Portrait
officiel de José de San Martín
(1778-1850), réalisé en 1821 ou 1822 à Lima.
Il
s'agit d'une œuvre de
José Gil de Castro, peintre officiel de la cour vice-royale de
Lima,
à qui l'on devra aussi, deux ans plus tard, un portrait
de Simón Bolívar
(du même ordre).
Il est bien difficile de reconnaître San
Martín dans ce
portrait
qui, mis à part la coupe de l'uniforme, si typique du
19e siècle, semble dater de Charles Quint.
Aucune perspective, des proportions corporelles
fausses,
l'absence des mains trop difficiles à représenter,
l'absence des mains trop difficiles à représenter,
la quasi-incapacité du peintre à reproduire la posture de son modèle,
auquel il donne la
cambrure propre au pourpoint du 16e siècle.
Cet artiste avait appris son métier sur le tas,
contrairement à
la plupart de ses confrères et contemporains,
qui avaient presque tous appris dans un atelier, sous la direction
d'un maître,
ou dans une académie de beaux-arts où
l'on enseignait
l'anatomie humaine et animale, la construction, les
conventions esthétiques,
les règles de la perspective...
les règles de la perspective...
Or Lima passait pour la plus avancée des villes
d'Amérique hispanique.
A l'aune de ce portrait, on peut donc imaginer dans quelle ignorance et quelle absence de maîtrise
technique, les populations d'Amérique étaient tenues
par l'administration coloniale.
Lorsqu'il prendra les rênes du
nouvel Etat en juillet 1821,
San Martín
n'aura pas de mots assez durs pour dénoncer cette politique
délibérée
qui laissait ces pays désarmés
et inaptes à se gouverner eux-mêmes.
Ce
portrait est exposé aujourd'hui
au Museo del Regimiento de
Granaderos a Caballo, à Palermo (Buenos Aires).
Il en existe une reproduction à la Casa San Martín à Boulogne-sur-Mer.
Une miniature
en a été tirée,
elle est sertie dans un petit
médaillon exposé au Museo Nacional Histórico,
installé dans le bâtiment du Parque Lezama, dans le
quartier de San Telmo.
Il illustre
mon article du 19 septembre 2012, rédigé à
l'occasion des deux cents ans
du mariage de José de San Martín
avec Remedios de Escalada (1797-1823)
qui a droit, elle aussi, à
un petit portrait
exposé en
vis-à-vis de celui de son mari,
comme s'il s'agissait de leurs
médaillons de fiançailles,
lesquels, s'ils ont jamais
existé, ne nous sont pas parvenus.
En
août 1820, l'Expédition Libératrice du Pérou
quittait le port de Valparaíso,
au Chili, et faisait cap au nord pour abattre une fois pour toutes la
forteresse coloniale que constituait Lima, capitale du Vice-Royaume
du Pérou, unique vestige du grand empire espagnol des Indes
Occidentales.
A la
tête de cette expédition qui levait l'ancre, le général
José de San Martín
(1778-1850), portant grade de brigadier (correspondant à celui
de général d'armée dans la France actuelle) et
de général-en-chef de l'Armée libératrice
du Pérou, qui rassemblait des hommes très disciplinés
et fort motivés dans un grand mélange de nationalités
et de langues. Il y avait là une majorité de Chiliens
et d'Argentins mais aussi des Britanniques, des Irlandais, des
Français, quelques libéraux espagnols, nés en
Espagne péninsulaire, et des citoyens des Etats-Unis.
