Dans la presse argentine de ce
matin, la canonisation de la première sainte du
pays hier dans la
basilique Saint-Pierre se
trouve reléguée au
second plan par la rencontre entre le président Mileí,
d’extrême-droite anti-sociale, homophobe, machiste et
anarcho-capitaliste (le mot est de lui), et le pape François,
Argentin et militant pour des politiques d’ouverture morale et de
redistribution sociale, en faveur par conséquent d’un État
qui établisse la
justice économique. Tout ce que Mileí exècre.
C’est pourtant une haute figure
historique (1)
qui a été canonisée hier : Mamá Antula (1730-1799), née
dans une grande famille descendant
d’un consquistador venu
du Pérou pour fonder Santiago del Estero, dans l’actuel nord-ouest
du pays, a relevé en Argentine et dans l’actuel Uruguay la
spiritualité ignatienne disparue après l’expulsion des jésuites
de toutes les terres du roi d’Espagne en 1767. Elle, femme,
renonçante,
bilingue espagnol-quechua, ayant plus d’une fois dû combattre les
réticences de plusieurs évêques que le courage n’étouffait pas,
a réinstauré la pratique des exercices spirituels de saint Ignace,
notamment à Buenos Aires où existe toujours, sur Avenida
Independencia, la maison des Exercices qu’elle a fait bâtir pour y
réunir toute la société coloniale de la ville et de ses environs
dans les retraites qu’elle organisait et animait.
Une maison des Exercices qui a
accueilli pendant plusieurs années tous les révolutionnaires qui
allaient mettre fin à l’Ancien Régime, le 25 mai 1810, et lancer
le processus historique menant à l’indépendance. C’est
elle qui les a formés sur le plan religieux.
"[Ils] s'entendent très bien", dit le gros titre en citant les commentaires du président à la sortie de la messe Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Outre l’indéniable dimension
spirituelle de cette femme exceptionnelle dont la sainteté était
déjà connue et reconnue de son vivant, c’est aussi la figure
prérévolutionnaire sur laquelle les chercheurs se penchent de nos
jours. Son action a en effet été l’un des tout premiers signes de
la distance politique qui grandissait alors entre l’Espagne des
Lumières, grande
puissance impériale, et
la colonie qu’était alors le bassin du Río de la Plata qui
aspirait de plus en plus à la souveraineté des côtes de
l’Atlantique jusqu’au pied des Andes.
Dans les journaux, les
nouvelles singeries (2)
de Javier Mileí (3)
hier matin dans la basilique, imité par sa frangine, dont le speaker
du Vatican a cru qu’elle était sa femme (4),
et quelques autres accompagnants (mais pas tous toutefois),
éclipsent aujourd’hui la figure de la nouvelle sainte.
"Un geste fort entre le pape et Mileí avant leur première rencontre officielle", dit le gros titre Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Serait-il permis, en passant,
d’émettre l’hypothèse, certes saugrenue, je le confesse, que,
comme il s’agit d’une femme et non d’un homme, la presse
argentine a pu aggraver le déséquilibre du traitement qu’elle
entendait réserver d’une part à la cérémonie et ses multiples
significations religieuses et historiques et d’autre part à ces
à-côtés institutionnels, diplomatiques et tout aussi grotesques
que la crise de larmes au pied du Mur des Lamentations la semaine
dernière ?
Il faut croire que le Saint-Siège n’est pas tout à fait l’aise avec tout ce cirque présidentiel au-dessus de la tombe de saint Pierre car son service de communication n’a pas tardé à livrer au public la vidéo des embrassades entre le pape (en fauteuil roulant) et le président avec le son de leur dialogue que les téléspectateurs du direct n’ont pas entendu dimanche matin. On peut clairement y constater que l’initiative de toute cette comédie est venue de Mileí et de lui seul, François ne faisant que lui répondre en y mettant toute la chaleur humaine qu’il montre systématiquement lorsqu’il rencontre quelqu’un qui l’a gravement insulté (et en la matière, Mileí a fait très fort pendant sa campagne électorale avant de changer de braquet d’un seul coup d’un seul après son élection).
Pour aller plus loin :
(1) C’est à ce titre que je me
suis assez longuement étendue sur la vie et l’action de cette
femme dans la biographie que j’ai consacrée à Manuel Belgrano
(1770-2820) aux Éditions
du Jasmin :
Manuel Belgrano,
l’inventeur de l’Argentine.
La nouvelle sainte a joué un rôle certain dans la vie spirituelle
et la formation de la pensée politique et sociale du général qui a
donné à l’Argentine ses frontières nord actuelles (restées
presque à l’identique depuis) et son drapeau national.
(3) Sans parler aujourd’hui du cadeau qu’il a fait au Saint Père à l’occasion des échanges diplomatiques et symboliques qui accompagnent toute visite officielle de chef d’État à chef d’État : le fac-similé d’une lettre historique, un exemplaire de l’édition philatélique de Correo Argentino sortie à l’occasion de la canonisation (tiens donc ! Un service public du courrier, cela sert donc à quelque chose !) et surtout une boîte d’alfajores industriels, à l’avant-veille du Carême en prime ! (Les alfajores sont des petits gâteaux traditionnels argentins, c’est ultra-gourmand mais c’est très commun lorsque ça sort d’une usine : en Argentine, ces produits inondent les magasins des aéroports et des boutiques de souvenirs pour touristes).
(4) Il faut dire qu’en public, tous les deux s’affichent ensemble comme s’ils étaient mariés. Avant-hier, au Colisée, ils ont posé ensemble pour la photo souvenir (et franchement, si vous n’êtes pas au courant qu’ils sont frère et sœur, je vous mets au défi d’y voir autre chose qu’un couple en bonne et due forme). Ce matin, ils ont remis le couvert lors de l’audience pontificale, où ils ont osé poser tous les deux seuls, l’un à la gauche et l’autre à la droite du pape, ce que font traditionnellement les couples présidentiels, princiers et royaux reçus dans le cadre de ce même protocole diplomatique… Inouï ! Elle usurpe la place d’un ministre ou d’un ambassadeur !
Pardon, j’avais oublié : actuellement, c’est le carnaval en Argentine. Ceci expliquerait-il cela ?