Depuis
le début mai et jusqu'au 10 juin 2015, mon prochain livre, Contes
animaliers d'Argentine, est en souscription chez son éditeur, les
Editions du Jasmin, au prix de 12 € frais de port compris.
Il
s'agit d'un recueil de dix-huit contes traditionnels, oraux à
l'origine, de 126 pages, illustré par Jimena Tello, elle-même
Argentine vivant à Buenos Aires où elle enseigne ce métier qu'est
l'illustration.
Dans
cette sélection, le lecteur attentif discernera en filigrane de
nombreux emprunts, plus ou moins marqués, à la culture
précolombienne. En effet et en dépit de ce qu'aurait souhaité la
République Conservatrice (1860-1880) qui a fixé l'image fallacieuse
d'une Argentine blanche et européenne pour installer son autorité
dans les relations internationales, les campagnes argentines se sont
bel et bien métissées au fil du temps depuis l'arrivée des
premiers Espagnols au début du XVIème
siècle dans l'actuel Nord-Ouest du pays. Aujourd'hui, avec la
stabilisation de la démocratie, revenue en 1983, ces peuples
originaires revendiquent leur place dans la Nation. Ces contes sont
là pour témoigner qu'elle n'est pas usurpée, y compris et surtout
sur le plan culturel.
Cet
apport amérindien est évident dans deux contes, où il a été
explicitement identifié comme tel par la philologue Berta Elena
Vidal de Battini. La somme des traditions orales qu'elle a
recueillies au cours des années 40 à 70 dans toute l'Argentine est
devenue aujourd'hui la référence de toutes les études du conte
dans le pays (voir à ce propos ma présentation initiale du 29 avril
2015).
Le
premier des deux vient de Formosa, une province à la frontière du
Paraguay. Je l'ai intitulé Les noces de Corzuela (1). Il montre une
nette influence de l'ethnie coya (ou colla, les deux orthographes
coexistent).
L'autre
est un conte tehuelche de Chubut, intitulé Le renard et les fourmis
(je n'ai pas eu besoin de changer la moindre lettre à ce titre
puisqu'il est construit comme celui d'une fable de La Fontaine. Le
public peut donc l'appréhender à tout âge sans difficulté).
Dans
Les noces de Corzuela, le daguet gris, qui veut marier sa fille, se
comporte à la manière d'un cacique, le chef d'une communauté
colla. Il soumet à des épreuves les prétendants à la main de sa
fille, réduits ici à deux. Par ailleurs, Les noces de Corzuela
semble fusionner deux récits différents, à moins qu'il ne dédouble
des épreuves qui auparavant n'en formaient peut-être qu'une tant il est peu vraisemblable que le tatou puisse être gêné par des raquettes de cactus qu'on lui impose de porter à son insu...
Toujours est-il qu'au-delà de cette double épreuve typiquement
amérindienne (2), la marque précolombienne se retrouve encore à
deux autres endroits :
- d'abord dans l'exigence du daguet qui réclame à son futur gendre la peau entière d'un poulain. Vous avouerez qu'en Europe, la peau entière d'un équidé, ce n'est pas vraiment dans nos traditions ! Or il s'agit bien là d'une offrande qui était jusqu'au XIXème siècle au moins très appréciée chez ces peuples du nord de l'Argentine et de la cordillère des Andes : en effet, de ce cuir, de nombreux peuples précolombiens avaient appris à faire un récipient de forte contenance où ils conservaient et d'où ils distribuaient les boissons et singulièrement l'eau-de-vie dont ils faisaient libation et dont ils s'enivraient au cours de fêtes extatiques qui duraient plusieurs jours (3) ;
- ensuite dans cette flûte que l'un des deux prétendants se taille dans le tibia de l'autre, qui a trouvé la mort au cours de la seconde épreuve (bien fait, c'était un tricheur !). Il est clair que si les Européens avaient conçu cette conclusion, ils auraient imaginé le vainqueur taillant l'instrument dans une canne ou un roseau. Certainement pas dans un os et encore moins s'il provient d'un animal découvert mort sur le chemin.
A
travers ces différents éléments, on voit que ce conte s'est
construit sur un matériau mêlé d'une grande richesse d'influences
croisées.
Dans
Le renard et les fourmis, le premier cherche à s'introduire chez une
fourmi pour la voler mais l'insecte appelle ses congénères pour se
défendre contre cet ennemi géant et va opposer à la ruse
légendaire du renard la puissance de la solidarité de la
fourmilière. C'est en effet toute la communauté qui échafaude puis
met en œuvre sa stratégie contre le renard. Ce conte est d'origine
mapuche. Dès lors que l'on connaît ce détail, il n'est nul besoin
d'être devin pour relire ici l'histoire tragique de ce peuple
refoulé tout au long du XIXème
siècle, de 1829 jusqu'à 1885, dans les terres de plus en plus
hostiles du sud de la Patagonie. Aujourd'hui encore, les Mapuches
sont en lutte contre certaines grandes entreprises internationales
(4) auxquelles dans les années 1990, le gouvernement de Carlos Menem a
concédé, sans aucune contrepartie pour leurs légitimes occupants,
d'incroyables étendues d'un territoire dont jusqu'alors on leur
avait laissé un usufruit tout théorique et qu'ils considèrent
comme des terres sacrées.
Dans
le conte, ce sont les fourmis qui gagnent et je vous laisse découvrir
avec quelle arme du pauvre elles y parviennent. Là encore, la morale
est sauve. Et l'histoire est renversée car dans la réalité, le
peuple mapuche a été si bien combattu par les Blancs qu'il a bien
failli disparaître de la surface de la Terre.
Extrait de Contes animaliers d'Argentine (p 101) avec crédit en sur-impression Cliquez sur l'image pour lire |
Dans
les deux cas, les adultes pourront lire ces contes en voyant en arrière-plan ces réalités ethnologiques sans grande aide extérieure. En revanche, si vous
souhaitez que votre enfant puisse décrypter les sous-entendus, il
vous faudra l'accompagner tout au long de sa lecture pour le premier. Pour le second, le jeune lecteur pourra être laissé seul, pour autant que vous lui
aurez donné cette clé d'interprétation. Dans les deux cas, les
contes peuvent aussi être lus au premier degré, sans arrière-plan, comme deux histoires plutôt
rigolotes et un peu exotiques où le méchant perd à la fin.
Dans
d'autres contes, on trouve encore des traces de métissage. C'est le
cas du conte Le Meilleur ami du chien (Misiones) qui contient une
vision guaranie (m'bya dans leur langue), passablement nostalgique du passé heureux de
cette région lorsqu'elle était placée sous la conduite des
jésuites (dont la présence protégeait les populations autochtones
de l'exploitation asservissante espagnole, qui n'a pas tardé à se
manifester dans ces régions du nord de l'Argentine et de l'actuel
Paraguay dès l'expulsion des jésuites en 1767). Je vous laisse
découvrir qui est ce mystérieux meilleur ami du chien tout en vous
expliquant que le terme de perro (chien) désigne depuis longtemps en
Argentine les Indiens puis tous les sans-grade de la société
d'origine européenne (c'est encore le cas pour les saisonniers
agricoles dans certains domaines dont les patrons s'assoient sur le
droit du travail et en ville, à l'égard de certains bidonvilles).
Et comme toujours en Argentine, le peuple a repris ce vocabulaire à
son compte pour le revendiquer par bravade et avec l'insolence que
mes lecteurs connaissent déjà bien à travers le tango : bien
de abajo (bien d'en dessous) ou nobleza de arrabal (noblesse du
faubourg), etc. (voir mes anthologies de tangos argentins, publiées aux Editions du Jasmin et chez Tarabuste Editions).
C'est
encore le cas de La Guerre des griffes et des piques (Jujuy), dont je
vous ai dit dans mon article initial qu'il figurait sans doute la
Guerra Gaucha, qui s'est faite indifféremment avec des Blancs et des
Indiens. Mais il se pourrait tout aussi bien que ce conte renvoie à la
révolte de Túpac Amaru (dit aussi Túpac Amaru II) dans la seconde
moitié du XVIIIème
siècle, alors qu'au nord, grondait la révolution des Etats-Unis et
que le roi d'Espagne faisait expulser les jésuites de ses royaumes.