L'année
précédente, en désaccord radical avec le
gouvernement des Provinces-Unies (future Argentine), qui préférait
combattre les fédéraux de la Province de Santa Fe et de
la Banda Oriental (futur Uruguay) plutôt que de porter la
guerre au Pérou pour en finir avec l'Ancien Régime sur
le sol américain (sur l'autre façade du continent), San
Martín avait
renoncé à ses titres et emplois argentins. Il avait
quitté Mendoza d'où il était revenu du Chili
pour tenter, tout au long de l'année 1819, de faire entendre
raison aux deux belligérants d'une guerre civile en passe de
mettre à feu et à sang tout le pays, les fédéraux,
très solidaires de sa politique continentale, et les
unitaires, repliés sur Buenos Aires et ses intérêts
locaux à court terme. Excédé par l'entêtement de la capitale à
ne rien prendre en compte de la situation générale, il
avait rejoint le Chili, sans même attendre l'autorisation
officielle qui l'aurait relevé de ses fonctions du côté
oriental de la Cordillère. Depuis plusieurs mois, il souffre d'une arthrose prononcée aux membres inférieurs
et supérieurs au point d'être presque continuellement
alité. Il a donc traversé les Andes en litière,
porté à dos d'homme par soixante grenadiers triés
sur le volet parmi les plus sûrs de ses soldats, les moins
susceptibles d'être tentés par les querelles intestines
qui empoisonnent les Provinces-Unies. Il est assisté par le
docteur Colesberry, un médecin homéopathe né et formé aux
Etats-Unis qui l'a déjà soigné lors de la
terrible crise d'asthme et d'hémorragie stomacale qui a failli
le tuer à Tucumán
en 1814 (voir mon article du 6 novembre 2012 sur cet épisode
de sa vie publique en Amérique). Dès son arrivée
sur le sol chilien, sans même se rendre à Santiago, San
Martín a passé
deux semaines à Cauquenes dont les eaux sont souveraines
contre les douleurs articulaires. C'est de là qu'il a envoyé
sa première note d'organisation sur la libération du
Pérou à son ami et allié politique, son presque alter ego, Bernardo
O'Higgins, Directeur suprême du Chili depuis février
1817.
Le
20 août 1820, José de San Martín
embarque avec 4 500 hommes à bord d'une flotte
hétéroclite de toutes tailles et provenances :
Grande-Bretagne et Etats-Unis pour la majeure partie des navires,
Chili et même Provinces-Unies, qui auront été le
moins généreux contributeur à cette grande
opération dont dépendait la liberté définitive
de l'Amérique du Sud, et enfin, mais bien malgré elle,
l'Espagne, avec plusieurs bâtiments saisis par les patriotes
tandis qu'ils longeaient d'un peu trop près les côtes
chiliennes sur leur route de la Patagonie à Lima. C'est
Lord Cochrane qui commande les équipages, dont une importante
minorité (1) sont, comme lui, des sujets de Sa Gracieuse Majesté, et le reste des citoyens des Etats-Unis d'Amérique.
Entre
José de San Martín
et Lord Thomas Cochrane, le torchon brûle déjà
depuis un bon moment.
Cochrane
est arrivé avec femme et enfants à Valparaíso le 28 novembre 1818. Ce sont des envoyés de San Martín
et O'Higgins qui sont rendus à Londres pour lui proposer
cette mission qui pouvait lui rendre tout son prestige militaire et
naval. Pendant les guerres napoléoniennes, Cochrane avait
gagné la réputation tout-à-fait méritée
d'être un très grand marin et en effet, l'homme a du
courage physique (il le prouvera encore la veille de sa mort) et une habileté tactique hors pair. Sur mer, il a semé
la terreur parmi les marins français et espagnols. Il connaît
admirablement son élément, maîtrise la navigation
par tous les temps et ses connaissances techniques vont jusqu'à
la construction navale, puisqu'il est capable de réparer de
ses propres mains une avarie complexe et peut faire à
bord office d'architecte naval. Mais il a connu l'humiliation d'être
chassé de la Royal Navy et dégradé alors qu'il
avait atteint les fonctions d'amiral pour une complexe affaire
d'escroquerie à la Bourse de Londres, dont il s'est toujours
proclamé innocent mais pour laquelle il a été
condamné à un an de prison ferme, qu'il a intégralement
purgé en 1814-1815, tout héritier qu'il fût du
comte Dundonald, pair d'Ecosse, et dont il ne sera jamais
complètement ni amnistié ni relevé.
