Ci-dessus, la Traversée des Andes (été
1817), vue par un Chilien
quand tous les acteurs étaient déjà morts depuis longtemps !
quand tous les acteurs étaient déjà morts depuis longtemps !
On reconnaît la nationalité du
peintre
à ce qu'il traite à égalité José de San Martín et Bernardo O'Higgins.
à ce qu'il traite à égalité José de San Martín et Bernardo O'Higgins.
La plupart du temps, les
représentations argentines oublient ce dernier
(et même ici, on distingue mal son visage et on ne voit rien de son uniforme).
(et même ici, on distingue mal son visage et on ne voit rien de son uniforme).
La colonne est à cheval, ce qui est un contresens :
en altitude, les chevaux n'ont jamais été montés ; les pauvres animaux en seraient morts.
Les officiers chevauchaient des mules, beaucoup plus robustes
(auxquelles un autre tableau, argentin celui-là, rend justice).
en altitude, les chevaux n'ont jamais été montés ; les pauvres animaux en seraient morts.
Les officiers chevauchaient des mules, beaucoup plus robustes
(auxquelles un autre tableau, argentin celui-là, rend justice).
Autre construction dramatique (réussie)
de la part du peintre : San Martín
et son cheval blanc
avec parements de selle dorés (lui qui détestait ces fanfreluches !)
et O'Higgins sur une monture noire dont les détails ressortent beaucoup moins bien.
Ces deux fiers destriers ne font que concentrer notre attention sur leurs illustres maîtres
et, en arrière-plan, sur les sommets
qu'ils ont si vaillamment franchis qu'ils en paraissent plus grands qu'eux.
avec parements de selle dorés (lui qui détestait ces fanfreluches !)
et O'Higgins sur une monture noire dont les détails ressortent beaucoup moins bien.
Ces deux fiers destriers ne font que concentrer notre attention sur leurs illustres maîtres
et, en arrière-plan, sur les sommets
qu'ils ont si vaillamment franchis qu'ils en paraissent plus grands qu'eux.
Cette œuvre,
exposée au Museo Histórico
y Militar de Chile, à Santiago,
est du peintre Julio Vila y Prades (1873-1930).
est du peintre Julio Vila y Prades (1873-1930).
Présentation générale et bon de souscription dans mon article du 23 octobre 2012
Après
avoir traversé les Andes à la tête d'une armée de 5 000
hommes, accompagnée de plusieurs milliers de mules et de chevaux
(pour le transport) et de centaines de têtes de bétail (pour le
ravitaillement des troupes sans puiser dans les réserves du pays
d'accueil), équipée de canons et d'un important parc d'artillerie,
dont le Cabildo de Mendoza avait fait un éloge appuyé quelques mois
plus tôt (voir mon article du 6 novembre 2012), en cette belle
matinée estivale du 12 février 1817, sur les pentes d'un immense
domaine de pâturage du nom de Chacabuco en contrebas desquelles
stationnaient environ deux milles soldats de l'armée du vice-roi du
Pérou, médiocrement motivés et entretenus dans la confusion sur ce
qui se préparait par les espions indépendantistes et les rumeurs
contradictoires qu'ils ne cessaient de répandre en tout lieu, le
général José de San Martín,
secondé par le général chilien Bernardo O'Higgins et le général
argentin Miguel Soler, lançait une attaque foudroyante pour
reprendre, dans le délai le plus court et avec le minimum de pertes
humaines, le contrôle du territoire chilien, perdu par les patriotes
deux ans et demi plus tôt.
L'Armée
des Andes venait de réaliser l'exploit que le monde entier, y
compris le vice-roi du Pérou, croyait alors impossible :
traverser, lourdement armée et en rangs serrés, ces montagnes bien
plus redoutables que la barrière alpine et engager le combat dès
l'arrivée sur l'autre versant, comme Hannibal l'avait fait dans
l'antiquité en passant les cols à dos d'éléphant. Certes, on
avait bien eu vent que quelque chose de la sorte se tramait (San
Martín
n'avait pas fait mystère de ses préparatifs) mais on en avait
souri, moquant la témérité irréfléchie de ces révolutionnaires
lointains, à moitié sauvages, mêlés qu'ils étaient à des
Indiens et des Africains, et qui n'avaient même pas, à ce qu'on
entendait dire, de quoi se chausser... Aussi Chacabuco fut-elle une
bataille mémorable, brillante, rapide, qui s'acheva sur une victoire
éclatante du camp indépendantiste et de cette Armée des Andes qui
entrait ce jour-là dans la légende dorée des siècles.
