vendredi 12 février 2010

Le coût de la vie en Argentine évalué avant la rentrée de mars [Actu]

Sur cette une, voir la note 3
C’est le nouveau sujet dont la presse argentine s’occupe beaucoup, après le feuilleton de la Banque Centrale et de son Gouverneur révoqué et démissionnaire (voir mes articles sur cet épisode récent) : le coût de la vie a fortement augmenté dans le pays pendant l’été, alors que la rentrée des classes se profile à l’horizon (début mars).

Le dossier a été ouvert dans les journaux au début de la semaine quand le minimum vieillesse a été revalorisé, conformément à son indexation qui évite aux retraités de voir fondre leurs revenus et de mourir de faim. En l’occurrence, la valeur plancher des pensions de vieillesse a été relevée de 8,21 % et passe donc en mars de 827 à 895 pesos argentins ($) par mois. A cette pension minimale, s’ajoute un petit pécule distribué, sous plafond de ressource, par l’Institut national de services sociaux aux retraités, dit PAMI d’après son slogan (Para una Argentina con Mejores Ingresos, pour une Argentine avec de meilleurs revenus). L’addition des deux fait un revenu de 940,15 $, soit en tout une augmentation de 29,7 %. La grande majorité des retraités couverts par le système national de retraite par répartition servi par l’ANSeS, l’organisme de sécurité sociale du pays, ont droit à l’allocation du PAMI.

Mais que ce pourcentage qui nous paraît mirobolant, à nous, Européens, ne vous trompe pas : pour vivre avec 940,15 $ par mois en Argentine, il faut vivre en ascète.

D’autant que le coût de la vie continue à grimper inexorablement et qu’on observe depuis quelques jours une augmentation très sensible du prix de la viande, en particulier sur le marché en gros du quartier de Liniers. En fonction des différents critères retenus par les statisticiens, le prix de la viande a augmenté entre novembre et févier de 30 à 50%. La Présidente, qui ne peut nier l’évidence (1), a estimé que cette hausse résultait de la conjonction de deux facteurs, de fortes pluies qui, en ravageant plusieurs régions agricoles, ont renchéri la production et une spéculation de nature saisonnière (en été, les commerçants augmenteraient leurs prix pour profiter de la manne touristique). Son explication a fait s’esclaffer le sieur Buzzi, l’un des principaux responsables du puissant secteur agricole, qui a traité les propos présidentiels d’explications tragicomiques. En sa qualité de président de la FAA (fédération agricole argentine), l’un des deux gros acteurs du secteur avec la Sociedad Rural (dite La Rural), Buzzi est aussi un opposant traditionnel du péronisme et un opposant personnel à la politique de Cristina Kirchner, depuis l’arrivée de celle-ci au pouvoir et sa tentative d’imposer des taxes indexables sur les exportations de soja, dont l’expansion de la culture cause toutes sortes de catastrophes économiques, alimentaires, sociales et écologiques du nord au sud du pays.

Or il se trouve que l’on remarque aussi à la pompe une hausse conséquente des carburants (naftas), notamment à Buenos Aires. Cette hausse serait en ce début d’année de 3,8 à 5,3% pour les carburants de haut de gamme et juste un peu moins pour les produits de premier prix. Et il se trouve aussi que les parents d’élèves, qui font actuellement les courses dans les librairies (2), se plaignent que le prix des fournitures scolaires (útiles) ait battu cette année son record de saut en hauteur enregistré l’année dernière. Comme c’est le quotidien La Nación, de l’opposition, qui s’en fait l’écho, l’article peut être lu de deux manières : d’un côté, le journaliste souligne les ratés du Gouvernement incapable de juguler l’inflation, de l’autre il ne donne la parole qu’aux commerçants, lesquels défendent leur politique de prix en accusant le client particulier de se plaindre de manière incohérente : ces parents qui trouvent chers les crayons et les cahiers n’hésitent pourtant pas à dépenser beaucoup plus sur des factures d’Internet haut débit.

Voici sur le sujet une sélection d’articles sur deux jours (mardi 9 et mercredi 10 février 2010) où vous verrez s’exprimer des points de vue politiques différents entre droite et gauche, opposition et majorité.

Lire l’article de Página/12 sur la revalorisation des retraites, avec le jeu de mot intraduisible de d'habitude (3)
Lire l’article de Clarín sur la même question
Voir la vidéo de La Nación sur le sujet
Lire l’article de Página/12 sur le cours de la viande
Lire l’article de Clarín sur l’augmentation des prix
Lire l’article de La Nación sur les cours du carburant et de la viande
Lire l’article de La Nación sur l’augmentation du cartable scolaire moyen
Visiter le site du PAMI
Visiter le site de l’ANSeS

(1) Même son plus fidèle soutien, le truculent ancien camionneur et actuel patron de la CGT, a reconnu que l’inflation était une réalité bien tangible.
(2) En Argentine, les fournitures scolaires sont distribuées par les librairies-papeteries ou les papeteries, généralement des magasins de proximité à petite surface (mais on peut trouver des grandes surfaces dans des zones commerciales, qu’on appelle là-bas les shoppings). On ne trouve pas de rayon papeterie dans les supermarchés. Pas la moindre enveloppe, ni le moins crayon, ni le plus minuscule rouleau de ruban adhésif. On ne trouve en supermarché que de l’alimentation, de la vaisselle, du tout petit électroménager, du linge de table, des produits ménagers et des produits d’hygiène corporelle.
(3) La Une de Página/12 (en illustration) montre une retraitée qui joue aux cartes en annonçant "8 – 21 je paye". Comme vous le constatez, elle a en main un jeu de cartes dit espagnol (un jeu qui compte en tout 48 cartes, réparties en 4 enseignes traditionnelles dont les noms sont non pas pique, coeur, carreau et trèfle, mais espadas, c'est-à-dire épées, copas, c'est-à-dire coupes, oros, c'est à dire écus, et bastos, c'est-à-dire massues). C'est ce qui complique tant la tâche des traducteurs quand un tango fait appel au jeu dans ses métaphores poétiques (Monte Criollo, Barajando, Canchero...). Il existe en Argentine un jeu de cartes très populaire, un jeu de hasard qui donne lieu à des parties ultra-rapides d'une à deux minutes que l'on enchaîne les unes derrières les autres. Cela s'appelle le Siete y Media (sept et demi). Cette dame joue au siete y media, vous le voyez au fait qu'elle cache une carte (ce qui est la règle du jeu : chaque participant montre ses cartes aux autres, sauf une, qui doit rester cachée). Chaque joueur dépose sa mise et une personne, la banca, distribue une carte à chaque joueur, sans la montrer, et tire elle-même une carte. Le joueur pour lequel cette première carte est un habillé (sota, caballo, rey...) a déjà ½ point (d'où le nom de 7 et ½) et peut demander à la banca une autre carte. Tant qu'il reçoit des habillés, il peut encore demander des cartes et chaque habillé lui vaut d'avoir le droit de jouer comme s'il était autant de joueurs qu'il a d'habillés. La banca est la dernière à tirer sa carte et la première à abattre son jeu. Le joueur qui a plus qu'elle sans dépasser la valeur de 7,5 gagne. Celui dont le jeu est supérieur à 7,5 gagne le double de sa mise. Le jeu de notre retraitée se compose d'une carte de 8 oros, une carte de 10, la Sota (valet ou écuyer) de ce qui semble bien être les copas et une carte de 11 points, le caballo (cavalier, comme on dit aux échecs), incontestablement le caballo des espadas. Avec une telle une, comment voulez-vous que les étrangers comprennent quelque chose à Página/12 !