vendredi 13 septembre 2024

« Ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche !» : le faux historique versaillais prend forme à Buenos Aires [Actu]

Un beau plateau de medialunas dans une boulangerie artisanale


Pendant cette pause éditoriale sur Barrio de Tango pendant la « trêve olympique », la situation politique, économique et sociale en Argentine a continué de se dégrader considérablement : le président a retiré à l’INADI ses compétences d’enquête concernant le sort des disparus, mineurs, de la Dictature, il a restreint les informations sur l’activité gouvernementale auxquelles le public doit avoir accès, sous prétexte de protéger la vie privée des dirigeants ; il a mis son veto à une loi qui relevait de 8 % les pensions de retraite (dans un pays où l’inflation cumulée depuis le 1er janvier est déjà de 94% l’an), fait réprimer à coup de balles en caoutchouc et de gaz lacrymogène en plein visage les retraités qui manifestaient devant le Congrès, acheter ensuite un certain nombre de députés du parti radical (UCR), le plus vieux parti du pays fondé en 1890 précisément pour lutter contre la corruption et établir un Etat de droit digne de ce nom, ceci afin que la Chambre ne dispose pas de la majorité nécessaire à la levée de ce veto inique (et ça a marché !) ; il est allé prononcer un discours devant l’union des industriels pour leur dire d’aller se faire voir chez les Grecs et qu’il ne tiendrait aucun compte des besoins exprimés par leur secteur, il a ouvert les frontières à tous les produits d’importation, alimentaires et manufacturés, ce qui va conduire à la faillite de nombreuses entreprises… Bref, c’est une crise encore plus profonde qu’en 2001 qui s’installe en Argentine et sans aucun doute pour longtemps.

"Assaut contre les retraités", dit le gros titre
En bas à gauche, le scandale des petits-déjeuners présidentiels
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On assiste à un effondrement de la consommation des ménages et du tourisme, un arrêt de nombreuses activités de recherche scientifique, une fuite de plusieurs investisseurs étrangers qui ferment leurs établissements en Argentine, un appauvrissement de l’actualité du spectacle, une hausse du chômage, du travail non déclaré et de la violence crapuleuse : on tue pour voler une voiture, pour s’emparer d’un téléphone portable, pour rafler le contenu d’un magasin.

Les réserves alimentaires constituées par le précédent gouvernement pour faire face à d’éventuelles crises n’ont toujours pas été distribuées aux plus nécessiteux et la ministre continue à se pavaner, sûre de son bon droit et de l’appui indéfectible de Mileí, son protecteur et « meilleur ami », malgré les plaintes déposées contre elle en justice.

Le quotidien de la droite catholique souligne
les mêmes faits. En haut en rouge :
"Semaine compliquée au Congrès pour
le gouvernement Mileí"
En bas et à gauche : les scandales des medialunas
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Le groupe présidentiel au Congrès s’est fracassé sur le scandale d’une visite parlementaire en prison aux plus emblématiques condamnés pour crimes contre l’humanité, l’une des élues impliquées n’ayant pas hésité à publier les manigances peu honorables qui ont conduit à cette démarche qui semblait devoir s’inscrire dans un processus de libération, voire d’amnistie de ces criminels galonnés (ou galonnés criminels, dans l’ordre que vous préférez).

Et c’est dans ce contexte que’au début de la semaine, la presse a révélé un scandale symbolique : pendant que 75 % des habitants de l’Argentine se serrent la ceinture et ne mangent pas toujours à leur faim, notamment de très nombreux enfants, le gouvernement dépense 16 millions de pesos en viennoiseries diverses et variées pour le service du petit-déjeuner des élus et de leurs conseillers : Página/12, La Prensa et Clarín ont publié les contenus et les montants des factures. Edifiant ! En outre, ces commandes sont passées à des industriels (pains et medialunas congelées) plutôt qu’à des artisans qui font vivre ses spécialités en y mettant tout leur cœur et leur sens de la qualité (il y en a beaucoup autour de la Casa Rosada et à n’en pas douter non plus à Olivos, où vit le président, entouré de ses « enfants », ses cinq chiens clonés). Les rédactions des deux premiers quotidiens cités ont été assez choquées pour mettre l’info en une.

Le moins qu’on puisse dire est que ce paysage ne me laisse pas beaucoup de latitude pour reprendre ce blog comme avant : la vie culturelle n’est plus ce qu’elle était en Argentine. Je me contenterai donc désormais de publier par à-coup, de façon irrégulière, lorsque quelque chose le méritera, comme c’est le cas ces jours-ci avec un hommage à Alorsa à La Plata, une conférence sur Gardel au Museo Mitre à Buenos Aires, une présentation d’ouvrage sur l’héritage africain dans le tango à la Academia Nacional del Tango, dans la capitale fédérale là encore, ou cette nouvelle interview de Volodymyr Zelensky à la presse sud-américaine qui laisse entrevoir toute l’ambiguïté idéologique envers la guerre contre l’Ukraine qui règne dans ces différents pays.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :