mercredi 28 novembre 2012

Interview exclusive : au large de Lima, le général San Martín nous reçoit à bord de la Moctezuma [Histoire]


Reproduction du premier drapeau du Pérou indépendant dessiné par José de San Martín
et qu'il utilisa dès le printemps (austral) 1820.
Il fut remplacé par l'actuel drapeau peu de temps après la fin de premier gouvernement libre.
On y retrouve les principaux symboles du drapeau de l'armée des Andes :
le soleil (qui représente à la fois l'Inca et les lumières des droits de l'homme,
dont San Martín allait faire le symbole de la première décoration péruvienne, l'ordre du Soleil,
qui permettait de ne pas rompre d'un coup avec les conventions auxquelles le pays restait attaché),
les sommets des Andes, la mandorle de lauriers.
Aujourd'hui, le drapeau péruvien comporte toujours les deux mêmes couleurs,
le blanc et le rouge, sous forme de bandes et non plus de triangles,
et le motif central du drapeau solennel a été modifié.
Juliette Laude, illustratrice de plusieurs biographies de la collection Signes de Vie
aux Editions du Jasmin,
a agrégé, sur la couverture de mon livre,
l'actuel drapeau péruvien aux deux autres, le drapeau argentin et le drapeau chilien.


Le 8 septembre 1820, l'Expédition libératrice du Pérou, conduite par José de San Martín, arrivait dans les eaux péruviennes et son chef proclamait aussitôt la liberté du pays, pourtant toujours sous la coupe effective du vice-roi Joaquín de la Pezuela. L'expédition, du seul fait qu'elle se présentait devant les côtes péruviennes, devait sonner la fin de l'Ancien Régime. Une sorte de méthode Coué avant la lettre pour les Péruviens plus que pour San Martín lui-même qui ne se faisait guère d'illusion sur la difficulté de la tâche. A partir de cette proclamation, il data tous les documents adressés aux Péruviens de l'An I de la Liberté du Pérou...

Pendant près d'une année, San Martín allait, avec sa stratégie, dérouter tout le monde en choisissant, au lieu d'attaquer Lima, de se livrer à une véritable guerre psychologique pour discréditer le régime colonial et gagner la majorité des habitants, un petit peuple exploité et opprimé par une riche oligarchie encore plus raciste qu'ailleurs en Amérique latine. Lord Cochrane, le contre-amiral qui commandait la flottille de 24 bâtiments et ne rêvait que d'en découdre avec l'armée légitimiste, estima que cette attitude relevait de la couardise et se mit en devoir de saper la réputation de San Martín auprès des officiers, dont il s'aliéna peu à peu un grand nombre.

Sachant ses forces très inférieures en nombre à celles du vice-roi, conscient du danger que représentait le comportement de son contre-amiral et du peu d'enthousiasme indépendantiste des colons péruviens, même des plus libéraux d'entre eux, San Martín multiplia les va-et-vient le long de la côte pour contraindre l'armée ennemie à s'épuiser en marches et contremarches sur des distances redoutables, tout en effectuant lui-même des incursions à terre où, entouré de petits détachements de grenadiers à cheval, il rencontrait en chair et en os les populations civiles des campagnes.
D'abord terrifiés par la réputation épouvantable que les légitimistes faisaient à San Martín, les Péruviens découvraient peu à peu, à travers les proclamations écrites qui leur parvenaient et sa présence physique ici et là, un général philanthrope, aimable, respectueux de leurs biens et de leurs personnes... Ainsi San Martín favorisait-il les désertions dans l'armée vice-royale et obtenait-il des ralliements qui venaient grossir les rangs révolutionnaires. Assez vite, la ville portuaire de Guayaquil, au nord du Pérou, se déclarait indépendante, ouvrant la voie à la création ultérieure d'un nouvel Etat, l'actuel Equateur. Cette stratégie fit perdre leur latin à tous les acteurs politiques du moment, les lointaines chancelleries européennes tout comme Cochrane et Pezuela, qui y laissa de surcroît sa place, renversé par un coup d'Etat libéral de quelques officiers francs-maçons dont quelques uns étaient prêts à fraterniser avec l'armée libératrice...