Aussi
la Gazeta de Buenos Ayres (dans l'orthographe authentique de son
titre) titrait-elle, dès le 27 février, sur la campagne des Andes,
que le gouvernement central n'avait pourtant que timidement soutenue,
plus préoccupé par la situation révolutionnaire de la Banda
Oriental (Uruguay) que du sort des Chiliens, retombés sous l'Ancien
Régime.
"Hier,
à trois heures de l'après-midi entra dans cette capitale le
sergent-major de cavalerie, don Manuel Escalada (1), porteur du
drapeau royaliste pris à Chacabuco, et il le présenta au Fort à
Monsieur le Directeur qui s'y trouvait en compagnie de nombreux chefs
militaires et civils. A six heures, il [le drapeau] fut transporté
du Fort aux Maisons Consistoriales [le Cabildo] pour servir de
trophée aux drapeaux nationaux des bataillons patriciens, au milieu
du tonnerre du canon, des roulements de tambour de toutes parts, des
musiques militaires et des acclamations de joie d'une société
brillante et d'un peuple immense. On l'accrocha à l'arche principale
du Cabildo dans la situation qui convient aux vaincus. Alors la
gratitude publique rendit le juste hommage de son admiration à la
méritante Province de Cuyo et aux illustres héros des Andes. Gloire
immortelle à tous ceux qui ont eu l'heur de mériter l'éloge
sublime de la liesse publique de leurs compatriotes. SAN MARTIN !...
Peut-être d'autres plumes auront-elles le bonheur de dresser, en une
autre langue que celle du silence, la louange de Vos Vertus.
Peut-être parviendront-elles aussi à les exagérer. Mais y
surenchérir, aucune ne le pourra jamais !"
Préambule
de l'édition extraordinaire de la Gaceta de Buenos Aires du 27
février 1817
(Traduction
Denise Anne Clavilier)
Les
moyens de communication étant ce qu'ils étaient en ce temps-là et
les distances se révélant alors parfaitement incompressibles, ce
n'est qu'au tout début du mois de juin 1817 qu'on apprit la nouvelle
à Paris. Le Journal des Débats politiques et littéraires en rendit
compte à ses lecteurs, partisans plus ou moins sincères de la
Restauration et de ce "bon Sire le Roy Louis le Dix-Huitième"... Ce
qui s'était passé sur le versant occidental de la Cordillère
n'était donc pas de nature à réjouir ces contre-révolutionnaires
qui recevaient de surcroît l'information par le canal de Londres qui
devait leur être quelque peu suspect, mais il n'y avait pas moyen
d'y échapper puisque, depuis la victoire de Trafalgar qui lui avait
donné la maîtrise des océans, la capitale anglaise avait la
primeur des nouvelles du Nouveau Monde, au point que Madrid apprenait
souvent ce qu'il se passait dans son propre empire par la presse
anglaise et ses diplomates qui exerçaient leurs talents sur les
bords de la Tamise.
Prudent
et plutôt ravi, quoiqu'en secret, des déboires espagnols aux
Amériques (les Espagnols pouvaient bien perdre leur empire colonial,
puisque la France avait vendu le sien pour financer les guerres
napoléoniennes), le Journal des Débats choisit d'informer ses
abonnés à vingt-quatre heures d'intervalle à travers deux petits
articles, rédigés presque à la mode d'un fait divers, en évitant
d'apporter tout élément de nature un tant soit peu éclairante sur
la réalité du nouveau pouvoir chilien et en renvoyant au premier
article, tout aussi imprécis que le second, sans omettre à
l'occasion un petit coup de griffe aux "alliés"
espagnols dont le comportement avait manifestement manqué de panache
durant les opérations. Ainsi le chauvinisme montrait-il le bout de
son nez dans cette France qui, bon an mal an, conservait de sa gloire
récente sur les champs de bataille une certaine nostalgie malgré
les mauvais souvenirs laissés par celui qu'on ne pouvait plus
appeler que l'Usurpateur.
