« Si je te prends
avec un autre, je te tue, je te passe à
tabac et je m’enfuis après », ce
programme amoureux criminel
est celui que Cacho Castaña avait osé décliner dans l’une de ses
chansons. Inutile de vous dire que depuis
hier après-midi, la mort de ce chanteur de
variété machiste, bas de plafond et collectionneur d’épouses de
plus en plus jeunes, mais doté d’une voix agréable, qui lui a
valu de nombreux et surtout de nombreuses fans, ne fait pas
l’unanimité dans les nécrologies et encore moins sur les réseaux
sociaux, où, pas encore enterré, il en prend assez souvent pour son
grade.
Cet
ostrogoth, semblant sorti d’un autre temps, aura tout de même
donné deux chefs-d’œuvre au répertoire du tango chanté :
Café La Humedad, en hommage à un restaurant de quartier qu’il
fréquentait assidûment, et Garganta con arena, en hommage à un
chanteur, génial celui-là, El Polaco Roberto Goyeneche (1). Pour le
reste, il était supporter du Club San Lorenzo de Almagro/Boedo (on
ne choisit pas ses supporters !) et il
avait exercé, pendant quelque temps, comme marabout ubamda, l’une
des religions issues du syncrétisme historique entre les cultes
d’Afrique sub-saharienne et le catholicisme portugais, un rite
qu’il avait contrefait pour donner à l’un de ses nombreux et
très éphémères mariages une touche exotique qui fasse causer dans
les gazettes.
Cacho
Castaña s’est éteint hier, à l’âge de 77 ans, l’organisme
détruit par le tabagisme. A Buenos Aires, je connais l’une de ses
admiratrices que j’aime bien et je pense à son chagrin
aujourd’hui. Le chanteur, très en vogue dans les années 70, avait
renoué avec le succès et son public depuis une dizaine d’années.
Malgré ses dérapages fréquents, dont certains étaient
particulièrement odieux, il remplissait toujours des salles
immenses. Depuis environ dix ans, il était presque aussi souvent
hospitalisé qu’à l’affiche et les derniers temps, il montait
sur scène avec les tuyaux d’une aide respiratoire fixés sur le
visage, manipulé, au dire d’un de ses amis animateur de radio, par
des producteurs sans scrupule désireux de presser le citron jusqu’à
la dernière goutte alors que le chanteur avait perdu beaucoup de ses
moyens (il semblait sous-entendre qu’il n’était plus tout à
fait le maître de ce qu’il disait et faisait).
Cacho
Castaña était retourné en clinique il y a peu pour soigner une
pneumonie qui l’a emporté. La semaine dernière, les médecins ne
cachaient pas leur pessimisme sur son pronostic vital. Son décès
hier n’a donc surpris personne.
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Sa
veillée funéraire, qui a attiré de nombreux visiteurs, artistes,
politiciens et personnalités mondaines, s’est tenue dans l’un
des salons de la Legislatura Porteña qui en avait fait, il y a
plusieurs années, une personnalité marquante de la Ville.
Pour
en savoir plus :
lire
la nécrologie de Página/12, très critique sur les prises de
position machistes et violentes du personnage
lire
l’article de Página/12 sur les réactions des Internautes à
l’hommage Twitter du secrétariat d’État à la culture, alors
que le président Mauricio Macri lui-même vient de balancer une
vanne misogyne et bien vulgaire dans sa campagne électorale,
comparant la politique de ses adversaires péronistes à une femme
qui ferait chauffer sans limite la carte de crédit de son mari (cela
aussi, ça relève le niveau)
lire
la nécrologie de Clarín qui consacre un véritable album en ligne à
l’événement
lire
la nécrologie de La Nación, au titre qui dénote un mépris de
classe qui ne se cache pas : Cacho Castaña, l’essence du
populaire.
(1)
Les deux textes figurent dans mon anthologie Barrio de Tango, recueil
bilingue de tangos argentins, Éditions du Jasmin, 2010.