L'un des ouvrages préfacés par Mayochi, présenté dans le revers de la première de couverture |
Hier à l'aube, le professeur Enrique Mario Mayochi est décédé chez lui, à Buenos Aires, à l'âge de 88 ans. Cet ancien journaliste de La Nación et ancien professeur d'école normale (formation des enseignants) était devenu, il y a déjà de nombreuses années, un historien reconnu, spécialiste des débuts de l'Argentine, la Révolution de Mai 1810 et la lutte pour l'indépendance. On lui doit de nombreux articles et plusieurs ouvrages sur les événements de Mai, le Congrès de Tucumán, le journalisme à l'époque de la Gaceta de Buenos Aires et de l'Argos. Il était membre de plusieurs académies, dont celle du journalisme (Academia Nacional del Periodismo), l'Academia Sanmartiniana (Instituto Nacional Sanmartiniano) et l'Instituto Nacional Belgraniano (pour n'en citer que trois). Bien avant les gouvernements Kirchner, il avait été l'un des rares présidents civils de l'Instituto Nacional Sanmartiniano. Il avait signé plusieurs articles et monographies dans les publications de l'Instituto de Investigaciones Históricas de la Manzana de las Luces, dont le sujet l'intéressait vivement : l'ancienne maison provinciale des jésuites, abandonnée de force en 1767 à la suite de l'édit royal d'expulsion de la Compagnie de Jésus et devenue par la suite imprimerie des Enfants Trouvés (Imprenta de los Niños Expositos) puis siège de la Bibliothèque Publique fondée par Mariano Moreno pendant la Révolution de Mayo puis siège des Archives nationales encore embryonnaires avant d'accueillir le Congrès de Tucumán rapatrié à Buenos Aires, etc. On lui doit en particulier une présentation des tunnels (1) qui relient la Manzana aux grands centres décisionnels coloniaux de l'actuelle Plaza de Mayo qui s'appelait alors Plaza Mayor (le Cabildo, le Fort San Miguel, la cathédrale) qu'il a signé avec mon amie, Ana María Di Consoli, guide culturelle à la Manzana et spécialiste du patrimoine religieux de Buenos Aires. En 1960, déjà très reconnu, il siégea à la Commission pour les cent-soixante ans de la Révolution de Mai.
Sa monographie sur le quartier de Belgrano, qui fut un village (pueblo) à l'extérieur de Buenos Aires baptisé du nom du général de la Révolution de Mai Manuel Belgrano (1770-1820) |
Fervent catholique, Mayochi avait
présidé la Junta de Historia Eclesiástica Argentina et en dirigea
la superbe revue, intitulée Archivum, succédant ainsi au
prestigieux et presque légendaire historien jésuite, Guillermo
Furlong, qui domine tout ce champ d'investigation en Argentine. Le
Dr. Mayochi participait jusqu'à il y a encore peu de temps au jury
qui récompensait les ouvrages présentés chaque année à la Feriadel Libro Católico, que dirige l'évêque de La Plata, Monseigneur
Héctor Aguer. Il en était à présent membre d'honneur, à l'égal
de l'archevêque de Buenos Aires, le cardinal Mario Poli !
Il vivait dans le quartier de Belgrano
dont il avait écrit l'histoire de 1855 à 1998 comme membre de la
Junta de Estudios Históricos locale, qu'il avait participé à
fonder (chaque quartier de Buenos Aires et même chaque commune du
pays, ou presque, a ainsi son cercle d'historiens, dont la rigueur
méthodologique et l'ambition scientifique varient beaucoup d'un
groupe à l'autre).
Depuis plusieurs années, il était
très malade et vivait chez lui en hospitalisation à domicile. Il y
a deux ans, j'avais failli être reçue car il était toujours le
grand manitou du monde sanmartinien mais au matin de l'entrevue, on
m'avait appelée pour annuler le rendez-vous : il avait fait un
malaise et devait recevoir son médecin. Fin du rêve de connaître
une personnalité de premier plan dans la recherche historique en
Argentine, l'un des rares auteurs qui cherchait à se dégager de la
sempiternelle tentation de l'historiographie dès qu'on aborde le
passé national en Argentine.
Ses restes ont été veillés hier et il a été enterré dans un cimetière privé de Pilar, dans le nord de Buenos Aires, ce matin.
La Nación, dont il fut de 1960 à
1995, successivement directeur des archives, chef de rubrique pour la
culture et l'éducation et sous-secrétaire de rédaction, lui rend
hommage aujourd'hui, le seul quotidien à parler de sa disparition.
En plus de La Nación, une agence de
presse a dressé une nécrologie : l'agence confessionnelle liée
à la Conférence épiscopale d'Argentine, l'AICA.
C'est bien peu pour cette grande figure
qui méritait plus de respect de la part des cercles culturels du
pays.
D'ordinaire, dans Barrio de Tango, je
ne publie par d'autres articles lorsqu'il y a une disparition. Je
fais une exception aujourd'hui parce que le gros refroidissement dont
j'ai souffert cette semaine m'a mise en retard sur l'actualité
culturelle en Argentine et il me semble que les nouvelles de cette
fin de semaine méritent vraiment de ne pas être passées sous
silence.
Pour aller plus loin :
lire la dépêche de AICA
lire la notice biographique sur le site
Internet de la Academia del Periodismo
(1) Une partie de ces tunnels se visite
aujourd'hui. Une autre partie est inaccessible : les lignes de
métro qui partent sous Plaza de Mayo ou la traversent sectionnent
les tracés de ces anciennes voies souterraines.