Dès
le retour au Chili de San Martín à peu près à la même date, on a senti le lord écossais se raidir en présence du héros de la Traversée des Andes. Mais lorsqu'au bout d'une année passée à Mendoza, San Martín est revenu au Chili en janvier 1820, quelque chose s'est brutalement détraqué dans le comportement de l'aristocrate flamboyant et
séduisant, qui se transforme définitivement en un personnage hautain et arrogant : il terrorise ses subalternes, impose sans plus aucune mesure les us et coutumes britanniques à toute la
flotte jusque dans les moindres détails de la vie quotidienne, à bord et à terre, alors que ces marins se sont pour la plupart engagés pour mettre fin à
l'impérialisme européen sur leur propre sol. A plusieurs
reprises, Lord Cochrane revendiqua de garder pour lui ses prises de
guerre, comme il était encore d'usage dans la Royal Navy, où
elles étaient vendues au profit du commandant et de l'équipage
en guise de solde et de prime. San Martín
ne voulait pas entendre parler de ces pratiques de flibusterie :
les marins avaient une solde et devaient s'en contenter, comme le
fait une armée professionnelle soumise au pouvoir politique et
non à un caprice mercenaire de son chef. Cochrane continuait d'attaquer, de sa propre initiative, des positions de son choix et certains navires espagnols sans même en référer au préalable
au Gouvernement ou au général-en-chef vis-à-vis
duquel il refusait le moindre lien de subordination. Il estimait
qu'il avait été recruté pour être le futur
chef suprême de l'expédition vers le Pérou. Il avait d'ailleurs accepté pour cela une naturalisation expéditive.
Le retour au Chili de San Martín
semble l'avoir pris de court et à froid ! Il adopta aussitôt
contre lui une attitude de rivalité procédurière
qui exaspéra assez vite les dirigeants chiliens, presque tous
des anciens de l'Armée des Andes, très attachés
à la personne de "leur"
général, en qui ils voyaient un bon chef,
juste, éclairé, courageux et beaucoup plus légitime
que n'importe quel Européen refusant de se faire à leurs
manières de vivre et de suivre les chemins politiques qu'ils
souhaitaient emprunter. Qui plus est, tous les officiers d'état-major
et les dignitaires du Chili indépendant savaient les ennuis de
santé de San Martín
et les efforts surhumains qu'il déployait pour les surmonter et se trouver à son poste tous les matins, de l'aube jusque tard dans
la nuit...
Avec
son mode de vie notoirement spartiate, cette santé fragile, unie à une force morale exceptionnelle, ne contribuait
pas médiocrement à son prestige et à sa
popularité...
Aucun
contemporain ne comprit jamais ce qui se passait dans la tête
de l'invivable contre-amiral venu d'Albion, et pour cause ! L'homme
était en fait atteint d'une forme aiguë de paranoïa,
avec des bouffées délirantes, une maladie dont le cadre clinique ne fut établi que quatre-vingts ans plus tard par Freud et qui
lui valut toute sa vie durant de nouer les pires relations avec tous ceux avec qui il a travaillé, les égaux, les supérieurs, les subordonnés. On
reconnaît très nettement les symptômes de cette
pathologie dans ses nombreux livres de souvenirs et de mémoires
publiés par la suite en Angleterre. Dans une logorrhée
intarissable, il y griffe et déchire la réputation et
l'image de San Martín
avec une rancœur et une
jouissance qui font encore froid dans le dos, un siècle et
demi après leur publication.
Quelques
semaines avant de lever l'ancre, San Martín,
devinant les ennuis qu'allait lui coûter un élément
aussi incontrôlable, avait envisagé de démettre
Cochrane au profit d'un Anglais, Guise, moins brillant et moins
expert mais plus discipliné. Mais son caractère
conciliant lui fit hésiter devant une mesure aussi humiliante
pour l'officier écossais et l'escadre partit avec ce feu qui
couvait entre les deux chefs qui ne parvenaient pas à
s'entendre.
