Il y a cent ans, sur les bords de la
Marne, à l'est et au nord de Paris, l'armée française, qui a déjà
dû battre en retraite devant l'avancée impériale et que vient
soutenir l'allié britannique, arrivé avec un corps expéditionnaire
qui laissera beaucoup de morts dans la terre de France, défendait la
capitale avec l'énergie du désespoir pour lui éviter le funeste
sort que venait de subir Bruxelles, occupée, malgré la vaillance de
sa minuscule armée de pays neutre, par des forces allemandes qui ne
respectaient rien ni personne et se comportaient, c'est le cas de le
dire, en pays conquis, faisant régresser, malgré l'institution de
la Croix-Rouge, les pratiques militaires en temps de guerre à ce
qu'elles avaient cessé d'être depuis le milieu du XVIIIe
siècle. En Belgique, l'armée impériale allemande faisait preuve
d'un comportement que, tout juste un siècle plus tôt, après les deux défaites successives de Napoléon, même les troupes d'occupation alliées n'avaient jamais montré dans la France reprise par les Bourbons.
Au premier jour de ce nouvel
affrontement, un lieutenant de réserve, qui était dans le civil un
immense poète, Charles Péguy, meurt au champ d'honneur, le 5 septembre, dans
une opération d'avant-garde, sur le canal de l'Ourcq, pour barrer la
route à l'une des armées allemandes.
Cette longue bataille du 5 au 12
septembre 1914, rendue célèbre chez nous et ailleurs par la
réquisition des taxis parisiens pour emmener au front des troupes
aux uniformes encore atrocement voyants et chatoyants, avait
profondément ému les Argentins et surtout les Portègnes, aux
premières loges des nouvelles.
Eduardo Arolas, surnommé el Tigre du Bandoneón
(1), l'un des tout premiers musiciens professionnels de cet
instrument, en fit un tango. Un magnifique tango. El Marne.
A écouter sur Todo Tango, enregistré par Osvaldo Fresedo et son
orchestre le 27 juin 1980. Et vous pouvez le voir aussi en vidéo
intégrée. Et lire la partition (et même la télécharger en
résolution non imprimable). Et consulter la liste des
enregistrements répertoriés et vue l'exhaustivité de ce site
encyclopédique, il est peu probable qu'une piste leur ait échappé...
Eduardo
Arolas, natif du quartier de Barracas à Buenos Aires, est mort à
Paris, à l'hôpital Bichat, d'un mélange d'alcoolisme et de
tuberculose, dix ans plus tard, le 29 septembre 1924. Il avait
trente-deux ans. Ses cendres ont été rapatriées beaucoup plus
tard. Il repose désormais dans sa cité natale.
Un taxi parisien de 1914 exposé au Musée national des Invalides à Paris |
(1)
ce qu'il faut comprendre comme La bête du bandonéon, le fortiche,
l'as du bandonéon. Sur tous ces détails, je renvoie l'internaute à mon livre paru en mai 2010, Barrio de Tango, recueil bilingue
de tangos argentins, Editions du Jasmin.