A
la mémoire des victimes de l'attentat d'aujourd'hui contre Charlie Hebdo à Paris,
qu'il
s'agisse des quatre journalistes-caricaturistes vedettes,
d'employés
anonymes du magazine ou de fonctionnaires de police
Jusqu'à
il y a quelques heures, je pensais que ce serait avec une très
grande joie que je parlerai à mes lecteurs de la sortie en Argentine
d'un ouvrage authentiquement historique sur José de San Martín et
son œuvre politique en Amérique, une œuvre politique consacrée
entièrement à ce qu'il appelait l'évangile des droits de l'Homme.
Bien entendu, les événements qui se produisent à Paris au moment même où je publie cet article ont transformé cette joie en gravité dans l'épreuve...
Ce
grand combattant de la liberté est étudié ici à travers ses
valeurs humanistes et éthiques par l'historienne Fabiana
Mastrangelo, qui m'avait accompagnée dans mes présentations de San
Martín par lui-même et par ses contemporains, à Buenos Aires (1),
en septembre (voir mon article du 26 septembre 2014) et encore à
Mendoza, où nous nous étions retrouvées toutes deux au Congrès
international d'Histoire (voir mon article du 30 août 2014).
L'ouvrage
est publié aux Editions Dunken, qui ont un faible évident pour ce
daguerrotype fait à Paris en janvier ou février 1848, que pour ma part je ne veux pas du tout utiliser parce qu'il représente le général dans sa vieillesse (2), en un temps où il
était encore de très mauvais goût de sourire quand on prenait la
pause (3), or de son vivant l'homme était réputé pour son amabilité souriante et sa jeunesse éclatante au moment de l'épopée indépendantiste.
L'analyse
dressée par Fabiana Mastrangelo a le mérite de renouveler l'idée,
souvent fausse et la plupart du temps très floue, que l'on se fait
en Argentine de ce personnage, dont les exploits lui ont valu le
titre de Padre de la Patria. Ce livre est, c'est à souligner, une
étude d'histoire au sens propre du terme, méthodologiquement
conduite, en écartant toute prise de position idéologique, ce qui
est encore très rare en Amérique du Sud, comme j'ai eu l'occasion
de le répéter plusieurs fois dans mes articles (4). Fabiana
appartient à cette nouvelle génération d'historiens qui parvient
enfin à séparer la démarche historiographique de la démarche
scientifique et Dieu sait si c'est dur pour eux, pour l'effort
méthodique que cela existe et dont ils n'ont que peu d'exemple dans
la communauté de chercheurs qui les entoure et parce que
l'originalité de leur point de vue rend difficile la percée de
leurs ouvrages sur le marché, déjà encombré de thèses plus
polémiques, qui attirent donc davantage les journalistes, en bien ou
en mal.
D'ailleurs,
le livre est sorti le 18 décembre, il a le soutien institutionnel de
la Province de Mendoza et du Congrès de la Nation et la maison
d'édition elle-même n'en a pas encore parlé sur sa page Facebook.
4ème de couverture Cliquez sur l'image pour l'agrandir |
Si
vous êtes en Argentine et que vous lisez l'espagnol, achetez-le !
Il est probable qu'il faille le commander au libraire et comme ce sont les vacances d'été et que tout tourne au ralenti, ne tardez pas trop à le faire si vous êtes de passage...
(1)
En ce début d'année et pendant ma "pause estivale" (australe), je
présenterai moi-même ce personnage que nous ne connaissons pas dans
deux conférences, à Cherbourg, le 20 janvier 2015 (conférence tout
public d'accès gratuit), puis à Versailles, le 18 février (devant
les membres du Lions Club). Ces conférences sont annoncées au fur
et à mesure qu'elles sont fixées sur l'agenda de mon site Internet.
(2)
C'est un phénomène général en Argentine : les éditeurs,
celui-ci en particulier, et les infographistes aiment les
représentations de San Martín qui le représentent sévère et,
souvent, âgé, comme si son œuvre datait de cette époque-là.
Quelle étrange coutume ! Les images arrivent parfois à être
franchement affreuses (comme c'était le cas sur l'affiche du congrès
de Mendoza), ce qui accrédite dans la population l'idée totalement
fausse qu'il n'était pas à prendre avec des pincettes. Pourtant les
documents historiques nous racontent tout le contraire.
(3)
Pour une raison toute bête : la farine, même la plus raffinée,
contenait beaucoup de sable. Et ce sable gâtait les dents, notamment
les incisives, du fait de la grande quantité de pain que l'on
consommait dans toutes les couches de la société. Et pourtant on
sait par le témoignage de Juan Bautista Alberdi en septembre 1843
que San Martín avait conservé une denture impeccable, entière et
très belle, que son sourire, que nous ne connaissons pas, découvrait
largement.
(4)
Bien entendu, aucun historien au monde ne parvient à la parfaite
neutralité qui est une vue de l'esprit dans toutes les sciences.
Nous sommes toujours un tant soit peu conditionnés par le temps et
le lieu où nous vivons. Mais en Argentine, beaucoup d'historiens ne
se posent même pas, en tout cas pour eux-mêmes (pour les
contradicteurs, si !) la question de ce déterminisme
intellectuel et foncent dans des querelles qui ne sont pas celles de
l'époque qu'ils étudient. Tant et si bien qu'on peut compter sur
les doigts les historiens qui suivent une démarche scientifique
cohérente et systématique.