Au
Pérou, régnait alors Joaquin de Pezuela, vice-roi nommé
par Fernando VII et absolutiste convaincu. En 1818, son gendre, le
général Osorio, l'avait mis en mauvaise posture en
s'enfuyant lâchement du champ de bataille de Maipú,
au Chili, dès qu'il avait vu les troupes de San Martín
prendre l'avantage sur les siennes. Au moment où l'expédition
voguait vers Lima, Pezuela cachait encore à la population,
malgré les ordres de Madrid, ce qui s'était passé
en Espagne au début de l'année : le 1er
janvier, un coup d'Etat des Cortés avait écarté le roi
du pouvoir exécutif et établi un gouvernement
parlementaire libéral. En mars, les Cortés avaient même
contraint Fernando VII à prêter serment à la Pepa, la constitution de 1812, établie sous Joseph Bonaparte dit Pepe Botella (d'où le surnom de la constitution adoptée sous son règne puis
abolie en 1814), à la première Restauration. De son
côté, le roi écarté mais non pas détrôné
tentait en vain de convaincre le reste de l'Europe qu'il était
prisonnier des Cortés comme Louis XVI en son temps l'avait été
de la Convention. Les Péruviens ne savaient officiellement
rien de ce renversement de la situation en métropole. Certes,
ils en entendaient parler dans les informations que répandaient
sous le manteau les agents sanmartiniens mais ils étaient
incapables de discerner le vrai du faux. De San Martín,
ils entendaient dire qu'il était un brigand féroce, un
conquérant sans pitié qui semait la désolation
sur son passage, un révolutionnaire impie capable de tous les
sacrilèges et qui allait instituer la Terreur comme dans la
France des années 1793-1795. D'un autre côté, des
déclarations au ton ferme mais mesuré et étonnamment
fraternel circulaient que l'on disait de sa main. Où était
la vérité ? Bien malin était celui qui
pouvait le dire. Démoralisés, les Limègnes
interrogeaient les officiers de la Royal Navy et les capitaines des
navires marchands britanniques, tous officiellement neutres, qui
faisaient escale au Callao ou y livraient des marchandises et
parfois, la réponse obtenue augmentait encore la confusion
générale. Du sud, montait San Martín
et ce qu'ils prenaient pour un ramassis de hors-la-loi. Du nord, les
troupes de Bolívar,
redoutées de tous les royalistes, semblaient vouloir elles
aussi fondre sur Lima. Isolée entre l'ennemi brésilien,
la montagne et la mer, la ville ne savait plus à quel saint
se vouer et un mode de vie décadent s'y était développé
dans une atmosphère de fin du monde.
L'Espagne,
de son côté, était irrésolue. L'intérêt
économique du pays, ruiné au-delà de
l'imaginable par les guerres révolutionnaires et la cessation
du commerce colonial, voulait que l'on réprime sans flancher
les fauteurs de troubles comme San Martín,
Bolívar et leurs
lieutenants, et qu'on rétablisse dans l'empire la soumission
due à la Métropole mais la conviction libérale
des nouveaux gouvernants voulait que prévale la liberté
des peuples à disposer d'eux-mêmes et que l'esclavage
des noirs et la servitude des Indiens disparaissent à jamais
de la surface du globe, ce qu'on ne pouvait raisonnablement guère
attendre de l'ancien ordre colonial... Dans un pays qui avait
retrouvé la pleine liberté de presse, les chroniqueurs
ne savaient plus sur quel pied danser comme le montrent ces deux
unes, la première désorientée et la seconde
contradictoire et confuse, du Diario Constitucional pólitico
y mercantil de Barcelona de septembre et novembre 1820.
Source : Ministère de la Culture espagnol
Amérique
Espagnole
Les
nouvelles de Buenos Aires (2) reçues à Londres (3) vont
jusqu'au […] juin. Ramos Mejía
à cette date continuait d'exercer les fonctions de gouverneur,
don Manuel Obligado celles de président de la Junta (4) et la
communication avec le Chili serait ouverte (5).
Les
dernières nouvelles de Valparaíso
datent du 24 avril. L'expédition de Lord Cochrane et du
général San-Martín
(6) vers le Pérou était bien près de lever
l'ancre. On avait réuni 70 bâtiments de transport et le
régiment des grenadiers à cheval de San Martín
(7) et un corps considérable d'infanterie destiné à
l'avant-garde. Les troupes restantes de l'expédition
marchaient vers Valparaíso.
On avait retenu dans le port toutes les embarcations jusqu'au départ
de l'expédition. On supposait que San Martín
était en relation avec Bolívar
(8) et que la première opération des deux armées
serait une attaque contre Guayaquil par les troupes combinées
du Venezuela et du Chili (9).
