Le gros titre parle de lui-même sans traduction En haut à droite, citation du candidat de l'opposition : "L'accord n'a pas été respecté" En haut, à gauche : "Colère et méfiance" |
Jeudi dernier, un peu
avant 19h, juste avant les premiers journaux audiovisuels, d'un seul
coup, le président Mauricio Macri est apparu sur les réseaux
sociaux pour lancer un discours de moins de deux minutes, où il est
apparu un peu raide et les traits marqués pour annoncer, comme une
décision très courageuse, une exemption de TVA sur une douzaine de
produits alimentaires de première nécessité, dont certains
supportent le taux le plus élevé : 21% sur la farine, par
exemple.
Cette mesure, en effet
spectaculaire, touche la farine, la polenta, les pâtes sèches (les
Argentins consomment en fait beaucoup de pâtes fraîches, le choix
de pâtes sèches est donc assez réduit dans les épiceries comme
dans les super et hypermarchés), le riz (produit sur le territoire
national), la yerba mate, le mate cocido et le thé (lui aussi
national... et pas très bon, mais on en trouve peu d'autres
provenances plus traditionnelles), les conserves de fruits, de
légumes et de légumineuses, les fruits et légumes frais, le pain,
l'huile de tournesol (l'huile d'olive est considérée comme un
produit de luxe) et le sucre. Cette annonce venait en complément
d'autres mesures de soutien à la consommation avec injonction
d'argent public ou sous forme d'avoirs fiscaux présentées dès
mercredi et qui constituaient déjà une sérieuse entorse aux
engagements officiels envers le FMI qui exige de l'Argentine une
politique de rigueur qui interdit précisément la relance par la
consommation populaire. Avec le FMI, un gouvernement doit punir les
pauvres d'être pauvres (après tout, c'est leur faute), il doit leur
faire tout payer au prix fort, y compris la santé et l'éducation,
par la casse systématique des services publics. Ce qui a assez bien
réussi en Argentine : le pays est tout désarticulé et
dimanche, la population s'est révoltée et elle a glissé dans
l'urne les bulletins de l'opposition.
De toute évidence, ce
train de mesure, annoncé en deux fois, par le président est une
tentative de réponse, dans l'urgence, sans beaucoup de réflexion en
aval ni à long terme. Curieusement, elles reprennent de vieilles
recettes, notamment péronistes et de gauche, que Mauricio Macri a
toujours vouées aux gémonies (d'où la une de Pagina/12 hier, qui
s'est bien amusé avec ce montage). Celles concernant la TVA sont une
vraie esbroufe. Elles devaient entrer en vigueur dès le lendemain de
l'annonce. Bien entendu, il n'en fut rien. Au mieux, on espère en
voir l'effet à compter de dimanche, ou peut-être seulement lundi.
Mais comme c'est un jour férié, ce sera peut-être mardi. Ou
jamais. Allez savoir ! Car les artisans boulangers continueront
à acheter leur farine avec TVA de 21% et seront obligés à
répercuter cette partie du coût sur leurs prix de vente au détail
s'ils veulent que leur maison survive, puisqu'ils ne pourront plus
récupérer cette TVA sur le pain (ils pourront continuer sur tout le
reste, en particulier les viennoiseries, qu'on achète ici beaucoup
plus souvent qu'en France et par douzaine). Les grands acteurs de la
distribution, Carrefour, Coto, Dia et autres Disco, maintiendront
sans doute leurs prix actuels et garderont la marge pour arrondir
leur chiffre d'affaires. Les petits supermarchés indépendants de
quartier, qu'on appelle les chinos parce qu'ils sont tenus par des
Asiatiques (Chine, Vietnam, Cambodge, Laos), auront peut-être
l'honnêteté d'appliquer l'exemption pour que leurs clients
s'approvisionnent chez eux de préférence aux grandes enseignes.
Quoi qu'il en soit, l'Etat ne pourra rien contrôler, contrairement à
ce que le président a promis avant-hier, car il ne dispose pas
d'assez d'agents pour effectuer le travail sur les dizaines de
milliers de points de vente qui existent dans ce pays qui couvre près
que quatre fois le territoire de la France métropolitaine. Quant aux
consommateurs, ils ne disposent d'aucune information sur les prix
hors taxes (rien n'apparaît sur le ticket de caisse) et comme les
prix n'ont pas cessé d'augmenter depuis plus d'un an à un rythme
effréné, ils n'ont plus aucun repère pour savoir à combien était
quoi samedi dernier, niveau de prix auquel sont censés revenir les
produits exemptés de TVA.
Pire encore : le
candidat péroniste arrivé en tête des pré-élections de dimanche,
Alberto Fernandez, a révélé le pot-aux-roses. Mauricio Macri a
joué les pères Noël avec l'argent des provinces car ce sont aux
entités fédérées et non à l'Etat central que revient la recette
de la TVA.
Nouvelle preuve que le
président a concocté dans l'urgence des mesures dont personne dans
son équipe de gouvernement, comme il la désigne, n'a pris la peine
d'étudier la faisabilité ni les conséquences.
La semaine prochaine,
arrive une commission technique du FMI qui vient dispenser ses bons
conseils de bonne gestion et taper sur les doigts d'un pays souverain
qu'il tient en tutelle. C'est le ministre de l'Economie qui se chargera de
l'accueillir. Un de ceux dont le Fonds monétaire a fait ou laissé
fuiter peu avant les élections qu'il était parfaitement
incompétent. L'homme serait démissionnaire depuis lundi mais le président refuserait de le laisser partir. Le ministre ne serait donc pas dénué du sens de l'honneur, quel qu'en soit le niveau.
Fuite en avant d'un chef d'Etat qui semble avoir perdu toute lucidité sur la réalité de son pays, qui croyait à sa
réélection jusque très tard, dimanche soir, et met, aujourd'hui encore,
celle-ci au-dessus de son devoir envers le pays qu'il est censé
servir mais dont il est à craindre qu'il se serve.
Pour en savoir plus :
lire l'article de Clarin,
qui rapporte aussi les critiques qu'une thuriféraire de Macri
adresse à celui-ci (il s'agit d'une dame qui anime des œuvres de
bienfaisance bien pensantes et très à droite)
lire l'article de La Nacion.