mercredi 8 février 2012

Rudy et Paz tirent à vue [Actu]

Il est rare que je publie ainsi coup sur coup autant de dessins de presse de ce duo plein d'humour. Je ne sais pas si c'est le calme de l'été ou le retour de la combativité de la gauche, galvanisée par les annonces de la Présidente, mais depuis quelques jours, l'oligarchie ultra-libérale et ruraliste argentine en prend pour son grade dans la vignette de une de Página/12, quotidien de gauche qui n'a pas vraiment vocation de la ménager.

Et ce dimanche, c'est un dessin à double détente et qui est donc particulièrement intéressant pour qui veut approcher un peu les soubassements de la culture et de l'histoire politique de l'Argentine.

C'est parti pour le voyage dans le temps avec nos deux mêmes personnages, le naïf de service à la banane rockeuse et le leader rural aussi bas de plafond que ses sourcils sont broussailleux.



Le naïf (les bras croisés, donc plus si naïf que ça !) : Cristina (1) dit que construire des écoles, ce n'est pas une dépense, c'est un investissement.
Le ruraliste : Et vas-y donc avec la mode des années 70 !
Le naïf : Celle de 1970 ? (2)
Le ruraliste : Non, celle de 1870... Sarmiento et toutes ces bêtises de l'instruction publique !
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Là, ils font vraiment fort, tous les deux... Il n'y a pas représentant plus emblématique de l'oligarchie argentine de la seconde moitié du 19ème siècle, avec toutes ses dimensions les plus caricaturales (à part la corruption, donc il est exempt), dans l'ordre du libéralisme, de la théorie du libre-échange sans aucune limitation qui fut si néfaste aux classes laborieuses dans tout le pays, de l'imitation tous azimuts de l'Europe et du racisme contre les restes de régime colonial qu'ont longtemps été, aux yeux des possédants (blancs), les Indiens et les noirs dans le pays. Or il se trouve que Domingo Sarmiento, authentique intellectuel, authentique homme de culture, et grande plume de la langue espagnole devant l'Eternel, est aussi l'homme qui a milité, avec force et constance, pour la création d'une école publique, gratuite, obligatoire (entre 6 et 14 ans) et donc laïque (comme en France, et parce qu'il était athée et très hostile à l'église catholique, dont il voulait restreindre le rôle à la répression morale) dans l'espoir de faire monter le niveau d'instruction générale, c'est-à-dire l'européanisation culturelle à marche forcée de l'ensemble du pays. Ce qui entraînait ipso facto une croissance des compétences disponibles et mobilisables dans le pays, comme dans tous les pays qui ont instauré à cette même époque un système d'éducation obligatoire pour tous, et donc de ses capacités à innover et à se développer sur le modèle de la révolution industrielle.

Et en plus, Sarmiento a voulu étendre son programme d'instruction aux petites filles, comme le montrait très bien en août-septembre une exposition temporaire présentée dans le musée qui lui est consacré dans le quartier de Belgrano, où il habitait, au milieu de la verdure, à l'époque. Ce programme n'a été une réalité qu'au bout de très nombreuses années parce qu'il a fallu construire les écoles et former les maîtres puis les affecter jusqu'aux coins les plus reculés du pays, ce qui ne fut pas une mince affaire. A noter que le Gouvernement, ultra-libéral, de la Ville Autonome de Buenos Aires fait tout ce qui est en son pouvoir pour faire échouer l'école publique, qui est budgétairement et socialement délaissée, au profit des écoles privées, qui ne bénéficient déjà qu'aux plus privilégiés. Le dessin n'est donc pas juste un bon mot. Il dénonce la profonde mauvaise foi du raisonnement actuel d'une droite de plus en plus à court d'arguments politiques pour décrédibiliser un gouvernement qu'elle hait mais qui fait du bon boulot dans cette Argentine, qui se relève d'une faillite vieille de 10 ans seulement.

(1) La présidente Cristina Fernández de Kirchner, bien entendu.
(2) Les années 1970 correspondent au début des années de plomb, avec la période qui précéda la dictature militaire puis cette même dictature, de 1976 à 1983.