Ce
portrait de San Martín date de 1827 ou 1829. Il a été
réalisé à Bruxelles.
On l'attribue à
l'artiste bruxellois Jean-Baptiste Madou (1796-1877).
Selon certains
critiques cependant,
il serait en fait l'œuvre du professeur d'art
plastique de Mercedes de San Martín, la fille de José,
et dans ce cas, le père aurait posé pour encourager les
progrès de sa fille.
On sait qu'il détestait poser pour
la postérité mais pour Mercedes, que n'aurait-il pas
fait !
Sur
ce portrait, il est âgé d'une cinquantaine d'années
et il a un visage jeune.
Durant sa vie publique en Amérique,
la presse européenne le présente comme "un
jeune homme",
alors
qu'il avait déjà la quarantaine, et qu'il n'était donc pas plus un jeune homme
qu'il ne le serait aujourd'hui.
Le
tableau original fait partie des collections du Museo Nacional
Histórico de Buenos Aires.
C'est lui que reproduit le billet
argentin de 5 pesos.
C'est lui aussi qui a guidé la conception
de la couverture de San Martín, à rebours des
conquistadors, que l'on doit à l'illustratrice Juliette Laude
et dont déjà plusieurs personnes m'ont fait compliment,
ce qui sera fidèlement rapporté à l'artiste.
Pendant
tout le temps (1814-1816) où José de San Martín aura été
gouverneur de la Province de Cuyo, dont Mendoza était la
capitale, le Cabildo (1) de cette cité, qui appartenait alors
au far-west argentin, a pris de nombreuses initiatives pour défendre
et soutenir ce gouverneur qui avait donné à toute la
Province un dynamisme économique, une cohésion
politique et un prestige qu'elle n'avait jamais connus ni espérés.
Un
jour de 1815, armé des meilleures intentions mais abusé
par toutes les rumeurs qui peuvent courir dans un pays aussi vaste en
pleine tourmente révolutionnaire, le Cabildo empêche San
Martín de prendre quelques mois de repos pour se soigner,
croyant de bonne foi que cette retraite temporaire cache une
intention félone du Gouvernement de Buenos Aires, celle de
l'écarter de la vie publique. San Martín ne parviendra
jamais à leur faire entendre raison et, malade comme un chien,
plutôt que de se retirer malgré tout en semant une
horrible panique parmi ses administrés, il se maintiendra
stoïquement en poste...
Un
autre jour, croyant que le gouverneur prépare le voyage de sa
jeune épouse jusqu'à Buenos Aires où elle
retourne voir sa famille parce qu'il n'a plus assez d'argent pour
subvenir à ses besoins (il donne la moitié de sa solde
au trésor de guerre), le Cabildo se précipite chez lui pour empêcher le départ de Remedios. La ville ne
peut pas accepter que ce mari aimant se sacrifie au point de se
séparer de sa femme. En fait, San Martín s'est résolu
à cette séparation pour pouvoir s'adonner à sa
tâche, sans souffrir la tentation permanente de tout abandonner
pour se consacrer à une vie familiale à laquelle il
aspire de plus en plus.
"Ces
messieurs du Cabildo", comme les appelle San Martín, ont
bien fait de se mêler de ce qui ne les regardait pas : les
époux ont conçu leur fille unique dans les semaines
suivant leur intervention intempestive.
Nous
voici donc à l'automne 1816, l'expédition libératrice
du Chili menée par San Martín se prépare pour décembre, au début de
l'été. De l'autre côté de la Cordilière,
le Chili est retombé aux mains des tenants de l'empire
colonial espagnol en octobre 1814 et vit depuis sous un régime
répressif d'une violence que personne n'a encore jamais vue.
Remedios de Escalada, l'épouse de de San Martín, est
enceinte d'un enfant attendu au mois d'août (2). Il n'y a guère
de raison objective de craindre un départ du gouverneur sinon
à la tête de son expédition, mais un nouveau bruit court. Et notre conseil
municipal de reprendre l'initiative, sans demander l'avis de
l'intéressé (pour lui faire la surprise sans doute), en
adressant au Congrès de Tucumán, la toute nouvelle
assemblée constituante, un placet, comme on dit alors, pour
qu'elle accorde à son héros une promotion militaire à
la hauteur de ses mérites.
A
ces fins, le Cabildo a dû solidement argumenter sa demande, ce
qui fait de ce courrier le rapport le plus complet sur l'action de
San Martín à la tête de la province, avant même que le
succès de ses armes ne vienne valider sa politique et la
transforme en légende pour la postérité.
