Deux
affaires occupent actuellement les observateurs judiciaires en
Argentine :
- qu'adviendra-t-il du sous-officier Luis Chocobar, inculpé pour mauvais usage de la légitime défense ayant abouti à la mort d'un délinquant et criminel mineur d'âge ?
- et jusqu'où le ministre de l'Agriculture sera-t-il poursuivi pour le paiement d'une soi-disant prime, aussi généreuse qu'apparemment fictive, qu'il a récemment remboursée en intégralité à la Sociedad Rural, la fédération patronale agraire dont il était le président avant de se voir attribué, il y a deux ans, le portefeuille de l'Agriculture ?
Dans
l'affaire Chocobar, le procureur et l'avocat de la défense font la
même requête à la Chambre criminelle devant laquelle ils ont fait
appel de la décision du juge d'instruction (de la justice des
mineurs car la victime, et non l'auteur, est un mineur) : un
non-lieu pour le policier !
Incroyable
mais vrai : le ministère public et la défense ont la même
interprétation des faits, alors qu'il y a eu mort d'un adolescent par un policier qui n'était ni en service ni en uniforme.
De surcroît, la nouvelle doctrine que la ministre de la Sécurité veut mettre en place, à savoir le libre exercice de la violence par la police à qui le doute devrait toujours profiter (ce qui est contraire à toute l'histoire du droit pénal démocratique partout sur le globe), semble avoir déjà été appliquée, à Quilmes, dans la banlieue sud et populaire de Buenos Aires, par une formation d'élite de la Bonaerense qui a, à nouveau, tué, de nuit, un adolescent de 17 ans. Sans doute encore une fois tout le contraire d'un enfant de chœur mais néanmoins c'était un mineur.
Le garçon a été abattu de trois balles, dont l'une dans le dos et une autre dans la jambe, et laissé agonisant sur le sol, sans que les secours soient appelés pour le soigner, lui sauver la vie et lui permettre plus tard de comparaître devant les tribunaux pour les faits dont les policiers le soupçonnaient. Quant au fonctionnaire qui a tiré, il n'est pas question pour l'instant d'un procès à son encontre et pourtant, il faudrait qu'une action judiciaire soit ouverte, pour faire la lumière sur ce qu'il s'est passé.
De surcroît, la nouvelle doctrine que la ministre de la Sécurité veut mettre en place, à savoir le libre exercice de la violence par la police à qui le doute devrait toujours profiter (ce qui est contraire à toute l'histoire du droit pénal démocratique partout sur le globe), semble avoir déjà été appliquée, à Quilmes, dans la banlieue sud et populaire de Buenos Aires, par une formation d'élite de la Bonaerense qui a, à nouveau, tué, de nuit, un adolescent de 17 ans. Sans doute encore une fois tout le contraire d'un enfant de chœur mais néanmoins c'était un mineur.
Le garçon a été abattu de trois balles, dont l'une dans le dos et une autre dans la jambe, et laissé agonisant sur le sol, sans que les secours soient appelés pour le soigner, lui sauver la vie et lui permettre plus tard de comparaître devant les tribunaux pour les faits dont les policiers le soupçonnaient. Quant au fonctionnaire qui a tiré, il n'est pas question pour l'instant d'un procès à son encontre et pourtant, il faudrait qu'une action judiciaire soit ouverte, pour faire la lumière sur ce qu'il s'est passé.
Il semblait bien, pourtant, que la Gouverneure, María Eugenia Vidal, n'était pas tout à fait d'accord
avec cette politique du tout répressif qu'un autre cacique de
Cambiemos, Esteban Bullrich, connu pour ses déclarations
inconsidérées (1), vante à temps et à contretemps.
Dans
le scandale de corruption Etchevehere, comme se nomme ministre de l'Agriculture, un juge a osé
l'inculper pour soupçon d'enrichissement illégal et le siège de la
Rural a été perquisitionné pour comprendre l'opération incriminée
et qui porte sur le transfert, sur le compte personnel du ministre,
d'un demi-million de pesos argentins (ce n'est pas rien !). Nous
verrons bien jusqu'où ira l'instruction et si l'affaire aboutira ou
non devant une instance de jugement.
Dans
le même temps, la justice a mis en prison des membres de l'ancienne
majorité, élus municipaux de la ville de Curuzú Cuatiá (2), dans
la Province de Corrientes, pour malversations et abus d'argent
public. Traitera-t-on avec la même sévérité les deux dossiers ?
Wait and see, comme on dit dans un autre pays...
Le
meilleur dans tout cela, c'est le propos de Graciela Fernández
Meijide, une militante des droits de l'homme qui reste à part,
éloignée des associations chouchoutées par les Kirchner pendant
les douze années de leurs trois mandats respectifs :
intervenant dans une émission d'actualité à l'antenne de La
Nación, elle a rappelé que les forces de police ne peuvent pas
perdre leur sang-froid en intervention, que leurs membres ne peuvent
pas se comporter comme des citoyens lambda qu'ils ne sont pas, qu'ils doivent d'abord et avant tout respecter
la loi, que la ministre ne devrait pas soutenir systématiquement et avec autant d'emphase n'importe qui et
n'importe quoi avant même que les enquêtes aient permis de comprendre le déroulement des faits et qu'au lieu de prendre parti pour la police, avec précipitation comme elle le fait, elle serait plus avisée
de se pencher sur la qualité de l'instruction initiale qui est dispensée aux agents des forces de sécurité et celle de leur entraînement physique et
psychique au long cours.
