jeudi 31 janvier 2013

Le Bicentenaire de la Asamblea del Año XIII [Actu]



Tandis que l'été bat son plein (1), dans une chaleur suffocante et en plein chassé-croisé entre janviéristes et févriéreins sur les autoroutes et dans les aéroports, une partie de l'Argentine, la gauche, fête aujourd'hui les deux cents ans de l'installation de la première assemblée législative des Provinces-Unis du Río de la Plata, encore liées à l'Espagne loyaliste qui se battait contre l'envahisseur français dans la Péninsule. En ce 31 janvier 1813, la Asamblea del Año XIII est un peu dans la mémoire populaire argentine l'équivalent de ce que fut en France la transformation des Etats-Généraux en Assemblée Nationale ou la Nuit du 4 août pendant l'été 1789 : la phase épanouie et heureuse de la Révolution, celle du consensus national qui rassemble toutes les classes de la société, avant que tout se gâte en une guerre civile traumatisante (comme ce fut le cas de la Terreur dans toute la France et de la guerre de Vendée et, là-bas, en Argentine, la lutte entre fédéraux et unitaires qui germe dans cette toute première assemblée élue). Et je suis heureuse que cet article soit aussi le n° 2913, ça ne s'invente pas !

Pourquoi est-ce essentiellement la gauche qui va faire la fête ce soir ? Parce que cette assemblée symbolise le courant de l'émancipation sociale au sein du vaste mouvement qui fit passer l'Amérique du Sud de l'Ancien Régime et de la condition de colonie à la souveraineté nationale et à la séparation avec l'Espagne. Or cette tension entre la priorité donné au progrès social et celle donnée à l'indépendance n'est toujours pas résolue aujourd'hui en Argentine et la droite est peu mobilisée pour célébrer une étape de la révolution qui vit la fin de l'esclavage par extinction (2), celle des servitudes auxquelles étaient soumis les Indiens (corvées, travail forcé, entrave à la liberté de résidence, etc.), celle des châtiments corporels à l'école (ce qui créa quelques problèmes de discipline que les instituteurs eurent bien du mal à se sortir tant il leur en coûta de modifier leurs méthodes pédagogiques), l'abolition de l'Inquisition (déjà abolie en Espagne depuis 1808), l'interdiction de la torture dans la procédure judiciaire pénale (3), l'égalité des enfants dans l'héritage quelque soit leur rang dans la fratrie et l'abolition des titres nobiliaires, ce qui n'était pas en Argentine le sujet le plus brûlant (la plupart des titres nobiliaires se trouvaient au Pérou et au Mexique et non dans l'extrême sud du continent).

Une grande fête se prépare à Buenos Aires, à partir de 16h30, sur Plaza de Mayo, avec une grande scène dressée du côté du Cabildo, tout près de l'endroit où se réunissait cette Assemblée, la Manzana de las Luces, à deux cents mètres de là...

Préparation de la scène hier devant le Cabildo (photo Télam)

Et pendant que La Nación et Clarín continuent à bêtifier en se préparant au couronnement (sic) de Máxima (voir mon article du 29 janvier 2013 sur le sujet), Página/12 a interviewé l'historienne Ema Cibotti, qui est d'autant plus intéressante que comme tant et tant d'historiens en Argentine elle a encore bien du mal à distinguer entre certains préjugés si sacro-saints qu'ils semblent hors d'atteinte de la critique méthodique propre à la discipline et la réalité de la recherche scientifique (4).

Extraits.

¿Cómo se gestó la Asamblea?
El 31 de marzo de 1813, un día domingo, quedó instalada en la ciudad de Buenos Aires. Fue un gran acontecimiento histórico. Sus promotores, todos integrantes de la Logia Lautaro, activos instauradores del Segundo Triunvirato, impulsaron reformas esenciales y aunque su objetivo final, sancionar una constitución, quedó incumplido, cada uno de sus actos soberanos afirmó la voluntad de enfrentar al despotismo y afianzar la emancipación.
Ema Cibotti, in Página/12

- Comment naquit l'Assemblée ?
- Le 31 mars 1813 (5), c'était un dimanche, l'Assemblée s'installa dans la ville de Buenos Aires. Ce fut un grand événement historique. Ses promoteurs, toujours membres de la Loge Lautaro (6), actifs instaurateurs du Second Triumvirat, impulsèrent des réformes essentielles et même si son objectif final, voter une constitution, ne fut jamais atteint, chacun de ses actes souverains affirma la volonté de s'opposer au despotisme et de soutenir l'émancipation.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