En
effet, après la victoire de Chacabuco (12 février
1817), de nombreux contemporains ont analysé a posteriori
l'action de San Martín à Mendoza. Mais aucune de ces
réflexions postérieures n'a ni la saveur ni la valeur
ni la force persuasive de ce texte politique d'avril
1816, qui nous prouve que le mythe mendocin de San Martín
colle en tout point à la réalité historique (3).
Cette
fois encore, le Cabildo aura d'ailleurs gain de cause : l'un des
députés de la Province de Cuyo, Juan Martín de
Pueyrredón, qui connaît San Martín depuis 1812
(voir mon article du 9 mars 2012 sur l'arrivée de San Martín
à Buenos Aires, vers la fin des guerres napoléoniennes),
a dû lire avec attention ce rapport élogieux. Elu
Directeur Suprême des Provinces-Unies du Río de la Plata
quelques semaines plus tard, il passe deux jours à Córdoba
avec San Martín et négocie avec lui les conditions de
sa gigantesque expédition. Après sa prise de fonction à
Buenos Aires, sa première décision sera d'élever
San Martín au grade de général-en-chef de
l'Armée des Andes, vaste ensemble de 5 000 hommes, qui libérera
en effet le Chili le 12 février 1817 par la bataille de Chacabuco.
De
son côté, José de San Martín rendra sa
politesse au Cabildo en adressant à Puerreydón un
élogieux rapport sur le patriotisme et la généreuse
participation de la Province de Cuyo à la libération du
Chili (4) pour tenter, une dernière fois, d'obtenir de Buenos
Aires quelque argent pour conduire cette guerre contre les
pro-Espagnols, tandis que la capitale est déjà engagée
dans une guerre civile contre les patriotes uruguayens menés
par José Artigas. Aussi l'exemple de Cuyo n'émouvra
guère Buenos Aires dont les habitants défileront tout
de même dans toute la ville en chantant "On
a gagné" sur
l'air des lampions, lorsqu'ils apprendront la victoire patriote au
Chili dans laquelle ils auront eu si peu de part.
Voici
ce rapport...
Comme
toujours dans Barrio de Tango, j'alterne texte original justifié
à gauche et traduction justifiée à droite.
Oficio
del Cabildo de Mendoza
Mendoza,
24 de abril de 1816
Soberano
Señor: Si dictar leyes sabias para el buen orden social es
digno objeto de la alta consideración de Vuestra Soberanía,
no perder de vista los medios más convenientes para la
seguridad común es igualmente de vuestros soberanos desvelos;
y si bien una y otra atención se disputan la preferencia,
deberá al fin confesarse que la última no deberá
ser segunda en nuestra consideración mientras existen injustos
opositores a la Independencia de la América, pues la ley es
infructuosa si el súbdito se halla sin libertad para
cumplirla. Así desgraciadamente sucedería en cualquier
punto amenazado por el enemigo, si se aprovecha este de un descuido
para hacer cargar las antiguas cadenas a alguna infeliz porción
de los que han tenido la gloria de sacudirlas. La Provincia de Cuyo,
y principalmente su Capital Mendoza, tiene limítrofe al mismo,
que ejercitando su ferocidad en Chile hace sentir a los desdichados
americanos de aquel país el peso de su gobierno, y luego
hubiera acompañadoles en el llanto si la alta Providencia que
protege nuestra causa no hubiera destinado para su Gobernador
Intendente al vigilante activo y celoso Coronel Mayor Don José
de San Martín poco antes de la desgraciada suerte de Chile.
Rapport
du Cabildo de Mendoza
Mendoza,
24 avril 1816
Messire
Souverain
Si
édicter des lois sages pour le bon ordre de la société
est un objet digne de la haute considération de Votre
Souveraineté, ne pas perdre de vue les moyens qui conviennent
le plus à la sécurité de tous fait également
partie de vos souveraines veilles. Quand bien même l'une et
l'autre [de ces deux] attentions se disputeraient la préférence,
il faudra en fin de compte confesser que la dernière ne devra
pas passer au second rang de notre considération tant que
vivent d'iniques opposants à l'Indépendance de
l'Amérique, puisque la loi reste stérile si celui qui
en est sujet n'a pas la liberté de s'y plier. C'est
malheureusement ce qui se passerait en n'importe quel endroit menacé
par l'ennemi si celui-ci profite d'un relâchement [de notre
part] pour charger de nos anciennes chaînes n'importe quelle
malheureuse fraction d'entre ceux-là même qui eurent
l'honneur de les secouer. La Province de Cuyo, et en premier lieu sa
capitale Mendoza, a une frontière avec celui-ci [l'ennemi]
qui, exerçant sa férocité au Chili, fait sentir
aux malheureux Américains de ce pauvre pays le poids de son
gouvernement et il aurait pu se faire que nous ayons eu, à
notre tour, à nous joindre à leurs larmes si la Divine
Providence qui protège notre cause n'avait nommé pour
son Gouverneur le vigilant (5) et zélé Colonel Mayor
(6) Don José de San Martín, peu avant le malheureux
sort que le Chili a trouvé (7).
