lundi 12 février 2024

Santiago del Estero et Rome en fête [Actu]

Le président et sa sœur (derrière lui à sa droite) tentent de se signer
pendant la messe de canonisation
Seul le ministre Francos (à droite) semble savoir le faire correctement
Photo Clarín
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Dans la presse argentine de ce matin, la canonisation de la première sainte du pays hier dans la basilique Saint-Pierre se trouve reléguée au second plan par la rencontre entre le président Mileí, d’extrême-droite anti-sociale, homophobe, machiste et anarcho-capitaliste (le mot est de lui), et le pape François, Argentin et militant pour des politiques d’ouverture morale et de redistribution sociale, en faveur par conséquent d’un État qui établisse la justice économique. Tout ce que Mileí exècre.

"L'électricité en panne. Les factures, non", dit le gros titre
En haut, la photo que toutes les rédactions ont retenue
de la rencontre entre Mileí et le pape en fin de cérémonie
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C’est pourtant une haute figure historique (1) qui a été canonisée hier : Mamá Antula (1730-1799), née dans une grande famille descendant d’un consquistador venu du Pérou pour fonder Santiago del Estero, dans l’actuel nord-ouest du pays, a relevé en Argentine et dans l’actuel Uruguay la spiritualité ignatienne disparue après l’expulsion des jésuites de toutes les terres du roi d’Espagne en 1767. Elle, femme, renonçante, bilingue espagnol-quechua, ayant plus d’une fois dû combattre les réticences de plusieurs évêques que le courage n’étouffait pas, a réinstauré la pratique des exercices spirituels de saint Ignace, notamment à Buenos Aires où existe toujours, sur Avenida Independencia, la maison des Exercices qu’elle a fait bâtir pour y réunir toute la société coloniale de la ville et de ses environs dans les retraites qu’elle organisait et animait.

Photo souvenir : Mileí avec son geste emblématique (très chic, non ?)
à droite, la ministre du "Capital humain"
à gauche, le chef de gouvernement de la Ville de Buenos Aires,
un cousin de Mauricio Macri (digne, lui)
Derrière l'homme au centre, on reconnaît la chevelure blonde
de Karina Mileí, l'inénarrable sœur du président.
Photo Clarín
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Une maison des Exercices qui a accueilli pendant plusieurs années tous les révolutionnaires qui allaient mettre fin à l’Ancien Régime, le 25 mai 1810, et lancer le processus historique menant à l’indépendance. C’est elle qui les a formés sur le plan religieux.

"[Ils] s'entendent très bien", dit le gros titre
en citant les commentaires du président à la sortie de la messe
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Outre l’indéniable dimension spirituelle de cette femme exceptionnelle dont la sainteté était déjà connue et reconnue de son vivant, c’est aussi la figure prérévolutionnaire sur laquelle les chercheurs se penchent de nos jours. Son action a en effet été l’un des tout premiers signes de la distance politique qui grandissait alors entre l’Espagne des Lumières, grande puissance impériale, et la colonie qu’était alors le bassin du Río de la Plata qui aspirait de plus en plus à la souveraineté des côtes de l’Atlantique jusqu’au pied des Andes.

Le gros titre porte sur la politique intérieure :
après l'échec de sa loi au Congrès, Mauricio Macri
tente de s'emparer d'un gouvernement qui ne fonctionne pas
mais il tombe sur un os : Mileí qui ne le laisse pas faire.
En dessous : les photos du grand cirque
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Dans les journaux, les nouvelles singeries (2) de Javier Mileí (3) hier matin dans la basilique, imité par sa frangine, dont le speaker du Vatican a cru qu’elle était sa femme (4), et quelques autres accompagnants (mais pas tous toutefois), éclipsent aujourd’hui la figure de la nouvelle sainte.

"Un geste fort entre le pape et Mileí
avant leur première rencontre officielle", dit le gros titre
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Serait-il permis, en passant, d’émettre l’hypothèse, certes saugrenue, je le confesse, que, comme il s’agit d’une femme et non d’un homme, la presse argentine a pu aggraver le déséquilibre du traitement qu’elle entendait réserver d’une part à la cérémonie et ses multiples significations religieuses et historiques et d’autre part à ces à-côtés institutionnels, diplomatiques et tout aussi grotesques que la crise de larmes au pied du Mur des Lamentations la semaine dernière ?