En
Angleterre, au contraire, on avait sans hésiter pris la mesure du
renversement de la situation, on avait vu aussitôt s'ouvrir les
perspectives de nouveaux marchés (un de perdu, les Etats-Unis, dix
de retrouvés, les nouveaux pays d'Amérique latine) et la presse,
qui jouissait déjà depuis longtemps d'une grande liberté
institutionnelle, déversait dans ses différents titres abondance de
détails et de documents, traduits à la chaîne par des bataillons
de publicistes (chroniqueurs) et d'envoyés diplomatiques ou
commerciaux en poste à Buenos Aires et à Lima, dans une véritable
concurrence informative avec le Foreign Office.
Dans
les lignes qui suivent, j'ai respecté l'orthographe et la
ponctuation des documents originaux. Elles sont parfois surprenantes
et quel voyage dans le temps elles nous font faire ! Une petite
astérisque signale ces archaïsmes orthographiques et
typographiques.
*
* *
"Le
Colonel Allan, vaisseau de la compagnie du Nord-Ouest, est arrivé de
l'Amérique méridionale et en dernier lieu de Buenos-Ayres*.
Il a apporté des gazettes de cette ville jusqu'à la date du 16
mars, qui annoncent que le général San-Martin*
(2), commandant de l'armée des insurgens*
(3), après
avoir battu l'armée royale, et fait prisonnier le gouverneur du
Chili, Marco del Pont, s'est emparé de cette province,*
et y a établi une nouvelle forme de gouvernement, à la tête duquel
est don Bernardo O'Higgins, sous le titre de directeur suprême. Il a
adressé une proclamation au peuple du Chili.
L'agent
de Llyods à Buenos-Ayres,*
mande la même nouvelle dans une lettre datée du 6 mars."
Journal
des Débats, dimanche 1er
juin 1817
*
* *
"Les
journaux anglais publient aujourd'hui une longue lettre adressée par
le général Jose*
de San-Martin, commandant de l'armée des insurgés, au directeur
suprême des provinces unies de l'Amérique méridionale (4), datée
du quartier-général de Sant-Yago*
(5) du 22
février. (Voyez
le journal d'hier, article
Londres.) Elle
annonce que l'armée sous ses ordres ayant passé les Cordillières*
s'est avancée dans le cœur
du Chili ; que le 12 février elle a livré une bataille
opiniâtre aux Espagnols, dont l'infanterie a été entièrement
détruite. Six cents prisonniers, un parc d'artillerie, des magasins
considérables,*
sont tombés en son pouvoir (6). Le président (7) espagnol Marco*
a abandonné la capitale et a pris la fuite avec les débris de son
armée. Il fut obligé de laisser son artillerie au bas de Prado,
pour pouvoir se sauver plus vite ; mais il fut pris par un
détachement de grenadiers à cheval (8). « En vingt-quatre
jours, dit-il en finissant sa lettre, nous avons passé la chaîne de
montagnes la plus élevée de l'univers, terminé la campagne et
donné la liberté au Chili. » (9)
Les
nouvelles particulières ajoutent qu'on pense déjà, à Buenos
Ayres, à faire une pareille expédition dans le Pérou."
(10) (11)
Journal
des Débats, lundi 2 juin 1817
Au
même moment, si toutefois l'on veut bien tenir compte des délais de
route entre Londres et Lausanne avec tous les contrôles policiers
auxquels il fallait satisfaire en France sous la Restauration, la
presse suisse publiait un compte-rendu au ton bien différent sous la
forme d'une brève notice biographique de San Martín dans laquelle
on reconnaît très clairement la main de James Duff, comte Fife. En
effet, en Grande-Bretagne, seul cet ami écossais, que San Martín
avait connu sur les champs de bataille de la guerre d'indépendance
espagnole (1808-1814), était en mesure de l'identifier avec autant
de précision et sans aucune erreur géographique alors que l'homme
et son action étaient encore inconnus en Europe :
"Ce
général, annonce Miéville, le rédacteur-fondateur de la Gazette
de Lausanne, qui vient de terminer l'importante conqêute (12) du
Chili, est né au Paraguay (13). Il a été aide-de-camp du général
Solano, lorsque celui-ci était gouverneur de Cadix et
capitaine-général de l'Andalousie (14). Il occupa ensuite, à la
bataille de Baylen, le même poste auprès du général Coupigny, et
plus tard, auprès du marquis de la Romana (15). Il resta dans la
Péninsule jusqu'en octobre 1811, époque à laquelle il vint à
Londres, d'où il s'embarqua pour Buenos Ayres,* Il avait en Espagne
le rang de lieutenant-colonel,* et s'était distingué dans plusieurs
occasions.