(Traduction
Denise Anne Clavilier)
Para
obedecer en esta crisis a la imperiosa ley de conservar su
existencia, emigró de aquel país una numerosa multitud
buscando asilo seguro en este. Humeaban todavía las camisas
del fuego mal apagado de la discordia que poco antes había
ardido entre ellos y no tuvo poca parte en su ruina. Las miras
ambiciosas de algunos partidarios se extendían hasta el suelo
que les ofrecía hospedaje generoso. Muchos de sus secuaces
eran los hombres más viciosos, que se habían hecho
memorables por sus excesos inauditos en las convulsiones de Chile; y
en el conjunto de circunstancias tan peligrosas era necesaria
extraordinaria viveza y vigilancia en el Gobernador de la Provincia
para no ser envueltos sus habitantes en los horrores que fundadamente
temían; pero la sagacidad del que dignamente la gobierna supo
calmar sin estrépito tanta inquietud, desarmar al enemigo
doméstico, y expurgar insensiblemente esos hombres
perjudiciales, restableciendo la tranquilidad pública. No paró
aquí su cuidado, y sin más recursos que la generosidad
de estos vecinos se propone la grande empresa de organizar un
Ejército capaz no sólo de defender la Provincia de su
mando, sino también de realizar una expedición que
fundadamente hubiera tenido un feliz resultado auxiliada
oportunamente por el Gobierno Superior.
Pour
obéir, dans une telle crise, à l'impérieuse loi
de conserver sa vie, une multitude nombreuse a émigré
de notre pays pour chercher chez nous un asile sûr (8). Leurs
chemises fumaient encore du feu mal éteint de la discorde qui
avait brûlé parmi eux peu auparavant et qui ne prit pas
une petite part à leur ruine. Les vues ambitieuses de quelques
factieux s'étendaient jusqu'au sol qui leur offrait une
généreuse hospitalité (9). Beaucoup de leurs
suiveurs étaient les plus vicieux des hommes et s'étaient
rendu célèbres par leurs excès inouïs
pendant les convulsions du Chili. Dans une conjonction de
circonstances aussi dangereuses, il fallait au Gouverneur de la
Province une vive intelligence et de la vigilance pour que ses
habitants ne soient pas emportés dans les horreurs qu'ils
craignaient à juste titre mais la sagacité de celui qui
la gouverne en toute dignité (10) sut calmer sans fracas si
grande agitation, désarmer l'ennemi intérieur et
retrancher insensiblement d'au milieu de nous ces hommes pernicieux
pour rétablir la tranquillité publique. Il n'arrêta
pas là ses diligences et sans autre recours que la générosité
de nos citoyens (11), il se propose la grande entreprise d'organiser
une Armée capable non seulement de défendre la Province
qu'il commande mais aussi de réaliser une expédition
qui, opportunément secourue par le Gouvernement Supérieur
(12), ne pourrait manquer de connaître un heureux résultat.
(Traduction
Denise Anne Clavilier)
A
este fin puso en movimiento cuántos resortes son imaginables,
y capaces de llenar sus magnánimas ideas: levanta las tropas
veteranas, que están a sus alcances; pone en rigorosa
disciplina las milicias cívicas, entrando hasta los esclavos
de este gremio sin faltar a la obligación con sus amos, no
dejando de este modo brazos inútiles para un caso forzoso;
apronta todo género de víveres, municiones, caballos,
mulas, monturas, y todo lo demás necesario; dispone con gran
utilidad un laboratorio de pólvora fina; discurre arbitrios
para ahorrar el calzado de las tropas; acopia muchos millares de
varas de tejido de lana, que muy bien preparados en un batán
que ha fomentado, y teñidos a poca costa, servirán para
el vestido de dichas tropas, sin necesidad de hacer los ingentes
gastos que demanda este ramo; ha reconocido todos los caminos y
partes por donde puede oponerse a cualquier hostilidad, o pasar con
seguridad tropas a la otra banda; ha mantenido sin cesar relaciones
con Chile, que le suministran las noticias más conducentes al
estado de aquella plaza. Finalmente, sin gravar demasiado vuestra
soberana atención, no es posible dar cabal idea de todas sus
disposiciones, de los grandes costos impendidos en aprestos de
guerra, y de los arbitrios económicos proyectados para llevar
adelante tan grande empresa sin más recursos que las escasas
entradas del erario (casi aniquilado por la cesación del
comercio de Chile) y las erogaciones con que estos vecinos han
correspondido a los heroicos empeños de su Gobernador.
