mercredi 26 mars 2025

S’en prendre à la mémoire encore et toujours, cette fois, contre Osvaldo Bayer [Actu]

Le titre se passe de traduction !
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Il y a deux ans, la gouverneure de la province de Santa Cruz, Alicia Kirchner, sœur du défunt président Néstor Kirchner et par conséquent belle-sœur de la vice-présidente alors en fonction, Cristina Kirchner, avait inauguré à une trentaine de kilomètres de l’entrée de la capitale provinciale, Río Gallegos, un monument en l’honneur de Osvaldo Bayer, un historien militant qui s’était fait connaître pour son travail sur le mouvement ouvrier en Patagonie et la répression acharnée dont il avait fait l’objet. Son œuvre majeure, Patagonia Rebelde, est devenue une référence sur le sujet.

L'inauguration du monument
On reconnaît clairement Alicia Kirchner sous l'œil gauche du visage


Osvaldo Bayer est décédé en 2018. Tout au long de sa vie, il a affiché ses convictions anarchistes qui ont sans aucun doute marqué son approche historique et il le revendiquait comme tous les historiens qui veulent secouer le discours convenu que tiennent leurs homologues de droite qui dominent encore largement la discipline et l’offre en librairie. En Argentine comme dans le reste de l’Amérique du Sud, l’histoire politique se complaît encore dans une historiographie dépassée, installée dans le paysage par les premiers historiens du pays, en particulier à Bartolomé Mitre (1821-1906) dont l’œuvre est considérée comme un récit incontestable du premier siècle de l’Argentine, un récit qui a été institutionnalisé par la mise en place de l’école obligatoire en 1883 et qui ne parle que des leaders politiques, reléguant le peuple au rang de décor conventionnel. Osvaldo Bayer faisait donc partie de ces trouble-fête qui ont passé leur temps à contester, en revendiquant leurs biais idéologiques, ce discours répétitif et faux, qui fait piètre figure dans le paysage international d’une histoire devenue pluridisciplinaire et fondée sur la critique des sources premières. En tant qu’anarchiste, en tant que citoyen engagé à gauche, en tant qu’historien qui donnait la parole aux prolétaires du pays, Osvaldo Bayer fait partie de ces intellectuels honnies que l’actuel gouvernement voue aux gémonies.

C’est ainsi qu’hier, au lendemain des commémorations liées à la dernière dictature militaire, les services de travaux publics en charge de la voirie nationale ont détruit le monument qui bordait une route. Ils ne l’ont pas démonté. Ils l’ont détruit. A la pelleteuse. Sans avertir ni les autorités locales, qui s’y seraient opposées puisque c’était leur initiative, ni l’artiste qui a réagi publiquement en dénonçant ce manque total de respect pour sa propriété intellectuelle et pour la signification de l’œuvre.


Sous le visage on lit une inscription en espagnol inclusif :
Bienvenue ! Vous entrez sur la terre de la Patagonie rebelle
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La mairie de Río Gallegos a annoncé qu’elle allait reconstituer le monument et le placer ailleurs sur le territoire communal.

Cette destruction agressive est si choquante que pour une fois, Página/12 n’est pas seul à dénoncer les faits. Clarín et La Nación les rapportent également, avec force photos à l’appui !

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :
lire l’article de Página/12, qui en fait sa une
lire l’article de Clarín
lire l’article de La Nación
Bien entendu, de très nombreux quotidiens locaux se font l’écho de l’affaire.