Les
hauteurs de Chacabuco, où vient de se livrer la bataille qui a
décidé du sort du Chili, sont à 13 lieues de San-Yago*,
sa capitale. Le général San-Martin, dans cette journée, a fixé la
victoire par son habileté et plusieurs traits de valeur." (16)
Gazette
de Lausanne, 20 juin 1817
Le
3 juin de la même année, dans une lettre en espagnol, enthousiaste,
admirative et pleine d'amitié, James Duff écrivait lui-même à San
Martín : "[ici], la révolution du Chili ressemble à
celle de Napoléon depuis Reims jusqu'à Paris, ce que j'ai vu de mes
yeux étant là-bas" (17).
San
Martín, Su correspondencia, 1823-1850, Museo Historico Nacional, Biblioteca Ayacucho, Madrid,
1919, p 328
(Traduction
Denise Anne Clavilier)
"Dimanche
dernier est arrivé le rapport détaillé de la glorieuse action de
Chacabuco, des mouvements de l'armée patriote qui l'ont préparée
et des conséquences des manœuvres heureuses avec lesquelles a été
entreprise cette mémorable journée. Nous allons en donner copie
afin de satisfaire l'impatience avec laquelle le public l'attend. Les
uns admireront le courage des hommes de troupe, la hardiesse des
officiers qui se sont le plus distingués, d'autres encenseront
l'adresse, la discrétion et l'habileté du Général. Pour moi, rien
n'est si glorieux que sa modestie. Chez les généraux ennemis, cette
vertu est inconnue. Eux doivent trembler en présence de peuples aux
destins desquels président tant de héros. En vain disputent-ils la
liberté à ceux qui, l'ayant reçue de la nature, ont eu assez
d'énergie pour l'identifier à leur existence.
Si
les tyrans avaient plus de pouvoir, ils réduiraient en cendre les
générations colombiennes [les populations d'Amérique], mais jamais
ils ne pourraient réaliser la monstruosité de les faire végéter
dans la servitude, résignés (18) à l'opprobre d'être esclaves
d'une nation avilie."
Premier
paragraphe de l'édition extraordinaire de [la Gaceta de] Buenos
Aires du 11 mars 1817
(Traduction
Denise Anne Clavilier)
Ainsi
donc, la traversée des Andes constitue-t-elle l'un des épisodes les
plus glorieux de l'histoire de l'Amérique du Sud. Elle surpasse en
prestige et en panache les campagnes de Bolívar et elle se termine
sur une victoire sans appel, avec seulement onze morts et une
centaine de blessés du côté des alliés révolutionnaires (à une
époque où la vie humaine avait si peu de prix que le prestige d'une
bataille s'évaluait au nombre de cadavres qui jonchaient le sol). Or
c'est une des singularités les plus attachantes de ce personnage
trop méconnu chez nous : dans ses tactiques, San Martín a
toujours pris soin de semer la plus intense panique dans les rangs
ennemis dès les premières minutes de l'engagement, pour réduire
leur efficacité, précipiter leur retraite ou leur capitulation et
préserver, par la brièveté du combat, autant de vies humaines
qu'il le pouvait dans les deux camps. En effet, un soldat ennemi dont
on a épargné les jours peut être retourné en faveur de celui
qu'il combattait et enrôlé dans les rangs révolutionnaires. Seuls
les morts ne se relèvent pas et ils sont autant de bras qui manquent
pour la prospérité du pays une fois la paix acquise.
Dès
l'été 1817, la traversée des Andes avait apporté à José de San
Martín une grande renommée en Amérique et en Europe. Par la suite,
son comportement, fait de simplicité, de sobriété personnelle et
de retenue là où tout le monde attendait qu'il prenne le pouvoir et
se pare de titres ronflants, surprit, intrigua, inquiéta même (on
se demandait ce que cela pouvait cacher) et finit par lui gagner un
soutien solide dans l'opinion publique sud-américaine et
internationale à tel point qu'on verra les Espagnols de métropole
se sentir vaincus d'avance dès qu'on entendra parler, vers l'Avent 1820, de son départ vers Lima, avec une flotte, que l'on
imagine tout de suite gigantesque, commandée par un marin écossais
dont le seul nom faisait encore trembler l'Europe.