Pendant cette longue période d'incertitude, un commandant de la Royal Navy longeait la côte pacifique du nord au sud et du sud au nord, entre El Callao, le port de Lima, et Valparaíso, celui de Santiago, à la tête d'une petite escadre. Le gouvernement de Sa Gracieuse Majesté avait chargé le Comodore Basil Hall de veiller aux intérêts britanniques tant au Chili qu'au Pérou car la Grande-Bretagne entretenait des relations commerciales ambiguës avec les deux capitales, en particulier en vendant des armes aux deux parties. La position du Royaume-Uni -prétendument neutre mais ceci est une autre histoire- donna à l'officier britannique accès à toutes les parties en présence.

Basil Hall était né dix ans après San Martín, en 1788, à Edimbourg, dans une famille de hobereaux écossais. Doué pour l'organisation, la négociation et l'écriture, il fut chargé à plusieurs reprises de missions diplomatiques en Asie d'abord, jusqu'en Chine, dont il nous a rapporté un précieux témoignage, puis en dernier lieu en Amérique du Sud. Sur la fin de sa carrière, en rentrant d'Amérique, il fit une escale à Sainte-Hélène et fut reçu par Napoléon, dont il rapporta les propos dans ses carnets de voyage. De retour dans son pays, désormais retraité de la Marine, il fut ami de son compatriote écossais Walter Scott. Atteint de symptômes neurologiques graves, il mourut à l'hôpital, à Portsmouth, en 1944, sans doute d'une syphilis contractée durant ses voyages au long cours en Asie et en Amérique.

Dans sa mission de protection des sujets de Sa Majesté, cherchant à savoir à quel saint les négociants britanniques installés à Lima devaient se vouer pendant cette guerre larvée, il rencontra à plusieurs reprises San Martín, plus souvent en mer que sur terre, et notamment au cours de l'armistice de l'hiver 1821. Il prenait des notes sur tout ce dont il était témoin et il les publia sous la forme d'un journal de voyage, à Londres, dès 1823. Le livre connut un succès phénoménal et connut plusieurs rééditions, légèrement remaniées, jusque dans les années 1840. Dans la préface de 1840, il déclare avoir été tenté de remanier ses notes de fond en comble pour en faire un essai structuré et didactique mais y avoir renoncé en constatant que ce traitement nuisait à la clarté des propos initiaux. Dans les lignes qui suivent, il est donc possible et même fort probable que nous soyons en présence, à quelques détails près, du récit rédigé dans les heures qui suivirent cette rencontre, en tout cas jusqu'à « but they shall now experience its strength and importance ». La suite ne peut avoir été écrite qu'après coup, sans doute lors de l'élaboration du manuscrit définitif près de 20 ans plus tard (1).


On the 25th of June, I had an interview with General San Martin, on board a little schooner, a yacht of his own, anchored in Callao Roads for the convinience of communicating with the deputies, who, during the armistice, had held their sittings on board a ship in the anchorage. There was little, at first sight, in his appearance to engage the attention; but when he rose up and began to speak, his great superiority over every other person I had seen in South America was sufficiently apparent. He received us in very homely style, on the deck of his vessel, dressed in a surtout coat, and a large fur cap, seated at a table made of a few loose planks laid along the top of two empty casks.
[...]

Le 25 juin [1821], j'eus un entretien avec le général San Martín, à bord d'une petite goélette, un yacht à lui (2), ancré dans les passes du Callao pour communiquer facilement avec les députés qui, durant l'armistice, tenaient leurs quartiers à bord d'un bateau au mouillage. Au premier regard, il n'y avait dans son apparence guère de quoi attirer l'attention mais quand il se leva et se mit à parler, sa grande supériorité sur toutes les autres personnes que j'ai vues en Amérique du Sud était assez visible. Il nous reçut comme chez lui, sur le pont du vaisseau, vêtu d'un pardessus et [coiffé] d'un grand bonnet de fourrure, assis à une table faite de quelques planches libres posées sur deux fûts vides.
[...]
(Traduction Denise Anne Clavilier)

