Beaucoup d'honneur dont la
nouvelle m'arrive un peu tard... C'était compliqué à gérer, cette tournée en Argentine en août dernier.
Me nombraron Miembro adherente del Instituto de Investigaciones históricas de la Manzana de las Luces de Buenos Aires. Se le agradezco al Consejo Directivo de la entidad este honor.
Me nombraron Miembro adherente del Instituto de Investigaciones históricas de la Manzana de las Luces de Buenos Aires. Se le agradezco al Consejo Directivo de la entidad este honor.
L'IIHML a choisi pour emblème la Sala de los Representantes le premier hémicycle d'Amérique du Sud |
Mes lecteurs fidèles ont
déjà entendu parlé de la Manzana de las Luces, que l'on peut
peut-être traduire par Hôtel des Lumières. Il s'agit de ce vaste
édifice qui a accueilli, du 25 mai 1661 (1) jusqu'en 1767, le maison
provinciale de la Compagnie de Jésus à Buenos Aires, dans le
quartier historique de Monserrat à quelques centaines de mètres de
la Grand Place (Plaza Mayor), aujourd'hui Plaza de Mayo. En 1767, un
décret du roi Carlos III expulsait les jésuites de tous les
territoires placés sous son autorité et quelques années plus tard,
le pape dissolvait cet ordre qui présentait un danger certain pour
les monarchies absolues par l'ouverture d'esprit et la culture de
l'esprit critique qu'il cultivait depuis sa fondation par saint
Ignace de Loyola. A Buenos Aires, les jésuites ont longtemps répandu
la connaissance. Ils étaient souvent les seuls médecins disponibles
et des bibliothécaires avisés. Leur maison était aussi un
dispensaire de préparations pharmaceutiques autant qu'un entrepôt
débordant des marchandises arrivant du nord : cuir, yerba mate
des Misiones, viande séchée, bois précieux, instruments de
musique...
La Sala de los Representantes Photo issue de la page Facebook de la Manzana de las Luces Aujourd'hui elle accueille des conférences, des présentations d'ouvrages et des spectacles |
La Manzana de las Luces
est à présent un musée. Auparavant, elle aura été, entre
autres, successivement ou simultanément :
- un atelier d'imprimerie dont les bénéfices soutenaient l'orphelinat des enfants trouvés (d'où son nom de imprenta de los niños expósitos, devenu un peu plus tard imprenta de la Independencia) : c'est de ces murs que sortirent tous les périodiques et ouvrages de la période révolutionnaire et indépendantiste, c'est là qu'avaient été imprimées les convocations au Cabildo Abierto du 22 mai 1810 où l'Ancien Régime colonial allait rendre l'âme (voir mon article du 22 mai 2010 à ce propos)
- le siège de l'Académie de dessin, fondée par le futur général Manuel Belgrano sous l'ancien régime
- le siège des académies de français et d'anglais (ce qui vous explique pourquoi les révolutionnaires de 1810 dominaient si souvent l'une ou l'autre de ces deux langues, quand ce n'était pas les deux à la fois comme dans le cas de Mariano Moreno)
- le premier siège de la Biblioteca Nacional, fondée par Mariano Moreno le 7 septembre 1810. C'est un Français naturalisé argentin, le savant Paul Groussac, qui la déplacera en 1901, tout près de là, dans l'actuelle rue Mexico, où ses locaux abritent maintenant l'Institut Nacional de Musique (l'institution a encore déménagé depuis et elle a pris maintenant ses quartiers à Recoleta dans la rue Agüero, du nom du curé de Monserrat en 1810)
- le premier siège de l'Université de Buenos Aires, fondée le 22 août 1821 par Bernardino Rivadavia (voir mon Retour sur images du 23 novembre 2011 sur les 90 ans de cette prestigieuse institution) : depuis, elle a dispersé ses différentes facultés un peu partout dans la ville
- le premier siège des Archives nationales, fondées le 28 août 1821 (aujourd'hui sur l'avenue Leandro Alem, près du Vieux Port)
- le premier hémicycle d'Amérique latine en 1821 ; l'assemblée législative de la Province de Buenos Aires y siégea jusqu'en 1884, date à laquelle la fédéralisation de la ville de Buenos Aires la contraignit à déménager à La Plata qui venait d'être fondée (voir mon article sur la candidature de La Plata au patrimoine de l'humanité) – aujourd'hui on y donne des conférences et des spectacles.
