La une de La Nación la joue soft ! Petite photo et première page presque spartiate |
Après la grande marche nationale d'il y a dix jours, lancée par les agents du service public, en particulier les enseignants, dont une partie continue la grève entamée à la rentrée, au début mars, quelques membres de la coalition au gouvernement Cambiemos, des élus de l'UCR et de Coalición Cívica (centre), avaient pris leurs distances avec l'appel lancé par la majorité à une contre-manifestation, samedi 1er avril. Ils s'en expliquaient en déclarant qu'il ne convenait pas que la majorité se place sur le même plan que l'opposition et rivalise avec les kirchneristes en occupant la rue. Sans doute craignaient-ils, avant toute chose, qu'il n'y ait que trois pelés et deux tondus de sortie, faisant tourner le mot d'ordre à un échec piteux et ridicule, puisque la popularité du gouvernement marque le pas dans les sondage et que l'inflation continue son chemin, le chômage reste fort et la pauvreté a augmenté pendant cette première année du mandat...
Pourtant, hier, c'est bel
et bien une marée humaine qui a convergé vers Plaza de Mayo, un
flot dense et surmonté de drapeaux bleu et blanc, les couleurs
nationales. Cette Marcha de la Democracia, comme elle a été baptisée, n'était pas sans rappeler la liesse populaire qui
avait envahi les rues du centre historique de Buenos Aires, lors de
la prise de fonction du Président Macri, le 10 décembre 2015 (voir mon article) :
on retrouve sur les photos les mêmes visages anonymes et souriants, le même
faible nombre de pancartes revendicatives, la quasi-absence d'attaque ad
hominen dans les slogans brandis (1), la même atmosphère bon enfant
(2). Les manifestants, au nombre approximatif de 100 000 à Buenos
Aires, sans cacique de la politique parmi eux, réclamaient la reprise des classes -certains établissements n'ont même pas ouvert depuis la rentrée officielle- (voir mon article du 23 mars dernier), le respect de la
démocratie, l'avancée de la justice, la fin de l'occupation de l'espace public à tout propos (piquetes) et, plus largement, ce changement profond, qui comporte une lutte efficace contre la corruption et la réforme économique, un changement pour lequel une majorité indiscutable a voté il y a un peu plus d'un an.
Les mots d'ordre de rassemblement ont été diffusés par les réseaux sociaux, ce qui montre assez bien que les participants sont venus de leur propre chef, en toute liberté et par adhésion. Les images de la foule montrent qu'elle n'était pas organisée collectivement, qu'elle n'avait pas derrière elle des ressources de partis : panneaux de papier vaguement cartonnés A4 ou 43 pour les plus imposants, modestes calicots en noir et blanc, rien de bien sorcier. Chacun avait fait preuve d'invention et d'imagination. Les micro-trottoirs font entendre des citoyens tolérants, patients, plutôt bien disposés et non pas les vociférations habituelles, avec des éléments de langage identifiables à cent lieues...
Photo Reuters |
Les mots d'ordre de rassemblement ont été diffusés par les réseaux sociaux, ce qui montre assez bien que les participants sont venus de leur propre chef, en toute liberté et par adhésion. Les images de la foule montrent qu'elle n'était pas organisée collectivement, qu'elle n'avait pas derrière elle des ressources de partis : panneaux de papier vaguement cartonnés A4 ou 43 pour les plus imposants, modestes calicots en noir et blanc, rien de bien sorcier. Chacun avait fait preuve d'invention et d'imagination. Les micro-trottoirs font entendre des citoyens tolérants, patients, plutôt bien disposés et non pas les vociférations habituelles, avec des éléments de langage identifiables à cent lieues...
Dans les différentes
provinces, l'appel a également rencontré un franc succès,
notamment à Rosario où on estimait la foule rassemblée autour du
Monument au Drapeau à 6.000 personnes (ce qui n'est pas mal !).
"Carton plein", titrait Página/12 le 17 mars dernier en affichant ce calendrier d'une rentrée politique et sociale très chaude ! |
Il semblerait donc que,
même si les sondages enregistrent une baisse de la popularité du
président, qui partait de très haut le 10 décembre 2015, le
soutien populaire reste acquis au gouvernement et à sa politique, en matière de gestion de l'Etat, d'économie et de
justice.
Dépité, le quotidien Página/12 enrage et sort ce matin la grosse artillerie pour discréditer ce succès d'une majorité haïe, en lui contestant subtilement le caractère populaire que la rédaction n'avait pourtant pas hésité à attribuer à la manifestation contraire, celle du 22 mars dernier... Une nouvelle démonstration de la mauvaise foi dont cette rédaction est capable lorsque les faits viennent contredire sa grille de lecture idéologique, crispée qu'elle est sur des schémas sans doute caducs mais qu'elle continue à plaquer sur l'actualité. Une manière de traiter l'information parfaitement repérable sur la une de ce jour (ci-dessus).
Décidément, l'Argentine évolue, va de l'avant, et les critères politiques se sont sans doute définitivement renouvelés.
Ceci dit, la rue n'est pas
prête de retrouver son calme. La GCT (nettement inscrite dans
l'opposition et toujours proche du Partido Justicialista dont est
issue Cristina Kirchner) appelle à une nouvelle grève générale
jeudi prochain, 6 mars 2017, et le ministre de l'Intérieur estime
que le temps est désormais trop court pour espérer trouver un
terrain d'entente, notamment avec les enseignants.
Pour en savoir plus :
lire l'article de Página/12 (en pages intérieures)
(1) C'est sans doute le
plus surprenant. On ne voit pas la rue exiger l'emprisonnement des
dirigeants précédents, on ne voit pas surgir d'insultes. Et quand
on connaît le caractère passionné de la foule argentine, c'est
assez remarquable. Et on peut être sûr que ces pancartes
n'existaient pas car Página/12 n'aurait pas manquer de les mettre à
la une, pour dénoncer à grands cris, la soi-disant haine et le
désir de vengeance que le journal attribue à la nouvelle majorité
pour expliquer les ennuis judiciaires de l'ex-présidente, de ses
proches et de ses anciens collaborateurs, au gouvernement national
comme dans les Provinces.
(2) Le contraste des
images est fort entre la foule des manifestants du 22 mars dernier,
avec leurs ballons aux couleurs des syndicats et autres groupements
partisans, et celle d'hier, qui agitait des drapeaux et dans laquelle
on peine à reconnaître des signes distinctifs d'appartenance à tel
groupe ou parti. On ne voyait ni ballons jaunes du PRO ni panneaux
UCR ou CC, ni même banderoles Cambiemos. Les couleurs nationales à
perte de vue. Et, contrairement à ce que suggère Página/12, aucune
casserole en vue, même si les manifestations anti-kirchneristes
d'avant décembre 2015 faisaient grand usage de ces ustensiles de
cuisine pour protester le plus bruyamment possible (les
kirchneristes, eux, utilisent plutôt des tambours, dont le tintamarre
est difficilement supportable ! et en plus, ils bloquent les routes et les rues, avec des piquets de grève, pas toujours conciliants...)