¿Cuál era el clima político del momento?
El ambiente general era de gran optimismo. Y esta etapa inicial que culmina en el mes de septiembre del mismo año, con la primera suspensión de las sesiones, es la más prolífica en el dictado de nuevos preceptos y leyes que reformaron de cuajo la vida civil de la ex colonia española. No había retroceso posible en el Río de la Plata. Como bien dijo Alberdi, algunos años más tarde, “el pasado no tenía defensores”.
Ema Cibotti, in Página/12

- Quel était le climat politique du moment ?
- L'atmosphère générale était fort à l'optimisme. Et cette étape initiale qui culmine au mois de septembre de la même année, avec la première suspension de session, est la plus prolifique dans l'élaboration de nouveaux concepts et de lois qui réformèrent de fond en comble la vie citoyenne de l'ex-colonie espagnole. Il n'y avait plus de retour en arrière possible sur le Río de la Plata. Comme le dit bien Alberdi, quelques années plus tard, "le passé n'avait personne pour le défendre".
(Traduction Denise Anne Clavilier)

¿Cuáles fueron las medidas más significativas que dictó?
El 2 de febrero, segunda sesión, se vota la libertad de vientres. En palabras de un contemporáneo, un ejemplo de equidad y justicia. No he encontrado una mejor definición de esclavitud que la que propone el mismo artículo: “Este bárbaro derecho del más fuerte que ha tenido en consternación a la naturaleza, desde que el hombre declaró la guerra a su misma especie”. El decreto o bando publicado en la Gazeta, el 5 de febrero, establecía: “Los niños que nacen en todo el territorio de las Provincias Unidas del Río de la Plata, sean considerados y tenidos por libres”. El rechazo a la esclavitud era una cuestión fundamental. El Primer Triunvirato ya había decretado –el 15 de mayo de 1812– la prohibición de introducir esclavos, y esta decisión compartida más allá de las disensiones revolucionarias, tenía el apoyo de los morenistas y de los rivadavianos, y explicita por qué San Martín o Belgrano hablaban de “emancipación” y no sólo de independencia. El documento advertía que la esclavitud debía desaparecer “de nuestro hemisferio”. La aclaración no era ingenua, por el contrario, señalaba, de una manera muy sutil, la deuda de la revolución de la independencia norteamericana.
Ema Cibotti, in Página/12

- Quelles furent les mesures les plus significatives qu'elle imposa ?
- Le 2 février, à la deuxième séance, on vota la liberté des ventres. Selon les dires d'un contemporain, un exemple d'équité et de justice. Je n'ai pas rencontré de meilleure définition de l'esclavage que celle que propose l'article lui-même : "Ce droit barbare du plus fort que a consterné la nature, depuis que l'homme a déclaré la guerre à sa propre espèce". Le décret ou avis publié dans la Gazette, le 5 février, établissait : "Les enfants qui naissent sur tout le territoire des Provinces-Unies du Río de la Plata, seront considérés et tenus comme libres". Le rejet de l'esclavage était une question fondamentale. Le premier Triumvirat avait déjà décrété, le 15 mai 1812, l'interdiction d'introduire des esclaves, et cette décision partagée au-delà des dissensions révolutionnaires, avait l'appui des morenistes et des rivadaviens (7) et explique pourquoi San Martín ou Belgrano (8) parlait d'émancipation et non pas seulement d'indépendance. Le document annonçait que l'esclavage devait disparaître de "notre hémisphère". Cette mise au point n'était pas naïve, tout au contraire, elle signalait, d'une manière très subtile, la dette de la révolution de l'indépendance nord-américaine (9).
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Pero no se suprime directamente la esclavitud en ese momento...
Es cierto que para la supresión de la esclavitud hay que esperar a 1853, pero eso se debe a la dificultad para la organización constitucional del país, y no a una voluntad esclavista.
Ema Cibotti, in Página/12

- Mais on ne supprime pas directement l'esclavage à ce moment-là...
- C'est sûr que pour la suppression de l'esclavage il faut attendre 1853 mais ceci est dû à la difficulté d'organisation constitutionnelle du pays, et non pas à une volonté esclavagiste. (10)
(Traduction Denise Anne Clavilier)

