mercredi 2 janvier 2013

Tango de Miércoles : petits éléphants porte-bonheur pour 2013 [Fêtes de fin d'année]


Tableau de Ernesto Pereyra, Diffusion CCC Floreal Gorini, Walter Alegre

Contrairement à ce qu'ils aiment dire d'eux-mêmes, les Argentins cultivent de nombreuses superstitions et croyances diverses, qui proviennent la plupart du temps des syncrétismes qui se sont opérés pendant les trois premiers siècles de l'installation des Européens en Amérique et tout au long de la période de la traite des Noirs (1) entre les religions pré-colombiennes, les religions (ou plutôt les bribes de religion de l'Afrique occidentale) et le catholicisme, assez fragile du point de vue dogmatique, des conquérants, des laïcs qui étaient rarement diplômés en théologie et n'étaient même pas des croyants bien solides dans leur relation à Dieu (sans quoi ils n'auraient jamais choisi ce mode de vie qui consistaient à partir coloniser une terre qui n'était pas la leur). Cela a donné l'apparition de croyances qui nous paraissent des plus exotiques et qui montrent le bout de leur nez en toute occasion, comme ici, quand Tango de Miércoles, la série de concerts du laïcard en diable CCC Floreal Gorini, nous présente ses vœux pour l'année 2013 en nous envoyant une harde de petits éléphants porte-bonheur, grâce à ce tableau du peintre Ernesto Pereyra...

Sont-y pas mignons ?


(1) La traite des Noirs a été interrompue, mais non pas tout à fait éteinte, au moment des guerres révolutionnaires, au début des années 1790. Légalement, en Argentine, elle ne s'est arrêtée qu'en 1813 (ce qui est néanmoins une des dates les plus précoces pour l'interdiction durable de ce trafic ignoble). L'esclavage comme système social et économique a pris réellement fin en Argentine dans les années 1830, un peu plus tôt au Chili (où l'esclavage était moins répandu) et beaucoup plus tard au Pérou, où il s'est maintenu légalement mais sous une forme déclinante jusque dans les années 1850. Pour mémoire, la France elle-même n'a aboli l'esclavage dans ses possessions d'outre-mer qu'en 1848. C'est dans les années 1840, au début du règne de la reine Victoria, que les Britanniques, maîtres des océans, ont négocié avec les grandes puissances internationales de l'heure la mise en œuvre d'une lutte enfin efficace contre la traite des Noirs résiduelle, quand elle était aux mains de hors-la-loi qui n'avaient plus aucune forme d'appui d'aucun des Etats européens et qu'elle représentait un danger social, économique et diplomatique similaire à celui des trafiquants de drogue ou de contrefaçons aujourd'hui. Au moment où éclate la Révolution de Mai 1810 à Buenos Aires, on estime que 70 à 75% des esclaves présents sur le territoire de l'ex-Vice-Royaume du Río de la Plata étaient nés en Afrique. Le taux de natalité dans la population noire était très bas, d'une part parce que les maîtres cherchaient à éviter la perte de capacité de travail féminin qui aurait été causée par la baisse de régime liée à une grossesse (voire par la mort de l'esclave en couches), et ensuite parce qu'une population traumatisée par une aussi violente déportation a toujours une fécondité désastreuse. Ce choix politique des colons de renouveler la population servile par la déportation plutôt que par la natalité a donc entretenu l'arrivée permanente de gens porteurs de croyances et de pratiques païennes, qui n'avaient pas la possibilité de s'assimiler à travers la succession des générations. Ce phénomène peut expliquer l'omniprésence et la force des syncrétismes que l'on observe en Amérique Latine, et notamment en Argentine, bien que celle-ci ait tendance à s'en défendre.