During the first visit I paid to San Martin, several persons came on board his vessel privately, from Lima, to discuss the state of affaires, upon which occasion his views and feelings were distinctly stated; and I saw nothing in his conduct afterward to cast a doubt upon the sincerity with which he then spoke. The contest in Peru, he said, was not of an ordinary description - not a war of conquest and glory, but entirely of opinion; it was a war of new and liberal principles against prejudice, bigotry, and tyranny. "People ask, said San Martin, why I don't march to Lima at once; so I might and instantly would, were it suitable to my views - which it is not. I do not want military renown. I have no ambition to be the conqueror of Peru. I want solely to liberate the country from oppression. Of what use would Lima be to me, if the inhabitants were hostile in political sentiment! How could the cause of Independence be advanced by my holding Lima, or even the whole country, in military possession?- Far different are my views. I wish to have all men thinking with me, and do not choose to advance a step beyond the gradual march of public opinion. The capital is now ripe for declaring its sentiments, and I shall give them the opportunity of doing so in safety. It was in sure expectation of this moment that I have hitherto deferred advancing; and to those who know the full extent of the means which have been put in action, a sufficient explanation is afforded of all the delays that have taken place. I have been gaining indeed, day by day, fresh allies in the hearts of the people, the only certain allies in such a war. In the secondary point of military strength- I have been, from the same causes, equally succesful in augmenting and improving the liberating army; while that of the Spaniards has been wasted by want and desertion. The country has now become sensible of its true interests, and it is right the inhabitants should have the means of expressingwhat they think. Public opinion is an engine newly introduced into this country; the Spaniards, who are utterly incapable of directing it, have prohibited its use; but they shall now experience its strength and importance."

Lors de la première visite que je rendis à San Martín, plusieurs personnes montèrent à bord à titre privé, en provenance de Lima, pour discuter de l'état des affaires. A cette occasion, il fit connaître clairement ses vues et ses sentiments. Et je n'ai rien vu dans sa conduite par la suite de nature à jeter le moindre doute sur la sincérité avec laquelle il nous parla alors (3). La querelle au Pérou, disait-il, n'était pas ordinaire à décrire. Ce n'était pas une guerre de conquête et de gloire mais une guerre entièrement d'opinion. C'était une guerre des idées (4) nouvelles de liberté contre les privilèges, l'intolérance et la tyrannie. Les gens demandent, disait San Martín, pourquoi je ne marche pas sur Lima tout de suite. Je le pourrais et je le ferais à l'instant si cela convenait à mes vues, ce qui n'est pas le cas. Je ne cherche pas la renommée militaire. Je n'ai aucune ambition d'être le conquérant du Pérou. Je ne cherche qu'à libérer le pays de l'oppression. De quelle utilité me serait Lima si les habitants étaient hostiles du point de vue politique ? Comment la cause de l'indépendance pourrait-elle avancer si je tenais Lima et même tout le pays en mon pouvoir militaire ? Mes vues sont tout autres. Je souhaite amener tout le monde à adopter ma pensée et c'est mon choix de ne pas faire un pas plus rapide que l'avancée graduelle de l'opinion publique. La capitale est mûre maintenant pour déclarer son point de vue (5) et je vais lui donner les moyens de le faire en sécurité. C'était dans l'attente de ce moment, dont je ne doutais pas, que j'ai jusqu'à présent sursis à mon avancée. Et pour ceux qui savent tous les moyens qui ont été mis en action, c'est assez expliqué tous les retards pris. J'ai en fait gagné, jour après jour, de nouveaux alliés dans le cœur des gens, les seuls alliés sûrs dans une telle guerre. Sur le point secondaire de la force militaire, j'ai eu, pour les mêmes raisons, tout autant de succès dans l'accroissement et l'amélioration de l'armée de libération tandis que celle des Espagnols a été dévastés par la pénurie et la désertion. J'ai maintenant amené le pays à la raison sur ses propres intérêts et c'est justice que les habitants puissent disposer des moyens d'exprimer ce qu'ils pensent. L'opinion publique est une machine nouvellement introduite dans le pays, les Espagnols, qui ont au plus haut point incapables de la conduire, ont interdit son usage mais ils vont maintenant éprouver sa force et son importance. (6)
(Traduction Denise Anne Clavilier)