Diario
Constitucional de Barcelona,
numéro 174, du dimanche 3 septembre 1820.
(Traduction
Denise Anne Clavilier)
Source : Ministère de la Culture espagnol
Amérique espagnole
Les journaux français nous
annoncent de nouveau les plus funestes nouvelles au sujet de nos
possessions de l'Amérique méridionale. Très
bientôt, disent-ils, en se référant à des
lettres de Santiago de Chile du 25 juin, très bientôt,
le sort du Pérou sera irrémédiablement décidé.
Le Général San Martín
(10), à la tête de six mille hommes, se propose
d'attaquer d'ici quelques jours ce royaume. Tout paraissait y être
préparé pour la réussite de cette expédition
car les patriotes eux-mêmes (11) désiraient avec ardeur
et avaient sollicité la coopération des indépendants
du Chili (12) et c'est dans ce but qu'on a embarqué sur
l'escadrille de Valparaíso
dix mille fusils pour les leur distribuer et de nombreux officiers de
mérite pour les organiser et les instruire.
Les Espagnols ont environ 12 à
13 000 hommes mais disséminés dans un vaste et
immense pays (13) et les distances et la difficulté des
chemins, des lacs, des montagnes presque inaccessibles doivent rendre
très difficile toute coopération. Sans compter par
ailleurs les six milles hommes de San Martín,
une autre armée de force presque égale procédant
de Córdoba,
Tucumán, Salta et
Jujuy est sur le point d'occuper le Haut-Pérou (14),
c'est-à-dire le Potosí
(15), Cochabamba, La Paz, etc... (16). La situation des Espagnols est
très critique eu égard à l'immense nombre de
patriotes du Pérou qui veulent imiter notre exemple (17) et
[le nombre] des Noirs non moins prompts à profiter de la
première occasion de rompre leurs chaînes et de se
venger de leurs oppresseurs. Par malheur, de surcroît, le
gouvernement (18) a établi un tel système d'espionnage
et de délation qu'il a presque détruit toute relation
d'amitié et de confiance mutuelle entre les habitants. Des
indigènes (19) très respectables ont été
arrêtés sur de légers soupçons et on
n'évite enfin aucun recours à la violence pour
s'assurer de la fidélité des natifs.
Il est inutile d'ajouter que le
commerce est entièrement nul, puisqu'on ne voit aucun bâtiment
espagnol sur ces mers et que toute communication avec la mère-patrie
(20) semble interrompue.
A la différence de Buenos Aires
(21), dans ce royaume (Chili), nous jouissons d'une tranquillité
parfaite et de tous les avantages d'un gouvernement qui reconnaît
que la meilleure base pour le bonheur public est la plus scrupuleuse
bonne foi. Les marchandises étrangères qui ont inondé
nos marchés au début ont toutes été
vendues ensuite et aujourd'hui même, on commande beaucoup
d'articles et à des prix élevés.
Le peu ou l'absence de succès
des fusées à la Congreve contre le port de Callao (22)
et les troubles de Buenos Aires doivent contribuer puissamment au bon
résultat de l'expédition qui va lever l'ancre de
Valparaíso. Ces
événements ont inspiré au Vice-Roi de Lima une
telle sécurité qu'il s'est à peine occupé
de prendre la plus légère mesure pour la défense
du pays comme il l'aurait sans doute fait sans eux et on assure même
que, se croyant très à l'abri de toute attaque et de
tout risque, il a démobilisé deux corps de volontaires
de Lima. (Il semble que Monsieur le Vice-Roi du Pérou n'a pas
autant dormi pendant ce temps que le suppose l'extrait qui précède.