Comme quoi, les Argentins sont tout à fait capables de
raisonner sur ces sujets et que l'emballement actuel n'est pas une
fatalité de je ne sais quel tempérament national passionné !
A écouter avec attention sur le site Internet de La Nación (ce n'est pas
long, cela dure environ 2 minutes).
Pour
aller plus loin :
sur
l'affaire Chocobar
lire
l'article de Página/12 sur les événements de Quilmes
lire
le billet de Claudio Avruj, secrétaire d'Etat aux Droits de l'Homme,
publié aujourd'hui dans La Nación, où il soutient que la procédure
suit son cours (en ce moment, c'est assez difficile à croire)
lire
l'article de La Prensa sur l'invraisemblable ligne commune entre le
parquet et la défense de l'inculpé
lire
l'article de La Nación sur l'équilibre des forces politiques au
sein du gouvernement où Patricia Bullrich semble avoir gagné du
poids depuis l'énonciation de sa doctrine sur la légitime défense
(elle vient en plus de négocier un accord de coopération
internationale entre la PFA, Policia Federal Argentina, avec le FBI,
qui va former les officiers de la Federal – une bonne chose, car le
FBI a une longue tradition, constitutionnelle et en partie
légendaire, de lutte contre le crime)
lire
l'article de Clarín sur l'invitation de Claudio Avruj adressée à
la mère, célibataire, du jeune homme tué par Chocobar
lire
l'article de Página/12 sur le refus que cette femme, issue du
prolétariat, oppose au ministre puisqu'elle veut être reçue par le
Président de la Nation puisqu'il a reçu en audience le meurtrier de
son fils (il semble bien que cette mère ait été complètement
dépassée par le comportement de son rejeton et qu'elle l'est tout
autant par le raffut médiatique orchestré autour de sa mort. Il fait assez peu de doutes qu'elle soit plus ou moins manipulée par des
formations d'opposition qui s'emparent de cette tragédie comme elles
l'ont fait en août, en pleine campagne électorale, avec l'affaire
Maldonado)
Sur
l'affaire Etchevehere :
lire
l'article de La Nación, qui a le grand mérite d'aborder cette
information qui ne doit pas lui plaire (La Nación est historiquement
proche de la Rural)
Sur l'affaire de Curuzú Cuatiá :
lire l'article de La Nación, qui illustre complaisamment avec le menottage de ces anciens élus, piétinant sans aucun scrupule toute présomption d'innocence, comme le fait généralement la presse argentine.
Ajout du 12 février 2018 :
lire, dans Página/12, cette longue interview du prix Nobel de la Paix Adolfo Pérez Esquivel où le vieux sage analyse, avec inquiétude, la dérive du gouvernement argentin, de ses décisions et de ses éléments de langage qui renouent avec des relents du dix-neuvième siècle. Le regard précis et lucide d'un homme de 86 ans respecté de tous les côtés (sauf les gens de très, très, très mauvaise foi).
Ajout du 12 février 2018 :
lire, dans Página/12, cette longue interview du prix Nobel de la Paix Adolfo Pérez Esquivel où le vieux sage analyse, avec inquiétude, la dérive du gouvernement argentin, de ses décisions et de ses éléments de langage qui renouent avec des relents du dix-neuvième siècle. Le regard précis et lucide d'un homme de 86 ans respecté de tous les côtés (sauf les gens de très, très, très mauvaise foi).
(1)
Pendant la campagne électorale, alors qu'il se présentait comme
sénateur pour la Province de Buenos Aires, l'ancien ministre
national de l'Education (et ministre portègne auparavant) a lancé
devant Vidal qu'il se réjouissait de vivre dans un pays qui mettait
chaque jour un gamin de plus en prison ("un pibe más que está
preso"). Les 15 secondes vidéo de cette déclaration aussi sotte que
méchante s'est viralisée dans la journée et reste en Argentine un
grand classique de You Tube. Vous la trouverez facilement en tapant le
morceau de phrase que je viens de citer. Et on a vu la gouverneure se retourner en sursautant pour le
regarder avec une mine effarée. Plus tard, Esteban Bullrich a pris conscience de sa bévue et il est parti dans des explications embarrassées
qui n'ont convaincu que ceux qui étaient ses inconditionnels. Le mal
était fait et Sátira, le complément satyrique de Página/12, s'en amuse
aujourd'hui pour cette entrée en carnaval.
(2)
Curuzú Cuatíá est pourtant une ville fondée en 1812 par l'un des
plus intègres des fondateurs de l'Argentine indépendante, Manuel
Belgrano (1770-1820). Le pauvre doit se retourner dans son urne, dans son gigantesque monument, sur le parvis de la Basilique du Saint-Rosaire, à Buenos Aires !