¿Qué influencia tuvo en términos políticos?
En materia política, también anticipa lo que vendrá. La división tripartita de los poderes está claramente enunciada. Pero ¿bajo qué forma? Artigas da instrucciones el 13 de abril de 1813 a los diputados orientales para que no se admita otro sistema que el de la Confederación y una formal declaración de independencia absoluta con respecto a la corona y al Estado de España. El disenso se hace carne enseguida en el seno de la Asamblea, Alvear rechaza el artiguismo y promueve el Directorio, esto es, un poder centralizado. El contexto externo ha cambiado, en pocos meses los refuerzos realistas que llegan a Montevideo y la “rencorosa venganza” que todos vislumbran en las acciones de Fernando VII, priorizarán el esfuerzo de la guerra por sobre cualquier otra consideración política, y el debate constitucional que requiere de un clima de paz queda así interrumpido. Pero la Asamblea ha cumplido su función: debate de ideas y puesta en acción de la política pública que, a fuerza de construir una identidad de voluntaria agregación, se está convirtiendo en la base de una futura nación.
Ema Cibotti, in Página/12

- Quelle influence a-t-elle eue en termes politiques ?
- En matière politique, elle a aussi anticipé le futur. La division tripartite des pouvoirs était clairement énoncée (11). Mais sous quelle forme ? Artigas (12) donne des instructions le 13 avril 1813 aux députés orientaux pour qu'on n'admette pas d'autre système que celui de la Confédération et [pour obtenir] une déclaration formelle d'indépendance absolue para rapport à la couronne et à l'Etat espagnols. La dissension s'incarne immédiatement au sein de l'Assemblée. Alvear rejette l'artiguisme et promeut le Directoire, c'est-à-dire un pouvoir centralisé. Le contexte externe (13) avait changé, en peu de mois les renforts royalistes qui arrivaient à Montevideo et la vengeance pleine de rancœur que tous entrevoyaient dans les actions de Fernando VII. Ils prioriseront l'effort de guerre sur toute autre considération politique et le débat constitutionnel qui requiert un climat de paix se trouve presque interrompu. Mais l'Assemblée a rempli sa fonction : un débat d'idées et une mise en action de la politique publique qui, à force de construire une identité d'agrégation volontaire (14), se convertit peu à peu en la base d'une future Nation.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Fac-similé de la première page de l'édition du 5 février 1813
de la Gazeta Ministerial del Gobierno de Buenos Ayres (orthographe originale)
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Pour aller plus loin :
lire l'interview intégrale dans l'édition de Página/12
lire l'article sur les festivités de ce soir dans Página/12
lire la dépêche de Télam sur les festivités de Plaza de Mayo
lire l'analyse de l'historien Prudencio Bustos Argañaraz sur le blog cordobais Foro Sanmartiniano. Cette analyse est elle aussi partisane, vous le voyez dans le titre : les véritables acquis de l'Assemblée (revendiquer la vérité vous place d'emblée dans une posture polémique, puisque si vous dites la vérité, c'est que les autres mentent). Mais son point de vue est très différent de celui de Ema Cibotti. Il est beaucoup plus critique sur cette assemblée sans jamais expliquer clairement ce que signifient ces décalages qu'il dénonce entre les principes et la pratique de l'assemblée et des habitants qu'elle était censée représenter.
Voir aussi mes autres articles sur le bicentenaire en cliquant sur le mot-clé correspondant dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessus.


