"Pour un autre pays" dit le gros titre, à côté du mère de la place de Mai de dos |
Hier, jour anniversaire du dernier coup d’État,
il y a 43 ans, les organisations militantes des droits de l’homme
animaient, comme tous les ans à la même date des marches dans tout
le pays. Ces associations, Madres de Plaza de Mayo, Abuelas de Plaza
de Mayo, HIJOS, Familiares de Desaparecidos, sont issus de la lutte
des victimes du terrorisme d’État qui a fait, chiffre officiel
souvent contesté par la présente majorité, 30.000 morts et
disparus (1). En l’occurrence, nul ne peut nier l’affluence qui a
été particulièrement visible à Buenos Aires, sur Avenida de Mayo
et Plaza de Mayo. Une affluence qui est aussi celle du peuple de
gauche, en cette année où se joue le mandat présidentiel et les
mandats des gouverneurs provinciaux.
Estela
de Carlotto, la présidente de Abuelas, a déploré que le manque de moyens accordés à la
recherche des disparus ait provoqué un moindre questionnement des
adultes adoptés et qui pourraient s’interroger sur leur identité
de naissance. Elle a avancé comme preuve de son raisonnement le fait
qu’en 2018, on ait pu retrouver qu’un seul des enfants enlevés à
leurs familles en bas-âge, alors que les années précédentes on
avait vu plusieurs cas se résoudre tous les ans.
Pour
ne pas être en reste, deux des ministres ont retourné le couteau
dans la plaie, l’un, Claudio Avruj, chargé des droits de l’homme
au Ministère de la Justice, en balayant d’un revers de main la
prétention des associations de victimes à être au centre de la
politique des droits de l’homme, l’autre, Patricia Bullrich,
l’ultra-droitière ministre de la Sécurité, en critiquant que ces
associations se soient appropriées la date du 24 mars. Dans les deux
cas, c’est faire preuve de beaucoup de cynisme. Cynisme lorsque
Avruj prétend que son action s’étend maintenant à d’autres
préoccupations, comme la condition féminine, le climat et la lutte
contre la pollution ou les peuples originaires, ce qui serait une
bonne chose s’il aboutissait à des changements dans ces domaines,
qui ne sont en effet guère pris en compte par les associations de
victimes des années 1970-1980, qui ont tendance à geler le théâtre
des opérations à la situation de ces années-là. Mais s’il
consulte et réunit à tour de bras, c’est bien tout ce que fait ce
secrétaire d’État aux droits de l’homme. Cynisme aussi lorsque
Bullrich se plaint d’une confiscation par la gauche alors qu’il
ne tenait qu’aux autres courants politiques de se joindre aux
associations de victimes pour en faire une cause commune à tous les
Argentins, en dépassant les différences partisanes et idéologiques,
alors qu’elle est la première à avoir agi exactement et
perpétuellement à l’inverse de ce dépassement authentiquement
patriotique.
Pour
aller plus loin :
hier :
lire
l’éditorial de La Prensa, très acerbe sur l’existence d’un
jour férié sur cette date (il arrive encore que dans les colonnes
de La Prensa, on lise des éditoriaux favorables à la dictature ou
très défavorables à ceux qui l’ont combattue, comme c’est le
cas depuis plusieurs mois contre la béatification de Mgr Enrique
Angelleli et ses compagnons, décédés dans des circonstances plus
que suspectes quelques mois après le coup d’État, et que des
rédacteurs de La Prensa ont qualifiés à plusieurs reprises de
traîtres rouges inféodés au communisme international (2)
aujourd’hui :
lire
l’article de Clarín, qui met en ligne l'intégralité du communiquer commun des associations de victimes (on n'attendait pas une telle transparence dans ce quotidien)
La
Nación a préféré ne pas même en parler.
(1)
Ce chiffre de 30.000 victimes, à une époque où l’Argentine
comptait environ 30 millions d’habitants, a été présenté par
les ONG et l’Argentine à l’ONU qui l’a retenu. Il est contesté
par la droite parce que le nombre de dépôts de plainte auprès des
instances judiciaires pour disparition est nettement plus bas, aux
alentours de 8.000. La droite a donc tendance à avancer ce
chiffre-là. Et aucun historien pour le moment n’est en mesure de
travailler sur le sujet d’une manière pacifiée, transparente et
méthodique.
(2)
Ce père conciliaire du Concile Vatican II sera béatifié à la fin
du mois d’avril dans le diocèse qu’il gouvernait lors de sa
mort, La Rioja. Ces quatre assassinés, trois clercs et un laïc,
sont considérés par l’Église comme des martyrs, tués en haine
de la foi. Et comme le lectorat de La Prensa est à droite toute tout
en se voulant fidèle à la doctrine catholique, cela le gêne
sérieusement aux entournures.