On another occasion I heard San Martin explain the peculiar necessity there was for acting in this cautious and, as it were, tardy manner, in revolutionising Peru. Its geogaphical situation had in his opinion, great influence in continuing that state of ignorance so favourable to the mistaken policy of the Spaniards; long after the other country of South America has awakened from their apathy. Buenos Ayres, from its vicinity to the Cape of Good Hope, and the facility of intercourse between it and Europe, had many years before acquired the means of gaining information, which had not yet reached Peru. Chili originally derived her knowledge through Bueunos Ayres,but more recently by direct communication from England and North America. Columbia, although the scene of terrible wars, had the advantage of being near the West Indies and North America; and Mexico was also in constant communication with those places, as well as with Europe. Thus they had all, more or less, enjoyed opportunities of obtaining much useful knowledge, during times little favourable, it is true, to its culture but which did not, indeed could not, prevent its influence from being salutary. Peru, however, was unfortunately cut off by nature from direct communication with the more enlightened countries of the earth, and it was only very recently that the first rays of knowledge had pierced through the clouds of error and superstition which the folly and bigotry, of the government had spread over it; and the people were still not only very ignorant of their own rights, but required time and encouragement to learn how to think justly on the subject. To have taken the capital by a coup-de-main, therefore, would have answered no purpose, but would probably have irritated the people, and induced them to resist the armes of the Patriots, from a misconception of their real intentions.
The gradual progress of intelligence in the other states of South America, said San Martin, has insensibly prepared the people's minds for the Revolution. In Chili and elsewhere, the mine had been silently charged, and the train required only to be touched; - in Peru, where the materials were yet to be prepared, any premature attempt at explosion must have been unsuccessfull.

A une autre occasion, j'ai entendu San Martín expliquer la nécessité particulière qu'il y avait pour employer cette manière prudente et aussi lambine de révolutionner le Pérou. Sa situation géographique avait, à mon avis, une grande influence sur le maintien de cet état d'ignorance si favorable à la politique erronée des Espagnols, bien longtemps après que les autres pays d'Amérique du Sud se soient éveillés de leur apathie. Buenos Aires, à cause de sa proximité avec le Cap de Bonne Espérance et la facilité de ses relations avec l'Europe, avait plusieurs années auparavant acquis les moyens de recueillir des informations qui n'avaient pas encore atteint le Pérou. Le Chili, à l'origine, tira son savoir de Buenos Aires mais plus tard il le fit par des communications directes avec l'Angleterre et l'Amérique du Nord. La Colombie (7), bien qu'elle fût le théâtre de guerres terribles, avait l'avantage d'être près des Caraïbes et de l'Amérique du Nord et le Mexique était aussi en constante communication avec ces lieux autant qu'avec l'Europe. Aussi avaient-ils tous, plus ou moins, profité d'opportunités pour obtenir un savoir fort utile en ces temps peu favorables, il est vrai, à le cultiver (8) mais qui ne put même pas, à la vérité, empêcher son influence d'être salutaire. Le Pérou cependant était malheureusement privé par la nature de toute communication directe avec les pays les plus éclaires de la terre et ce ne fut que sur le tard que les premiers rayons du savoir avaient percé à travers les nuages de l'erreur et de la superstition que la folie et l'intolérance du gouvernement avait répandues partout et les gens étaient encore non seulement très ignorants de leurs propres droits mais avaient besoin de temps et d'encouragement pour apprendre comment penser correctement sur ce sujet (9). Prendre la capitale à la hussarde n'aurait donc servi à rien mais aurait probablement irrité les gens et les aurait induits à résister à l'armée patriote, à cause d'un malentendu sur leurs intentions réelles. Les progrès par degrés de la science (10) dans les autres Etats d'Amérique du Sud, disait San Martín, a insensiblement préparé les esprits des gens à la Révolution. Au Chili et ailleurs, on avait chargé l'explosif en silence et il ne fallait plus que mettre le feu aux poudres. Au Pérou, où il fallait encore préparer le matériel, toute tentative prématurée d'explosion aurait été vouée à l'échec.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

La suite de l'épopée de San Martín au Pérou au prochain épisode...

Source : Biblioteca Nacional de España

Ce titre d'une édition extraordinaire de la Gazette de Lima,
encore sous le régime colonial, est très intéressant.
Pezuela avait accepté la réforme orthographique établie en Espagne
lors de la restauration de Fernando VII, en 1814.
On écrit désormais gaceta, comme aujourd'hui.
A la même époque, à Buenos Aires, on continue d'écrire gazeta,
ne serait-ce que pour dire au roi d'Espagne qu'on a cessé d'être ses sujets.
De l'autre côté, si la constitution en vigueur depuis mars 1820 en Espagne,
qu'on appelle la Pepa, du nom de celui qui la fit voter à Cadix en 1812,
l'éphémère roi Joseph (Pepe) Bonaparte,
a été proclamée au Pérou par le vice-roi à l'arrivée de l'expédition libératrice,
elle est bien évidemment restée lettre morte
et la vie politique et administrative au Pérou n'a pas bougé d'un iota
jusqu'à l'entrée des troupes de San Martín dans la capitale.