Ce
sera le prochain épisode de cette série d'articles qui accompagne
la publication de mon nouveau livre, San Martín, à rebours des
conquistadors, la première biographie disponible en français de ce
personnage, dont l'ampleur politique dépasse de beaucoup les
frontières d'un seul pays mais qui est néanmoins inséparable de
l'histoire, de l'âme et de l'identité argentines.
*
* *
San
Martín, à rebours des conquistadors sort aux Editions du Jasmin le
4 décembre 2012, au prix de 16 € (216 pages, format 15x19 cm),
dans la collection Signe de vie.
D'ici
là, l'ouvrage fait l'objet d'une souscription, au prix promotionnel
de 14 € (soit -12,5 % sur le prix public, tandis que la loi
n'autorise que 5% de réduction en librairie).
Pour
télécharger le bon de souscription, voir mon article du 23 octobre 2012 où il
se trouve disponible en format jpg imprimable.
Pour
en savoir plus sur San Martín
et ce qu'il représente aujourd'hui en Argentine, cliquez sur son nom
dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessus.
Pour
en savoir plus sur mon nouveau livre, cliquez sur le mot-clé SnM bio
Jasmin dans le même bloc Pour chercher. Vous y trouverez toute la
série des articles, qui comprend la présentation de plusieurs
documents historiques.
Pour
en savoir plus sur l'ensemble de mes activités, cliquez sur le
mot-clé ABT (acronyme de "Activités
de Barrio de Tango")
Pour aller plus loin :
Pour aller plus loin :
- Ecouter
mon interview d'août 2012 en français, par Magdalena Arnoux, sur
Radio Nacional (Radiodifusión
Argentina al Exterior).
Elle
porte essentiellement sur les rumeurs concernant l'identité de San
Martín, rumeurs relancées il y a quelques années par des auteurs
qui provoquent le scandale pour mieux vendre leurs livres
(mettant en doute la filiation officielle du héros au profit du
pseudo-secret d'une naissance illégitime, des inventions auxquelles
adhèrent d'autant plus volontiers la population argentine qu'elle
connaît très mal la personnalité de San Martín et le contenu de
son œuvre politique, remplacée par une légende édifiante qui ne
tient pas debout mais fait office de leçon d'histoire scolaire jusqu'au baccalauréat).
- Ecouter
mon interview d'août 2012 en espagnol sur la même station.
Le
journaliste Leonardo Liberman m'y fait parler du José de San Martín intime
et quotidien de l'exil à Paris, entre 1831 et 1850. Nous y devisons de son amour pour la musique, les arts, la littérature, de
sa profonde amitié avec le financier hispano-français Aguado, qui
inspira le personnage du comte de Monte-Cristo à Alexandre Dumas, et
de son affection pour sa fille ainsi que de la ville de
Boulogne-sur-Mer où le général est décédé le 17 août 1850.
(1)
Manuel de Escalada était l'aîné des deux frères de Remedios. Il
était donc le beau-frère de San Martín.
La bonne société portègne se souvint longtemps de la fête
mémorable qu'avait donnée chez lui Antonio de Escalada pour le
retour victorieux du fiston et le triomphe du gendre !
(2)
Celle-là même qui avait été publiée, sur six colonnes, dans
l'édition extraordinaire de la Gaceta de Buenos Aires, du mardi 11
mars 1817, sur l'ordre de Juan Martín
de Pueyrredón,
et dont je vous donne ici la première page.
(3)
Le choix des termes est révélateur du positionnement du journal.
Tout au long de l'année 1816, San Martín
avait pressé le Congrès de Tucumán
de déclarer l'indépendance des Provinces-Unies d'Amérique du Sud
(future Argentine) pour que ces termes-là ne puissent pas être
légitimement employés par les contre-révolutionnaires. Une fois
l'indépendance juridiquement établie, à défaut d'être reconnue
par l'Espagne, l'Armée des Andes n'entrait pas au Chili comme une
armée d'insurgés (insurgens) mais comme une force alliée légale,
venant d'un pays indépendant pour porter assistance à un pays frère
pour lui rendre sa liberté. A la vérité, le gouvernement français
de la Restauration se souciait comme d'une guigne du sort des
colonies espagnoles mais parler de l'Armée des Andes autrement que
comme d'une organisation d'insurgés eût été périlleux même si
l'indifférence de cette nouvelle France perce dans le grade de
général que le rédacteur ose donner à San Martín
alors qu'il lui a été accordé par un gouvernement rebelle à son
roi. San Martín
n'était que lieutenant-colonel lorsqu'il avait quitté l'armée
royale espagnole en 1811. Entre les trois princes rétablis sur leur
trône, en France, en Espagne et au Portugal, régnait une parfaite
entente de façade, chacun d'entre eux devant soutenir les
prérogatives pré-révolutionnaires des deux autres pour ne pas se
voir contester les siennes par son propre peuple, qui avait goûté
en son absence aux prémices du nouveau régime, sous la pression
napoléonienne en France et en Espagne, sous l'"amicale"
occupation britannique au Portugal.
