L'auteur-compositeur-interprète et chanteuse de folclore Liliana Herrero, qui, en plus de sa carrière musicale personnelle, assure aussi la direction du centre culturel ECuNHi, fondé par l'ONG Madres de Plaza de Mayo, va sortir prochainement une nouvelle édition de son disque Este Tiempo (Le temps présent), accompagné cette fois-ci d'un DVD enregistré en août de l'année dernière dans les locaux d'une entreprise récupérée par ses salariés (en SCOP, équivalent argentin).
Elle présentera l'ensemble lors d'un concert programmé le samedi 21 février, à la Ciudad Cultural Konex, dans le quartier de l'Abasto.
Le quotidien Página/12 en a profité pour interviewer l'artiste.
Extraits.
“Veo con preocupación que no haya una mirada con relación a la multiplicidad extraordinaria y a la enorme cantidad de compositores y poetas que existen en el país” [...] “Este es un tiempo promisorio. Entonces, acompañemos esa promesa, profundicemos esa promesa”
Liliana Herrero, citée par Página/12
Je constate avec inquiétude qu'on ne porte pas les yeux sur l'extraordinaire variété et l'énorme quantité de compositeurs et de poètes qui existent dans ce pays. [...] Le temps présent est un temps prometteur. Accompagnons donc cette promesse, approfondissons cette promesse.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
–¿Por qué buscó un anclaje presente y contemporáneo?
–Quería señalar la singularidad de este tiempo, los acontecimientos promisorios que tiene este tiempo político, cultural y musical. En este sentido, quería mostrar una vez más –y sin ponerlos a todos– un panorama de los compositores que a mí me interesan mucho en estos momentos, que están produciendo música hace tanto tiempo y con tanta belleza. Siempre me he puesto a trabajar fundamentalmente sobre músicos que ya no están, y esta vez quise señalar la peculiaridad de este tiempo en la Argentina y en el Cono Sur; en este caso, en Uruguay. Quería destacar las formas magníficas que tiene la composición de la música popular en esta región. Pero aclaro que no están todos los compositores que a mí me gustan. [...] Me dispongo a dialogar con esas composiciones para saber qué me dicen. Me sentí muy contenta de hacer el disco porque es un signo de estos tiempos, un señalamiento de la música como un modo bello de mirar el mundo. Es un tiempo complejo y la música lo es. Nadie nos dijo que la música era fácil; en todo caso, lo dicen ciertos medios, pero cualquiera que se ponga a estudiar la historia de la música en un sentido universal o de esta región percibe rápidamente que no hay simplicidad, al contrario. Lo cual no quiere decir que haga una apología de la complejidad, pero sí que uno debe trabajar alegre y responsablemente en relación a la música.
Liliana Herrero, citée par Página/12
- Pourquoi avez-vous cherché un ancrage présent et contemporain ?
- Je voulais montrer la singularité du temps présent, les événements prometteurs que comporte cette période politique, culturelle et musicale. Dans ce sens, je voulais montrer une fois encore -et sans les y mettre tous- un panorama des compositeurs qui m'intéressent beaucoup moi en ce moment, qui font de la musique depuis si longtemps et de manière si belle. Toujours je me suis mise au travail fondamentalement sur des musiciens qui ne sont plus de ce monde, et cette fois-ci, j'ai voulu montrer la particularité de notre époque en Argentine et dans la Cône Sud (1), en l'espèce en Uruguay. Je voulais mettre en valeur les manières magnifiques de composer de la musique populaire dans ce coin-là. Mais je précise qu'il n'y a pas tous les compositeurs que j'aime. [...] Je me dispose à dialoguer avec ces compositions pour savoir ce qu'elles ont à me dire. J'ai été ravie de faire ce disque parce que c'est un signe de ce temps, une mise en lumière de la musique comme une belle manière de regarder le monde. Notre époque est complexe et la musique est complexe elle aussi. Personne n'a dit que la musique, c'était facile. En tout cas, certains médias le disent mais quiconque se met à étudier l'histoire de la musique dans un sens universel ou celle de ce coin de la planète perçoit rapidement qu'il n'y a aucune simplicité, tout au contraire. Ce qui ne veut pas dire que je fasse une apologie de la complexité. En revanche, tout le monde doit travailler avec plaisir et responsabilité quand il s'agit de musique.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
–¿Qué implica esa responsabilidad?
