L'artiste
peintre Chilo Tulissi, qui n'était pas seulement un grand
artiste, qui était avant tout un homme passionnant, et un
puits de science, en matière de tango et pas uniquement de peinture, nous a quittés hier matin, à
Buenos Aires, où il avait été hospitalisé
il y a dix jours en phase finale d'un cancer du fumeur. Du passé
italien d'un arrière-grand-père monté par hasard
dans un bateau pour fuir une vendetta au sud de la Botte, il n'avait
pour toute trace matérielle qu'une pipe, qu'il m'avait montrée
dès notre première rencontre en 2007.
De
lui, je garderai des montagnes de souvenirs et en particulier cette
visite du museo de Bellas Artes de la Boca Benito Quinquela Martín,
cette virée en voiture dans les quartiers sud de la ville où
j'ai pris la photo qui sert d'enseigne et d'emblème à
ce blog, cette soirée chez lui avec un locro monstre qu'il
avait mis deux jours à préparer, ces ruedas de mate que
nous avons partagées en devisant tous les trois avec Teresa sa femme,
cette autre promenade il y a trois ans, à la Réserve
Ecologique, sous un ciel bas, le long d'un fleuve gris...
Pour
moi, Chilo était un ami précieux. Il laisse derrière
lui une famille durement éprouvée, sa femme à
qui j'ai pu parler ce matin, avant les funérailles qui ont
lieu au moment où je publie, une mère très âgée que je ne connais pas,
un fils et une fille et un gendre bandonéoniste avec lequel il
avait une belle complicité masculine et artistique, Julio
Coviello, le premier bando de la Fernández Fierro et le
directeur du Cuarteto qui porte son nom.
Julio
devait se produire au Faro vendredi prochain, après-demain, dans le cadre de El Tango
vuelve al Barrio, une soirée dont je n'avais pas encore parlé,
en ce douloureux retour de Buenos Aires.
Le
Chilo que j'ai vu cette année à la mi-août ne
m'avait pas fait l'effet d'un mourant. Je savais sa maladie depuis
une quinzaine de jours et il n'allait pas bien mais il
parlait avec la même fougue que d'ordinaire et le même
air un peu bougon que vous lui voyez sur cette photo prise en août
2007 à Nueva Pompeya et sous lequel il cachait sa sensibilité
extrême. Avec ses tempes à peine émaciées,
il avait bon espoir de retrouver la santé. Si bien qu'il
m'avait donné le change malgré tout ce que je savais et
aurais pu deviner et que je l'avais quitté persuadée de
le revoir encore avant mon départ. Espoir qui s'est envolé
aux premiers jours de ce mois. Pour une fois, dans cette salle à
manger aux murs couverts de tableaux, nous avions surtout parlé
de San Martín plutôt que de Homero Manzi et Enrique
Santos Discépolo, ses deux sujets favoris avec moi. Je l'ai vu
touché que mon intérêt pour sa culture aille
jusqu'à ces sujets historiques. Je l'ai vu découvrir
quelques textes de San Martín que j'avais rassemblés
pour les besoins de mon travail et qu'il ignorait et je l'ai vu
apprécier du fond du cœur
ces traces de profonde humanité que je lui apportais, d'un
pays aussi improbable que la France, au sujet d'un héros de
son propre pays, que l'histoire officielle avait défiguré
et dénaturé pendant plus d'un siècle. Lui
voulait nettoyer l'Argentine de tous les oripeaux dont elle avait été
recouverte à la fin du 19ème siècle, il en
vomissait les responsables, Rivadavia, Sarmiento et Roca, les hommes
de cette partie de l'oligarchie qui n'avait cessé d'opprimer
un peuple qu'il aimait de toutes ses forces. Né le 31
décembre 1947, il est mort en ce début du printemps et à
l'aube de la fête du maître d'école (día
del Maestro), qui n'est autre pourtant que le jour anniversaire de la
mort de Sarmiento !
Teresa,
tout à l'heure, m'a demandé de lui écrire un
beau texte sur Barrio de Tango. Mais c'est elle qui a rédigé
hier soir le plus délicat et le plus juste des hommages qu'on
peut lui rendre. Le voici :
Madrugando,
pa' no perder la costumbre, y en el día del Maestro, Chilo
Tulissi partió a pintar otros horizontes...
Este
tipo no pasó por el mundo así no más, dejó
huellas, y si alguno todavía tiene alguna duda pregúnteselo
a cualquiera de sus amigo/as (miles, por cierto)
Ahora
nos queda mirar el cielo, que allí debe haber fiesta de
colores...
Mañana,
miércoles 12 de Septiembre a las 9hs. estaremos en la Capilla
de la Chacarita, despidiendo sus restos.
Teresa
de Tulissi
Dès
potron-minet, pour ne pas manquer à ses habitudes, et en cette
fête du Maître, Chilo Tulissi est parti peindre d'autres
horizons...
Ce
bonhomme n'est pas passé dans le monde, comme ça, à
la légère, il a laissé des empreintes et si
quelqu'un a encore le moindre doute là-dessus, qu'il pose la
question à n'importe lequel de ses ami(e)s (des milliers,
c'est sûr).
Maintenant
il nous reste à regarder le ciel, car là-haut il doit y
avoir une fête en couleurs...
Demain,
mercredi 12 septembre, à 9h, nous serons à la Chapelle
de la Chacarita pour saluer ses restes une dernière fois.
(Traduction
Denise Anne Clavilier)