dimanche 19 décembre 2021

Les journaux argentins commémorent la crise de 2001 chacun à sa manière [Actu]

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Il y a vingt ans aujourd’hui, après une décennie d’économie folle où Carlos Menem avait maintenu la parité du peso argentin avec le dollar des États-Unis, l’ensemble de l’économie argentine s’effondrait comme un château de sable, laissant l’État en faillite, l’épargne privée avalée par la dette des banques et la population dans une détresse difficile à imaginer. 50 % des habitants sombraient dans la pauvreté et le chômage officiel grimpait à 20 %. A Buenos Aires et dans d’autres endroits, il y eut pendant 48 heures des émeutes réprimées avec une rare violence par les forces de sécurité, qui ne s’étaient toujours pas extirpées des pratiques mises en place sous la présidence de Isabel Perón et renforcées par la dictature qui suivit jusqu’en 1983, soit une décennie de despotisme en tout genre.

L’émeute de Buenos Aires laissa 40 morts sur Plaza de Mayo et ses environs et d’innombrables blessés, dont plusieurs survivants témoignent ces jours-ci dans la presse. Dépassé par les événements, le président Fernando De La Rúa, qui venait de perdre son vice-président par démission suite à de gros scandales de corruption, choisit de s’enfuir du palais présidentiel en hélicoptère, ce qui donna lieu, quelques semaines après les attentats de New York et de Washington, à des images dignes de l’évacuation tragique de l’ambassade des États-Unis lors de la déroute au Vietnam. Des images plus qu’humiliantes pour lui et pour une bonne partie des Argentins. Quelques jours plus tard, il fut remplacé par le chef du Partido Justicialista (le parti qui se réclame de Perón), Eduardo Duhalde, chef de l’opposition, grâce entre autres à une intervention secrète de celui qui avait présidé au retour à la constitution, le radical Raúl Alfonsín, chef d’État de 1983 à 1989, qui sauva ainsi la démocratie en surmontant l’irréconciliable opposition idéologique, politique et partisane qui existe depuis 1943 entre les péronistes et les radicaux.

Duhalde, qui n’a jamais pu se défaire de l’étiquette infamante de ce reste de mandat maudit, devait à son tour céder la place un an plus tard à Néstor Kirchner, confortablement élu lors d’un scrutin constitutionnel pour remettre l’Argentine sur les rails, ce qu’il fit en évitant comme la peste le FMI et ses recommandations toujours mortifères.

Depuis, l’Argentine avait réussi tant bien que mal à solder la dette exorbitante accumulée sous la dictature, la présidence Alfonsín puis les deux mandats délirants de Menem. En 2016, sous le mandat de Mauricio Macri (droite ultra-libérale tendance Reagan), le pays a recommencé à s’endetter sur les marchés et en 2018, incapable de rembourser une nouvelle fois, il a dû faire appel au FMI qui, sur pression de Trump et en vue des élections où Macri risquait d’être battu, lui a lâché un prêt d’une ampleur inédite et dont la pertinence économique et la conformité à ses statuts font désormais l’objet de dénonciations de journalistes et de chercheurs spécialisés ainsi que d’une enquête interne sous la nouvelle direction de l’organisme international. Sans parler des négociations sans fin auxquelles l’actuel gouvernement argentin doit se plier, tout en tentant de protéger le pays dans cette pandémie interminable.

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Un traumatisme historique largement partagé que tous les quotidiens d’envergure nationale rappellent aujourd’hui avec des articles développés quand ce ne sont pas des cahiers spéciaux ou des dossiers en ligne. Aucun, même parmi les plus libéraux, ne peut soutenir que le basculement reaganien de Menem fut une bonne chose. De là à reconnaître la pertinence circonstancielle de la politique de gauche, avec investissements publics, soutien à la consommation, améliorations du droit du travail et redistribution, conduite par Néstor Kirchner puis par sa femme, Cristina, aujourd’hui vice-présidente, il y a un abîme. Et pourtant cette politique avait fait baisser l’inflation, redonné du travail à beaucoup, permis à la classe moyenne de renouer avec l’épargne privée et l’achat d’une résidence principale et investi dans des domaines aussi importants pour l’avenir et le prestige international du pays que l’université, la recherche, la santé et les infrastructures.

© Denise Anne Clavilier

Pour en savoir plus :

lire le complément spécial de Página/12
lire l’article écœuré de La Prensa, intitulé « vingt ans après la contre-révolution progressiste de 2001 ». Notez que dans les colonnes de ce journal, l’adjectif « progressiste » est une insulte, un peu comme « trotsko-gauchiste » en France
lire le dossier de Clarín sur le déroulé des événements, en remontant un an avant la crise
visionner le documentaire monté et produit par Clarín pour son site Internet, où le journal fait intervenir des acteurs de l’événement comme Graciela Fernández Meijide, une candidate parlementaire défaite en 2002 et aujourd’hui une figure de la militance démocratique de droite, ou Hernán Lombardi, un homme de confiance de Mauricio Macri, qui vient de récupérer un siège au Congrès
lire l’article de La Nación qui interviewe longuement Eduardo Duhalde sur les événements au cœur desquels il s’est trouvé projeté et sur lesquels son avenir politique s’est à jamais échoué
lire le dossier de La Nación sur quatre vingtenaires d’aujourd’hui, deux hommes et deux femmes nés pendant ou juste après les événements, et dont le quotidien a fait une partie de sa une du jour (ci-dessus).