Dans trois jours, samedi 25 février 2017, ce sera la clôture de la Fiesta del Sol, le grand
rendez-vous festif et culturel de San Juan, au pied des Andes.
Dans l'autodrome El Zonda, les
spectateurs, sanjuaninos et touristes, pourront assister à un
méga-show intitulé General San Martín, 1817-1850, Sueños de libertad el cruce de los Andes. Cela se présente comme
des dates de vie mais ce n'en est pas : la date de 1817 signale
la Traversée des Andes (cruce de los Andes) et l'épopée de la reconquête du Chili par
les révolutionnaires et 1850 est bel et bien l'année de la mort du
héros, qui a fini ses jours en plein été septentrional, à
Boulogne-sur-Mer, dans le Pas-de-Calais.
Le père et le fils face à face et déjà dans la peau du personnage, semble-t-il |
Et ce sont le père et le
fils qui vont interpréter le rôle du héros national, l'un dans la
vigueur de ses quarante ans et l'autre dans ses vieux jours, sur la
Côte d'Opale, Benjamín et Guillermo Kuchen. Tous les deux se
ressemblent et c'est à eux que l'idée est venue de relever ce défi,
pour saluer cette année du bicentenaire. Benjamín Kuchen n'est pas
acteur de profession, contrairement à son fils, qui fait une belle
carrière dans sa province natale. C'est un
universitaire, qui a été recteur de l'Université Nationale de San
Juan et s'est même présenté au gouvernorat provincial, sans
réussir à être élu.
Sur scène, samedi, il y
aura 400 personnes pour évoquer les grands moments de la vie du
général, qui est encore un peu plus aimé dans cette région de
Cuyo qu'il a gouvernée entre 1814 et 1816, qu'il ne l'est dans le
reste du pays, et parmi ces 400 comédiens, une bonne partie de la
famille Kuchen.
En coulisse (le père se fait déjà la tête de l'emploi, le fils se contente des favoris fournis du Gran Capitán) |
Les deux interprètes ont
avoué à Diario de Cuyo que le personnage était bien lourd à
porter et les écrasait quelque peu du poids symbolique qu'il porte
dans tout le pays : jouer le rôle du "Padre de la Patria", il y a
de quoi avoir un peu le trac !
Malheureusement, sur les
photos des répétitions, on voit nettement que la Fiesta del Sol a
opté pour évoquer le José de San Martín qui n'a jamais existé, un
personnage autoritaire, peu chaleureux, au visage revêche. Un
stéréotype que tous les Argentins traînent dans leur imaginaire et
qui ne correspond en rien au San Martín de l'histoire, qui était
un homme charmant, au sourire ravageur, cordial, courtois, toujours
fraternel et aimable.
Alors pourquoi cette image
d'Epinal en type pas commode du tout, limite patibulaire ? Parce
qu'aucune des représentations que nous avons de lui de son vivant ne
le montre souriant et que sur les deux seuls daguerrotypes qui nous
soient parvenus et qui datent tous les deux de la même séance de
photographie, il montre un air très sévère... Mais essayez donc de
sourire pendant la longue pose devant l'appareil de Daguerre, sans
créer une impression de flou !
Cette image est si
prégnante que souvent les Argentins n'arrivent même pas à
s'imaginer que San Martín avait de l'humour. Ce qui est d'autant
plus regrettable qu'il en avait beaucoup ! Il savait aussi
imiter les gens, il était capable de jouer des tours pendables à
ses amis, de faire de véritables sketches lorsqu'il était en
société et en confiance... Mendoza garde en mémoire cette anecdote
où il remplaça les étiquettes des bouteilles de vin qu'il allait
faire servir à table pour prouver à ses hôtes qu'ils avaient bien
tort de critiquer la qualité des vins mendocins dans lesquels ils
allaient croire reconnaître le bouquet caractéristique d'un vin de
Malagá, nettement mieux noté chez les notables argentins de 1823.
Ajoutez que ces portraits sévères furent une convention de la
peinture occidentale jusque dans les années 1850 et la
généralisation des minoteries qui donnèrent aux boulangers la
farine industrielle, beaucoup plus pure et de meilleure qualité
diététique. Comment voulez-vous représenter des sourires à une
époque où la farine, même la plus fine, comporte 10 à 20% de
sable, produit par l'usure des meules du moulin ? La plupart des
gens avaient les dents gâtées par la nourriture et le peu
d'efficacité des soins dentaires. La convention était donc de
donner à tout le monde une expression sévère. Quelques peintres
nous ont laissé deviner le sourire de leurs modèles mais ils sont
très rares. Parmi ceux-là, le peintre belge qui a réalisé le
portrait de San Martín que j'ai choisi pour la couverture de San
Martín par lui-même et par ses contemporains (Editions du Jasmin)...
Le vrai San Martín est là
et non pas dans ces mines renfrognées que Benjamín et Guillermo
Kuchen préparent à San Juan, à grand renfort de
grimages en tout genre, pour ce dernier week-end des grandes vacances d'été.