A
cette fin (13), il mit en mouvement tous les ressorts imaginables et
capables d'assouvir ses magnanimes idées : il lève
les troupes aguerries au combat qui sont à sa portée,
il forme en corps rigoureusement disciplinés les milices
civiles, y faisant entrer même les esclaves bons pour le
service sans manquer à ses obligations envers leurs maîtres,
ne laissant ainsi aucun bras inutile en cas de force majeure (14), il
constitue des réserves de toutes sortes de victuailles,
munitions, chevaux, mules, montures et tout l'indispensable, il met
en œuvre de la plus utile des manières un laboratoire de
poudre, il invente toute sorte de moyens pour épargner le
chaussage de la troupe, il fait rassembler des milliers d'empans (15)
de laine tissée qui, bien foulés dans un moulin qu'il a
fait bâtir et teintés à peu de frais, serviront à
la vêture de ces troupes, sans qu'il soit besoin d'y faire les
gigantesques dépenses qu'exige ce domaine, il a reconnu tous
les chemins et lieux par lesquels il serait possible de résister
à quelque agression que ce soit ou faire passer des troupes de
l'autre côté et de façon sûre (16), il a
maintenu sans interruption des relations avec le Chili, qui lui
fournissent les nouvelles les plus pertinentes sur l'état dans
lequel se trouve cette place (17). Pour finir, sans trop grever votre
souveraine attention, il n'est pas possible de donner une idée
qui fasse justice à toutes ses dispositions, aux grandes
dépenses des préparatifs de guerre et aux moyens
économiques imaginés pour mener à bon terme une
si grande entreprise sans plus de ressources que les pauvres recettes
du trésor public, presque épuisé par
l'interruption du commerce avec le Chili (18), et les dons par
lesquels nos citoyens ont répondu aux héroïques
efforts de leur Gouverneur.
(Traduction
Denise Anne Clavilier)
Mendoza,
que ama su libertad y tiene a la vista la eficacia con que tan digno
jefe vela incesantemente por ella, no puede mostrarse indiferente en
cualquier evento capaz de separarlo del mando de la Provincia y de
las tropas debidas a su celo infatigable. Una alteración
general es ordinario efecto de cualquier noticia, aunque infundada,
de promoción o renuncia, y la que sin mérito corrió
estos dias, obligó al Síndico de la Ciudad a
representar la necesidad de pedir a esta Municipalidad, no sólo
su continuación en el Gobierno, sino también el título
de General de este Ejército, de un modo terminante y
obligatorio. El pueblo se considera con justo derecho para pedir esta
gracia, sobre mérito al digno Jefe, y el interés es
trascendental a todas las Provincias Unidas.
Mendoza,
qui aime sa liberté et garde sous les yeux l'efficacité
avec laquelle un si digne chef se refuse constamment pour elle au
sommeil, ne peut se montrer indifférente à quelque
événement capable de l'éloigner du commandement
de la Province et des troupes que nous devons à son zèle
infatigable. Un trouble général suit ordinairement
n'importe quelle nouvelle, tout infondée qu'elle est, de
promotion ou de démission, et celle qui, sans raison, a couru
ces jours derniers, a obligé le Prévôt de la
Ville à réclamer à notre Municipalité non
seulement son maintien au Gouvernorat mais aussi le titre de Général
de cette Armée, d'une manière définitive et
incontestable. Le peuple se considère justifié en droit
à réclamer cette grâce (19), que mérite ce
digne Chef, qui intéresse d'une manière transcendante
toutes les Provinces Unies.
(Traduction
Denise Anne Clavilier)
Cuando
el haberse distinguido esta ciudad y toda la Provincia desde el
principio de nuestra regeneración política en la
prestación de auxilios y unión, que otras han faltado,
no la hiciera recomendable, es sobrado título para fundar su
súplica, la generosidad con que ha suplido el déficit
del erario para los grandes costos impendidos en el sostén de
las tropas y acopios para la expedición cuyo generalato quiere
se encomiende al nominado Jefe. El mérito de este, sin ocurrir
al contraído en otros puntos, se ha dibujado, aunque en
bosquejo, dando una ligera idea del celo, actividad, y eficacia con
que se ha comportado en este cuya defensa es tan interesante al
Estado, y padecería sin duda un contraste incalculable al
momento que falte dicho Jefe. Él tiene adelantados, como queda
dicho, los reconocimientos de terrenos y caminos, las relaciones con
Chile tan necesarias, la estimación y confianza de la
Provincia y tropas existentes, y finalmente tocados muchos resortes
para la posible economía en los gastos. Todos estos pasos,
siento los más necesarios para el feliz logro de la empresa, no
podrá otro, sin haberlos dado, desempeñarla con buen
efecto. La confianza y amor de las tropas, y pueblos, de quienes
penden los auxilios, dan frecuentemente las victorias. Estando pues
decididos unos y otros por el Jefe que reclaman, no debe aventurarse
un resultado que si es desgraciado para esta Provincia lo será
para todas las demás unidas.