(4)
Toutes ces minuscules (directeur, provinces, unies) sont volontaires.
Pas question de reconnaître qu'il s'agit ici d'un titre de chef
d'Etat ni d'un pays.
(5)
On voit bien ici l'origine londonienne de l'information. Vous
reconnaissez sans peine le prénom de Yago, devenu patrimoine anglais
grâce à Shakespeare et à ce personnage inventé dans Othello,
drame des amours contrariés entre une chrétienne vénitienne et un
musulman (Maure), ou musulman converti de force au christianisme mais
néanmoins chassé de l'Espagne des Rois Catholiques, Isabel de
Castilla et Fernando de Aragon, et qui s'était exilé dans la Cité
des Doges, comme nombre de ses coreligionnaires ainsi que des juifs
eux aussi expulsés de la nouvelle Espagne.
(6)
Contrairement à ce que l'on pouvait lire alors dans les gazettes
espagnoles, ces informations-ci sont très proches de la réalité.
Si bien que de nombreux Espagnols commencèrent à partir de juin
1817 à rechercher les journaux britanniques pour savoir à quoi s'en
tenir. Lorsque San Martín
chassera complètement l'armée coloniale du Chili, le 5 avril 1818,
dans la plaine de Maipú,
par une victoire encore plus époustouflante que celle de Chacabuco,
le roi Fernando VII imposera à la presse de son pays un
black-out total. Les Espagnols ne liront plus le nom de San Martín
jusqu'à la révolution libérale du 1er
janvier 1820 où les Cortes obligeront Fernando VII à se
retirer du pouvoir exécutif effectif. Mais ce sera alors pour voir
les journaux traiter San Martín d'insolent, de superbe, d'arrogant
et de traître...
(7)
Pour flatter les aspirations des Chiliens à l'indépendance, eux
qui, à l'imitation de Caracas et de Buenos Aires, s'étaient
séparés, en septembre 1810, de l'Espagne sous occupation française,
le vice-roi du Pérou avait fait donner au gouverneur qui le
représentait à Santiago, après la défaite indépendantiste de
Rancagua (2 octobre 1814), le titre fallacieux de Président du
Royaume du Chili. Vu l'attitude arrogante et la répression cruelle
que cet officier, par ailleurs brillant, Francisco de Marcó
del Pont,
exerçait sur le territoire qu'il contrôlait, ce titre ne parvint
jamais à tromper les patriotes qui formèrent jusqu'au début de
février 1817 une majorité silencieuse, dont une petite fraction
mena même une courageuse et assez efficace résistance intérieure
(à laquelle le Cabildo de Mendoza faisait allusion dans le rapport
qu'il adressa en avril 1816 au Congrès de Tucumán
– voir mon article du 6 novembre 2012 à ce sujet).
(8)
Il existe plusieurs versions de la capture de Marcó
dans le port de Valparaíso.
