Ces sans-abri à Buenos Aires affichent un carton qui dit : "Non à l'accord avec le FMI" |
Ce
matin, le journal d'opposition Página/12 a choisi pour gros-titre une célèbre phrase
historique : Si tu vois le futur, dis-lui de ne pas venir. Les
derniers mots de Juan José Castelli, mourant, très jeune, à 48
ans, vaincu par ce qui a été diagnostiqué comme un cancer
fulgurant.
La Nación a choisi de titrer sur l'augmentation de la pauvreté qui atteint désormais 27,3% de la population Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Juan
José Castelli est un des héros de la gauche révolutionnaire. Il
était né en 1764 dans une famille de notables de Buenos Aires. Son
père était un médecin italien, sa mère était issue d'une famille
argentée de long enracinement dans la future argentine. C'était un
juriste. Il fut l'un des idéologues les plus radicaux de la
révolution de Mai 1810. Une sorte de Robespierre de l'Argentine, sans la
Terreur. Il fut aussi en quelque sorte chroniqueur de presse,
écrivant dans le tout premier périodique du Río de la Plata, le
Télegrago Mercantil, fondé à l'initiative de Manuel Belgrano
(1770-1820) (1), son cousin au second degré, qui était alors le
secrétaire de la Corporation des Marchands (consulado real).
Contrairement
à son cousin, Castelli n'a pas vu l'indépendance. Il est mort en
plein processus révolutionnaire, en 1812, avant même la convocation
de l'Assemblée de 1813 qui allait poser les principes des droits de
l'homme en Argentine. C'était un 12 octobre, l'anniversaire de la
découverte du Nouveau Monde par Christophe Colomb.
Le
désespoir de Castelli à l'heure de la mort impressionne beaucoup
nos contemporains car, sur les deux siècles suivants, la politique
argentine s'est acharnée à le justifier : soixante ans de
guerre civile au XIXe
siècle, cinquante ans de coups d'Etat divers et variés au XXe
siècle pour installer des dictatures plutôt brutales dans
l'ensemble et particulièrement sanguinaire en ce qui concerne la
dernière et une invraisemblable séries de crises économiques
jusqu'à celle qui vient d'éclater par le fait d'un gouvernement
passablement cynique, dont de très nombreux ministres gardent leur
fortune (importante) dans des comptes à l'étranger...
Clarín fait presque exactement le même gros-titre en remplaçant le taux de pauvreté par son taux d'augmentation (2%) Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Página/12
utilise donc cette citation célèbre pour illustrer les informations
du jour : une hausse conséquente de la pauvreté dans tout le
pays, un dollar qui a désormais dépassé les 41 pesos avant que
soit mis en place un cours flottant (entre 34 et 44 pesos pour 1
dollar) et le président qui vient d'annoncer que les Argentins
n'avaient encore rien vu ! Comme à chaque fois qu'une décision
financière est annoncée par le gouvernement, la devise nationale
dévisse, ce qui ne tarde pas à entraîner de nouvelles mesures de
rigueur pour la vie quotidienne de la classe moyenne et des
défavorisés.
Pour
aller plus loin sur cette triste actualité :
lire
l'article de Página/12 sur le cours du peso
lire
l'article de Página/12 sur la dernière prise de parole publique du
président Mauricio Macri
lire
l'article de Clarín sur le cours du peso (il est illustré par une
photo montrant un passant photographiant le tableau lumineux d'un
bureau de change annonçant les taux exorbitants atteint par la
devise nationale)
lire
l'article de La Nación sur la paupérisation de la population
argentine
lire
l'article de La Nación sur le cours du peso
Clarín et La Nación expriment des opinions de droite. Les deux quotidiens s'étaient réjouis, et c'est peu dire, de l'élection de l'actuel président.
(1)
Manuel Belgrano (1770-1820), autre héros de la Révolution, plus
important encore et idéologiquement plus nuancé que Castelli, que
l'on honore sous toutes les formes pour son rôle crucial dans la
création du drapeau national et pour son labeur totalement
désintéressé au service de la liberté et du peuple au point que
malgré son grade de général il est mort dans la plus extrême
pauvreté, un modèle éthique auquel les gouvernants du pays, devenu
indépendant, ont très vite tourné le dos.