–Cuando digo responsable me refiero a no conceder tan alegremente y no ser cómplice de un empeño furioso que tiene el mercado, los medios y a veces también los festivales para ubicarse con relación a la música. A mí me gusta más otro modo de ubicarme con respecto a la música. Hay una historia de la música más que interesante para pensar, porque hay grandes compositores y cantores en América latina, en el mundo y en la Argentina que nos señalan claramente un camino por el cual ellos ya han transitado. Y me interesan aquellos músicos que han introducido novedades y riesgos artísticos. Después, no logro escuchar con interés las formas más convencionales de la música, más estandarizadas, más banalizadas o simplificadas. Hay que saber que hay una hegemonía cultural que está marcada a fuego por una estandarización del oído y que no resuelve el gran problema, que es la interrogación misma sobre la música. [...] A veces los gobiernos tampoco saben cómo resolver eso y terminan cediendo fácilmente a conceptos que no me resultan estimulantes para pensar los espectáculos. Se concentran en recursos ya comprobados.
Liliana Herrero, citée par Página/12
- Qu'implique cette responsabilité ?
- Quand je dis responsable, je pense à ne pas faire de concession d'un coeur léger et de ne pas être complice d'un gage fou qu'exige le marché, les médias et parfois aussi les festivals pour se positionner dans la musique. Moi, j'aime mieux d'autres manières de me positionner dans la musique. Il y a une histoire de la musique à quoi il est plus qu'intéressant de réfléchir parce qu'il y a des grands compositeurs et de grands chanteurs en Amérique Latine, dans le monde et en Argentine qui nous indique clairement le chemin par lequel eux-mêmes sont déjà passés. Et ces musiciens qui ont introduit des nouveautés et des risques artistiques m'intéressent. Pour le reste, je n'arrive pas à écouter avec intérêt les formes plus conventionnelles de musique, plus standardisées, plus banalisées ou simplifiées. Il faut savoir qu'il y a une hégémonie culturelle qui est marquée au fer rouge par une standardisation de l'oreille et qui ne résoud pas le grand problème qui est l'interrogation même sur la musique. [...] Parfois, les gouvernements ne savent pas non plus comment résoudre ça et finissent par céder par facilité à des concepts qui ne sont pas stimulants pour moi pour imaginer des spectacles. Ils se concentrent sur des ressources déjà éprouvées.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
–¿Qué políticas culturales deberían implementarse?
–No estamos pensando bien cultural y artísticamente al país. ¿Qué se necesita para que podamos poner en el escenario personas valiosísimas y que son desconocidas por la propia Argentina? Tomar ese riesgo, nada más. Tomar el riesgo de diseminar en todo el país conciertos simultáneos para festejar cualquier cosa. En cambio, se repiten los mismos artistas. Y no porque los que tocan sean malos músicos, sino porque no se amplía la cosa. Hay que apostar a que los públicos puedan escuchar algo absolutamente diferente de lo que ya saben. Son muchas lenguas las que están dando vueltas alrededor de los grandes temas de la música. Y tenemos que poder escuchar todas esas formas y modos musicales. Si no, hegemonizamos amparados bajo conceptos que no alcanzan para explicar lo que pasa culturalmente en el país. [...] Un gobierno tiene la responsabilidad de mostrar aquello que existe en el país. No podemos perder a músicos como Horacio Castillo, gran guitarrista y compositor misionero, sin saber que lo tuvimos.
Liliana Herrero, citée par Página/12
- Quelles politiques culturelles faudrait-il mettre en place ?
