Le 9 mars 1812, arrivait dans le port de Buenos Aires une frégate anglaise, la George Canning, qu'avait armée un comte écossais, James Duff, pour transporter de Londres jusqu'à la capitale des Provinces Unies du Río de la Plata sept jeunes officiers espagnols, qui quittaient le Vieux Continent ravagé par les guerres napoléoniennes pour aller prêter main forte à la révolution qui venait d'éclater en 1810 au sud du Nouveau Monde.
Sur ces sept hommes, six étaient des Espagnols nés dans ces terres coloniales, on disait d'eux qu'ils étaient des criollos mais eux préféraient se dire americanos. Et le sixième était un baron austro-prussien qui avait rejoint en 1808 les forces espagnoles pour lutter contre Napoléon et son envahissante famille.
Le plus gradé de ces officiers était donc un lieutenant-colonel célibataire de 34 ans, né dans une ville des ex-missions jésuites, du côté de l'actuelle Corrientes, et qui avait déjà derrière lui vingt ans passés sous les armes du roi d'Espagne et des états de service brillants, puisqu'il avait reçu la médaille d'or de Bailén. Un truc totalement inconnu en France. Normal : Bailén est la première défaite des armées napoléoniennes, le 19 juillet 1808, dans l'arrière-pays andalou. Vous ne voudriez pas qu'on s'en souvienne, en plus !
Extrait de la Gazeta Ministerial del Gobierno de Buenos Ayres, 13 mars 1812
José de San Martín y Matorras arrivait avec un plan inouï, et secret, pour libérer l'ensemble du sud sous-continental mais le plus inouï de tout, c'est qu'il put le réaliser, presque sans anicroche, en l'espace d'à peine dix ans. Et en ce début de carême 1812, alors qu'il était un parfait inconnu pour tout le monde à Buenos Aires, qu'il avait un accent andalou si fort qu'il faisait douter de sa loyauté à la cause indépendantiste et qu'il n'avait pour prouver la rectitude de ses intentions qu'un article de journal officiel espagnol relatant ses exploits contre les Français le 23 juin 1808, il ne mit qu'une semaine à convaincre le Triumvirat qui conduisait alors la Révolution de lui confier la mission de créer un régiment d'élite qui manquait tant aux insurgés.
Son action en Amérique du Sud allait être aussi fondamenale que le fut celle de Bolivar pour la partie nord du sous-continent. Et un nombre incalculable de rues, places, avenues, centres de loisirs, théâtres, écoles, bibliothèques, universités, villes et villages le rappelle encore et toujours un peu partout en Argentine, mais également au Chili et au Pérou, qu'il contribua si brillamment à libérer du joug colonial, ainsi qu'en Uruguay qui ne saurait être en reste sur ce point comme sur les autres.
L'histoire a fait que ce héros soit venu vivre ses 25 dernières années en Europe et qu'il soit mort en France, le 17 août 1850, dans un port tourné vers l'Angleterre d'où il était parti vers son destin en janvier 1812.
Il y a à peine quelques semaines, à Rosario, l'Argentine célébrait les deux cents ans de son drapeau national et l'autre grand héros et penseur de sa révolution fondatrice, Manuel Belgrano.
Les festivités du Bicentenaire vont se poursuivre ainsi, ponctuellement, au gré du calendrier historique, jusqu'à culminer le 9 juillet 2016, lorsque le pays fêtera les 200 ans de la déclaration solennelle et formelle de son indépendance, qui fut votée dans la ville de Tucumán par le fameux Congrès qui porte ce nom.
Voilà, maintenant vous en savez un peu plus sur la toponymie de Buenos Aires et vous avez une idée de la raison pour laquelle une milonga argentine peut s'appeler la George Canning !
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