San Martín
précise en effet dans un rapport qu'il a lancé à la poursuite de
tous les fuyards un détachement de son prestigieux régiment des
grenadiers à cheval, fondé par lui à Buenos Aires en mars 1812
avec la crème des jeunes patriotes mais il ne dit pas qui a
finalement capturé les fugitifs. Une autre version prétend que
Marcó a été appréhendé par des résistants civils, des
combattants de l'intérieur, qui avaient investi le port dès
l'engagement de la bataille à Chacabuco, prévoyant que d'éventuels
fuyards pourraient tenter l'aventure de la mer. Or quelques mois
auparavant, peu avant Noël, Marcó avait renvoyé à Mendoza un
émissaire de San Martín venu lui apporter la déclaration
d'indépendance argentine du 9 juillet 1816. Il avait proféré des
menaces de mort à l'encontre du messager, pourtant protégé par les
lois de la guerre. En le congédiant, Marcó l'avait pourvu d'un
courrier où il défiait San Martín et lui promettait le pire des
sorts s'il avait l'audace de s'aventurer en territoire chilien. En
scellant sa missive, Marcó avait déclaré : "Moi,
Monsieur, je ne suis pas comme ce traître de San Martín à la main
noire. Je signe d'une main blanche." Alors, quand, après sa
défaite et une fuite si piteuse, Marcó fut ramené manu militari au
quartier général de l'Armée des Andes, San Martín alla à ses
devants et, en présence de quelques uns de ses officiers, il lui
adressa ce sourire cordial et fraternel qui lui gagnait tous les
cœurs, lui tendit la main et lui lança, avec dans la voix à peine
une pointe d'ironie : "Venez, venez, mon cher général.
Montrez-moi donc cette main blanche !" Quelques jours plus
tard, Francisco Marcó del Pont fut envoyé prisonnier à Luján de
Mendoza, petite ville de l'autre côté des Andes, où il devait
mourir de maladie.
(9)
San Martín avait une culture latine beaucoup trop poussée pour ne
pas avoir eu conscience en rédigeant cette phrase (ici assez
fidèlement traduite, bien qu'elle provienne d'une version en anglais
et non pas de l'original) qu'il traçait sur le papier son Veni Vidi
Vici (le fameux "je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu" de
Jules César).
(10)
San Martín
a beaucoup surpris ses contemporains en révélant si longtemps à
l'avance ses intentions militaires. Certes, au moment de la
reconquête du Chili, il pensait que l'expédition du Pérou
partirait dans un délai de deux ans et il lui en fallut plus de
trois pour monter l'opération, en grande partie parce que Buenos
Aires s'était refusé à y contribuer convenablement en ressources
militaires et financières. Une telle stratégie, exceptionnelle en
temps de guerre, reposait chez San Martín
sur la conviction
profonde que l'immense majorité du peuple sud-américain aspirait à
l'indépendance et à la liberté politique (la démocratie). Il
était donc convaincu qu'en abattant son jeu très tôt, le temps
travaillerait pour sa cause, sapant le peu de légitimité que les
patriotes américains et même de très nombreux pro-Espagnols
accordaient encore à l'Ancien Régime et agrégeant à l'armée
qu'il commandait de plus en plus de volontaires. Son plan s'avéra
efficace et son calcul globalement juste. La seule mention de son nom
finit par susciter une vraie terreur au Pérou chez les partisans de
l'Ancien Régime et un soulagement authentique chez les autres. Entre
septembre 1820 et juillet 1821, la seule évocation de sa présence
physique dans les eaux péruviennes provoqua dans toute la région de
Lima des défections dans l'armée vice-royale, diverses mutineries,
beaucoup de ralliements de civils, d'esclaves évadés de chez leurs
maîtres et de soldats de tout niveau hiérarchique...
(11)
Le Journal des Débats semble prendre très au sérieux la menace qui
pèse sur le Pérou espagnol. Par la suite et eu égard au retard que
prendra l'expédition annoncée, le ton de la presse francophone va
changer. Il y aura quelqu'incrédulité dans les articles, à Paris,
du côté royaliste comme du côté libéral, continuateur des idéaux
de 1789, et en Suisse, pourtant nettement plus favorable aux
"insurgens"
et ce dès les premiers jours. Parfois
même c'est de l'ironie qui perce. Pourtant, peu à peu, les journaux
vont se retourner sous l'effet conjoint d'une habile propagande de
San Martín
admirablement secondé par ses contacts européens, dont James Duff,
et par ses envoyés spéciaux, et la maladresse insigne de
Fernando VII qui, entre autres erreurs magistrales, rétablira
une stricte censure de la presse alors que les canaux internationaux
creusés par la guerre et entretenus par le commerce permettent à
l'information de filtrer, malgré les censeurs et la diversité des
langues.
