Il y a plusieurs années, sous l’autorité du juge Griesa, un magistrat nonagénaire, un tribunal de New-York avait partiellement invalidé le rééchelonnement de la dette publique argentine au profit d’une poignée de « fonds-vautours », des fonds privés spéculatifs établis sur le territoire de sa juridiction et qui avaient racheté à d’autres investisseurs (qui avaient pris un risque financier) une partie de cette dette dont, pour précisément ne prendre aucun risque, ils exigeaient le remboursement immédiat et complet.
Thomas Griesa est mort depuis, au grand soulagement de la plupart des Argentins qui ne pouvaient plus le voir en peinture. Et voilà que celle qui lui a succédé au sein du même tribunal prend une décision similaire en estimant que l’Argentine, pays indépendant depuis plus de deux siècles, membre-fondateur de la SDN dans l’entre-deux guerres et membre de l’ONU, n’avait pas le droit d’exproprier deux fonds d’investissements anglo-saxons spéculatifs qui détenaient une petite partie du capital de YPF lorsque la compagnie des Gisements Pétrolifères Fédéraux (c’est le sens du sigle hispanophone), alors dominée par la société pétrolière espagnole Repsol, a été renationalisée à hauteur de 51 % de son capital.
A la barre, ces
deux fonds-vautours, c’est
à juste titre que le
terme est de retour, ont fait valoir que pour nationaliser
l’entreprise, le gouvernement argentin aurait dû lancer une offre
publique d’achat (OPA), pour l’ensemble des actions, comme on le
fait à la Bourse entre entreprises cotées.
Or en l’occurrence, il s’agissait pour l’Argentine de retrouver le contrôle et les bénéfices y afférant de l’exploitation des ressources de son propre sous-sol, comme elle en disposait depuis les années 1920 lorsque le président Hipólito Yrigoyen avait fondé cette société (et l’avait ainsi baptisée) et jusqu’au mandat de Carlos Menem qui a tout privatisé dans les années 1990, laissant son pays nu comme un vers (sans contrôle sur son sous-sol, sans chemins de fer, sans compagnie d’aviation nationale). Comme il se doit lorsqu’il s’agit d’une question de souveraineté nationale, sur quoi repose tout l’État de droit, l’opération est donc passée par la loi. L’expropriation a été votée par le Congrès argentin, expression de la volonté de la Nation souveraine.
Ainsi donc, au terme du jugement en première instance d’un tribunal local du district sud de New York, un pays souverain, membre de l’ONU, se trouve condamné à payer à des plaignants privés des sommes astronomiques qui n’ont pas encore été fixées mais qui devraient aller de 3 500 à 17 000 millions de dollars US. Rien que cela ! Le tribunal aurait dû se déclarer incompétent et renvoyer les plaignants à la justice du pays qu’ils voulaient attaquer.
A ce stade, l’Argentine dispose de deux voies d’appel contre ce jugement inique. Toutefois, dans ce cas, la pays devra tout de même débourser un lourd dépôt de garantie comme est tenu de le faire n’importe quel justiciable devant n’importe quel tribunal du ressort de New York, parce que c’est ainsi que le dispose la loi locale (qui n’est donc pas une loi fédérale).
A côté de cela, depuis douze mois, des chefs d’État ou de gouvernement de pays démocratiques, comme la France, l’Allemagne et l’Espagne, s’efforcent de convaincre Alberto Fernández (et les autres chefs d’État sud-américains) de se ranger franchement du côté ukrainien puisque ni les États-Unis ni eux-mêmes ne font en l’occurrence acte d’impérialisme en défendant ce pays indépendant et souverain contre Poutine, sa clique et leur délire paranoïaque et cleptomane... Comment voulez-vous que ça prenne dans l’opinion publique si une simple juge locale d’un pays étranger au pouvoir économique hégémonique s’arroge le pouvoir exorbitant de traiter cette République avec une telle désinvolture et une telle arrogance, qui plus est au moment où le pays entre dans une campagne électorale nationale !
Toutes les unes d’hier, sauf paradoxalement celle de Página/12, montrent le scandale à l’œuvre, même si la presse de droite ne manque de souligner ce qu’ils désignent comme des erreurs stratégiques dans la conduite du dossier par la majorité kirchneriste d’alors. Et si j’ai retardé d’un jour cette publication, c’est pour que mes lecteurs ne soient pas tentés d’y voir un poisson d’avril.
Pour aller plus loin :