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San Martín, à rebours des conquistadors, biographie en français de San Martín, est d'ores et déjà en souscription au prix promotionnel de 14 €, soit 12,5% de réduction sur le prix public.
Le livre paraîtra en décembre et sera alors vendu en librairie au prix officiel de 16 $ (prix inscrit au dos).
Le bon de souscription est téléchargeable et imprimable dans mon article de présentation générale du 23 octobre 2012, intitulé San Martín, à rebours des conquistadors, biographie en souscription.

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Pour aller plus loin :
- Ecouter mon interview d'août 2012 en français, par Magdalena Arnoux, sur Radio Nacional (Radiodifusión Argentina al Exterior).
Elle porte surtout sur les rumeurs concernant l'identité de San Martín car une légende absurde veut que cet homme n'ait pas été le fils de ses parents mais un métis adultérin selon des formules abracadabrantes qui ressemblent beaucoup dans leur processus d'élaboration aux mêmes rumeurs qui traînent sur l'identité de Carlos Gardel. Dans les deux cas, ces bruits ont la vie dure !
- Ecouter mon interview d'août 2012 en espagnol sur la même station.
Le journaliste Leonardo Liberman et moi-même y devisons du San Martín intime et quotidien de l'exil à Paris, entre 1831 et 1850, de son amour pour la musique, les arts, la littérature, de sa profonde amitié avec un personnage flamboyant aujourd'hui oublié mais qui inspira à Alexandre Dumas son personnage du comte de Monte-Cristo, de l'affection du général pour sa fille ainsi que de la ville de Boulogne-sur-Mer où sa vie s'est achevée le 17 août 1850.

Pour en savoir plus, à travers les articles de ce blog, sur la haute figure qu'est José de San Martín en Argentine, cliquez sur son nom dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessus (sous le titre de chaque article).
Pour connaître l'ensemble de mes articles sur ce livre qui sera le troisième que je publie, cliquez sur le mot-clé SnM bio Jasmin, dans le même bloc Pour chercher.
Des raccourcis vers les présentations de chacun de mes livres sont disponibles en partie haute de la Colonne de droite.


