En août 2016, j'ai entamé
ma tournée de conférences dans l'ouest argentin par la ville de San
Juan, la capitale de la province homonyme, dans le nord de cette
région géo-culturelle qu'on appelle Cuyo, d'un mot huarpe qui
signifie "le sec", "le désert". Et c'est bien ce qu'est cette zone
située aux pieds des Andes, à mi-distance entre la frontière nord
et la frontière sud.
La tournée était
organisée par les cinq Alliances Françaises de la région, établies
à San Juan, Mendoza, San Rafael, San Luis et Villa Mercedes. Chaque
directeur a tenu à me faire découvrir avec passion sa ville et ses
environs d'une manière très complète et très intense, avec des
rencontres humaines très chaleureuses.
A San Juan, j'ai
donc visité les musées et la ville elle-même, surtout le musée
provincial des Beaux-Arts Franklin Rawson (d'une modernité
somptueuse dont vous n'avez pas idée ! Et la collection
permanente, mama mía, il faut voir ça...), le Museo Nacional Casa
Natal de Domingo Sarmiento (qui dépend donc du ministère de la
Culture de Pablo Avelluto, au niveau fédéral), la Celda Histórica (qui n'a pas de page Internet à jour, depuis quatre ans).
L'Alliance Française elle-même occupe une très belle maison
traditionnelle qui a été inscrite au patrimoine historique de la
capitale provinciale, à juste titre... Et le dimanche, son
directeur, accompagné de quelques dames du conseil d'administration,
m'a emmenée vivre au milieu des Sanjuaninos un petit bout d'un long
week-end : promenade dans la montagne, sous la forte chaleur du
viento zonda (1), déjeuner dans un petit restaurant des Sierras de
Zonda, à la bonne franquette, puis goûter dans une
micro-exploitation agricole bio, avec ses animaux (monsieur Verrat et
madame Truie à la silhouette massive, quelques guanacos, des ânes,
des chevaux, de la volaille de toutes les tailles) et son potager...
Une Argentine intérieure que les touristes ne connaissent pas et qui
vaut vraiment le coup, pour connaître quelque chose d'original, de
simple et de vrai.
Signature du livre d'or de la Casa Natal de Sarmiento, entre sa directrice et le directeur de l'Alliance Française |
San Juan se présente avec
ses deux grands personnages de dimension nationale et même
continentale : San Martín et Sarmiento. Et il se trouve que mon
livre, San Martín par lui-même et par ses contemporains (2), les réunit
tous les deux. En cette année du bicentenaire de l'indépendance, ce
lien dans un livre publié en France ne pouvait qu'arrêter
l'attention des Sanjuaninos....
Ma conférence dans la petite salle capitulaire avec sa superbe charpente apparente |
La salle capitulai juste avant la conférence Sur le mur et le lutrin, des explications (en espagnol uniquement) |
Le général José de San
Martín a été de 1814 à 1816 le gouverneur légendaire de Cuyo
lorsque San Juan appartenait à cet ensemble qui a été divisé en
trois depuis (San Juan, Mendoza, San Luis).
Les reliefs de la région de Zonda, à quelques kilomètres de la capitale provinciale Sarmiento avait créé un journal local qu'il avait intitulé El Zonda |
A San Juan, lorsque San
Martín faisait ses tournées pour organiser la défense des
Provinces Unies du Sud (future Argentine) contre une éventuelle
invasion par les absolutistes qui tenaient le Pérou et le Chili, San
Martín retrouvait les principaux dignitaires indépendantistes,
Laprida (voir plus bas), Fray de Oro, les deux députés de la province au Congrès
de Tucumán, et De La Roza, le gouverneur délégué, dans un couvent
de dominicains, dont la partie historique est devenue un musée, la
Celda Histórica (la cellule historique). Cette cellule était le
séjour que San Martín avait choisi comme hébergement dans ce qui
n'était alors qu'un tout petit village de quelques centaines
d'habitants.
C'est dans cette partie
historique, une ancienne salle capitulaire où les quatre hommes se
concertaient, particulièrement émouvante, que j'ai eu l'honneur de
faire une conférence qui portait sur Domingo Faustino Sarmiento et
la vie de la fille de San Martín, Mercedes, dont c'était cette
année le bicentenaire de la naissance.
L'autre grand personnage,
c'est précisément Domingo Faustino Sarmiento, né dans cette ville
en 1811 (et mort au Paraguay en 1888). Sarmiento est l'un des plus
grands intellectuels argentins de la seconde moitié du XIXème
siècle. Avec Juan Bautista Alberdi, né à Tucumán en 1810, et
Bartolome Mitre, né à Buenos Aires en 1821, il forme le trio qui a
marqué à jamais la vie intellectuelle et littéraire du pays comme
l'a fait en France le quatuor formé par Corneille, Molière, Racine
et La Fontaine pendant le Grand Siècle. Sarmiento fut aussi un homme
politique très marquant : il fut gouverneur de San Juan, devenu
province en soi, puis président de la Nation. Dans les années 1840,
il vint en Europe et singulièrement en France étudier les systèmes
scolaires mais aussi travailler les opinions publiques pour les
dresser contre le gouvernement de Juan Manuel de Rosas, le leader du
courant fédéraliste, alors qu'il était pour sa part un unitaire
radical, au cœur de la guerre civile plus ou moins franche, plus ou
moins larvée qui a ravagée l'Argentine entre 1820 et 1880. J'espère
avoir pendant notre hiver septentrional le temps de travailler les
enregistrements que j'ai fait de mes conférences et pouvoir les
mettre en ligne sur mon site Internet (3), sur lequel pour le moment vous
pouvez écouter celles données l'année dernière (conférence en espagnol – conférences en français).