Dans le grand hall du CNBA, cette plaque de marbre rappelle tous les noms de l'institution depuis la fondation de la Manzana en 1622 |
L'école fondée par les
jésuites au sein de leur maison provinciale, sous le nom de
Colegio San Ignacio et placée plus tard sous le vocable de San Carlos
Borromeo (que les Français connaissent sous le nom de saint Charles
Borromée) (2), en hommage au roi Carlos III d'Espagne, après l'expulsion, a formé
presque tous les acteurs portègnes de la période révolutionnaire,
des deux côtés, dont le plus illustre est sans aucun doute Manuel
Belgrano (3), ainsi que plusieurs grands personnages de l'histoire
tout au long du XIXème siècle. Le 14 mars 1863, il a
reconverti par décret présidentiel (4) en Colegio Nacional de
Buenos Aires (CNBA) et c'est sous ce nom qu'il est connu aujourd'hui (5).
Au sein du même groupe de
bâtiments, se dresse aussi l'ancienne église des jésuites, San
Ignacio, qui est aujourd'hui une paroisse du diocèse (ce n'est pas là que les jésuites se sont installés à leur retour en Argentine). En
face de ce qui est l'une des plus vieilles églises toujours
consacrées de tout Buenos Aires, on trouve une librairie, la plus
ancienne elle aussi (elle a été fondée en 1784), autrefois
librería del colegio, aujourd'hui librería Avila, du nom de son
propriétaire. C'est toujours un rendez-vous des lecteurs et
bibliophiles de la capitale argentine. Autrefois, elle était dans la même série de bâtiments que le Colegio, mais donnait sur une autre rue. Aujourd'hui, elle a changé de trottoir et s'est séparée architecturalement de la Manzana.
En 1821, un rédacteur de El Argos, un périodique révolutionnaire qui parut de 1821 à 1825, baptisa ce
complexe Manzana de las Luces (le pâté de maisons des lumières)
pour saluer l'apport du lieu à la vie intellectuelle et culturelle
de la ville depuis l'arrivée des jésuites en 1608 et leur installation définitive à cette adresse en 1822.
Avec la direction des
musées du Ministère de la Culture, l'Université de Buenos Aires a
longtemps exercé la co-tutelle de la Manzana de las Luces (6). La Manzana de las Luces était alors l'un des deux centres culturels qu'elle anime dans la ville (il ne lui reste plus en propre que le Centro cultural Ricardo Rojas, du nom d'un de ses plus brillants recteurs, dans les Années Folles, sous la présidence radicale). Sous la tutelle de la UBA, il s'est fondé à la Manzana un institut de recherche historique
consacré à l'étude de ce joyau du passé intellectuel de la
capitale argentine : el Instituto de Investigaciones Históricas
de la Manzana de las Luces, l'imprononçable IIHML.
Cette institution réunit
d'authentiques historiens, qu'ils exercent ou non cette spécialité
à l'université elle-même, que l'histoire constitue ou non leur
activité professionnelle majeure. L'IIHML édite une revue sur
l'histoire pluridisciplinaire du monument (vie intellectuelle,
archéologie, histoire de l'art et architecture, vie politique, vie
sociale locale, vie scientifique, etc.) et propose un programme de
conférences ouvertes au grand public dans les locaux de la Manzana.
C'est cette institution
qui m'a acceptée le 17 août dernier comme membre associée résidant
en France. Je l'ai su quelques semaines seulement, un peu par hasard,
à l'occasion d'un échange de mails. Le message qui m'informait en
août s'est probablement perdu entre la bousculade qui a marqué mon
programme d'activités pendant ma tournée à Cuyo et celle qui
entraîne le président de l'institution, le professeur José Sellés
Martínez, un distingué géologue espagnol, de la UBA, toujours
entre deux avions, deux congrès, deux coopérations internationales
avec des universités dans le monde entier. Ceci dit, je savais que
cette nomination était dans les tuyaux, car il m'en avait parlé
lorsque nous nous étions vus à la Manzana de las Luces, dans un
petit café du voisinage.
C'est donc la troisième
société savante qui me fait l'honneur de reconnaître mon travail.
Comme pour les deux précédentes, la Academia Nacional del Tango en
2010 et el Institito Nacional Sanmartiniano en 2015, je considère
que cette nomination est pour moi une mission dont je dois
m'acquitter plutôt qu'une couronne de lauriers sur laquelle je peux
dormir. Et la collaboration prendra sans doute cette année la forme
d'un article qui m'a été commandé en août et que j'ai accepté
pour la revue La Manzana de las Luces, Crónica de su Historia, ainsi
qu'une nouvelle recherche historique dans laquelle je me lance
actuellement sur l'un des élèves du Colegio San Carlos dont j'avais
admiré en 2011 l'impressionnante bibliothèque.
Logo de la milonga du vendredi soir à la Manzana de las Luces |
Et puis il y aura aussi
des projets touristiques, puisque la Manzana de las Luces est un des
lieux qu'il faut visiter, avec un guide compétent, quand on est à
Buenos Aires et qu'on aime la culture.
