’info continue !

Par ailleurs, l’expert militaire franco-belge, qui a servi dans l’armée de l’air et de l’espace française, Xavier Tytelman, édite et nourrit un vlog avec des publications au rythme irrégulier et toujours d’une pertinence et d’une rigueur admirables. A travers cette chaîne, il anime deux réseaux de spectateurs-donateurs, l’un avec lequel il apporte en Ukraine de l’aide humanitaire, notamment du matériel médical et de secours aux blessés, et l’autre grâce auquel il équipe en matériel de combat certaines unités de la Légion internationale puisqu’il est en contact avec des combattants réguliers, français, belges et d’autres nationalités engagés sous le drapeau ukrainien. Xavier Tytelman se rend là-bas tous les deux mois, souvent sur des zones très chaudes du front, en deuxième et parfois en première ligne. Il en rapporte des interviews exclusives et des reportages très éclairants. De temps en temps, le soir, il anime des directs au cours desquels les spectateurs peuvent lui poser des questions.
En ligne, également, mais cette fois-ci en lecture seule, vous pouvez suivre l’actualité du conflit et des soubresauts de la dictature russe, grâce aux analyses en profondeur de très nombreux spécialistes de toutes disciplines et toutes nationalités : Desk Russie, dont la rédactrice en chef est l’historienne française d’origine russe, Galia Ackerman.

L’agence de presse publique ukrainienne Ukrinform propose une sélection d’informations en français et l’intégralité de ses dépêches sont traduites en anglais quelques minutes après la publication de l’original ukrainien.




(1) Le président de PEN Ukraine, le philosophe Volodymyr Yermolenko, de l’Académie Mohyla de Kiyv (la plus vieille université du pays), sera à Paris le 23 septembre 2025 pour une conférence à la Sorbonne, qu’il partagera avec son épouse, l’universitaire, journaliste et essayiste Tetyana Ogarkova, tous deux parfaits francophones, avec la participation du général Nicolas Richoux, intervenant régulier le soir sur LCI (un des authentiques experts de la chaîne. Hélas, tous ceux que l’on nous y présente comme tels ne le sont pas toujours). Volodymyr Yermolenko publie et anime un podcast audio en anglais sur la culture ukrainienne en lien avec l’actualité : Ukraine World (disponible sur la plupart des plateformes, dont You Tube). Dialogue avec des invités prestigieux issus de tous les champs de la connaissance et de l’art.