Quand
la distinction dont cette ville et toute la Province l'a honoré
depuis le début de notre régénération
politique dans la prestation des secours et de l'union qui a manqué
à d'autres provinces ne serait pas une recommandation
[suffisante], [la ville et la Province] ont abondance de raisons pour
fonder ce placet sur la générosité avec laquelle
il a remédié au déficit du trésor public
dans les grandes dépenses liées au soutien des troupes
et à leur approvisionnement pour l'expédition dont
elles veulent que le généralat soit attribué au
susdit Chef. Le mérite de celui-ci, sans parler des
obligations contractées en d'autres points, a été
[ici] dessiné, ou plutôt tout juste esquissé,
lorsque nous avons donné une infime idée du zèle,
de l'activité et de l'efficacité avec laquelle il s'est
comporté ici, [une région] dont la défense
importe tant à l'Etat et qui souffrirait incontestablement un
revers incalculable au moment où ce Chef viendrait à
lui faire défaut. Comme cela a été dit plus
haut, il a réalisé à l'avance les travaux de
reconnaissance des terrains et des chemins, [tenu] les relations si
indispensables avec le Chili, [gagné] l'estime et la confiance
de la Province et des troupes existantes, et finalement [il a activé]
de nombreux ressorts de l'économie possible dans ces dépenses.
Toutes ces mesures, qui sont les plus indispensables pour l'heureuse
issue de cette entreprise, aucun autre [que lui] n'aurait pu la mener
à bonne fin, à moins que tout ne lui soit tombé
du ciel entre les mains. La confiance et l'amour des troupes et des
peuples, desquels dépendant les secours, c'est ce qui donne
souvent la victoire. Les uns et les autres étant décidés pour le Chef qu'ils réclament, il ne faut pas aventurer un
résultat qui, s'il est malheureux pour cette Province, le sera
pour toutes les autres [Provinces] unies.
(Traduction
Denise Anne Clavilier)
La
fuerza de estas reflexiones, y el deseo de tranquilizar un pueblo
benemérito, no son de poca importancia para que el Cabildo que
lo representa se desentienda del cumplimiento de su deber. Por eso,
este faltaría criminalmente al suyo si omitiera elevar a la
alta consideración de Vuestra Soberanía la explicada
súplica de Mendoza representada por su Síndico, para
que cuando tenga a bien tratar de los medios conducentes a la defensa
de las Provincias Unidas, y estabilidad de nuestra Independencia, se
digne tocar como una incidencia la pretensión de dicho Síndico
a fin de que por medio de las disposiciones que juzgue más
convenientes, tenga el efecto deseado. Así consultará
Vuestra Soberanía el bien común de las Provincias, y en
particular de esta, que se tendrá por la más infeliz,
si desmerece vuestra soberana dignación, teniendo en tal caso
como segura su ruina, y tributará eternamente el más
respetuoso reconocimiento si logra el cumplimiento de su deseo.
Dios
guarde a Vuestra Soberanía muchos años.
La
force de ces réflexions et le désir de tranquilliser un
peuple fort méritant sont de si grande importance que le
Cabildo, qui vous en fait part, ne saurait se détourner
d'accomplir son devoir. Pour ces raisons, il manquerait
criminellement à celui-ci en omettant d'élever à
la haute considération de Votre Souveraineté le placet
argumenté de Mendoza, présenté par son Prévôt,
pour que, quand Elle aura à traiter comme il convient les
moyens propices à la défense des Provinces Unies et la
stabilité de notre Indépendance (20), Elle daigne
regarder comme une incidence la prière de ce Prévôt
afin que, par les dispositions qu'Elle jugera les plus convenables,
[cette prière] reçoive l'effet souhaité. De
cette sorte, Votre Souveraineté examinera le bien commun des
Provinces et en particulier de celle-ci, qui se tiendra pour la plus
malheureuse si elle ne reçoit pas l'approbation de Votre
Souveraineté, tenant en tel cas sa ruine pour certaine, mais
Lui vouera éternellement la plus respectueuse reconnaissance
si elle obtient que son souhait soit exaucé.