Pour aller plus loin :
consulter la page Facebook de l'IIHML (elle n'a pas été mise à jour depuis avril mais elle
existe bel et bien)
consulter le site Web de la Manzana de las Luces et sa page Facebook
consulter la page Facebook
de la Milonga del Patio, la milonga qu'une association anime tous les
vendredis soir à l'intérieur du musée (pas mal comme décor, pour
danser, non ?).
Les différentes
institutions culturelles qui ont séjourné dans ces murs ont elles
aussi leur site Internet :
la UBA et le Colegio Nacional de Buenos Aires (CNBA)
les Archives nationales
(Archivo General de la Nación, AGN, sous tutelle du Ministère de
l'Intérieur), également présentes sur Facebook (et la page est
animée, riche, intéressante)
la Biblioteca Nacional Mariano Moreno, dont le contenu en ligne, comme c'est le cas de
l'AGN, s'enrichit à vue d'œil avec une belle présentation, moderne
et efficace (ce n'était pas le cas avant)
(1) L'année de la mort de
Mazarin pour prendre un repère français (9 mars 1661).
(2) Il se trouve, j'ignore
si c'est un coïncidence ou une volonté de Jean-Paul II, que la
paroisse romaine dont le cardinal Jorge Bergoglio avait la charge
symbolique, ès qualité, est précisément la paroisse placée sous
la vocable de ce saint archevêque de Milan (qui est aussi l'une des grandes figures de la Compagnie de Jésus). Devenu Pape, l'ex-cardinal a nommé à cette paroisse romaine son successeur à la tête de l'archidiocèse de Buenos Aires, le cardinal Mario Poli, primat d'Argentine.
(3) Parmi ces célèbres
élèves, on compte Cornelio de Saavedra, le président de la Primera
Junta, le collège gouvernemental mis en place le 25 mai 1810, les
frères Mariano et Manuel Moreno, Bernardo de Monteagudo, le premier
rédacteur de la Gaceta de Buenos Aires, Antonio González Balcarce,
Tomás Guido, Mariano Necochea et les deux frères Escalada, Manuel
et Mariano, tous les cinq collaborateurs de San Martín au cours de
son épopée continentale qui le mena jusqu'à Lima. Juan Manuel de
Pueyrredón, le premier chef d'Etat élu par une assemblée
représentative, et Bernardino Rivadavia, le premier Président de la
République argentine, y passèrent, ainsi que Vicente López y
Planes, l'auteur argentin du texte de l'hymne national (tandis que le
compositeur, Blas Parera était quant à lui... un Espagnol né à
Murcie, à la limite entre l'ancien royaume de Valence et
l'Andalousie). Et même Francisco Narciso Laprida, le député
constituant sanjuanino dont je vous parlais dans mon Retour sur Images sur San Juan qui était aussi le 5100ème article de ce blog
il y a quelques semaines.
(4) du président
Bartolome Mitre (1821-1906), le célèbre intellectuel qui forgea la
geste nationale par ses travaux d'historiens. Il habitait à quelques
centaine de mètres plus au nord dans le prolongement de cette même
rue (mais de l'autre côté, elle porte le nom de San Martín). Sa
maison est devenue un musée national très intéressant.
(5) L'ancien bâtiment du
Colegio San Carlos a disparu. Il a été remplacé par un immense
édifice qui longe la rue Bolívar et dont l'architecture imite les
grands lycées parisiens de la Belle Epoque. Les plans furent confiés
à un architecte français, Norbert Maillard, qui en fit quelque
chose de somptueux, pour l'élite des lycéens de la capitale (dont
un bon nombre ne sont guère conscient du luxe dans lequel ils
étudient). En Argentine, un Colegio Nacional est une école du
second degré qui accueille des élèves avec des notes supérieures
à la moyenne et qui les accompagnent dans un parcours d'excellence
pour les préparer à l'enseignement supérieur un peu comme le font
en France nos classes préparatoires aux grandes écoles nationales
(Normale Sup., Polytechnique, Ponts et Chaussées, etc.). Il en
existe dans beaucoup de grandes villes. Ils sont liés
institutionnellement et fonctionnellement à l'université nationale
locale. Pour Buenos Aires, il s'agit de la UBA.
(6) Il y a très peu de
temps, la UBA s'est laissé écarter du fait du peu de réactivité
d'un recteur qui semblait avoir peu de goût pour l'histoire et bien
peu de sens du symbole (cela arrive). Il est probable toutefois que
les chercheurs de l'université et notamment les historiens n'aient
pas dit leur dernier mot sur cette affaire et que l'institution
reviendra prendre sa part de la gestion de ce qui fut son berceau.