(1) J'en profite pour travailler sur les deux prochains livres, Tango Negro, de Juan Carlos Cáceres, avec une traduction et des commentaires de votre servante, qui doit paraître le mois prochain aux Editions du Jasmin (on est en plein dans le thème de la Asamblea del Año XIII, qui a beaucoup fait pour l'émancipation des Noirs dans ce qui allait devenir l'Argentine) et une anthologie de documents historiques, sud-américains, britanniques, nord-américains et français, autour de la figure de José de San Martín et de son œuvre politique et militaire d'il y a deux cents ans... Et à me préparer à une éventuelle intervention dans une émission de Radio Nacional lundi prochain.
(2) En droit, l'esclavage a vraiment été aboli en Argentine en 1853 et c'est l'œuvre de la première constitution effective, inspirée et presque rédigée par le grand intellectuel que fut Juan Bautista Alberdi. De fait, l'esclavage n'existait plus dans la Province de Buenos Aires dès le milieu des années 1835 et vers 1845, il n'y avait plus d'esclave sur l'actuel territoire argentin.
(3) Or on sait le cas qu'une partie de la droite argentine en a fait sous la dernière Dictature militaire entre 1976 et 1983 !
(4) C'est sur le plan technique la pierre d'achoppement la plus difficile à contourner dans mon travail d'adaptation de Tango Negro, de Cáceres, aux exigences du public français pour qui mélanger sans les distinguer les plans de la légende et de l'histoire constitue une faute méthodologique rédhibitoire, à la limite du sacrilège intellectuel, alors qu'en Argentine, cela reste monnaie courante et cela passe le plus souvent inaperçu.
(5) C'est sans doute une coquille. Le 31 janvier 1813, bien sûr.
(6) La légende montre le bout de son nez. Les initiateurs de l'Assemblée étaient en effet tous membres d'une organisation secrète qu'ils appellaient la Loge. On suppose qu'il s'agissait d'une loge maçonnique opérationnelle, sans beaucoup de travaux métaphysiques, une société secrète comme il y en a toujours dans les révolutions. Mais elle ne s'appelait sans doute pas Lautaro. San Martín et Carlos María de Alvear, les officiers qui avaient aidé à mettre en place le 12 octobre 1812 un nouveau gouvernement (Segundo Triumvirato), plus conciliant pour les intérêts des classes sociales inférieures, étaient les fondateurs de cette loge. Le 30 janvier 1813, San Martín était parti en mission vers le nord, avec 120 grenadiers à cheval déjà assez instruits pour aller au combat. Alvear était resté à Buenos Aires, il supervisait l'instruction des nouvelles recrues et assumait son mandat de député de la province de Misiones, devenant même dès le lendemain le président de cette Assemblée. Le 3 février, San Martín remportait une victoire politiquement écrasante sur les rives du Paraná, réussissant en un combat de 15 mn à sécuriser toute la région fluviale qui ne connut plus que deux timides incursions absolutistes qui ne tardèrent pas à battre retraite. A la fin février, San Martín était de retour à Buenos Aires et peu à peu les relations entre lui et Alvear s'envenimèrent. Très vite San Martín allait quitter la capitale et gagner Mendoza, dont il fut le gouverneur de septembre 1814 à la mi-1816, juste avant de partir avec l'Armée des Andes à la reconquête du Chili. C'est sans doute dans cet environnement qu'il fonda une autre loge, cette fois-ci main dans la main avec un officier chilien, Bernardo O'Higgins, et c'est sans doute alors qu'ils baptisèrent leur organisation du nom de ce premier chef mapuche qui avait combattu l'invasion espagnole dès le début de la colonisation du Chili. Mais la légende, fixée par Bartolomé Mitre dans les années 1860, a baptisé la loge de Buenos Aires de ce nom étrange, qui n'appartient pas à l'histoire de l'est des Andes. Depuis, bien peu nombreux sont les historiens et les guides qui savent mettre en doute cette tarte à la crème qu'est cette loge Lautaro manipulant en sous-main l'Assemblée et le Triumvirat... Légende et histoire, sans distinction.
(7) Mariano Moreno était le chef de file (désormais disparu) du courant social, partisan de l'égalité de tous, de l'ancrage dans une culture latine, ouverte à l'Espagne, l'Italie, la France... et de l'accès progressif et ordonné de toutes les classes sociales à l'exercice de la citoyenneté. Bernardino Rivadavia, qui a donné son nom à l'artère centrale de Buenos Aires, était le chef de file de la réaction et du statu- quo socio-économique, partisan de l'alliance avec la Grande-Bretagne qui entamait sa métamorphose impérialiste, et de plus en plus marqué par la haine de l'Espagne et de l'hispanité.
(8) Manuel Belgrano, grand juriste, spécialiste du commerce et de l'économie, devenu chef militaire sous la contrainte des événements révolutionnaires, chef de file du courant moreniste après la mort de Moreno en 1812.