Après
une carrière d'officier dans l'armée espagnole, le colonel José
Gabriel Condorcanqui Noguera, marquis de Oropesa (1741-1781), métis
royal descendant du dernier Inca, Túpac Amaru (1545-1572), se mit à
la tête de la dernière grande révolte amérindienne et combattit
jusqu'à la mort le pouvoir colonial, sous le nom de son illustre
ancêtre. L'un des parents maternels de San Martín, le gouverneur
Jeronimo Matorras, fut envoyé dans le Gran Chaco noyer dans le sang
toute velléité d'imiter de près ou de loin cette terrible
rébellion.
Dernier
conte qui présente un net apport amérindien : Les filleuls du
renard (Neuquén). Un conte qui évoque, du côté mapuche, la
tentative des Blancs de répandre l'école dans tout le territoire et
d'y soumettre les peuples originaires à une époque où les
instituteurs avaient mission de leur inculquer la culture européenne
et de les rendre oublieux de leur propre culture, que la République
Conservatrice et pire encore la Generación del Ochenta (1880-1916)
croyaient n'être qu'une simple barbarie (5), à la manière des
Grecs anciens qui méprisaient toute culture non-hellénique (y
compris la culture romaine et ce, jusque très tard dans l'Empire).
A
ces cinq contes, on pourrait sans doute ajouter encore celui que j'ai
choisi pour représenter la province patagonienne de Río Negro, Don
Leoncito, le petit puma qui était déjà presque grand, où la
rencontre entre ce petit gredin de Leoncito avec un certain
"animal-debout"
ressemble bigrement au choc des Amérindiens avec les Blancs et leurs
redoutables armes à feu pendant la Conquête du Désert sous la
conduite du général Julio Argentino Roca (l'équivalent argentin du
général Sheridan aux Etats-Unis. Vous savez ? Celui qui
donnait cette définition ignoble du bon Indien...) (6)
Pour
en savoir plus sur cet univers des peuples originaires en Argentine,
je ne saurais trop vous conseiller deux sources documentaires en
ligne :
la
série réalisée sur le sujet par Canal Encuentro, la chaîne
culturelle et éducative du service public télévisuel argentin, et
disponible en ligne sous forme de très nombreux extraits vidéo
portant sur la vie quotidienne, la musique, les croyances, l'organisation sociale, l'artisanat, les témoignages des grands vieillards témoins ou survivants de la persécution raciste, etc.
et
le site (argentin, hispanophone) de l'Encyclopédie des Sciences et des Techniques en Argentine (Ecyt) de Carlos Eduardo Solivérez, qui
l'anime depuis 2005, d'où est tirée la très belle carte que j'ai
intégrée à cet article.
* * *
Contes
animaliers d'Argentine
est en souscription jusqu'au 10 juin 2015
est en souscription jusqu'au 10 juin 2015
avant sa sortie en librairie à la fin du printemps.
Prix :
12 € frais de port compris,
en offre de lancement.
en offre de lancement.
* * *
Nous pourrons en parler de vive voix aux deux salons du livre où je serai présente d'ici la sortie du recueil, en Ile-de-France (au château de Fontainebleau les 29, 30 et 31 mai puis place St-Sulpice au Marché de la Poésie de Paris à la mi-juin).
Vous
en entendrez parler aussi sur l'antenne de TSF98, le 30 mai à 12h30,
dans l'émission animée par Serge Davy, C'est pas à moi que tu vas
faire écouter ça.
Pour
aller plus loin :
découvrez
la collection Contes d'Orient et d'Occident sur le site des Editions du Jasmin
lisez
les pages consacrées à ce sixième ouvrage sur mon site Internet
lisez
les autres articles de Barrio de Tango, rassemblés sous le mot-clé
Contes A Arg.
Les
articles concernant les peuples originaires dans ce blog ont pour mot-clé PO dans
le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessus.
Et demain, nous entrons dans le long week-end de la fête nationale, fixée en Argentine au 25 mai, date anniversaire de l'abolition de la vice-royauté en 1810.
Et demain, nous entrons dans le long week-end de la fête nationale, fixée en Argentine au 25 mai, date anniversaire de l'abolition de la vice-royauté en 1810.
