Sous
le gouvernement de Cristina Kirchner, malgré plusieurs mesures chargées d'une certaine démagogie qui
en inquiète plus d'un en Argentine, comme il y a
quelques semaines cette loi absurde qui ouvre le droit optionnel
de vote aux mineurs à partir de 16 ans (voir mon article du 1er novembre 2012 sur le sujet), la République
Argentine continue sa mue vers un Etat démocratique, structuré, aux
compétences élargies...
C'est
ainsi qu'hier le Sénat a validé la loi qui établit
l'Institut National de la Musique, pour favoriser le développement
artistique et économique de ce secteur et faire en sorte que
les musiciens ne soient plus pieds et poings liés devant les
multinationales de l'industrie discographiques. Et là, on ne
peut pas parler de mesure démagogique : la défense de
la musique nationale n'est pas un thème électoral, les
musiciens ont bien du mal à faire entendre les besoins
politiques et économiques de leur secteur dans un pays où
le téléchargement en ligne illégal est une plaie
encore plus terrible qu'en Europe, faute d'instances de régulation,
dont nos pays se sont dotés, et de moyens matériels et
légaux de lutte contre les fraudeurs dans les forces de police
et les tribunaux.
L'INAMU
aura des compétences pour soutenir la production musicale,
réguler la distribution, favoriser la formation des
professionnels et des amateurs et promouvoir la musique argentine
dans le cadre de la politique de soutien à l'expression
culturelle nationale. Il devra aussi favoriser la pluralité
des genres, des styles, des modalités économiques.
D'autres secteurs culturels disposaient déjà d'un tel
institut, comme le cinéma, en salle et à la télévision,
qui bénéficie des services de l'INCAA, dont l'ancien
directeur, José Coscia, un professionnel reconnu pour sa compétence
par ses pairs, détient maintenant le portefeuille de la
Culture au sein du gouvernement de la Nation (gobierno de la Nación).
Il y
a quelques années, l'Argentine avait mis en place le MICA,
marché de l'industrie culturelle argentine, qui fédère
toutes les disciplines dans leurs aspects économiques et
commerciaux.
L'arrivée
prochaine de l'INAMU est une très bonne nouvelle pour les
artistes qui ont fêté l'événement comme
ils convenaient, en organisant une mega-fête devant le palais
législatif, avec scène géante et interdiction de
la circulation dans les avenues avoisinnantes...
On a
retrouvé sur l'estrade la crème des kirchneristes et
autres sympathisants péronistes de toujours quu pullulent
depuis 1943 dans l'univers musical argentin tous genres confondus :
Teresa Parodi, Litto Nebbia, Lito Vitale, Carabajal et beaucoup
d'autres. Ni l'affiche ni l'article de Página/12 ne cite cependant ni León
Gieco, ni Fito Paéz ni Charly García, qui sont pourtant
assez souvent présents dans ce genre de happening . Il faut supposer qu'ils avaient des obligations à l'autre bout du pays
ou qu'ils sont en tournée à l'étranger (on arrive
à la belle saison dans l'hémisphère sud, avec
son cortège de concerts en plein air et de festivals tous
azimuts).
Les artistes ont même appelé les morts à
la rescousse en lisant les déclarations de soutien qu'avaient
écrites en leur temps la grande folkloriste Mercedes Sosa
(voir mes articles sur elle) et le rockeur récemment disparu
Luis Alberto Spinetta, auquel la Biblioteca Nacional rend hommage
actuellement (voir mon article du 10 octobre 2012 à ce sujet).
Cela
faisait en effet six ans que la Fédération argentine
des musiciens indépendants, la FA-MI (c'est bien trouvé,
avouez-le !) faisait pression pour obtenir une loi qui protège
les artistes et les œuvres et soutienne la vie artistique dans ce
domaine. C'est le 24 août dernier que Cristina avait enfin
lancé le processus législatif, annoncé en grande
pompe selon la coutume d'un des salons d'apparat de la Casa Rosada
devant un parterre d'artistes et de représentants des ONG des
droits de l'homme, toujours présentes dans ces manifestations
politiques. Voilà qui est fait. Espérons maintenant que
ce INAMU s'installe et commence à travailler, en souhaitant
qu'il soit confié à des gens responsables, compétents,
honnêtes, courageux et efficaces, ce qui n'est pas toujours le
cas dans les organes gouvernementaux en Argentine...
Une
remarque en passant : je ne pense guère m'être trompée en subodorant au début du mois une manœuvre
de diversion de la part de Página/12 lorsque la rédaction
avait choisi de faire la une du journal sur une prétendue
découverte du passé délinquant de Carlos Gardel
(voir mon article du 12 novembre 2012 à ce sujet). Je vous y
disais qu'en temps normal, si les récentes manifestations
anti-kirchneristes ne venaient pas de démentir la croyance en
une Cristina indéboulonablement installée à la
Casa Rosada, cette information secondaire aurait dû se trouver
au mieux à la une du supplément culturel du journal. Je
crois en avoir la preuve aujourd'hui : voilà une loi capitale pour la vie culturelle du pays, elle fait véritablement l'actualité et réjouit tous les musiciens (vérifiez donc sur Facebook où toutes leurs pages en parlent) et elle est bien ce matin reléguée dans les
pages intérieures. La une est consacrée quant à elle à un
jugement d'un tribunal de New-York déboutant l'un de ces fonds que
les Argentins surnomment les fonds-vautours (fondos buitres) qui ont
des créances sur l'Argentine et tentent depuis des années
d'accélérer les remboursements, au détriment du
plan de retour à la normale de l'économie globale du
pays.
Pour
aller plus loin :
lire
l'éditorial qui le suit, toujours sur l'édition de ce
matin du quotidien kirchneriste
lire
l'article de Clarín, bien caché au milieu des nouvelles
de cinquième importance.