Nous savons qu'il avait pris la disposition de former un camp mobile
de 4 000 hommes à Guayaquil et sollicité et obtenu
du conseil général (23) un enrôlement
extraordinaire de 10 000 hommes. De surcroît, si
l'occupation et la conquête du Pérou n'ont pas donné lieu à ce coup de main,
et rien n'indique qu'il ait été commis, nous devons
à juste titre espérer qu'une fois arrivée dans
ces beaux pays lointains la nouvelle du triomphe constitutionnel dans
la mère-patrie contribuera plus que toute autre mesure à
les défendre et à les conserver car les amis de la
liberté doivent voir leur triomphe assuré (24) et
résolu le grand problème du bien-être de la
société sans l'impertinent orgueil de l'oligarchie ni
les désordres de la démagogie. Les habitants du Pérou
doivent aussi, mieux que nous, connaître ces républicains
rédempteurs (25) qui, depuis tant d'années, dévastent
le meilleur pays du monde et qui font semblant de guerroyer mais ne
travaillent en réalité que pour leur propre compte. Les
rédacteurs.
Diario Constitucional de Barcelona,
numéro 255, du vendredi 24 novembre 1820
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Pour
aller plus loin :
Lire
mon article du 23 octobre 2012 sur la souscription et la biographie
en elle-même (le bon de souscription, à 12,5% de
réduction sur le prix public après parution, y est
téléchargeable en format pdf à imprimer)
-
Ecouter mon interview d'août 2012 en français, par
Magdalena Arnoux, sur Radio Nacional (Radiodifusión
Argentina al Exterior).
Elle
porte surtout sur les rumeurs concernant l'identité de San
Martín, rumeurs relancées il y a quelques années
par des auteurs qui utilisent le scandale pour mieux vendre leurs
livres (en mettant notamment en doute la filiation officielle du
héros au profit du pseudo-secret d'une naissance illégitime,
inventions auxquelles adhèrent d'autant plus volontiers la
population argentine qu'elle connaît très mal la
personnalité de San Martín et le contenu de son œuvre
politique, au bénéfice d'une légende édifiante
qui ne tient pas debout mais fait office de leçon d'histoire à
l'école jusqu'au baccalauréat).
-
Ecouter mon interview d'août 2012 en espagnol sur la même
station.
Le
journaliste Leonardo Liberman m'y fait parler du San Martín
intime et quotidien de l'exil à Paris, entre 1831 et 1850.
Nous nous y entretenons de son amour pour la musique, les arts, la
littérature, de sa profonde amitié avec le financier
hispano-français Aguado, qui inspira le personnage du comte de
Monte-Cristo à Alexandre Dumas, et de son affection pour sa
fille ainsi que de la ville de Boulogne-sur-Mer où San Martín
est décédé le 17 août 1850.
Pour
en savoir plus sur la figure que représente José de San
Martín en Argentine à travers les articles de ce blog,
cliquez sur son nom dans le bloc Pour chercher, para buscar, to
search, ci-dessus.
Pour
lire l'ensemble des articles de Barrio de Tango correspondant
à mon livre, cliquez sur le mot-clé SnM bio Jasmin,
dans le même bloc Pour chercher.
(1)
600 Anglo-Saxons et 1 000 Chiliens bien déterminés
à en finir avec la menace permanente que le Pérou
contre-révolutionnaire fait peser sur leur pays depuis les
premières tentatives de celui-ci de secouer les entraves de
l'Ancien Régime, en septembre 1810, après que l'Espagne
soit presque tout entière passée sous occupation
française, sous le règne forcé de Joseph
Bonaparte.
(2) Remarquer la modernisation
orthographique, très visible sur le nom de la ville :
Buenos Ayres est devenue Buenos-Aires en Espagne, alors qu'on gardera
encore longtemps l'ancienne orthographe en Argentine et dans le reste
de l'Europe, où l'on emploiera pas le trait d'union.
(3) Comme je le disais dans le
précédent article de cette série, celui du 16 novembre 2012, dans ces années où la Grande-Bretagne
possédait le quasi-monopole des relations maritimes
transatlantiques, les Espagnols apprenaient ce qui se passait en
Amérique par Londres, la presse et le personnel diplomatique
en poste auprès de la cour de Saint-James.
(4) Peut-être le rédacteur
confond-il ici avec l'assemblée législative. Il y a
belle lurette que le régime de la Junta de 1810 a disparu à
Buenos Aires !
