lundi 25 mars 2019

Dimanche militant à gauche [Actu]

"Pour un autre pays" dit le gros titre,
à côté du mère de la place de Mai de dos

Hier, jour anniversaire du dernier coup d’État, il y a 43 ans, les organisations militantes des droits de l’homme animaient, comme tous les ans à la même date des marches dans tout le pays. Ces associations, Madres de Plaza de Mayo, Abuelas de Plaza de Mayo, HIJOS, Familiares de Desaparecidos, sont issus de la lutte des victimes du terrorisme d’État qui a fait, chiffre officiel souvent contesté par la présente majorité, 30.000 morts et disparus (1). En l’occurrence, nul ne peut nier l’affluence qui a été particulièrement visible à Buenos Aires, sur Avenida de Mayo et Plaza de Mayo. Une affluence qui est aussi celle du peuple de gauche, en cette année où se joue le mandat présidentiel et les mandats des gouverneurs provinciaux.

A la tribune hier, Estela de Carlotto
En grands chiffres fleuris, le nombre des disparus
que certains membres de la majorité contestent
Sur l'écran, défilaient les photos des disparus sous la dictature

Estela de Carlotto, la présidente de Abuelas, a déploré que le manque de moyens accordés à la recherche des disparus ait provoqué un moindre questionnement des adultes adoptés et qui pourraient s’interroger sur leur identité de naissance. Elle a avancé comme preuve de son raisonnement le fait qu’en 2018, on ait pu retrouver qu’un seul des enfants enlevés à leurs familles en bas-âge, alors que les années précédentes on avait vu plusieurs cas se résoudre tous les ans.

L'Argentine le 24 mars, jour de manifestation pour la mémoire, la justice et la vérité
selon le slogan de la journée
"Récupérons ce que nous avons perdu"
Miguel Rep, hier, dans Página/12
Et cette fois-ci, il a couché l'Argentine (le nord est à droite)

Pour ne pas être en reste, deux des ministres ont retourné le couteau dans la plaie, l’un, Claudio Avruj, chargé des droits de l’homme au Ministère de la Justice, en balayant d’un revers de main la prétention des associations de victimes à être au centre de la politique des droits de l’homme, l’autre, Patricia Bullrich, l’ultra-droitière ministre de la Sécurité, en critiquant que ces associations se soient appropriées la date du 24 mars. Dans les deux cas, c’est faire preuve de beaucoup de cynisme. Cynisme lorsque Avruj prétend que son action s’étend maintenant à d’autres préoccupations, comme la condition féminine, le climat et la lutte contre la pollution ou les peuples originaires, ce qui serait une bonne chose s’il aboutissait à des changements dans ces domaines, qui ne sont en effet guère pris en compte par les associations de victimes des années 1970-1980, qui ont tendance à geler le théâtre des opérations à la situation de ces années-là. Mais s’il consulte et réunit à tour de bras, c’est bien tout ce que fait ce secrétaire d’État aux droits de l’homme. Cynisme aussi lorsque Bullrich se plaint d’une confiscation par la gauche alors qu’il ne tenait qu’aux autres courants politiques de se joindre aux associations de victimes pour en faire une cause commune à tous les Argentins, en dépassant les différences partisanes et idéologiques, alors qu’elle est la première à avoir agi exactement et perpétuellement à l’inverse de ce dépassement authentiquement patriotique.

Une d'hier
Ces dalles représentant les foulards des Mères de la Place de Mai
ont été retirées de la Plaza de Mayo
par l'actuel gouvernement, très décidé à effacer autant qu'il le pouvait
les traces d'un passé qu'il n'aime pas rappeler

Pour aller plus loin :
hier :
lire l’éditorial de La Prensa, très acerbe sur l’existence d’un jour férié sur cette date (il arrive encore que dans les colonnes de La Prensa, on lise des éditoriaux favorables à la dictature ou très défavorables à ceux qui l’ont combattue, comme c’est le cas depuis plusieurs mois contre la béatification de Mgr Enrique Angelleli et ses compagnons, décédés dans des circonstances plus que suspectes quelques mois après le coup d’État, et que des rédacteurs de La Prensa ont qualifiés à plusieurs reprises de traîtres rouges inféodés au communisme international (2)
aujourd’hui :
lire l’article de Clarín, qui met en ligne l'intégralité du communiquer commun des associations de victimes (on n'attendait pas une telle transparence dans ce quotidien)
La Nación a préféré ne pas même en parler.



(1) Ce chiffre de 30.000 victimes, à une époque où l’Argentine comptait environ 30 millions d’habitants, a été présenté par les ONG et l’Argentine à l’ONU qui l’a retenu. Il est contesté par la droite parce que le nombre de dépôts de plainte auprès des instances judiciaires pour disparition est nettement plus bas, aux alentours de 8.000. La droite a donc tendance à avancer ce chiffre-là. Et aucun historien pour le moment n’est en mesure de travailler sur le sujet d’une manière pacifiée, transparente et méthodique.
(2) Ce père conciliaire du Concile Vatican II sera béatifié à la fin du mois d’avril dans le diocèse qu’il gouvernait lors de sa mort, La Rioja. Ces quatre assassinés, trois clercs et un laïc, sont considérés par l’Église comme des martyrs, tués en haine de la foi. Et comme le lectorat de La Prensa est à droite toute tout en se voulant fidèle à la doctrine catholique, cela le gêne sérieusement aux entournures.