Dieu
garde Votre Souveraineté de longues années.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Ce
texte a été publié, entre autres, dans San
Martín, el político I, Editions UNSAM (Universidad
Nacional de General San Martín), 2008, sélection et
commentaires de Felipe Pigna.
Cette
anthologie historique se présente comme le premier livre d'une
série dont le autres volumes ne sont toujours pas paru.
Plaque commémorative en style mendocin de l'ancien Cabildo. Photo Anitich
San
Martín, à rebours des conquistadors
Denise
Anne CLAVILIER
Editions
du Jasmin (www.editions-du-jasmin.com)
216
pages, format 15x18 cm.
Souscription
jusqu'au 4 décembre 2012 à 14 €,
au lieu de
16 €, prix public à parution (21).
* *
* *
Pour
lire le premier article sur cette biographie, cliquez sur le lien ou
cliquez sur la couverture du livre affichée dans la Colonne de
droite (il est possible qu'à partir du 4 décembre, je
modifie le lien et mette un renvoi à l'ensemble des articles
sur le livre. Je ne me suis pas encore fait de religion en la
matière)
Pour
lire l'ensemble des articles de ce blog concernant San Martín,
à rebours des conquistadors, cliquez sur le lien ou sur le
mot-clé SnM bio Jasmin, dans le bloc Pour chercher, para
buscar, to search, ci-dessus.
Le
mot-clé San Martin rassemble, pour sa part, tous mes articles sur le
personnage historique, que l'article soit ou non écrit en lien
avec mon ouvrage.
Pour aller plus loin (en son mp3) :
Pour aller plus loin (en son mp3) :
-
Ecouter mon interview d'août 2012 en français, par
Magdalena Arnoux, sur Radio Nacional (Radiodifusión
Argentina al Exterior).
Les 12 minutes de cette partie de notre entretien portent surtout sur les rumeurs concernant l'identité de San
Martín, rumeurs relancées récemment par des auteurs qui se servent du scandale pour engranger des droits d'auteurs et les éditeurs itou.
-
Ecouter mon interview d'août 2012 en espagnol sur la même
station.
Le
journaliste Leonardo Liberman m'y fait parler du San Martín
intime et quotidien de l'exil à Paris, entre 1831 et 1850.
Nous nous y entretenons de l'amour qu'il avait pour la musique, les arts, la
littérature, de sa profonde amitié pour le financier
hispano-français Aguado, modèle du personnage du comte de
Monte-Cristo pour A. Dumas père, de l'affection qui l'unissait à sa
fille unique ainsi que de la ville de Boulogne-sur-Mer où il s'est éteint le 17 août 1850 dans sa soixante-treizième année.
(1)
Cabildo (le chapitre, la tête): conseil municipal d'Ancien Régime. L'institution qui survécut un temps à la Révolution
de Mai 1810. On appelle aussi Cabildo le bâtiment qui abritait
l'ensemble des services administratifs d'une ville (tribunal, prison,
trésor public, conseil municipal...). Celui de Mendoza a
été détruit par un tremblement de terre en 1861,
qui a aussi mis à bas la maison de campagne de San Martín.
Mercedes, qui vivait alors à Paris, a vendu les restes de la maison et le domaine agricole qui y était
attaché. Les autorités provinciales ont fait
reconstituer cette maison rurale typique de la région, pour
d'évidentes raisons historiques et touristiques.
(2)
En souvenir de cette naissance, le 24 août 1816, à
Mendoza, la fête des pères se tient à cette date.
(3)
Quelques repères historiques : San Martín est
gouverneur de Cuyo depuis août 1814, alors qu'on a appris en
Amérique du Sud la première abdication de Napoléon,
la fin définitive de la Révolution
française, la restauration des dynasties d'ancien régime
en France, en Espagne et au Portugal. Aussitôt rentré à Madrid, le roi d'Espagne a fait tuer ou emprisonner les
libéraux (comme San Martín) qui avaient combattu l'occupant français en son
nom, il annonce urbi et orbi qu'il prépare une expédition
punitive contre les insurgés d'Amérique. Le retour du
Chili aux mains des pro-Espagnols est donc de très mauvais
augure pour l'ensemble du continent. L'expédition que San
Martín organise pour libérer le Chili est donc capitale pour les habitants qui vivent aux pieds
des Andes et craignent à tout moment de voir débouler
sur eux les soudards coloniaux.
(4) Et ce n'était pas un simple retour d'ascenseur, si on
m'autorise cette image anachronique. Les mêmes éloges du
patriotisme des Cuyains et de leurs privations pour la cause de la
Liberté de l'Amérique se retrouvent dans la
correspondance privée de San Martín de ces années-là.