(5) En réalité, on est au
pire moment des relations entre les Provinces-Unies (que San Martín
appellent alors les Provinces Désunies) et le Chili. Le
gouvernement de Buenos Aires réclament à Santiago le
remboursement des frais engagés pour l'armée
libératrice du Chili (Armée des Andes) et le
gouvernement chilien négocie des coopérations
stratégiques avec les Provinces andines frontalières
(Salta, Tucumán,
Mendoza...). Mais les Espagnols n'ont qu'une piètre
connaissance de la géographie et de la nouvelle organisation
politique de l'Amérique du Sud.
(6) Les Espagnols sont tellement
dépossédés de leurs propres sources
d'information qu'ils écrivent ce nom propre comme s'il
s'agissait d'un patronyme français ou anglais, sans faire le
lien avec un officier supérieur qui n'a pas dû leur être
inconnu au début de la guerre d'indépendance, entre
1808 et 1811.
(7) Où l'on constate que, depuis
sa fondation en mars 1812 (voir mon article du 9 mars 2012 sur
l'arrivée de San Martín
à Buenos Aires), ce régiment a déjà gagné
une solide réputation qui lui permet d'être cité
simplement par son nom dans l'Espagne déboussolée de
1820. C'était une formation redoutée et redoutable
depuis son baptême du feu, le 3 février 1813, où
elle défit en un quart d'heure un détachement royaliste
lors d'un combat fulgurant à San Lorenzo, près du
fleuve Paraná, un combat
dont le récit avait aussitôt passé à la
légende dans toute la partie méridionale de l'Amérique
du Sud (voir mon article du 30 octobre 2012 sur ce dessin où
Rep rassemble toute la vie de San Martín
en une seule vignette)
(8) Fausse informations. Les premiers
contacts furent pris en septembre, lorsque San Martín
se trouvait déjà dans les eaux péruviennes.
C'est là qu'il reçut un courrier de Bolívar
qui le félicitait pour son expédition et lui disait
vouloir bientôt joindre ses forces aux siennes. Ce qu'il ne fit
jamais, au grand désespoir de San Martín
qui espérait de cette fusion la fin rapide de la guerre
d'indépendance et du bain de sang qu'elle entraînait.
(9) Pas mal vu. Mais c'est pourtant une
autre rencontre qui se tiendra à Guayaquil, celle des deux
généraux en chef, à un moment où, sans
attendre de négocier ce point avec son homologue du sud comme
cela était convenu entre eux, Bolívar
aura déjà annexé de force Guayaquil à la
Colombie. En pure perte, car Guayaquil ne voulait appartenir ni au
Pérou ni à la Colombie et en s'alliant à Quito,
la ville formera quelques années plus tard un nouvel Etat
indépendant, l'actuel Equateur.
(10) Ouf, ils ont retrouvé leur
orthographe et réintégré l'homme dans son
univers hispanophone.
(11) Il s'agit ici des libéraux
installés au Pérou, lesquels dans leur majorité
se montrèrent assez peu efficaces dans l'entreprise de leur
propre libération. Mais il est vrai que les vues sociales de
San Martín, et
notamment sa volonté de mettre fin à l'esclavage des
noirs et à la servitude des Indiens, ce qui bouleversait tout
l'ordre économique en place depuis trois cents ans, n'était
guère pour leur plaire.
(12) Une toute petite partie d'entre
étaient déjà en contact avec San Martín
et entretenaient avec lui une correspondance secrète depuis au
moins 1819.
(13) En réalité, les
effectifs et leur répartition étaient très
largement en faveur du vice-roi. Mais la légitimité
était du côté des patriotes et la fidélité
des troupes vice-royales loin d'être acquise. Il y eut
d'ailleurs très vite de nombreuses défections et des
retournements dans la population civile, épuisée par
dix ans de mouvements révolutionnaires qui la cernaient de
plus en plus près.
(14) Actuelle Bolivie
(15) Le Potosí
est une région minière avec un grand gisement d'argent
toujours exploité aujourd'hui. Elle a longtemps été
la source du métal précieux monétisé en
Espagne et lui a donné cette opulence que l'Europe lui a
connue aux 17ème et 18ème
siècles.
(16) Une manœuvre
de diversion négociée entre plusieurs chefs fédéraux
argentins d'un côté et O'Higgins et San Martín
de l'autre pour diviser les troupes coloniales et réduire
d'autant l'opposition qu'elles étaient susceptibles d'opposer
à l'expédition libératrice aux alentours de Lima
ou de son port, El Callao.
