Photo Communication du Ministère de la Sécurité argentin |
Le
Premier ministre argentin, Marcos Peña, vient de reconnaître qu'au moment de
l'audience que le Président Mauricio Macri a accordée au policier
inculpé, Luis Chocobar, il y a quelques jours, en en faisant un
objet de communication politique ultra-médiatisé, le gouvernement
avait connaissance des enregistrements de vidéo-surveillance du 8
décembre dernier qui montrent clairement que le policier a abattu un
jeune malfaiteur de La Boca (17 ans) alors qu'il n'était pas en
situation de légitime défense et qu'il n'était ni en service ni
dans sa juridiction territoriale. C'est déjà très grave et
d'autant plus choquant que ce gouvernement et cet homme politique
avaient toujours déclaré qu'ils sanctionneraient les excès de
violence policière, pour établir la confiance entre le peuple et
ses forces de l'ordre et élever le pays à la hauteur des pays
européens auxquels il brûle tant de ressembler depuis le milieu du
XIXème siècle (et même avant).
La
ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich, comme à l'accoutumée
aussi aimable qu'une porte de prison (c'est le cas de le dire), vient
de déclarer très ouvertement, dans une interview à la radio, que
le gouvernement souhaitait modifier la loi relative à la légitime
défense dans un sens plus favorable à la police. Dans le projet
gouvernemental, la charge de la preuve serait renversée en faveur du
policier et le doute lui bénéficierait systématiquement, ce qui
laisserait à l'agent des forces de l'ordre tout loisir de faire
usage de son arme lorsqu'il poursuit un malfaiteur, ce qui met aussi
en danger la vie des simples citoyens qui se trouveraient à portée
de tir dans les alentours des faits. Elle précise que l'affaire
Chocobar n'est pas un cas d'abus de la légitime défense car le
sous-officier aurait agi comme le recommande la doctrine
opérationnelle de sa profession !
Pour
motiver sa vision paranoïaque des choses, la ministre donne pour
exemple les deux cas les plus emblématiques qui soient de violence
policière dans le pays, l'une supposée, l'autre incontestablement
prouvée, les deux scandales qui viennent, tout au long de ces six
derniers mois, de secouer l'Argentine et de la fracturer
profondément, à savoir la noyade, sans doute accidentelle, de
Santiago Maldonado, après une manifestation qui avait tourné à
l'affrontement avec la Gendarmerie, et la mort violente, par balle et
dans le dos, du jeune militant mapuche (ou supposé tel) Rafael
Nahuel (1).
Pour
lever tout ce qui pourrait rester de doute, elle justifie l'audience
que Mauricio Macri a accordée au policier placé sous le régime de
l'inculpation par un magistrat et elle la justifie alors que les
vidéos qui montrent le comportement indéfendable et clairement
illégal (dans l'état du droit) de, cet homme viennent d'être
divulguées. Enfin, elle révèle l'ampleur de son mépris pour le
magistrat instructeur.
Un
cynisme sidérant, tellement en contradiction avec les belles
promesses de la révolution de la joie, selon le joli slogan qui
présidait à la prise de fonction du nouveau président en décembre
2015, quand tant de gens étaient sortis dans la rue pour l'acclamer
sans agressivité envers l'ancienne majorité déchue.
Pour
en savoir plus :
lire
l'entrefilet de Página/12 sur les contradictions du Premier ministre
lire
l'article de La Nación (qui semble avoir un peu de mal à encaisser
les propos de la ministre transformée en harpie)
lie l'article de La Prensa
lie l'article de La Prensa
lire
l'article de Clarín qui reproduit les propos de la ministre
lire
l'analyse de Clarín sur l'ascendant que Patricia Bullrich semble prendre sur
le chef de l'Etat au point de se substituer à lui sur cette affaire
Ajout du 10 février 2018 :
lire cet article de La Prensa sur la position commune du parquet et de la défense de Chocobar qui demandent tous deux un non-lieu au bénéfice du sous-officier qui a fait usage de son arme, tué un délinquant mineur, alors qu'il n'était ni en service ni dans sa juridiction. Que le parquet et la défense s'accordent dans une telle circonstances est scandaleux... Le parquet pourrait au moins, pour ne pas dire qu'il devrait faire mener le dossier jusqu'à la juridiction de jugement, à qui il appartient de droit de prononcer l'acquittement si les faits le permettent.
Ajouts du 12 février 2018 :
lire cet article d'hier dans Clarín où le Premier ministre Marcos Peña soutient, non sans cynisme, le "changement de doctrine" proposée par la titulaire du porte-feuille de la Sécurité
lire aussi, dans Página/12 de ce jour, cette interview approfondie de Adolfo Pérez Esquivel, le prix Nobel de la Paix argentin, qui analyse cette dérive de l'actuel gouvernement auquel il n'était pas d'emblée hostile lorsqu'il a pris ses fonctions en décembre 2015
Ajout du 13 février 2018 :
lire cette analyse d'une sociologue de l'Université Nationale de Quilmes publiée par Página/12
(1)
Et dire que ce gouvernement prétend pouvoir accueillir le Pape
François qui a mis comme condition à sa visite pastorale à son
pays natal la réduction de la division du pays en deux et
l'engagement de la population dans un chemin de réconciliation. Ils
font tout ce qu'ils peuvent depuis le mois d'octobre pour diviser le
pays et provoquer l'opposition au lieu de la respecter ! Estela
de Carlotto, l'une des opposantes les plus en vue, à la tête de
Abuelas de Plaza de Mayo, vient de faire savoir qu'elle serait reçue
jeudi en audience à Rome par le Souverain Pontife qui vient de
recevoir ce week-end le nouveau bureau de la Conférence Episcopale
argentine qui n'a même pas pour l'occasion renouveler l'invitation
officielle à venir visiter le pays.