A nouveau, le ministre Francos (issu du PRO de Macri) est le seul
à se tenir dignement sans faire semblant.
Il est là à titre officiel, pas en qualité de pèlerin
Photo Clarín
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Il faut croire que le Saint-Siège n’est pas tout à fait l’aise avec tout ce cirque présidentiel au-dessus de la tombe de saint Pierre car son service de communication n’a pas tardé à livrer au public la vidéo des embrassades entre le pape (en fauteuil roulant) et le président avec le son de leur dialogue que les téléspectateurs du direct n’ont pas entendu dimanche matin. On peut clairement y constater que l’initiative de toute cette comédie est venue de Mileí et de lui seul, François ne faisant que lui répondre en y mettant toute la chaleur humaine qu’il montre systématiquement lorsqu’il rencontre quelqu’un qui l’a gravement insulté (et en la matière, Mileí a fait très fort pendant sa campagne électorale avant de changer de braquet d’un seul coup d’un seul après son élection).

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

lire l’article de Página/12 (le seul journal à s’intéresser à l’humble petit village où la sainte est née en 1730 et qui hier a fait une des plus belles fêtes de ces trois derniers siècles)
lire l’article principal de La Prensa sur la canonisation (le seul journal à s’y intéresser un tant soit peu, c’est normal : c’est le journal de la « Vieille Argentine », catholique et réactionnaire)
lire l’article principal de Clarín (généreuse galerie de photos en ligne comme d’habitude)
lire l’éditorial (excédé) de La Nación devant ce président éruptif et incohérent, qui laisse en permanence ses émotions prendre le dessus sur toute réaction un tant soit peu réfléchie et responsable.




(1) C’est à ce titre que je me suis assez longuement étendue sur la vie et l’action de cette femme dans la biographie que j’ai consacrée à Manuel Belgrano (1770-2820) aux Éditions du Jasmin : Manuel Belgrano, l’inventeur de l’Argentine. La nouvelle sainte a joué un rôle certain dans la vie spirituelle et la formation de la pensée politique et sociale du général qui a donné à l’Argentine ses frontières nord actuelles (restées presque à l’identique depuis) et son drapeau national.

(2) Après le bazar à Jérusalem pour se faire passer pour un pieux juif observant, voilà maintenant toute la panoplie des génuflexions catholiques et autres signes de croix, sans oublier, à l’intérieur d’une église consacrée, le selfie tête baissée avec ses accompagnants comme aurait fait une bande d’ados dissipés et mal élevés ! Quel manque de dignité pour un chef d’État !
(3) Sans parler aujourd’hui du cadeau qu’il a fait au Saint Père à l’occasion des échanges diplomatiques et symboliques qui accompagnent toute visite officielle de chef d’État à chef d’État : le fac-similé d’une lettre historique, un exemplaire de l’édition philatélique de Correo Argentino sortie à l’occasion de la canonisation (tiens donc ! Un service public du courrier, cela sert donc à quelque chose !) et surtout une boîte d’alfajores industriels, à l’avant-veille du Carême en prime ! (Les alfajores sont des petits gâteaux traditionnels argentins, c’est ultra-gourmand mais c’est très commun lorsque ça sort d’une usine : en Argentine, ces produits inondent les magasins des aéroports et des boutiques de souvenirs pour touristes).
(4) Il faut dire qu’en public, tous les deux s’affichent ensemble comme s’ils étaient mariés. Avant-hier, au Colisée, ils ont posé ensemble pour la photo souvenir (et franchement, si vous n’êtes pas au courant qu’ils sont frère et sœur, je vous mets au défi d’y voir autre chose qu’un couple en bonne et due forme). Ce matin, ils ont remis le couvert lors de l’audience pontificale, où ils ont osé poser tous les deux seuls, l’un à la gauche et l’autre à la droite du pape, ce que font traditionnellement les couples présidentiels, princiers et royaux reçus dans le cadre de ce même protocole diplomatique… Inouï ! Elle usurpe la place d’un ministre ou d’un ambassadeur !
Pardon, j’avais oublié : actuellement, c’est le carnaval en Argentine. Ceci expliquerait-il cela ?