(12)
La coquille est dans le texte original. Reste à savoir si c'est une
erreur du typographe (cela peut arriver dans un quotidien puisque
c'est à un quotidien que l'on doit l'invention du terme) ou si c'est
une faute d'orthographe de James Duff que le typographe n'aurait pas
corrigée. Du comte Fife, on a des courriers adressés en espagnol à
San Martín
où l'on peut repérer des erreurs de ce type. Or comme tout
aristocrate britannique qui se respectait en ce temps, il avait
appris le français, sans doute aussi un peu l'allemand et/ou
l'italien. Quant à l'espagnol, on sait qu'il l'avait appris sur le
tas, dans la Péninsule, au sein de l'armée patriote, à laquelle il
avait offert ses services contre Napoléon et son ambitieuse fratrie.
(13)
A cette époque, le Paraguay n'est pas encore identifié comme un
pays en tant que tel. Le nom continue de désigner une zone
géographique à laquelle l'actuelle province de Corrientes
appartenait. Jusqu'en 1819, la fixation du Paraguay dans ses
frontières actuelles a été discutée. Il a été envisagé une
union en un seul pays entre le Paraguay et l'actuel Uruguay, ce qui
aurait alors inclus les provinces argentines de Entre Ríos,
Corrientes et Misiones. San Martín
était né à Yapeyú,
actuelle Province de Corrientes, donc dans le Paraguay au sens
géographique du terme.
(14)
Sans doute se souvenait-on encore dans toute l'Europe du lynchage de
cet homme de grande valeur, en mai 1808, juste avant que l'Espagne
sombre dans la guerre contre Napoléon. Incident tragique dont San
Martín
avait été, à trente ans, le témoin impuissant et dont il tira
pour le reste de ses jours une extrême méfiance vis-à-vis des
grands rassemblements politiques. Il avait tenté de protéger son
supérieur de la rage des manifestants et avait failli y laisser sa
propre vie. En 1848, le traumatisme était sans doute encore très
grand si l'on en croit l'importance que le Boulonnais Adolphe Gérard
accorde à cet épisode, qu'il tient de la bouche de son hôte, dans
la nécrologie qu'il lui consacra, quatre jours après sa mort, le 21
août 1850, dans L'Impartial, le journal de Boulogne-sur-Mer.
(15)
Cette notice de la Gazette de Lausanne est l'une des très rares
sources qui mentionnent la collaboration de San Martín
avec La Romana, officier qui s'était illustré dans la diplomatie
avec la Suède avant de rentrer en Espagne combattre les troupes
impériales et mourir dans les mois qui suivirent ce retour. Les
traces de cette collaboration semblent avoir disparu des archives
militaires espagnoles (je n'en fais pas mention dans San Martín,
à rebours des conquistadors, pour ne pas entrer dans la complexité
technique de la reconstitution historique). On sait que la feuille de
service de San Martín
pour l'année 1811 a subi de nombreuses altérations, sans doute
quand l'armée s'est rendu compte qu'il n'était pas parti vers le
Pérou comme il l'avait annoncé pendant l'été mais qu'il se
trouvait encore à Noël à Londres (ce qui lui fut compté comme une
désertion), et bien plus tard, lorsque les relations diplomatiques
furent instaurées entre l'Espagne et l'Argentine et qu'on chercha à
réparer l'affront fait à son honneur avec la mention infamante
portée à la fin 1811 ou au début 1812 sur cette dernière feuille
de service.
(16)
Par "valeur",
il faut bien sûr entendre "courage"
dans la langue de ce temps. Il est possible que le billet ne désigne
pas que la valeur militaire du général car James Duff, s'il est
bien la source de cet article, est sans nul doute informé par sa
correspondance privée avec San Martín
des difficultés physiques que celui-ci a dû surmonter pour conduire
son armée dans de telles conditions géographiques. San Martín
souffrait d'un asthme sévère et avait déjà développé un ulcère
à l'estomac hémorragique, avec lequel il vécut encore
quarante-trois ans mais qui devait entraîner sa mort le 17 août
1850.
(17)
Probablement, dans son espagnol parfois maladroit, veut-il dire que
la campagne militaire. conduite par San Martín
rappelait à tout le monde l'épopée napoléonienne, ce qu'il a
lui-même constaté sur le continent lorsqu'il s'est trouvé à Reims
puis à Paris où il a vu le roi Louis XVIII, dont il ajoute,
juste après, qu'il n'y a guère à craindre de sa part.
(18)
Petite rupture grammaticale dans le feu de la rédaction
patriotique... Les générations (féminin) se sont transformées en
hommes ou en citoyens (masculin).