(5)
Vigilant : ici, "qui veille sans cesse", "qui ne dort pas". On savait
déjà que San Martín travaillait jour et nuit, ne
s'accordant que quelques heures de sommeil la nuit, à une
époque où travailler à la lueur d'une bougie était un calvaire, et une heure l'après-midi. L'austérité
de cette vie est un des facteurs qui avaient poussé le Cabildo
à s'opposer au mois de novembre précédent au
départ de Remedios pour Buenos Aires. La présence de sa
femme était le seul réconfort du gouverneur dans son immense labeur.
(6)
Colonel Mayor : grade correspondant au premier niveau de
généralat aujourd'hui dans l'armée française.
C'est un super-colonel.
(7)
Allusion à la défaite (révolutionnaire) de
Cancha Rayada, intervenue le 2 octobre 1814, du fait de la division
politique des patriotes chiliens entre deux factions, le parti de
Bernardo O'Higgins et celui des frères Carrera. Les Carrera,
une fois réfugiés du côté oriental des
Andes, n'ont pas cessé de fomenter le trouble, ce qui finit par les conduire tous les trois, à quelques mois d'intervalle,
devant un peloton d'exécution dans une Mendoza excédée
par leurs complots incessants contre la vie de San Martín,
trop proche à leurs yeux de leur ennemi O'Higgins qui récupéra
le pouvoir à Santiago en février 1817.
(8)
Les réfugiés étaient environ 2 000 (il est
possible, sans être certain, que seuls les hommes aient été
recensés, sans les femmes et les enfants). 2 000 personnes de
plus était un chiffre considérable pour une Province
très peu peuplée, pauvre et terriblement enclavée
comme Cuyo, d'autant plus que ce flux se concentra à Mendoza, la
zone la plus proche de la frontière. Ces réfugiés
avaient traversé à la fin de l'hiver cette chaîne
de montagne à côté de laquelle le Mont-Blanc fait
penser à la colline de Montmartre. Cela nous donne une idée
du péril qu'ils fuyaient.
(9)
Le ton du Cabildo laisse déjà présager le sort
funeste qui attend les Carrera dans cette ville. Dès les
premiers jours de la présence chilienne à Mendoza, San
Martín avait repéré le caractère
séditieux de ces trois frères et des 200 soldats
rescapés du désastre qui les suivaient. Il avait
expédié ces hommes discrètement à Buenos
Aires, en avertissant bien clairement le Directeur Suprême des
raisons pour lesquelles il les éloignait de sa Province. Les
Carrera, qui appartenaient au patriciat de Santiago, poursuivaient
une politique radicale hostile aux classes possédantes et
tendant à une espèce de pré-dictature du
prolétariat. Or les élus du Cabildo sont tous membres
de la classe possédante par définition puisque les
non-possédants n'ont pas encore acquis le droit de vote en
Amérique du Sud. Ceci précisé, à
Mendoza le peuple dansa lui aussi sur la fosse des Carrera, en gage de fidélité
à San Martín et O'Higgins. Il existait encore à
ce moment-là dans la province, grâce à la
politique de San Martín, une union sacrée entre les
classes sociales sur les grands enjeux politiques de la révolution.
(10)
dignamente doit s'entendre ici comme "il
est digne de gouverner", "il
est à la hauteur des enjeux", et non pas dans le
sens du comportement public solennel tel qu'on l'attend d'une
personnalité en vue, comme lorsqu'on a pu reprocher à
Sarkozy ou Berlusconi de "manquer
de dignité"
dans l'exercice de leur fonction.
(11)
Le vocabulaire distingue encore habitantes (habitants) et vecinos
(propriétaires fonciers disposant du droit de vote).
Aujourd'hui, en Argentine, le terme vecino désigne l'habitant
d'une collectivité locale (Province ou ville). La traduction
"voisin"
est valide en Espagne mais certainement pas en Argentine. Ici, notez
que le Cabildo cite donc les gens fortunés, qui ont en effet
beaucoup contribué au trésor de guerre de San Martín,
souvent avec beaucoup d'originalité et d'imagination, mais ce
faisant, il loue ses propres électeurs ! Comme quoi, il n'y a rien de nouveau sous le soleil...
(12)
Gobierno Superior : un des titres qui désignaient le
gouvernement de Buenos Aires.
(13)
Notez la rédaction au présent (pour forcer la main des
constituants) alors que l'armée en question est déjà
plus que bien organisée. Elle n'est pas encore en état
de combattre mais elle est bien là. Les gens croisent tous les
jours ces 5 000 soldats déjà instruits et presque tous
déjà vêtus d'un uniforme réglementaire
parfaitement identifié. Toutes les familles de Mendoza, quel
que soit leur niveau social, ont des hommes mobilisés dans
cette armée monstrueuse pour la démographie américaine
de ce temps-là. On est à la veille du D-Day du 19ème
siècle.