(17) Allusion au coup d'Etat libéral
du 1er janvier contre la politique réactionnaire
absolutiste de Fernando VII.
(18) Pezuela.
(19) Des natifs d'Amérique, par
opposition à des fonctionnaires venus d'Espagne. Ici, il
s'agit de Blancs.
(20) la Métropole.
(21) Buenos Aires désigne
probablement ici les Provinces-Unies, comme c'est très souvent
le cas, jusqu'à ce que le nom Argentine s'impose peu peu comme
le nom du pays. Le "nous"
qui suit semble indiquer un changement de provenance de l'information
car le Chili a lui aussi coupé les ponts avec l'Espagne après
la victoire de Chacabuco le 12 février 1817 mais sans chasser
du territoire les Espagnols qui s'y trouvaient (voir mon article du 16 novembre 2012). Les rédacteurs passent sans doute ici du
résumé de certains journaux français, dont ils
ne mentionnent pas les titres à leurs lecteurs, à
d'autres sources, qui pourraient bien être des courriers de
commerçants - espagnols ou peut-être plutôt
britanniques (malgré les "marchandises
étrangères"
dont il est question plus bas). Les règles du journalisme
moderne ne sont pas encore nées ! Le plus drôle,
c'est de voir opposer la politique de O'Higgins à l'action de
San Martín, alors que tous les deux sont absolument sur la
même ligne. A méditer quand nous ne comprenons rien à
ce qui se passe dans une partie du monde que nous connaissons mal (le
Mali, la Somalie, la Lybie, la Syrie...).
(22) Allusion à une arme
utilisée par Cochrane contre le port de Callao, attaqué
de sa propre initiative avec des projectiles utilisant une
technologie anglaise dernier cri, qu'il maîtrisait mal et qui a
échoué. Cette initiative malheureuse avait exaspéré San Martín
qui voulait éviter à tout prix les affrontements armés
avec la côte péruvienne, pour ne pas se faire avant même
le départ de l'expédition des ennemis de la population
car il espérait la gagner à la révolution
d'abord par des méthodes pacifiques. Cochrane, lui, ne rêvait
que de plaies et de bosses.
(23) Instance officielle dépendant
du gouvernement madrilène. Pezuela avait besoin de cette
autorisation parce que la solde des nouvelles recrues allait peser
sur le budget de l'Etat. L'armée espagnole était
organisée comme une armée nationale depuis 1768, elle
n'était plus intéressée économiquement
aux succès de ses armes et elle ne faisait plus appel aux
mercenaires comme les autres armées d'Ancien Régime en
Europe. Elle payait ses soldats au mois et ils avaient donc
interdiction statutaire de se livrer au moindre pillage pour
subsister. De cette différence foncière ont pu naître
bon nombre de malentendus entre San Martín,
qui vivait sur le modèle nouveau, et Cochrane qui en était
resté à une armée mercenaire, payée au
lance-pierre et qui se rémunérait sur les prises de
guerre.
(24) Une fois renversé le
vice-roi Pezuela qui avait fait la preuve de son incompétence
devant l'arrivée de l'expédition libératrice,
San Martín ne
voulut pas entendre ce discours que lui tinrent en effet les libéraux
de l'armée royaliste. San Martín,
trop bien informé du peu de considération de l'Europe
pour le nouveau régime espagnol, refusa tout compromis et
exigea l'indépendance pure et simple du Pérou, quitte à
mettre en place par la suite des accords commerciaux avec l'ancienne
Métropole. Et il eut raison : la révolution
libérale ne dura que trois ans et c'est une expédition
ultra-royaliste française, les Cent-Mille Fils de Saint-Louis,
qui rétablit le roi d'Espagne dans l'intégralité
de ses pouvoirs pré-révolutionnaires.
(25) Malgré l'absence de
guillemets, l'expression est ici ironique. Ce sont les
révolutionnaires américains qui sont censés se
présenter de cette manière. Les "désordres
de la démagogie"
évoqués à la phrase précédente
désignent bel et bien l'action de San Martín
et de Bolívar.