(1)
Dans Contes animaliers d'Argentine, les titres sont de mon invention,
car les contes traditionnels n'ont pas de titre. Chaque conteur les
désigne selon sa fantaisie, dans les rares occasions où il a besoin
de le faire. Dans un recueil écrit, destiné qui plus est à un
public européen, il est important d'attribuer à ces contes des
titres qui reflètent le contenu du récit, surtout si des enfants
comptent dans le public ciblé par l'ouvrage. J'ai donc remplacé les
titres austères retenus par Berta Elena Vidal de Battini pour
organiser et classer la matière de son étude au profit de titres
dynamiques, émotionnels, imagés, rendant compte d'une histoire avec
un début, un milieu et une fin. Dans la somme de Vidal de Battini
dont je vous ai parlé dans mon premier article et que je cite dans
le préambule, ce conte s'appelle La hija (la fille) de la corzuela,
la corzuela étant un cervidé appelé en français daguet gris, sans
doute parce que les premiers Européens à l'avoir vu l'ont pris pour
un jeune cerf mâle.
(2)
J'ai tâché de conserver, à l'attention des adultes, le caractère
peu logique de cette double épreuve tout en liant le récit pour
fournir une lecture fluide aux enfants qui s'amuseront beaucoup à
voir les deux rivaux disputer une nouvelle épreuve, la première
s'étant terminée en mauvaise blague de l'un contre l'autre.
(3)
Dans San Martín par lui-même et par ses contemporains, j'ai
présenté en anglais et traduit en français un passage des Mémoires
du général William Miller, Anglais d'origine. Avec un talent
presque cinématographique et déjà quasi hollywoodien, il y raconte
la grande négociation de San Martín avec les caciques Pehuenches en
septembre 1816, juste avant le départ de l'Armée des Andes pour la
libération du Chili. Il décrit très précisément les échanges de
cadeaux entre les deux délégations et l'usage que les Indiens font
des chevaux, dont ils sont à la fois d'admirables dresseurs et de
grands consommateurs (San Martín par lui-même et par ses
contemporains, Editions du Jasmin, pp. 64-73). Les Pehuenches, connus sous ce nom aux temps coloniaux et post-coloniaux, sont en fait des Mapuches.
(4)
Il s'agit surtout de Benetton qui a intégré dans son empire jusqu'à
la production de la laine avec laquelle il fabrique ses pulls. Ce
sont des terres particulièrement aptes à l'élevage ovin, comme les
îles Malouines, soit dit en passant ! Las Malvinas son
argentinas, comme le clame le slogan désormais officiel qui
s'affiche dans tous les transports publics argentins, par terre, mer
et ciel.
(5)
Il ne rentre pas dans les limites de cet article d'aborder en
profondeur ce thème essentiel de l'élaboration culturelle argentine
dans la seconde moitié du XIXème
siècle mais l'opposition entre barbarie et civilisation, formulée
par Sarmiento, a été une pierre de fondation de l'organisation
politique du pays et des programmes scolaires, qui s'en remettent à
peine aujourd'hui. Ils sont encore fortement bâti sur l'étude de la
culture européenne et retrouve à peine la capacité de valoriser ce
qui est né et s'est forgé en Amérique, avant et après la conquête
espagnole. Pourtant cette capacité s'était manifestée clairement
dans les projets d'école lancés par les révolutionnaires et les
indépendantistes des années 1810-1820, qu'il s'agisse de Mariano
Moreno et Manuel Belgrano, tous les deux à Buenos Aires, ou de José
de San Martín lorsqu'il était gouverneur de Cuyo, à Mendoza.
(6)
Pour ceux de mes lecteurs qui ne seraient pas très familiers avec
les légendes du Far-West, la célèbre phrase Un bon Indien est un
Indien mort n'a jamais été dite par le major general Custer mais
c'est la reformulation d'une déclaration de son supérieur, le
général Sheridan, qui a mené les guerres indiennes à l'issue de
la Guerre Civile, comme Roca a conduit la Conquête du Désert après
la guerre du Paraguay (où l'Argentine a agrandi son territoire au
détriment de son voisin du nord en 1870).