vendredi 26 avril 2024

La manif s’empare de la Feria del Libro [Actu]

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Comme on s’y attendait, l’inauguration de la Feria del Libro hier, à Palermo, a dû faire siffler les oreilles de Mileí.

Quoique, puisque le président semble paradoxalement se réjouir des critiques qui lui sont adressées. Plus elles sont acerbes, plus il se rengorge sur les réseaux sociaux ! Peut-être par fanatisme libertaire ou peut-être, et c’est plus vraisemblable, parce qu’elles font parler de lui partout dans le monde, une publicité que ses maigres talents ne lui ont jamais permis d’obtenir. Au moins, depuis qu’il est président de l’Argentine, le grand public le connaît partout dans le monde et ses pitreries hantent les media en Argentine comme à l’étranger. Or ce n’est pas le cas de ses prédécesseurs : ni Néstor Kirchner, ni Cristina Kirchner, ni Mauricio Macri, ni Alberto Fernández n’ont jamais joui de la moindre notoriété hors du sous-continent (sauf, et encore à peine, en Espagne) alors que juste de l’autre côté de la frontière, Lula, Dilma Roussef et Bolsonaro, sur ce plan, n’ont vraiment pas à se plaindre !

Avec sa vulgarité, son look moche, son inculture abyssale et son déchaînement idéologique, il a réussi là où, avec des politiques qui restaient dans les clous de la décence démocratique, les autres ont échoué.

Une du supplément culturel quotidien de Página/12
présentant un moment du discours inaugural de Liliana Heker
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Toujours est-il qu’hier le président de la Fundación El Libro, organisatrice du salon du livre, et l’écrivaine Liliana Heker, invitée à délivrer l’allocution inaugurale, n’ont pas ménagé leurs critiques contre la politique anti-culturelle et anti-sociale de l’actuel gouvernement qui menace de faire disparaître entre autres et à court terme tout le secteur du livre, faute de ressources chez les lecteurs désireux d’enrichir leurs bibliothèques. Or ce secteur est une des grandes réussites de l’Argentine en Amérique du Sud, une sorte d’exception culturelle sur le continent. Quant à la Fondation du Livre, ce n’est pas à proprement parler un bastion de la gauche péroniste ! C’est donc l’écrasante majorité du monde de la culture qui se défend contre cette politique imbécile qui mise pour longtemps sur l’ignorance et la perte de tout repère historique et éthique.

Clarín a préféré mettre une photo tirée de la caméra
de sécurité d'une pizzeria qui a subi une attaque armée
hier soir dans Boedo, un quartier tranquille du centre-ville
de Buenos Aires.
La Feria del Libro est traitée en bas à droite
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Dans un discours de bienvenue mémorable, reproduit en intégralité ce matin par La Nación dans son édition du jour (un journal qu’on aurait du mal à définir comme de gauche !), le président de la Fondation a prononcé quatre non retentissants et un oui non moins sonore :

  • Non à la suppression du Fonds National des Arts
  • Non à la suppression de l’Institut National de Théâtre
  • Non aux coupes claires dans le budget de l’Institut National du Cinéma [qui est en train de mourir, NdE]
  • Non à la non-application de la loi de Défense de l’activité de libraire [qui permet entre autres aux librairies de ne pas verser au fisc le montant de la TVA des livres, loi votée il y a plusieurs années mais jamais mise en application, NdE]
  • Oui à l’Université publique, gratuite et pour tous.


L’organisateur a également dénoncé le cynisme et l’absence de toute vergogne du président qui a interdit au ministère de la Culture (redevenu simple secrétariat d’État au sein du ministère du Capital Humain) d’avoir un stand sur le salon sous prétexte que c’était là une dépense inutile pour l’État qui doit faire des économies, alors que le ministère a toujours été présent sur le salon depuis sa première édition, il y a cinquante ans. Et malgré cela, le président a le culot de s’inviter le 12 mai au centre de ce parc d’exposition à l’occasion de la sortie d’un bouquin qu’il a signé pour bénéficier du flux de public que draine la Feria. La Fondation lui a répondu qu’elle ne prendrait en charge ni l’organisation de cette sinistre pitrerie ni les frais liés à sa venue, en particulier le coût de la sécurité. Or vous imaginez sans peine ce qu’il va falloir déployer pour permettre au président de se présenter dans cette manifestation et d’y pérorer pendant une heure alors que tous les exposants lui sont profondément hostiles et que le public ne le porte pas vraiment dans son cœur. No hay plata, lui a répondu le président de El Libro lorsqu'on lui a présenté les desiderata de cet auteur aussi spécial que capricieux. Non sans ironie, il n’a fait que lui retourner la phrase que le gouvernement répète à tout bout de champ et à tout le monde pour refuser de maintenir les budgets du secteur non marchand : « Il n’y a pas d’argent ».

Titre neutre mais belle photo à la une de La Prensa
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Le président devra donc prendre tous les frais sur son budget ou s’abstenir de venir faire sa promo. Ce qui va encore coûter bonbon aux contribuables argentins comme tout le reste dans ce mandat où les élus se votent des augmentations gratinées pour leurs indemnités de mandat, poussant le primat d’Argentine à leur intimer, en chaire et en vain, l’ordre de ne pas le faire, et où les ministères embauchent à tire-larigot copains et parents avec des salaires mirobolants tout en accusant leurs prédécesseurs de gabegie et de concussion en tout genre.

Ce qui n’a pas empêché hier, sur LCI, ici, en France, le journaliste François Lenglet de prendre pour argent content un discours récent et hautement fantaisiste de Mileí, où il s’est vanté à la télévision d’avoir déjà passé le budget de l’État en excédent après des décennies d’un déficit insurmontable. Pur mensonge, comme d’habitude avec lui. Vaguement formé à l’économie dans sa jeunesse dans une université privée d’assez piètre réputation, le président se laisse volontiers donner du Docteur alors qu’il n’a été étudiant que trop peu d’années pour prétendre à pareille qualification(1). Vendredi dernier, comme d’habitude, il a arrangé les faits et les chiffres à sa sauce pour leur faire dire ce qui l’arrangeait, quatre jours avant une manifestation qui s’annonçait gigantesque et qui l’a été, celle de mardi dernier en faveur de l’enseignement supérieur public.

Un montage photo pour se payer la tête
du gouvernement qui ne parvient pas à faire passer
ses lois au Congrès
La Feria del Libro est en bonne place : en haut à gauche
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Quant au chef du Gouvernement de la Ville Autonome de Buenos Aires, un cousin germain de Mauricio Macri, tout aussi de droite que lui, il a annoncé un programme d’aide et de soutien aux bibliothèques populaires dans sa ville ! Cela s’arrose...

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

lire l’article principal de Página/12
lire l’article de La Prensa
lire l’article principal de Clarín
lire l’article de La Nación reprenant le discours de bienvenue du président de El Libro
lire l’article de La Nación reprenant le discours inaugural de Liliana Heker




(1) Notons que ses prédécesseurs ont de vrais diplômes universitaires à faire valoir : Néstor et Cristina Kirchner comme Alberto Fernández sont tous les trois docteurs en droit et Alberto Fernández était de surcroît, au moment où il a été élu, professeur de droit à la UBA, la plus prestigieuse université du pays. Quant à Mauricio Macri, c’est un authentique ingénieur formé en Argentine puis aux États-Unis. Certes, le diplôme ne fait pas le bon politique mais cela dit au moins quelque chose de l’effort que l’homme ou la femme en question a consenti pour se former.