- Nous pensons mal le pays sur le plan culturel et artistique. De quoi avons-nous besoin pour que puissent monter sur scène des personnes de talent et qui sont inconnues en Argentine même ? Prendre ce risque, rien de plus. Prendre le risque de disséminier dans tout le pays des concerts simultanés pour fêter tout et rien. Au contraire, c'est toujours les mêmes que l'on voit. Non pas que ceux qui se produisent soient de mauvais musiciens, mais c'est qu'on n'ouvre pas le champ. Il faut faire le pari que les publics peuvent entendre des choses absolument différentes de ce qu'ils connaissent déjà. On parle beaucoup de langues différentes dans les grandes problématiques de la musique. Et nous devons pouvoir entendre toutes ces formes et ces modes musicaux. Sinon, nous pratiquont une hégémonie, abrités derrière des concepts qui ne permettent pas d'expliquer ce qui se passe culturellement dans le pays [...]. Un gouvernement a la responsabilité de montrer ce qui existe dans le pays. Nous ne pouvoons pas rater des musiciens comme Horacio Castillo, un grand guitariste et grand compositeur des Missions (2) parce que nous ne connaissions pas son existence.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
–Entonces, usted toma la responsabilidad de dar a conocer a esos artistas.
–Siempre que puedo, lo hago. Pero de algún modo estoy afuera de ciertos aparatos culturales. No me incomoda eso. [...] Recorro mucho el país. Me place mucho ir a todas las regiones de la Argentina porque me encuentro con personas preciosas y con formas musicales que son muy estimulantes para pensar mi propia música. Si no podemos escuchar lo que se está haciendo, estamos imposibilitados de pensar nuestra propia identidad. No podemos olvidar eso porque estamos en problemas y no podemos pensarnos a nosotros mismos. [...] Hay que prestar atención a eso, hay que estar alerta a ese mundo. Ellos tienen mucho para decir. El músico que viaja, como yo, tiene la ventaja de tener en su corazón y en su cabeza un mapa musical argentino que es extraordinario.
Liliana Herrero, citée par Página/12
- Alors, vous, vous prenez la responsabilité de faire connaître ses artistes.
- A chaque fois que je le peux, oui. Mais d'une certaine façon, je suis en dehors de certains circuits culturels. Cela ne ne dérange pas. [...] Je parcours le pays de long en large. Cela me plaît bien d'aller dans toutes les régions d'Argentine parce que je rencontre des gens formidables et des formes musicales qui sont très stimulantes pour concevoir ma propre musique. Si nous ne pouvons pas écouter ce qui se fait, nous sommes dans l'impossibilité de penser notre propre identité. Nous ne pouvons pas oublier ça parce que nous avons des problèmes et que nous ne pouvons pas penser à nous-mêmes. [...] Il faut prêter attention à ça, il faut être en alerte sur ce monde. [Les artistes] ont beaucoup à nous dire. Le musicien qui se déplace, comme moi, a l'avantage d'avoir dans son coeur et dans sa tête une carte musicale de l'Argentine qui est extraordinaire.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Dans son édition de ce jour, Página/12 annonce que Liliana Parodi a décidé d'accueillir à ECuNHi, le centre culturel qu'elle dirige dans le quartier de Palermo, une nouvelle édition du Festival des Musiques des Provinces, dont la dernière a eu lieu en 2007 et que Mauricio Macri a supprimé dans le cadre de sa politique culturelle, qui vise à Buenos Aires un nivellement par le bas, qui permette "de donner du temps de cerveau disponible à Coca Cola" comme l'a dit en son temps un affreux patron de télévision privée en France.
Pour aller plus loin :
lire l'interview intégrale sur Página/12
(1) Le Cône Sud : Chili, Argentine, Uruguay. Le Cône Bleu : Argentine.
(2) Province des Missions au nord de l'Argentine, coincé entre l'Uruguay et le Paraguay.