La ville de San Juan
s'enorgueillit de conserver la maison natale du grand homme, né dans
une grande famille patricienne de Cuyo que les accidents de la vie
déclassa. Ce qui est cause que Sarmiento a eu une éducation très
distinguée pour ce qui est de sa connaissance du monde tout en étant
un autodidacte qui n'a pas pu aller à l'école faute de moyens. Il
fut même refusé au Colegio San Carlos de Buenos Aires parce qu'il
était pauvre. Ces expériences traumatisantes en fit un partisan de
l'école obligatoire, gratuite et laïque pour tous, et le père de
la loi qui l'institua en 1883, malgré l'opposition d'une bonne
partie de la société catholique et de l'épiscopat. La maison
natale était une propriété de sa mère, doña Laura Albarracín,
qui joua dans sa vie un rôle prépondérant, à côté de ses quatre
sœurs, deux aînées et deux cadettes, qui ont toutes été elles
aussi des intellectuelles, des artistes et des pédagogues
d'envergure. En revanche, on connaît moins bien son père, José
Clemente Sarmiento (1778-1848), qui travailla aux côtés de José de
San Martín à l'aventure de l'Armée des Andes (il semble qu'il ait
accompli plusieurs missions d'espionnage au Chili), et ses frères et
sœurs morts pendant l'enfance. Domingo Sarmiento est plutôt discret
sur eux et on ignore pourquoi...
Début de conférence à la Casa de San Juan - Casa histórica de Sarmiento Aux côtés de la directrice de la Casa de la Provincia de San Juan en Buenos Aires |
Les contacts pris sur
place à San Juan, notamment à l'université nationale, eurent des
conséquences à Buenos Aires, avec une conférence programmée au
dernier moment à la Casa de la Provincia de San Juan, installée
dans ce qui fut la maison particulière de Sarmiento dans la capitale
fédérale, une maison traditionnelle de trois patios successifs,
très belle, qui lui avait été offerte par un mécène car
Sarmiento était d'une probité économique, qui fait désormais
partie de sa légende et qui lui a interdit de s'enrichir. Tout au
long de sa vie, il a donné tout son argent à des écoles, des
hôpitaux, des universités, des musées, des bibliothèques et toute
sorte de projets de développement de son pays. Là encore, ce fut
pour moi une grande émotion que de présenter mes recherches sur ses
écrits en français, devant un public d'historiens, de chercheurs en
littérature et de conservateurs de musée, dans cette belle salle du
premier patio, celui de la vie sociale du maître de maison dans la
haute société portègne.
Pour aller plus loin :
Museo Provincial de Bellas
Artes Franklin Rawson : site Internet et page Facebook
Museo Nacional Casa Natal
de Sarmiento : site Internet et page Facebook
Alliance Française de San
Juan : site Internet et page Facebook
Casa de San Juan en Buenos
Aires : page Facebook
Ajout du 2 novembre 2016 :
lire cet article de La Nación sur les descendants de Francisco Narciso Laprida (1786-1829). Ils se sont tous rassemblés dans la maison de l'un d'entre eux, à San Isidro, dans la banlieue huppée de Buenos Aires, pour célébrer son anniversaire de naissance (qui tombe le 28 octobre).
En Argentine, les descendants des proceres (les grands hommes), notamment ceux qui ont pris part au processus révolutionnaire et indépendantistes, sont assez conscients d'un devoir envers la patrie du fait du nom qu'ils portent.
(1) Le viento zonda est un
phénomène météorologique des Andes, un vent d'altitude qui
réchauffe brutalement l'atmosphère en provoquant des frottements
intenses entre masses d'air de température très différentes. On
passe des 15° ordinaires en pleine journée en cette période
d'hiver à des températures de 30° et plus en l'espace de 24
heures. Au sol, en pleine campagne, le zonda peut provoquer des tourbillons de vent qui déchaînent des
tempêtes de poussière et de terre que les ruraux supportent mal.
L'air devient exceptionnellement sec. La peau se craquelle si le
zonda dure plusieurs jours et on a plus soif qu'en temps ordinaire. Ceci dit, si j'ai ressenti cette année la sécheresse de l'air sur ma peau (crème hydratante bienvenue), je n'ai jamais connu les désagréments des vents de poussière en me promenant à la campagne et pourtant, j'ai vécu déjà deux épisodes de zonda très longs dans les deux cas, en août 2015 et cette année, où le phénomène a duré près d'une semaine à chaque fois...
(2) Le premier tirage du livre est presque épuisé. Une nouvelle édition sera bientôt disponible chez l'éditeur, qui peut toujours honorer les commandes que vous pouvez faire chez votre librairie de proximité.
(3) Dès que la rédaction de mes prochains articles (Souvenir Napoléonien, à Paris, et Instituto de Investigaciones Históricas de la Manzana de las Luces, à Buenos Aires) et le démarrage de mon prochain livre m'en donneront la disponibilité. J'ai un bel hiver, bien occupé, qui s'annonce ! Ce que j'ai déjà pu mettre en ligne, ce sont deux interviews radio, l'une en français diffusée sur Radio Mercedes et l'autre en espagnol, diffusée en direct sur Radio Libertador, l'antenne de Radio Nacional à Mendoza. Il m'en reste une troisième à préparer, dont je viens de recevoir l'enregistrement (sur Radio Cultura, à Villa Mercedes)