(9) Un petit peu étrange à l'heure où le monde entier a les yeux rivés sur le film Lincoln et ses récompenses prochaines potentielles que de voir une historienne oublier que les Etats-Unis n'ont aboli l'esclavage que fort longtemps après avoir assuré leur indépendance... Là encore, ce que nous nous fixons comme critère de précision en Europe n'est pas au rendez-vous. Sous ce discours qui semble bien construit, coulent l'impensé et l'innommé. La question suivante de la journaliste relève peut-être de cette grande ignorance dans laquelle baigne encore le peuple argentin, qui a plus besoin de la légende, pour la liturgie qui développe la fierté d'appartenance à la collectivité nationale, que de l'histoire, dont les nuances font apparaître autant les zones d'ombre que les zones de lumière. Et les zones d'ombre, tant que la Nation n'est pas solidement construite, on évite d'aller y regarder de trop près. La réponse de l'historienne va renforcer cet aveuglement délibéré. Car si l'esclavage n'a pas été aboli en tant que tel, cela a bien à voir avec une volonté esclavagiste : il était impossible à cette société de maintenir son économie en se privant d'un seul coup de ce mode de production qu'était l'esclavage qui permet, pour un investissement initial (éventuellement élevé, un esclave fort et en bonne santé, ça coûtait cher), d'avoir une force de travail gratuite. En Europe à la même époque, il n'existait plus que de la force de travail à gage, chaque patron devait payer ouvriers, employés, commis, journaliers et chaque maître devait aussi rétribuer les services de ses domestiques. En Argentine, non... Et l'historienne va ouvertement nier cette réalité factuelle objective avec un argument dont la fragilité n'échappera à personne. Par ailleurs, la volonté esclavagiste très nette, notamment à Buenos Aires, est amplement attestée par la difficulté qu'a rencontrée San Martín en 1815 et 1816 pour incorporer dans son armée les esclaves aptes au service militaire. Les maîtres ne voulaient pas donner leurs biens (leurs esclaves) à l'armée. Un cheval encore, c'était envisageable, mais un esclave, non, puisqu'il n'y avait plus de trafic négrier et ni par conséquent de renouvellement du cheptel.
(10) Bien entendu, un jour de célébration comme celui d'aujourd'hui, où il s'agit bien d'être fier du passé national, il est peu opportun de regarder cet élément-là avec des yeux objectifs. D'autant que la Asamblea del Año XIII est comme toutes les institutions blanches en Amérique du Sud tétanisée par le souvenir de la révolte des esclaves à Haïti, une révolte qui a abouti à une victoire des Noirs contre le colonisateur blanc et contre le maître. Pas un mot dans cette interview de cette réalité qui pourtant hantait l'esprit de ces hommes. Alors que cette historienne pourrait tout aussi bien s'appuyer sur la vaine abolition de l'esclavage, généreuse certes mais ô combien naïve, par la Révolution Française qui aboutit rapidement à son rétablissement, encore plus rude et plus inhumain qu'avant par Napoléon, lui-même poussé par la nécessité économico-stratégique. Il fallait garder les terres françaises des Antilles, éviter que les colons français ne se jettent dans les bras des Anglais et pour cela, il fallait leur donner ce qu'ils réclamaient et sans quoi ils ne pouvaient économiquement survivre : leur rendre leur main d'œuvre gratuite...
(11) Ce que nous appelons en français la théorie de la séparation des pouvoirs, l'exécutif, le législatif et le judiciaire.
(12) Le principal chef de la révolution anti-absolutiste et indépendantiste de l'actuel Uruguay, qui appartenait encore aux Provinces-Unies du Río de la Plata, sous le nom de Banda Oriental.
(13) Sans crier gare, ce qui est extrêmement fréquent, ce qui contribue à la confusion, on a là un saisissant raccourci. Nous voilà en effet en 1814-1815, en pleine Restauration, en Espagne comme en France, après la chute de Napoléon. Fernando VII, prisonnier en France jusqu'à la chute de Napoléon, retrouve son trône et veut rétablir la situation d'avant 1808. Reste à savoir si un raccourci historique aussi anti-pédagogique est le fait de l'intervieweuse ou de l'interviewée. En février 1815, Alvear mène un coup d'Etat. Avec l'appui de la Loge, dont il est depuis le départ de San Martín le seul vrai maître, selon ce que les documents nous permettent de supposer, il renverse le Directeur suprême qu'il a fait mettre en place quelques mois auparavant, un sien parent, pourtant assez manœuvrable, il prend sa place et dissout aussitôt l'Assemblée. Lui-même sera renversé en avril, après avoir proposé de soumettre les Provinces-Unies au joug des Britanniques pour les sauver d'une reprise en main espagnole qui n'intervint jamais !
(14) Le caractère volontaire de cette agrégation mériterait une ample discussion. Là encore, une vision simplifiée, rose, un peu dorée d'une réalité beaucoup plus rude et moralement inconfortable...