mardi 25 mars 2025

Les Argentins se mobilisent contre le négationnisme du gouvernement [Actu]

"Aujourd'hui plus que jamais, jamais plus",
dit le gros titre avec cette mise en page inhabituelle
La photo montre la Plaza de Mayo en perspective
Le grand toit rouge est celui de la cathédrale
Le petit celui du Cabildo, la mairie coloniale,
qui a été le théâtre de la Révolution de Mai 1810
qui a déclenché la marche vers l'indépendance
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Hier, les Argentins fidèles à l’État de droit commémoraient les 49 ans du coup d’État de la dernière dictature militaire (1976-1983) et les milliers de victimes du régime de répression sanglant qui s’en est suivi et qui a toujours des répercutions transgénérationnelles près d’un demi-siècle plus tard. Le 24 mars est un jour férié et de grands défilés sont organisés, tous les ans, un peu partout dans le pays pour rappeler la mémoire des 30 000 disparus et réclamer justice pour eux.

La Fédération nationale de Football s'est associée
au souvenir (réseaux sociaux de la AFA)


Or l’actuel gouvernement nie ouvertement et par tous les moyens possibles la réalité des 30 000 disparus. Il cherche aussi à effacer la mémoire des crimes commis par la Junte, des faits pourtant historiquement attestés et imprescriptibles puisqu’il s’agit de crimes contre l’humanité. Pour se dédouaner, il a prétendu déclassifier des archives « afin d’établir la vérité » mais ces archives ont en fait été déclassées il y a de nombreuses années, sous le mandat de Cristina Kirchner. C’est comme pour les archives de JFK aux États-Unis : en fait, c’était déjà fait !

Une vue de la marche du souvenir en haut
avec ce gros titre négationniste :
"Plus jamais une version déformée des années 70"
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Le gouvernement de Mileí cherche en effet à imposer l’idée d’une « mémoire complète » qui consiste à mettre sur le même plan les crimes commis par le régime, avec tous les moyens de répression d’un État militarisé à l’extrême, et les attentats individuels perpétrés par la guérilla armée contre des personnalités qui servaient le régime, les premiers étant bien entendu beaucoup plus nombreux et systématiques que les seconds. Comme si une telle comparaison avait une quelconque validité en droit comme en histoire.

Le visuel publié par le San Lorenzo de Almagro
le club du pape François


L’actuelle vice-présidente, fille d’un officier ayant servi le régime, voudrait effacer les condamnations des criminels et dans cette majorité incohérente, en manteau d’Arlequin, c’était hier à qui ferait les propositions les plus serviles pour lui complaire. C’est ainsi qu’un député a proposé que le 24 mars cesse d’être un jour férié et un autre que le campus de l’ex-ESMA, ancienne école de la Marine et centre clandestin de détention et de torture transformé en vaste complexe culturel thématique consacré à la justice et aux droits de l’homme sous les auspices de l’UNESCO, soit rendu à l’armée pour servir de centre d’entraînement (en pleine ville, ne l’oublions pas, et dans un quartier où se trouvent déjà les deux casernes des deux régiments historiques du pays, les Patricios, 1er régiment d’infanterie fondé en 1808, et les Grenadiers à cheval, l’équivalent en France de la Garde républicaine, fondé en 1812), tout cela au bénéfice des forces de la défense et des pompiers, sous prétexte que l’existence du centre culturel de l’ex-ESMA diviserait le pays, ce qui est faux. Son existence défrise seulement les adversaires de l’État de droit, des gens ultra-minoritaires, comme le sont les vrais trumpistes aux États-Unis, mais qui veulent faire croire qu’ils sont la voix de la majorité.

"49 ans après le coup d'Etat militaire,
l'opposition s'unit pour une marche massive contre Mileí"
La photo est prise par un drone en légère plongée
Au fond on reconnaît la tour du Cabildo
et l'immense Avenida de Mayo qui file vers le Congrès
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Pour couronner le tout, le gouvernement a choisi cette nuit pour faire retirer du fronton du Centro Cultural Néstor Kirchner l’inscription qui rappelait le nom de l’ancien président de gauche. Au début de son mandat, Mileí l’a en effet fait rebaptiser Palacio Libertad. On reconnaît ici la rage destructrice qui habite aussi Donald Trump et ses complices, cette rage haineuse et vengeresse qui entend dénier leur droit d’exister aux autres, à tous les autres, l’opposition, les « progressistes », la gauche et même, en général, tout ce qui est antérieur à ces dirigeants égotiques et cruels qui veulent croire que le monde commence avec eux... Particulièrement répugnant.

Le visuel publié par le River Plate,
le club le plus chic de la capitale fédérale
L'image comporte les visages de certains disparus
liés à l'histoire du club


Et pourtant, les manifestations d’hier ont été si impressionnantes que même la presse de droite a dû mettre l’info à la Une.

"La marche du 24 mars a été massive
et le gouvernement va déclassifier des archives"
Sur cette autre vue, on reconnaît très bien
le Cabildo et la Avenida de Mayo noire de monde
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Et pour une fois, de très nombreux clubs sportifs n’ont pas hésité à consacrer du temps et de l’argent à la création de visuels originaux qu’ils ont publiés sur leurs réseaux sociaux afin de s’associer à cette journée du Souvenir, de la Vérité et de la Justice. Ils ont consacré temps et argent à faire mémoire de ceux de leurs sociétaires et de leurs joueurs qui ont eux aussi disparu pendant ces sept sinistres années à la fin de la Guerre froide. Depuis des mois, les clubs sont eux aussi dans le collimateur du gouvernement. Celui-ci voudrait en effet les contraindre à abandonner leur statut associatif, qui permet leur rôle social et solidaire de proximité, pour passer à celui de société commerciale et concurrentielle. Or ils s’y refusent catégoriquement, fédération de foot en tête !

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :
lire l’article principal de Página/12
lire l’article de Página/12 sur les clubs (c’est le seul journal à s’y intéresser)
lire l’article de La Prensa sur les manifestations d’hier (le quotidien a publié et continue de publier de nombreux éditoriaux négationnistes en épousant les intentions peu ragoûtantes de la vice-présidente)
lire l’article de La Nación
Les articles de Clarín sur ce sujet sont réservés aux abonnés.


Mise à jour du 28 mars 2025 :
lire ce long article de Cristián Vitale, un journaliste de Página/12 qui écrit le plus souvent sur la culture et notamment la musique, sur la « memoria completa ». Cristián Vitale revient sur deux cents ans de pratique répressive extrajudiciaire de la part des pouvoirs publics en Argentine en remontant au tout début du 19e siècle, avec l’exécution de Manuel Dorrego, un officier fédéraliste (celui qui a donné son nom à la célèbre place du vieux quartier de San Telmo), par un autre officier, unitaire celui-là, que la droite honore encore aujourd’hui (il a lui aussi une place à son nom à côté du Teatro Colón, le rendez-vous de l’élite économique et sociale de la capitale argentine.