samedi 6 juillet 2013

Cristina, premier prix d'humour [Actu]

Le 29 juin, fête des saints Pierre et Paul, l'Argentine fête le Día del Pontifice. L'Argentine a un jour pour tout et pour tous. Par conséquent, pourquoi n'y en aurait-il pas un pour le Pape, tant qu'on y est !

Cristina de Kirchner s'est fendue d'une petite lettre de félicitation, sans aucune prétention, à son compatriote désormais romain. Et cette lettre est à mourir de rire. Un chef-d'œuvre de rigolade, un vrai. ¡Bien criollo y bien porteño!

Voici le texte original, rendu public par l'agence de presse nationale Télam, et sa traduction en français (comme toujours)...


Olivos (1), 15 juin 2013

A Sa Sainteté
François
Cité du Vatican

A dire vrai, c'est la première fois que j'écris une lettre à un Pape. Quant à parler de vous présenter mes meilleurs vœux à l'occasion de la Fête du Souverain Pontife ! Pas la moindre idée.
On m'a dit que c'est toujours le Ministère des Affaires Etrangères ou le Secrétariat d'Etat au Culte (2) qui s'en chargeait. Mais comme maintenant le Pape est argentin, il fallait que ce soit la Présidente qui s'en charge.
On m'a transmis un modèle de lettre qui m'avait l'air écrit comme une résolution protocolaire du XIIIème siècle (3).
J'ai dit : "ça, je ne signe pas" (4). Pour ça, mieux vaut continuer à envoyer ce qu'on envoyait [avant]. Tant et si bien que j'ai pris la liberté de vous adresser une lettre (j'ai accepté qu'elle soit adressée à Sa Sainteté bla bla bla, il ne s'agit pas non plus de tout refuser).
Or donc, bonne fête du Souverain Pontife. J'espère que vous aurez reçu le tableau avec les timbres postaux (5) en hommage à votre pontificat et l'enveloppe contenant le désormais fameux mate (6).
Mon idée, c'était de commencer la lettre avec votre prénom selon votre préférence, mais on m'a dit : "Madame la Présidente, non".
Bon alors, voilà ! Ont-ils eu raison ? A vrai dire, je ne sais pas. Mais enfin, on ne va pas se battre pour ça.
Sans adieu et prenez soin de vous. Buvez du mate (7). Vous me comprenez.
Avec respect et considération.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Ce texte résonne assez bien avec ce que l'on pouvait percevoir de son état d'esprit au sortir de son entrevue du 18 mars 2013 au Vatican, la veille de l'installation du Pape, et de cette euphorie qui semblait être la sienne ces jours-là (voir mon article du 19 mars 2013). Il est aussi d'une couleur assez proche de la lettre que le président du San Lorenzo de Almagro avait envoyée au Pape fraîchement élu (voir mon autre article du 19 mars 2013), à ceci près que la dimension spirituelle du ministère pétrinien n'échappe pas aux dirigeants de ce club (on ne peut manifestement pas en dire autant de Cristina, qui s'en préoccupe autant que de son premier bâton de rouge à lèvre). Aussi anti-obséquieux que possible, comme le veut la vieille tradition populaire rioplatense de laquelle se réclame Cristina et où l'insolence relève en fait d'un art très codifié, le texte de ce message entre aussi en résonance avec le ton (et seulement le ton) que le Pape a lui-même employé dans l'introduction d'un courrier qu'il a adressé à ses frères évêques à la veille d'une réunion plénière de la conférence épiscopale argentine (il s'y "excusait de ne pas pouvoir y assister, à cause d'engagements pris récemment – ça sonne bien comme ça ?") ou celui dont il usait, il y a quelques semaines, en s'adressant au Congrès diocésain de Rome. Dans l'immense salle Paul VI, tous les participants étaient morts de rire et moi aussi, derrière mon écran en écoutant en direct ce discours tout à la fois très consistant et léger comme une plume. Dans ces occasions-là, c'est bon de comprendre l'italien pour pouvoir rire avec les Romains, et rien que pour ça, ça vaut le coup d'apprendre les langues ! (Voir le document traduit en français avec lien vidéo sur le site Internet du Vatican). La petite incise de Cristina sur l'emploi du prénom seul fait penser à un souvenir de leurs entretiens après le Conclave. Certes, peut-être est-ce aussi, dans les circonstances présentes, un clin d'œil électoraliste. Mais si c'est le cas, c'est fait avec adresse et talent, sur un ton très représentatif de la culture populaire de ce petit coin du monde, et on ne peut pas assimiler cela à de la vulgaire démagogie. D'autant qu'il ne s'agit que de bons vœux pour une fête qui en Argentine n'a rien d'exceptionnel.