(1) Basil Hall a été le premier Britannique à publier ainsi des souvenirs de la guerre d'indépendance sud-américaine et à parler de San Martín. Par la suite,le général William Miller, subalterne de San Martín au Chili puis au Pérou, publia ses Mémoires, qui furent un véritable best-seller à la fin des années 1820 : deux tomes très fidèles à l'action de San Martín, dont l'auteur se rapprocha beaucoup, d'abord pour les besoins de son livre et ensuite pour cultiver l'authentique amitié qui s'était nouée entre eux à cette occasion. Presque au même moment, un commerçant anglais qui avait tenu un comptoir à Santiago entre 1818 et 1823, avait lui aussi écrit des souvenirs fort appréciés en leur temps puis tombés totalement dans l'oubli. Au moment où Basil Hall rééditait pour la quatrième ou cinquième foi son ouvrage, le secrétaire de Lord Cochrane, Thomas Sutcliffe, rédigeait à son tour ses propres souvenirs, pour apporter sa pierre au vain édifice de la réhabilitation judiciaire et politique de son ancien patron, qui se battait toujours pour recouvrer son honneur de citoyen, flétri à tort, disait-il, par une condamnation pénale, et d'ancien amiral de la Royal Navy, qui avait subi une injuste dégradation en 1814. Lors de sa sortie en 1841, l'ouvrage de Sutcliffe, très hostile à San Martín comme on peut s'en douter, provoqua la colère des amis de celui-ci à Buenos Aires. Alors en exil à Paris, avec la dignité dont il ne s'était jamais départi, l'intéressé choisit, quant à lui, d'ignorer superbement ces énièmes "cochraneries"... Une autre série d'ouvrages avait été publiée à Londres, de 1838 à 1843, signée par un certain John Parish Robertson. Dans les années 1850-1880, les historiens de la droite argentine accordèrent beaucoup de crédit à ces six volumes construits de telle manière qu'il est très difficile d'y suivre un vrai fil historique entre anecdotes personnelles et description de célèbres batailles auxquelles on peut douter que l'auteur ait vraiment assisté puisque ce qu'il en dit correspond bien au récit mythique mais aucunement aux rapports militaires qui en furent établis par les protagonistes. Aucun historien d'aujourd'hui ne tiendrait ces pseudo-confidences pour des sources fiables : de toute évidence, ce sont les souvenirs d'un espion qui tâche laborieusement de dissimuler la véritable nature de ses activités en Amérique du Sud et se trompe de manière grossière sur de très nombreux faits biographiques dont il dit pourtant avoir été témoin (l'anecdote du mariage de San Martín ressemble à un gag dans un pastiche de film noir à la Georges Lautner, auquel il ne manquerait que les moues patibulaires de Lino Ventura et Francis Blanche !). En 1844 enfin, un officier de la marine marchande française décida de publier lui aussi une version, cette fois dans la langue de Molière, de cette prestigieuse campagne de libération du Pérou à laquelle, jeune marin d'à peine 20 ans, il avait participé de loin. Il publia son livre à Paris et y fit participer le protagoniste lui-même, qu'il avait alors sous la main, dans son appartement de la rue Neuve Saint-Georges dans le 9ème arrondissement de Paris (actuelle rue Saint-Georges).
(2) La goélette Moctezuma avait été prélevée sur la maigre flotte chilienne par le Directeur suprême, Bernardo O'Higgins, pour offrir à San Martín un peu d'intimité et de tranquillité pendant la campagne, car à l'époque de la marine à voile, où il fallait beaucoup de monde pour la moindre manœuvre, toute embarcation était surpeuplée. Donc plus le bateau était petit, plus on avait de chance d'y trouver un peu de calme. Cochrane n'avait jamais accepté que la Moctezuma ne fût pas directement placée sous son commandement. Un jour, il fit main basse sur des sommes publiques et privées déposées sur des navires accostés au port de El Callao. San Martín, excédé par toute la série d'actes d'indiscipline du lord flibustier, comme il l'appelait, le déclara persona non grata au Pérou et l'obligea à quitter immédiatement les eaux du nouvel Etat. Alors Cochrane vola la Moctezuma et deux autres bâtiments chiliens et partit, de sa propre initiative, porter la guerre aux Espagnols au nord, en Californie, pendant un an.
(3) Basil Hall semble savoir que Cochrane s'est répandu dans la bonne société anglaise en propos contraires dès leur retour à tous deux en Grande-Bretagne, un retour presque simultané.
(4) C'est moi qui traduis principles par idées, pour maintenir le vocabulaire ordinaire de San Martín lui-même dans ses propres écrits. Ici, ses propos ont déjà subi une traduction. Principles est certainement un terme plus exact que ideas dans l'anglais politique de la première moitié du 19ème siècle.
(5) Il faut croire que c'est vrai, puisque Lima se déclarera ville ouverte quelques semaines après cette entrevue, alors que Basil Hall a déjà pu constater à Lima même que les esprits évoluaient à vive allure. En juin, la réputation de San Martín est déjà très bonne dans presque toutes les campagnes et petites villes. Seule la capitale reste inquiète...
(6) L'ensemble de ces propos correspondent aux documents historiques de la même époque qui ne furent publiés qu'après la mort de San Martín, intervenue en 1850, d'abord par un historien chilien puis par plusieurs auteurs argentins, qui se piquaient d'être eux aussi des historiens. La correspondance avec Bernardo O'Higgins et Tomás Guido, et même les échanges écrits avec Cochrane, montrent qu'en effet San Martín tenait ce raisonnement. Ce qui, entre autres caractéristiques, fait de Basil Hall un témoin très exploitable pour cette période.
(7) Il est plus que probable que la Colombie dont parle ici Basil Hall est celle que Bolívar s'efforçait de constituer en agglomérant en un seul pays ce qui est actuellement le Venezuela, la Colombie et une bonne partie de l'Amérique Centrale.
(8) Il s'agit bien de cultiver le savoir. L'expression n'est plus guère en usage de nos jours mais elle était très fréquente jusqu'à la seconde moitié du 19ème siècle. Ici, on sent encore les vestiges littéraires de la fin du siècle précédent, celui des Lumières.
(9) Il suffit pour se rendre compte de la justesse de cette analyse partagée entre Hall et San Martín de regarder le portrait complètement anachronique que fit du Protecteur de la Liberté du Pérou, le peintre officiel de la cour vice-royale, José Gil de Castro, avec une esthétique en retard de trois siècles. Voir à ce sujet mon précédent article intitulé Les carottes (coloniales) sont cuites, d'après le Diario Constitucional de Barcelona.
(10) Intelligence est ici synonyme, me semble-t-il, de savoir en général. Le substantif "science" avait alors le même sens puisqu'il ne s'était pas encore spécialisé dans le seul domaine scientifique.