(14)
L'intérêt de San Martín pour la capacité
des Africains en matière militaire a stupéfié
ses contemporains, comme on le voit ici. Ils étaient persuadés que ces
hommes qui avaient été vaincus par les négriers,
des civils aidés par des brigands, n'étaient pas
capables de bien se battre. San Martín a prouvé le
contraire dès la victoire de San Lorenzo en février
1813 et a toujours maintenu l'anti-racisme de son discours et de son
attitude, ce qui constitue une de ses nombreuses originalités
parmi les généraux des guerres révolutionnaires,
depuis 1776 à Boston jusqu'à 1830, lorsque
l'indépendance de l'Uruguay, de la Belgique et de la Grèce
clôt ce grand mouvement historique, dont le point culminant fut l'été 1789.
(15)
Mesure de longueur d'ancien régime (entre 8 et 10 cm selon les
régions. L'empan correspond à l'amplitude maximale entre pouce et auriculaire d'une main adulte moyenne).
(16)
Ce rapport est un des documents qui attestent que San Martín
est allé lui-même dans la montagne faire ses propres
repérages. Il recommencera encore en juin, au début de
l'hiver, pour parcourir le chemin dans les pires conditions
météorologiques, des conditions qu'il n'a pas la
moindre intention d'imposer à son armée. Il compte
encore que l'expédition partira au début de l'été, aux premiers jours de décembre, au dernier délai. Elle partira en fait le 15
janvier.
(17)
Grâce à un réseau d'espions, qui étaient
commerçants, ecclésiastiques, truands (qui se
rachetaient une conduite) ainsi que, semble-t-il, quelques femmes de
la bonne société. Ces espions envoyaient des rapports
rédigés à l'encre sympathique et signés
d'un simple matricule en trois chiffres. Version sud-américaine d'un grand classique cinématographique ! "My
name is Bond"... Je
vous épargne la suite.
(18)
A cette époque indécise entre l'ère coloniale et
l'indépendance, l'Amérique du Sud ne connaît pas
d'autres impôts en numéraire que les taxes sur les
marchandises. La fin du commerce, c'est donc la ruine de la
collectivité locale. L'Amérique hispanique pratique
aussi une fiscalité en nature, de structure féodale,
comme les corvées imposées aux Indiens comme à
des serfs, et dont San Martín a fait abolir ce qui en
subsistait sur le territoire cuyain et qu'il abolira tout à
fait au Pérou.
(19)
On utilise mais pour encore peu de temps le vocabulaire protocolaire royaliste pour lequel une décision du roi
sur des personnes, notamment les promotions, les nominations, est une grâce de son bon plaisir. Et ce vocabulaire est reporté
sur les instances de pouvoir qui sont, depuis mai 1810, censées
gouverner au nom et pour le compte du roi Fernando VII, empêché
de régner par l'occupation française de l'Espagne
(1808-1814). A ceci près que Fernando VII est remonté
sur le trône en 1814, qu'il a montré tout de suite son
vrai visage (celui d'un épouvantable despote), qu'en 1816 plus personne ne peut encore
croire qu'il est un roi libéral et que les patriotes
américains ne veulent à aucun prix tomber sous sa
coupe, même si leurs dissensions internes entravent encore jusqu'au 9 juillet 1816 la définition
d'un nouveau régime politique pour le pays.
(20)
L'indépendance est acquise dans les esprits mais elle n'est
pas encore déclarée. Elle n'a pas encore de réalité
juridique mais elle est de fait depuis mai 1810. On le voit à
plusieurs reprises dans ce rapport où le Cabildo se positionne
dans une Amérique déjà indépendante.
(21)
Sur les salons du livre, je m'aperçois que la loi sur le prix
du livre est fort mal connue dans le pays : la loi Lang limite à
5% le rabais réalisable par les libraires sur le prix fixé
par l'éditeur, que celui-ci a obligation depuis 30 ans d'inscrire
sur la 4e de couverture. Il s'agissait alors et
toujours de protéger les librairies indépendantes dont
la survie est menacée par les politiques commerciales très
agressives des grands groupes (le danger de voir nos rues
transformées en déserts culturels est revenu en force
avec la numérisation du livre). Le taux de remise pratiqué
en souscription n'est donc possible qu'avant la parution d'un livre.
Il ne peut plus avoir cours dès lors que le livre est paru et disponible
chez l'éditeur.