Il n'y a guère que La Nación pour trouver à y redire.
Après les nombreux articles relatifs à la journée très active du Pape François hier, le quotidien d'opposition choisissait ce matin de s'offusquer, sur le ton d'une vieille institutrice aigrie, que la Présidente ait manqué de considération pour le Pape (ningunear, compter pour rien, pour quantité négligeable, ne pas avoir de considération pour), ce qui n'empêche nullement l'éditorialiste de faire semblant d'être, lui, dans les petits papiers pontificaux. Quel culot ! Certes, il y a dans ses remarques des points très pertinents, en particulier sur le caractère quelque peu narcissique des propos présidentiels (ce que l'élitiste et patricienne La Nación ne saurait souffrir) et le peu de substance de ce qui est écrit (8), mais il se montre lui-même tout aussi arrogant, l'humour en moins, lorsqu'il se permet de décrire au lecteur et par le menu une prétendue réaction de l'auguste destinataire, tout droit sortie de son imagination puisqu'il ne sait bien évidemment rien de la manière dont le Pape a réagit en lisant la missive incriminée !

Pour aller plus loin :
lire aussi la dépêche de Télam sur le prochain match amical que disputeront à Rome, le 14 août, veille de l'Assomption, les Albicelestes et la Squadra Azzurra, en hommage au Pape (souhaitons-lui de pouvoir se rendre au stade pour assister personnellement à la rencontre).


(1) Résidence de campagne des présidents argentins, à quelques kilomètres de Buenos Aires. Cristina y a emménagé avec son défunt mari à la fin décembre 2003, lorsque celui-ci a pris ses fonctions et qu'ils se sont vite rendu compte qu'il ne leur serait pas possible de continuer à demeurer dans l'appartement qu'elle occupait en ville pendant les sessions du Sénat, lorsqu'il était Gouverneur de Santa Cruz et elle sénatrice de cette Province du fin fond de la Patagonie.
(2) Remarquez le singulier, totalement impossible dans le contexte institutionnel français, où le Ministre de l'Intérieur est aussi Ministre DES cultes.
(3) Autrement dit pour les Argentins, la plus haute Antiquité. Peut-être l'équivalent en français de "vieux comme Mathusalem".
(4) On retrouve ici le style très direct, sans chichi, de la Présidente tel qu'il est rapporté par tant de témoins crédible et par la journaliste Sandra Russo (de Página/12) dans la biographie qu'elle lui a consacrée, La Presidenta, historia de una vida, Ed. Sudamericana, août 2011. Voir mon article du 26 juillet 2011 sur cet ouvrage (que j'ai lui depuis : il est très admiratif pour les personnes de Cristina et de Néstor Kirchner, mais il n'en est pas moins très éclairant).
(5) Allusion à l'émission philatélique conjointe de la République Argentine et de l'Etat du Vatican (voir mon article du 30 avril 2013).
(6) Je ne sais pas à quoi elle fait allusion ici. La veille de l'installation du Pape (voir mon article du 19 mars 2013), elle lui avait déjà offert un très joli mate (ce qui a beaucoup fait pour la notoriété mondiale de cet objet emblématique) et le geste avait fait très plaisir au Saint Père (cela se voit sur la vidéo de la rencontre). Il faut croire qu'elle en aura envoyé un second. Les mates (récipients), en Argentine, ça se collectionne. Il est rare qu'il n'y en ait qu'un seul dans une maison.
(7) Expression sans équivalent en français. C'est un signe d'affection et de confiance. C'est une expression plutôt familière.
(8) Or que cette Présidente-là, avec le lourd passif qu'elle traîne derrière elle dans ses relations avec le Cardinal Bergoglio, ait voulu envoyer des vœux de courtoisie à l'occasion de cette fête et qu'elle se sente autorisée à le faire avec cette spontanéité et cette simplicité, est en soi significatif. Cristina a le mérite ici de ne pas faire semblant de se transformer en grenouille de bénitier. La dimension spirituelle lui est étrangère et elle n'en fait pas mystère. C'est plutôt courageux dans un pays où la religion catholique est toujours la religion d'Etat, sur le papier puisque la société évolue vers une très grande diversification idéologique et spirituelle. On a aussi reproché à François Hollande d'avoir plaisanté le 11 février dernier, lorsque le monde a appris la renonciation de Benoît XVI, et il n'y avait pas de quoi fouetter un chat.