Avant-hier, l'INDEC a
publié un nouveau rapport sur la pauvreté en Argentine, un rapport
intitulé Incidence de la pauvreté et de l'indigence dans 31
agglomérations urbaines, l'un des instruments statistiques de suivi
économique, tout juste mis en place par la réforme radicale de
l'institut au premier semestre. Les chiffres ont été obtenus avec
les nouvelles méthodes de statistiques nationales, incontestablement
plus fiables que les précédentes, qui n'avaient ni traçabilité ni
archivage systématique. Il n'est donc pas possible de comparer les
données anciennes avec les nouvelles. Cependant, les chiffres
avancés par l'institut sont effrayants.
La situation se révèle
en effet bien plus préoccupante que ce qui avait été publié
jusque là même par les départements économiques et sociaux de
l'UCA (l'université catholique de Buenos Aires) : un tiers de
la population vit dans la misère (32,2%) dont 6,3 en-dessous du
seuil de pauvreté. En nombre de foyers, les chiffres sont un peu
inférieurs : 23,1% des foyers vivent dans la pauvreté dont 4,8
dans l'indigence. Les plus pauvres vivent dans des familles plus
nombreuses que le reste de la population, sans doute en partie par
manque d'accès aux méthodes de contraception mais surtout parce que
les différentes générations et/ou les collatéraux vivent tous
sous un même toit faute de pouvoir accéder convenablement au marché
du logement ou aux rares programmes de logements sociaux. Pour un
pays comme l'Argentine, aussi doté par son sous-sol (c'est un pays
pétrolier et minier) et ses climats (c'est une puissance agricole de
premier ordre avec une grande variété de production), doté d'un
puissant capital touristique (1), ces chiffres vertigineux révèlent
la profondeur et la complexité du problème structurel.
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Hier, tous les journaux
ont consacré leur une à ce rapport désastreux, l'un (Página/12)
pour taper à bras raccourcis sur le gouvernement qu'il rend
responsable de la situation (comme s'il n'y avait pas eu de pauvreté
sous le mandat précédent), les autres pour commenter ces résultats
préoccupants, que personne ne traite avec légèreté, et pour
étudier les diverses voies de sortie que pourrait emprunter le
gouvernement ou dont il annonce déjà le projet, tout en citant la
réaction du Président Mauricio Macri, qui a reconnu qu'en ces circonstances,
il ne pourrait pas tenir sa promesse de pauvreté zéro à la fin de
son mandat. Il est vrai aussi qu'au moment où il a formulé cette
promesse électorale et post-électorale, il ne pouvait pas se fier
aux données de l'INDEC sur l'état effectif du pays. Au lieu de
s'obstiner à rabâcher l'impossible, façon "renversement de la courbe" à la François Hollande, il s'est engagé à mettre tout en œuvre
pour réduire cette pauvreté, non à coup d'emplois aidés et de
distribution de subventions cache-sexe comme c'était le cas
auparavant, mais par la création d'emplois qu'il a qualifiés de
qualité. Cela reste à voir, comme toutes les opérations de
communication politique.
Ce matin, la presse, de
droite et de gauche, se faisait l'écho du rapport élogieux pour le
gouvernement actuel que le FMI vient de publier en conclusion de son
audit de l'économie argentine, avec son éternel prisme
ultra-libéral de robot, dépourvu de sensibilité sociale ou
humaine. Ce rapport vient tout de même doucher le triomphalisme des
ultra-libéraux locaux en prévoyant que l'investissement prendra son
temps avant de revenir dans le pays (alors que l'équipe
gouvernementale l'annonce comme déjà en route).
Pour aller plus loin :
lire l'article de Clarín
La Nación a aussi
consacré un article de son édition d'hier à la baisse de la
consommation, le pire chiffre depuis le début de l'année (-7,4% en
août, malgré la fête des enfants, qui est toujours l'occasion de
nombreux achats de jouets, habillement et nourriture, un long
week-end pour le Día de San Martín et les soldes d'hiver)
lire l'intégralité du rapport (9 pages téléchargeable en pdf)
consulter le site de l'INDEC (sur le côté droit, les principaux index sont régulièrement
mis à jour : prix à la consommation, chômage, variation
mensuelle d'activité économique, variation trimestrielle du PIB,
des chiffres qu'on ne pouvait trouver auparavant qu'après une longue
recherche, quand on les trouvait. Le progrès en matière de
transparence ne laisse plus guère de place au doute).
Ajouts du 2 octobre 2016 :
lire cet article de Página/12 qui analyse le taux de pauvreté record annoncé par l'INDEC comme une manipulation du Gouvernement qui entend ainsi faire avaler à l'opinion publique sa ligne politique de baisse des budgets publics (le même journal dénonce aussi aujourd'hui la baisse des crédits pour la recherche scientifique, l'absence d'achat des livres scolaires qui devaient être distribués gratuitement aux écoliers du secteur public, l'arrêt de la distribution d'ordinateurs portables dans les écoles publiques) et d'ouverture des frontières aux importations (qui fragilise le tissu productif national), tout en préparant le terrain pour les élections de mi-mandat l'année prochaine.
Dans cet article en une de son édition de ce dimanche, La Nación valide au contraire les chiffres fournis par l'INDEC.
(1) Avec de tels chiffres,
on voit à quel point le gros du secteur touristique argentin, avec
sa politique cupide, ses nombreux intermédiaires et leurs
commissions astronomiques, sans rapport avec le coût de la vie
ordinaire, fonctionne comme un prédateur de l'économie nationale au
lieu de participer à la prospérité générale. Et il en va de même
pour toutes les productions phare du pays, qui en bénéficient dans
la majorité des cas qu'à un tout petit nombre.