samedi 17 août 2019

Quelques bouées de sauvetage lancées aux naufragés [Actu]

Le gros titre parle de lui-même sans traduction
En haut à droite, citation du candidat de l'opposition :
"L'accord n'a pas été respecté"
En haut, à gauche : "Colère et méfiance"

Jeudi dernier, un peu avant 19h, juste avant les premiers journaux audiovisuels, d'un seul coup, le président Mauricio Macri est apparu sur les réseaux sociaux pour lancer un discours de moins de deux minutes, où il est apparu un peu raide et les traits marqués pour annoncer, comme une décision très courageuse, une exemption de TVA sur une douzaine de produits alimentaires de première nécessité, dont certains supportent le taux le plus élevé : 21% sur la farine, par exemple.

"On supprime la TVA sur les aliments, on gèle les mensualités de prêt
et il y a du remaniement gouvernemental dans l'air"
Sur la photo, Macri baise la main de la gouverneure de Buenos Aires
qui a subi la plus grosse gifle électorale de toute l'opposition dimanche
Ce baise-main est photographié au cours d'une réunion de la majorité,
une réunion pour remobiliser les troupes et bizarrement tout était public
ce qui a permis de voir clairement tout le travail de démagogie en cours !

Cette mesure, en effet spectaculaire, touche la farine, la polenta, les pâtes sèches (les Argentins consomment en fait beaucoup de pâtes fraîches, le choix de pâtes sèches est donc assez réduit dans les épiceries comme dans les super et hypermarchés), le riz (produit sur le territoire national), la yerba mate, le mate cocido et le thé (lui aussi national... et pas très bon, mais on en trouve peu d'autres provenances plus traditionnelles), les conserves de fruits, de légumes et de légumineuses, les fruits et légumes frais, le pain, l'huile de tournesol (l'huile d'olive est considérée comme un produit de luxe) et le sucre. Cette annonce venait en complément d'autres mesures de soutien à la consommation avec injonction d'argent public ou sous forme d'avoirs fiscaux présentées dès mercredi et qui constituaient déjà une sérieuse entorse aux engagements officiels envers le FMI qui exige de l'Argentine une politique de rigueur qui interdit précisément la relance par la consommation populaire. Avec le FMI, un gouvernement doit punir les pauvres d'être pauvres (après tout, c'est leur faute), il doit leur faire tout payer au prix fort, y compris la santé et l'éducation, par la casse systématique des services publics. Ce qui a assez bien réussi en Argentine : le pays est tout désarticulé et dimanche, la population s'est révoltée et elle a glissé dans l'urne les bulletins de l'opposition.

De toute évidence, ce train de mesure, annoncé en deux fois, par le président est une tentative de réponse, dans l'urgence, sans beaucoup de réflexion en aval ni à long terme. Curieusement, elles reprennent de vieilles recettes, notamment péronistes et de gauche, que Mauricio Macri a toujours vouées aux gémonies (d'où la une de Pagina/12 hier, qui s'est bien amusé avec ce montage). Celles concernant la TVA sont une vraie esbroufe. Elles devaient entrer en vigueur dès le lendemain de l'annonce. Bien entendu, il n'en fut rien. Au mieux, on espère en voir l'effet à compter de dimanche, ou peut-être seulement lundi. Mais comme c'est un jour férié, ce sera peut-être mardi. Ou jamais. Allez savoir ! Car les artisans boulangers continueront à acheter leur farine avec TVA de 21% et seront obligés à répercuter cette partie du coût sur leurs prix de vente au détail s'ils veulent que leur maison survive, puisqu'ils ne pourront plus récupérer cette TVA sur le pain (ils pourront continuer sur tout le reste, en particulier les viennoiseries, qu'on achète ici beaucoup plus souvent qu'en France et par douzaine). Les grands acteurs de la distribution, Carrefour, Coto, Dia et autres Disco, maintiendront sans doute leurs prix actuels et garderont la marge pour arrondir leur chiffre d'affaires. Les petits supermarchés indépendants de quartier, qu'on appelle les chinos parce qu'ils sont tenus par des Asiatiques (Chine, Vietnam, Cambodge, Laos), auront peut-être l'honnêteté d'appliquer l'exemption pour que leurs clients s'approvisionnent chez eux de préférence aux grandes enseignes. Quoi qu'il en soit, l'Etat ne pourra rien contrôler, contrairement à ce que le président a promis avant-hier, car il ne dispose pas d'assez d'agents pour effectuer le travail sur les dizaines de milliers de points de vente qui existent dans ce pays qui couvre près que quatre fois le territoire de la France métropolitaine. Quant aux consommateurs, ils ne disposent d'aucune information sur les prix hors taxes (rien n'apparaît sur le ticket de caisse) et comme les prix n'ont pas cessé d'augmenter depuis plus d'un an à un rythme effréné, ils n'ont plus aucun repère pour savoir à combien était quoi samedi dernier, niveau de prix auquel sont censés revenir les produits exemptés de TVA.

"Ici [au supermarché], ce ne sont pas les paroles qui comptent"
La Prensa est le journal de l'oligarchie catholique réactionnaire
La perspective d'un gouvernement de gauche n'enchante pas la direction du titre

Pire encore : le candidat péroniste arrivé en tête des pré-élections de dimanche, Alberto Fernandez, a révélé le pot-aux-roses. Mauricio Macri a joué les pères Noël avec l'argent des provinces car ce sont aux entités fédérées et non à l'Etat central que revient la recette de la TVA.

Nouvelle preuve que le président a concocté dans l'urgence des mesures dont personne dans son équipe de gouvernement, comme il la désigne, n'a pris la peine d'étudier la faisabilité ni les conséquences.

La semaine prochaine, arrive une commission technique du FMI qui vient dispenser ses bons conseils de bonne gestion et taper sur les doigts d'un pays souverain qu'il tient en tutelle. C'est le ministre de l'Economie qui se chargera de l'accueillir. Un de ceux dont le Fonds monétaire a fait ou laissé fuiter peu avant les élections qu'il était parfaitement incompétent. L'homme serait démissionnaire depuis lundi mais le président refuserait de le laisser partir. Le ministre ne serait donc pas dénué du sens de l'honneur, quel qu'en soit le niveau.

Fuite en avant d'un chef d'Etat qui semble avoir perdu toute lucidité sur la réalité de son pays, qui croyait à sa réélection jusque très tard, dimanche soir, et met, aujourd'hui encore, celle-ci au-dessus de son devoir envers le pays qu'il est censé servir mais dont il est à craindre qu'il se serve.

Pour en savoir plus :
lire l'article de Clarin, qui rapporte aussi les critiques qu'une thuriféraire de Macri adresse à celui-ci (il s'agit d'une dame qui anime des œuvres de bienfaisance bien pensantes et très à droite)