Walter Santoro est un homme d’affaires à succès qui s’est pris
de passion pour Carlos Gardel, son œuvre et son histoire. Les deux
héritières de Armando Delfino, l’impresario et l’homme de
confiance de Gardel, qui s’est occupé de sa succession, dans la
seconde moitié des années 1930, puis de celle de sa mère, Berthes
Gardés, décédée en 1943, qui l’a institué son héritier, lui
ont remis tout ce qui reste de son patrimoine : meubles, photos,
manuscrits, partitions, disques, vêtements...
Pour
conserver ce précieux dépôt, au lieu de se l’approprier sans
autre forme de procès, il a créé la Fondation Carlos Gardel qui en
est propriétaire (dit-il) et dont il est le président. Dans La
Prensa, il décrit aujourd’hui un projet très cohérent et
plutôt séduisant pour restaurer la maison où Gardel a vécu ses
dernières années à Buenos Aires dans l’état où le chanteur l’a
connue et déployer des projets gardeliens dans l’ensemble du
quartier, qui est celui qui a vu grandir Gardel et où son talent
artistique a percé. La maison est devenue un musée public qui
dépend du ministère de la Culture de la Ville Autonome de Buenos
Aires. Il y a quelques années, cette tutelle a procédé à une
pseudo-amélioration muséographique qui a détruit tout ce qu’il
restait entre ces murs de la présence de Gardel et de sa mère :
la maison est devenue un endroit sans aucune âme, aux espaces
aseptisés et fonctionnels entre des murs uniformément blanchis,
avec, unique atout du musée si l’on peut utiliser ce terme
flatteur, des postes d’écoute à la demande. Un atout d’une
faiblesse insigne puisque n’importe qui peut écouter les mêmes
enregistrements n’importe où et même chez soi grâce à Internet
où tout est répertorié. Ces travaux ruineux, qui ont bien dû
faire la fortune de quelqu’un, ont donc abouti à un
appauvrissement spectaculaire du musée qui n’a plus rien d’un
domicile ni d’un creuset artistique alors qu’avant cette
catastrophe institutionnelle, Gardel restait fortement présent dans
cette maison qu’il avait habitée. J’en sais quelque chose :
j’y ai fait une présentation de mon premier livre, Barrio de
Tango, recueil bilingue de tangos argentins. En 2010, c’était
un lieu magique !
Santoro
voudrait donc revenir en arrière et reconstituer avec la plus grande
exactitude ce qui a été ainsi détruit : remettre les papiers
peints tels qu’ils sont attestés sur les photos et remettre à
leur place dans la bonne pièce les meubles qui permettront aux
visiteurs de se figurer le mode de vie finalement très simple de ce
grand artiste qui avait pourtant fait une fortune légendaire.
Malheureusement
pour ses projets, Santoro ne s’exprime presque jamais ailleurs que
dans les colonnes de La Prensa, ce qui l’écarte
radicalement du monde tanguero, qui s’inscrit plutôt à gauche
(péroniste) tandis que ce journal a pour lectorat l’aile la plus
réactionnaire de la droite catholique pour laquelle il n’hésite
pas à verser, assez souvent qui plus est, dans les théories
complotistes les plus rances (sur le covid, sur les vaccins, sur le
climat, sur le pape François, sur les personnalités de gauche,
etc.). Or Gardel se situait à l’opposé de tout cela… Pourtant,
dans cette interview, Santoro se plaint aussi de ne pas avoir
l’oreille des élus de droite qui font la pluie et le bon temps
depuis plusieurs mandats à la tête de la Ville et qui ne répondent
même pas à ses propositions. Celles-ci ne sont donc accueillies et
soutenues ni à droite ni à gauche !
Et
pourtant ce qu’il propose est loin d’être idiot. Sa stratégie
quant à elle est très probablement erronée et le public qu’il
touche ne doit pas non plus être le bon !
©
Denise Anne Clavilier
Pour
en savoir plus :
lire
l’article
de La
Prensa