vendredi 1 mars 2024

L’arbitraire gouvernemental gagne les musées nationaux [Actu]

Le patio du Museo Mitre avec sa statue centrale
Il a fait une grande toilette en 2022
et cela se voit !
Photo Museo Mitre


Le gouvernement de Mileí continue ses manières anti-démocratiques et même anticonstitutionnelles.

Ce soir, à 21h, le président ouvrira la session ordinaire du Congrès, ce qui constitue la énième rupture des usages institutionnels : traditionnellement, le chef de l’État ouvre la session le 1er mars à midi, avec retransmission en direct à la télévision publique et mise à disposition sur une multitude de sites Internet sans parler de la presse du lendemain qui commente le discours, souvent reproduit in extenso. Qui plus est, pour faire « états-unien » comme lors de son investiture, Mileí va aussi utiliser un pupitre, ce qui est une autre rupture symbolique avec les usages. Bien entendu, ce n’est pas là le plus grave.

Le fait de vider de ses agents l’agence pour les handicapés l’est bien davantage. Ces licenciements massifs mettent en danger le soutien matériel aux personnes en situation de handicap. De la même manière, la reconduction sans modification des budgets des universités nationales les mettent elles aussi en danger : avec l’inflation galopante, la somme attribuée l’année dernière permettra juste aux universités de fonctionner jusqu’en mai alors que l’année de fonctionnement s’achève en décembre, hémisphère sud oblige !

Avant-hier, il s’est encore passé autre chose : au cours d’une réunion Zoom, le ministère du Capital Humain, ce bric et broc gouvernemental, a fort cavalièrement annoncé à huit directeurs de musée, et parmi les plus prestigieux, qu’ils étaient révoqués et remplacés immédiatement. Les remplaçants devaient prendre leurs fonction aujourd’hui. Le tout formalisé avec une simple lettre d’une sous-directrice du patrimoine. Or plusieurs de ces musées sont dirigés par des conservateurs, ou plutôt des conservatrices (le détail a son importance), qui avaient été nommées par l’équivalent du conseil des ministres à la suite d’appels à candidature ouverts, dont l’instruction a pour but de garantir leurs compétences professionnelles. Ces révocations sont donc illégales, elles doivent en effet passer par une procédure juridique similaire à celle de la nomination, sous la signature d’un responsable de même niveau.


Les musées concernés sont la maison natale de Sarmiento à San Juan, le palais du général Urquiza dans la province de Entre-Ríos et dans la capitale fédérale, le musée Mitre (où vécut l’homme de lettres devenu à la fois le fondateur de l’histoire en Argentine et un président de la République) et le Museo Nacional de Arte Decorativo. Or il se trouve que, comme par hasard, les remplaçants de ces conservatrices sont des hommes (tiens donc !). Il se trouve aussi, ô surprise, qu’ils n’ont pas de formation muséologique (pour des musées, c’est ballot !). Et pour cause, ce sont des historiens, de plus ou moins bon niveau par ailleurs. C’est que la direction du patrimoine estime désormais que les musées historiques (ce que n’est pas le musée d’art décoratif) ne doivent plus être dirigés par des conservateurs mais par des historiens. C’est encore une de leurs idées faussement disruptives : un musée n’est pas un livre. Conserver une collection ce n’est pas consulter des archives, il faut des compétences particulières (et encore faudrait-il que tous les historiens argentins travaillent sur les archives : il s’en faut, et de loin).

Ce scandale touche l’une des mes amies personnelles, Gabriela Mirande, conservatrice du Museo Mitre, que j’ai connue grâce à mes travaux sur San Martín et Belgrano (le musée conserve en effet l’immense collection de documents historiques rassemblés tout au long de sa vie par Bartolome Mitre qui vécut dans cette belle maison coloniale au cœur de la City portègne, l’une des très rares à exister encore à Buenos Aires). Je ne suis donc pas trop mal placée pour savoir à quel point ces révocations priveraient ces musées de conservatrices de talent !

L’homme nommé pour remplacer Gabriela n’est autre qu’un représentant syndical du musée lui-même contre lequel une de ses collègues avait porté plainte pour mauvais traitement, une plainte que Gabriela avait remontée comme il se devait à son autorité de tutelle, le défunt ministère de la Culture, dont les fonctionnaires ont été écartés dès l’arrivée au pouvoir de Mileí. Or ce syndicaliste est aussi un bon copain d’une des personnes en poste aujourd’hui. Comme par hasard !

Cinq colonnes et une grande photo
à la page 48 de Clarín ce matin
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Toujours est-il que la procédure a déclenché l’intérêt de Clarín et de La Nación hier et je sais de bonne source que les journalistes ont consulté les conservatrices concernées pour faire leurs articles. Certes ces articles n’ont pas les honneurs de la une mais ils figurent bel et bien sur les sites et dans les éditions papier. En revanche, ni hier ni aujourd’hui, on ne trouve rien dans les pages de Página/12 (sans doute parce que ces musées concernent des personnalités que Página/12 vomit de toutes ses forces parce que le journal les classe à droite, dans le libéralisme anglophile honni. Un réflexe aussi stupide qu’anachronique).

Le remue-ménage provoqué hier par ces révocations et soutenue par la presse a obtenu des résultats : il semble que les conservatrices aient pu retrouver leurs fonctions ce matin. Dans ce cas, elles vont rester en place plusieurs mois encore, le temps que le gouvernement procède dans les formes, ce qui prendra nécessairement du temps !

Que Gabriela et ses consœurs trouvent ici l’expression de ma solidarité.

Si le nouveau directeur est la personne que je connais, ce qui s’annonce par ailleurs du côté d’un autre musée, la Manzana de las Luces, ne me dit rien qui vaille non plus.

Heureusement que Mileí a fait livrer deux hélicoptères à l’Ukraine et propose d’organiser cette année un sommet latino-américain autour du plan de paix en dix points de Zelensky (mais il faudra le faire sans Lula et sans AMLO, tous deux profondément poutiniens). C’est peut-être la seule chose à sauver chez ce type qui se rêve en Trump austral... pro-ukrainien. Une incohérence de plus !

© Denise Anne Clavilier


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