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"Aujourd'hui plus que jamais, jamais plus", dit le gros titre avec cette mise en page inhabituelle La photo montre la Plaza de Mayo en perspective Le grand toit rouge est celui de la cathédrale Le petit celui du Cabildo, la mairie coloniale, qui a été le théâtre de la Révolution de Mai 1810 qui a déclenché la marche vers l'indépendance Cliquez sur l'image pour une meilleure résolution |
Hier, les Argentins fidèles à
l’État de droit commémoraient les 49 ans du coup d’État de la
dernière dictature militaire (1976-1983) et les milliers de victimes
du régime de répression sanglant qui s’en est suivi et qui a
toujours des répercutions transgénérationnelles près d’un
demi-siècle plus tard. Le 24 mars est un jour férié et de grands
défilés sont organisés, tous les ans, un peu partout dans le pays
pour rappeler la mémoire des 30 000 disparus et réclamer
justice pour eux.
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La Fédération nationale de Football s'est associée au souvenir (réseaux sociaux de la AFA) |
Or
l’actuel gouvernement nie ouvertement et par tous les moyens
possibles la réalité des 30 000 disparus. Il cherche aussi à
effacer la mémoire des crimes commis par la Junte, des faits
pourtant historiquement attestés et imprescriptibles puisqu’il
s’agit de crimes contre l’humanité. Pour se dédouaner, il a
prétendu déclassifier des archives « afin d’établir la
vérité » mais ces archives ont en fait été déclassées il
y a de nombreuses années, sous le mandat de Cristina Kirchner. C’est
comme pour les archives de JFK aux États-Unis :
en fait, c’était déjà fait !
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Une vue de la marche du souvenir en haut avec ce gros titre négationniste : "Plus jamais une version déformée des années 70" Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Le
gouvernement de Mileí cherche en effet à imposer l’idée d’une
« mémoire complète » qui consiste à mettre sur le même
plan les crimes commis par le régime, avec tous les moyens de
répression d’un État
militarisé à l’extrême, et les attentats individuels perpétrés
par la guérilla armée contre des personnalités qui servaient le
régime, les premiers étant bien entendu beaucoup plus nombreux et
systématiques que les seconds. Comme si une telle comparaison avait
une quelconque validité en droit comme en histoire.
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Le visuel publié par le San Lorenzo de Almagro le club du pape François |
L’actuelle
vice-présidente, fille d’un officier ayant servi le régime,
voudrait effacer les condamnations des criminels et dans cette
majorité incohérente, en manteau d’Arlequin, c’était hier à
qui ferait les propositions les plus serviles pour lui complaire.
C’est ainsi qu’un député a proposé que le 24 mars cesse d’être
un jour férié et un autre que le campus de l’ex-ESMA, ancienne
école de la Marine et centre clandestin de détention et de torture
transformé en vaste complexe culturel thématique consacré à la
justice et aux droits de l’homme sous les auspices de l’UNESCO,
soit rendu à l’armée pour servir de centre d’entraînement (en
pleine ville, ne l’oublions pas, et dans un quartier où se
trouvent déjà les deux casernes des deux régiments historiques du
pays, les Patricios, 1er régiment d’infanterie fondé
en 1808, et les Grenadiers à cheval, l’équivalent en France de la
Garde républicaine, fondé en 1812), tout cela au bénéfice des
forces de la défense et des pompiers, sous prétexte que l’existence
du centre culturel de l’ex-ESMA diviserait le pays, ce qui est
faux. Son existence défrise seulement les adversaires de l’État
de droit, des gens ultra-minoritaires, comme le sont les vrais
trumpistes aux États-Unis,
mais qui veulent faire croire qu’ils sont la voix de la majorité.
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"49 ans après le coup d'Etat militaire, l'opposition s'unit pour une marche massive contre Mileí" La photo est prise par un drone en légère plongée Au fond on reconnaît la tour du Cabildo et l'immense Avenida de Mayo qui file vers le Congrès Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Pour
couronner le tout, le gouvernement a choisi cette nuit pour faire
retirer du fronton du Centro Cultural Néstor Kirchner l’inscription
qui rappelait le nom de l’ancien président de gauche. Au début de
son mandat, Mileí l’a en effet fait rebaptiser Palacio Libertad.
On reconnaît ici la rage destructrice qui habite aussi Donald Trump
et ses complices, cette rage haineuse et vengeresse qui entend dénier
leur droit d’exister aux autres, à tous les autres, l’opposition,
les « progressistes », la gauche et même, en général,
tout ce qui est antérieur à ces dirigeants égotiques et cruels qui
veulent croire que le monde commence avec eux... Particulièrement
répugnant.
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Le visuel publié par le River Plate, le club le plus chic de la capitale fédérale L'image comporte les visages de certains disparus liés à l'histoire du club
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Et
pourtant, les manifestations d’hier ont été si impressionnantes
que même la presse de droite a dû mettre l’info à la Une.
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"La marche du 24 mars a été massive et le gouvernement va déclassifier des archives" Sur cette autre vue, on reconnaît très bien le Cabildo et la Avenida de Mayo noire de monde Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Et
pour une fois, de très nombreux clubs sportifs n’ont pas hésité
à consacrer du temps et de l’argent à la création de visuels
originaux qu’ils ont publiés sur leurs réseaux sociaux afin de
s’associer à cette journée du Souvenir, de la Vérité et de la
Justice. Ils ont consacré temps et argent à faire mémoire de ceux
de leurs sociétaires et de leurs joueurs qui ont eux aussi disparu
pendant ces sept sinistres années à la fin de la Guerre froide.
Depuis des mois, les clubs sont eux aussi dans le collimateur du
gouvernement. Celui-ci voudrait en effet les contraindre à
abandonner leur statut associatif, qui permet leur rôle social et
solidaire de proximité, pour passer à celui de société
commerciale et concurrentielle. Or ils s’y refusent
catégoriquement, fédération de foot en tête !
©
Denise Anne Clavilier
Pour
aller plus loin :
lire
l’article
principal de Página/12
lire
l’article
de Página/12 sur les clubs (c’est le seul journal à
s’y intéresser)
lire
l’article
de La Prensa sur les manifestations d’hier (le quotidien
a publié et continue de publier de nombreux éditoriaux
négationnistes en épousant les intentions peu ragoûtantes de la
vice-présidente)
lire
l’article
de La Nación
Les
articles de Clarín sur ce sujet sont réservés aux abonnés.
Mise à jour du 28 mars 2025 :
lire
ce
long article de Cristián Vitale, un
journaliste de Página/12 qui écrit le plus souvent sur la
culture et notamment la musique, sur la « memoria
completa ». Cristián Vitale revient sur deux cents ans de
pratique répressive extrajudiciaire de la part des pouvoirs publics
en Argentine en remontant au tout début du 19e siècle,
avec l’exécution de Manuel Dorrego, un officier fédéraliste
(celui qui a donné son nom à la célèbre place du vieux quartier
de San Telmo), par un autre officier, unitaire celui-là, que la
droite honore encore aujourd’hui (il a lui aussi une place à son
nom à côté du Teatro Colón, le rendez-vous de l’élite
économique et sociale de la capitale argentine.