Le
Maestro Acho Manzi, fils du poète Homero Manzi, et co-auteur
avec lui de ce chef-d'œuvre qu'est El último organito (1),
est décédé samedi dernier. On vient de m'en
informer de Buenos Aires. Depuis de nombreuses années, Acho
Manzi avait dû cesser ses activités publiques à
cause d'une opération chirurgicale qui avait définitivement
embarrassé sa diction. Il ne pouvait plus parcourir
l'Argentine et le monde pour donner ses conférences, comme il
l'avait fait pendant des années. Il s'était même
retiré de la SADAIC, la société argentine des auteurs et compositeurs, où il avait longtemps occupé
des fonctions électives, fidèle en cela comme en bien d'autres choses, au modèle d'un
père très engagé dans la gestion des droits des
artistes.
En
2009, il avait contribué au premier chef à un très
beau film sur ce père si aimé et parti si tôt (en
1951) : Homero Manzi, un poeta en la tormenta (Homero Manzi, un poète
dans l'orage), où il avait tenu à rétablir la
complexité de cette biographie et en particulier la militance
politique de son père, que les admirateurs de Malena, Sur
et Milonga del 900 avaient passablement oubliée (voir mon article sur le film). Il en était le producteur. Il avait
aussi prêté son concours à l'historien Horacio
Salas lorsque celui-ci avait entrepris d'écrire la biographie
de Barba (2), le surnom que lui avaient donné ses amis. Il
était en effet le gardien de l'œuvre et de la mémoire
de son père. Il avait aussi donné à Juan Tata
Cedrón quelques letras orphelines du poète mort à
43 ans que le chanteur-compositeur avait mis en musique.
Acho
Manzi était lui-même un excellent poète, quoique
moins prolifique que son père. On lui doit quelques textes de
premier rang. J'en ai traduit deux dans Barrio de Tango (Editions du
Jasmin), l'un sur les clochards du sud de Buenos Aires dans les
années 60 et l'autre qui est un hommage à Homero, écrit
et composé en 1954, intitulé Padre (et cité hier
intégralement par Clarín).
Ce
père qui, en 1948, avait écrit la letra de El último
organito pour que lui en compose la musique. A 15 ans. Ce père
qui voulait, avant de partir, laisser à la postérité
une chanson co-écrite avec son fils, comme vingt ans plus tôt,
José González Castillo l'avait fait avec son propre
fils, Cátulo Castillo, donnant naissance à Organito de
la Tarde. Homero Manzi venait d'apprendre qu'il était atteint
d'un cancer. A cette époque, c'était une maladie qui ne
faisait pas de quartier. Acho Manzi en est décédé
lui aussi, chargé d'ans et après une lutte bien plus
longue.
Au
lendemain de sa mort, qu'on m'autorise un souvenir personnel, celui
que je garde d'une après-midi d'août 2007, année
du centenaire de Homero Manzi, où Acho Manzi m'avait conduite
dans tout le sud de la capitale argentine, avec son ami, le peintre Chilo
Tulissi, à l'origine de notre rencontre, et lui aussi décédé
il y aura un an le 11 septembre prochain. A la nuit tombée
(elle tombe vite en août à Buenos Aires), nous avions
achevé notre périple du souvenir à la Esquina
Homero Manzi, où il avait table ouverte, au milieu de tous ces
portraits de son père, à qui il ressemblait si fort. Il
avait voulu savoir ce que je connaissais la genèse de ce tango
de son adolescence. Quand il avait compris que j'avais perçu
la similitude entre les démarches de son père et de
González Castillo et les liens qui existaient entre les deux
hommes, tout ce que j'explique dans Barrio de Tango, une grande vague
d'émotion était passée dans son regard et sa
voix. Pour lui, El último organito représentait une
étape précieuse qui avait déterminé une
grande partie de ce qu'il a déployé ensuite tout au
long de sa vie.
Il
repose désormais à côté de son père,
dans le caveau de la Sadaic, au cimetière de la Chacarita.
Ecoutons
ce chef-d'œuvre. S'il ne fallait retenir qu'une seule chose du leg
du Maître Acho Manzi, c'est ce tango...
"La Tana" (Susana Rinaldi) fait partie des plus exceptionnelles interprètes de ce morceau de légende.
Vous
pouvez aussi vous reporter à la nécrologie publiée par Clarín hier matin et celle, minimaliste, que l'on trouve dans Página/12.
Ajout du 2 août 2013 :
Voyez aussi l'hommage personnel du poète Luis Alposta, sous le titre Adiós al amigo Acho Manzi, dans son blog Mosaicos Porteños (avec vidéos intégrées comme d'ordinaire).
Ajout du 2 août 2013 :
Voyez aussi l'hommage personnel du poète Luis Alposta, sous le titre Adiós al amigo Acho Manzi, dans son blog Mosaicos Porteños (avec vidéos intégrées comme d'ordinaire).
(1)
Il va sans dire que ce tango figure dans le corpus sélectionné
pour constituer mon anthologie Barrio de Tango, recueil bilingue de
tangos argentins, avec le plein accord de Acho Manzi.
(2)
Aux Editions Vergara, Buenos Aires.