Página/12 a choisi de ne pas en faire son titre principal Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Il sera très bientôt très difficile d’affirmer que les juges argentins qui ont à connaître des affaires impliquant Cristina Kirchner travaillent et décident sans aucune considération pour le calendrier politique de leur pays. C’est en effet dans les deux dernières années de son second mandat présidentiel, quand elle ne pouvait plus se représenter aux mêmes fonctions et que l’alternance politique paraissait probable que Cristina Kirchner a commencé à se trouver sérieusement dans le viseur de la justice dans le cadre de dossiers parfois plutôt légers, dont certains ont même été récemment classés sans suite. Quand elle a à nouveau fait partie de la majorité, ces procès ont ralenti, certains ont même abouti à des non-lieux pendant l’actuel mandat et maintenant que la gauche à laquelle elle appartient vient de se retrouver en troisième position à l’ouverture du processus électoral des élections générales et présidentielles, voilà que deux magistrats fédéraux rouvrent deux dossiers, dont l’un est tout bonnement un procès politique contre une décision de politique internationale prise par une présidente démocratiquement élue et de surcroît validée par le Congrès.
De quoi s’agit-il ?
- D’une affaire de corruption qui implique aussi son fils, le fort peu sympathique Máximo Kirchner, député sortant péroniste (membre éminent de l’actuelle majorité), et même la mémoire de son mari, le président Néstor Kirchner, contre lequel toute action est éteinte puisqu’il est décédé en octobre 2010 : le dossier Hotesur, du nom d’un établissement luxueux situé dans la province de Santa Cruz, en Patagonie, un hôtel construit et exploité par la famille et dont les juges pensent avoir établi la preuve qu’il n’a pas d’activité réelle et qu’il ne sert qu’à blanchir des pots-de-vin.
- Et d’un traité international avec l’Iran, qui comportait entre autres dispositions la possibilité pour un magistrat argentin d’aller sur place interroger des personnes, placées sous notice rouge d’Interpol à la demande de l’Argentine, parce que la justice de ce pays les soupçonne depuis près de vingt ans d’être les donneurs d’ordre et les facilitateurs de l’attentat, toujours non élucidé, contre l’AMIA, la mutuelle juive de la rue Pasteur à Buenos Aires, qui a fait 85 morts et 300 blessés le 18 juillet 1994, sous la présidence de Carlos Menem, lequel a été soupçonné d’avoir eu des relations très bizarres avec les conducteurs de la camionnette piégée qui venait d’exploser devant le siège de l’organisation communautaire (et en ce qui le concerne, toute action est éteinte puisque lui non n’est plus de ce monde).
"Dur revers pour Cristina Fernández de Kirchner : réouverture des dossiers Hotesur et Iran", dit le gros titre en rouge et noir Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Là où les poursuites contre Cristina sont surréalistes, c’est que ce Memorandum d’Entente est un fait politique, qu’il a été signé par les représentants officiels, internationalement reconnus, de l’Argentine et de l’Iran, avant d’être sanctionné par un vote constitutionnel du Congrès argentin sans que le processus diplomatique n’aille à son terme puisque, de son côté, le parlement iranien ne l’a pas entériné. L’accord n’est donc jamais entré en vigueur, il est nul et non avenu et les autorités argentines n’ont d’ailleurs jamais levé les notices rouges d’Interpol qui restreingnent pas mal encore aujourd’hui la liberté de voyager des suspects.
Poursuivre devant une juridiction
pénale le chef de l’État sous la présidence duquel une telle
négociation a été menée ne peut pas être qualifié d’un autre
nom que celui de procès politique et il n’a donc aucune place dans
l’enceinte d’un tribunal. Il ne peut se tenir que dans les urnes
puisqu’il n’a pas été traité en son temps dans l’hémicycle
et devant les commissions idoines du Congrès. Le procès qu’on
fait ici à l’actuelle vice-présidente est un authentique « procès
d’intention », au plein sens de l’expression, puisque les
juges qui poursuivent lui prêtent des intentions qu’elle aurait
cachées sous la procédure diplomatique. Elle aurait voulu profiter
de cet accord pour faire ceci ou cela. Quand bien même ce serait
vrai, comme il n’y a pas le début du commencement du quart de la
moitié de ce qui pourrait ressembler à une réalisation de sa part,
dans un État
de droit, il n’y a rien à poursuivre. On ne poursuit que des faits
avérés, pas des intentions en l’absence de réalisation de faits
contrevenant à la loi.
Cet acharnement sur ce dossier jette bien entendu un soupçon sur l’ensemble des procédures intentées contre la vice-présidente et en particulier celle(s) que vient de relancer la Cour de Cassation fédérale argentine, d’autant que la décision d’hier intervient après une série d’arrêts de différentes hautes cours fédérales, dont la Cour suprême, qui pointaient clairement contre la majorité sortante alors que l’opposition de droite voit ses appels et ses renvois aboutir systématiquement à des décisions qui sont favorables à ses intérêts économiques, politiques au sens large et même électoraux au sens restreint.
Sur ce sujet, la presse se sépare
donc ce matin en deux camps : celle de droite, majoritaire,
Clarín,
La Prensa,
La Nación,
se réjouit à la perspective de revoir Cristina prendre place
bientôt sur le banc des prévenus devant une cour pénale et
encourir des peines exorbitantes ; celle de gauche, qui, au
niveau national, se résume à Página/12,
enrage du caractère incorrigiblement partisan de la justice du pays.
Cela fait tout de même au moins 150 ans que cela dure !
"Dur revers pour Cristina : elle sera jugée pour blanchiment d'argent et pour le pacte avec l'Iran", dit le gros titre Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Maintenant, il faut observer comment ces audiences vont se dérouler, quelles seront les preuves que le ministère public produira et surtout, dans le cas du Memorandum iranien, avec quel raisonnement il les soutiendra devant la juridiction, comment les avocats de Cristina et des co-prévenus plaideront et comment à la fin les juges jugeront. Ensuite, il y aura appel puis recours en Cassation et devant la Cour suprême et cela montera peut-être jusqu’à une juridiction internationale panaméricaine parce que Cristina n’est pas du genre à s’avouer vaincue. Elle a déjà été condamnée à de la prison ferme dans une affaire de corruption précédente qu’elle a aussitôt contestée.
Après tout, la Cour suprême du Brésil ne vient-elle de reconnaître la nullité du procès vicié et inique, intenté à Lula à coup de fausses preuves à l’instigation de la droite ultra-libérale qui, par la suite, a soutenu Bolsonaro, tout cela (c’est prouvé maintenant) pour empêcher l’ancien président de se représenter puisqu’il aurait sans doute gagné l’élection que Bolsonaro a remporté grâce à l’absence de son rival de gauche. Et Lula a fait plusieurs années de prison pendant lesquelles il a perdu sa femme et l’un des ses petits-fils. En Argentine, le processus électoral est beaucoup plus avancé qu’il ne l’était au Brésil au moment de la tenue de ce procès mais c’est bel et bien une sorte de Bolsonaro, Javier Mileí, qui est sorti en tête de la première phase électorale il y a un mois !
Pour aller plus loin :