Tableau de Ernesto Pereyra, Diffusion CCC Floreal Gorini, Walter Alegre
Contrairement
à ce qu'ils aiment dire d'eux-mêmes, les Argentins
cultivent de nombreuses superstitions et croyances diverses, qui
proviennent la plupart du temps des syncrétismes qui se sont
opérés pendant les trois premiers siècles de
l'installation des Européens en Amérique et tout au
long de la période de la traite des Noirs (1) entre les
religions pré-colombiennes, les religions (ou plutôt les
bribes de religion de l'Afrique occidentale) et le catholicisme,
assez fragile du point de vue dogmatique, des conquérants, des
laïcs qui étaient rarement diplômés en
théologie et n'étaient même pas des croyants bien
solides dans leur relation à Dieu (sans quoi ils n'auraient
jamais choisi ce mode de vie qui consistaient à partir
coloniser une terre qui n'était pas la leur). Cela a donné
l'apparition de croyances qui nous paraissent des plus exotiques et
qui montrent le bout de leur nez en toute occasion, comme ici, quand
Tango de Miércoles, la série de concerts du laïcard en diable CCC Floreal Gorini, nous présente ses vœux pour
l'année 2013 en nous envoyant une harde de petits éléphants
porte-bonheur, grâce à ce tableau du peintre Ernesto
Pereyra...
Sont-y
pas mignons ?
(1)
La traite des Noirs a été interrompue, mais non pas
tout à fait éteinte, au moment des guerres
révolutionnaires, au début des années 1790.
Légalement, en Argentine, elle ne s'est arrêtée
qu'en 1813 (ce qui est néanmoins une des dates les plus
précoces pour l'interdiction durable de ce trafic ignoble).
L'esclavage comme système social et économique a pris
réellement fin en Argentine dans les années 1830, un
peu plus tôt au Chili (où l'esclavage était moins
répandu) et beaucoup plus tard au Pérou, où il
s'est maintenu légalement mais sous une forme déclinante
jusque dans les années 1850. Pour mémoire, la France
elle-même n'a aboli l'esclavage dans ses possessions
d'outre-mer qu'en 1848. C'est dans les années 1840, au début
du règne de la reine Victoria, que les Britanniques, maîtres
des océans, ont négocié avec les grandes
puissances internationales de l'heure la mise en œuvre d'une lutte
enfin efficace contre la traite des Noirs résiduelle, quand
elle était aux mains de hors-la-loi qui n'avaient plus aucune
forme d'appui d'aucun des Etats européens et qu'elle
représentait un danger social, économique et
diplomatique similaire à celui des trafiquants de drogue ou de
contrefaçons aujourd'hui. Au moment où éclate la
Révolution de Mai 1810 à Buenos Aires, on estime que 70
à 75% des esclaves présents sur le territoire de
l'ex-Vice-Royaume du Río de la Plata étaient nés
en Afrique. Le taux de natalité dans la population noire était
très bas, d'une part parce que les maîtres cherchaient à
éviter la perte de capacité de travail féminin
qui aurait été causée par la baisse de régime
liée à une grossesse (voire par la mort de l'esclave en
couches), et ensuite parce qu'une population traumatisée par
une aussi violente déportation a toujours une fécondité
désastreuse. Ce choix politique des colons de renouveler la
population servile par la déportation plutôt que par la
natalité a donc entretenu l'arrivée permanente de gens
porteurs de croyances et de pratiques païennes, qui n'avaient
pas la possibilité de s'assimiler à travers la
succession des générations. Ce phénomène
peut expliquer l'omniprésence et la force des syncrétismes
que l'on observe en Amérique Latine, et notamment en
Argentine, bien que celle-ci ait tendance à s'en défendre.