La sœur du président Javier Mileí a choisi la date du 8 mars pour informer le public sur les réseaux sociaux de la présidence du changement de nom d’une salle d’honneur consacrée dans le palais présidentiel au souvenir des femmes qui ont illustré l’histoire de l’Argentine tout au long des deux cents ans de son indépendance : militantes, combattantes révolutionnaires, scientifiques, artistes… le Salón de las Mujeres. C’est là que se tenaient les grandes réunions de négociation, des réceptions officielles pour remise de décoration, des annonces officielles, des conférences de presse sous Cristina Kirchner qui l’avait créé en 2009, à la veille du Bicentenaire.
Macri l’avait transformé en vulgaire open-space pour ses équipes sans toutefois oser toucher aux portraits et au nom du lieu. Cette fois-ci, il est redevenu un open-space pour les équipes de communication de Mileí et en prime, on vient de recouvrir les portraits des femmes par des portraits d’hommes. La pièce s’appelle désormais Salón de los Próceres (ou Salle des Grands Hommes).
Les motifs invoqués pour cette
transformation sont une véritable provocation, volontaire,
méprisante et tout simplement négationniste : le gouvernement
prétend préférer « l’histoire durable » aux
« petites modes passagères », d’autant que bien
entendu, cette dénomination était à ses yeux « discriminatoire
envers les hommes ».
La foule des manifestantes du 8 mars, hier, plaza del Congreso Cliquez sur l'image pour une meilleure résolution |
Dans un ouvrage remarquable, The Road to Unfreedom (traduit en français par Le chemin de la servitude), le grand historien nord-américain Timothy Snyder (Yale University) analyse la manière dont des dirigeants néofascistes comme Poutine et Trump, comme les fous furieux du PIS en Pologne, un énergumène comme Boris Johnson dans un pays pourtant aussi enraciné dans la culture parlementaire que la Grande-Bretagne, un Berlusconi en Italie, un Fico en Slovaquie, peuvent avoir conquis le pouvoir et s’y maintenir : en offrant à leurs concitoyens ce que Snyder appelle la « politique d’éternité », un discours insensé qui présente le pays dans un état idéal, figé à jamais sous une forme qui n’a jamais existé dans la réalité, comme mis à l’abri pour toujours des évolutions de l’histoire. Or ce sont exactement ces mêmes raisonnements que Karina Mileí tient dans son communiqué et sa vidéo d’une minute où elle montre l’installation de la nouvelle décoration, son caprice de nouvelle et caricaturale Marie-Antoinette.
Oui, il est de plus en plus clair que l’Argentine s’achemine bel et bien, hélas, vers un naufrage néo-fasciste. A moins que le peuple puisse résister, comme il semble résolu à le faire. Cependant, ce sera difficile eu égard aux conditions de vie qui lui sont imposées : quand on cherche toute la journée comment remplir les assiettes de la famille, la révolte efficace est assez peu accessible. C’est sans doute ce sur quoi compte celui qui n’est encore qu’un apprenti dictateur et dont le comportement n’est peut-être incohérent qu’en apparence. Comme Trump, peut-être ne cherche-t-il qu’à embrouiller son opposition en la noyant dans un labyrinthe de réactions insensées afin de lui faire perdre toute lucidité, comme le font tous les gourous sectaires de la terre pour soumettre leurs victimes.
Cette annonce intempestive du 8 mars n’a laissé aucun titre de presse indifférent. Même la presse de droite, qui ne portait guère ce Salón de las Mujeres dans son cœur, entraperçoit, surtout au surlendemain d’une spectaculaire innovation constitutionnelle en France, tout ce que le symbole antiféministe de cette nouvelle dénomination entraîne de menaces pour le statut des femmes en Argentine, d’autant que Mileí n’a jamais caché qu’il voulait abroger les lois touchant les mœurs votées ces dix dernières années.
Dans la plupart des journaux, l’affaire occupe plusieurs articles.
Pour aller plus loin :
lire l’article de Página/12 sur le président Carlos Menem, le seul homme politique du 20e siècle qui ait les honneurs de la nouvelle décoration (celui qui a précipité le pays dans la faillite de 2001 est aussi le modèle revendiqué par Mileí et le grand-père du président de la chambre des députés nationale)
lire l’article de Página/12 sur la communication de Karina Mileí
lire l’article de La Prensa sur le sujet
lire l’article de Clarín sur la vidéo de cette Première Dame qui est la sœur du président et non son épous
lire l’article de Clarín sur le changement de nom et les personnalités polémiques choisies pour recouvrir les portraits de femme
lire l’article de La Nación sur la vidéo officielle
lire l’article de La Nación sur la réaction scandalisée et douloureuse de l’ancien président, Alberto Fernández, qui avait réhabilité cette salle et en avait enrichi la décoration.