samedi 27 juillet 2013

La rencontre des jeunes Argentins avec le Pape à Rio côté rotatives à Buenos Aires [Actu]

"Finalement, le Pape a fait son premier miracle :
qu'un Argentin soit adoré au Brésil"
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Nik est le gagman de La Nación
et il est vrai que les Argentins ont mauvaise
presse dans les pays limitrophes.
Avant-hier à Rio, après avoir rendu visite aux habitants de la favela de Varginha dans la matinée, le Pape François a passé quelques minutes à la cathédrale Saint Sébastien pour saluer les Argentins rassemblés là en foule depuis la veille au soir, dans le cadre des JMJ. Environ 5 000 pèlerins l'attendaient à l'intérieur et plus de 30 000 étaient groupés sur le parvis sous une pluie abondante et froide.

L'accueil, lui, a été plus que chaleureux, de la part des jeunes comme de celle des évêques, visiblement réjouis de retrouver l'un des leurs. L'archevêque de Rosario, qui a succédé au cardinal Bergoglio il y a environ deux ans à la présidence de la conférence épiscopale argentine, a délivré un petit discours de bienvenue qu'il a conclu en tutoyant le Saint Père, d'une manière volontaire, parfaitement maîtrisée, sur un ton à la fois presque sacramentel et très naturel. Il ne fait d'ailleurs aucun doute que ces prélats se tutoient tous, comme le font aussi leurs homologues francophones au sein de leurs propres conférences.

C'est ensuite le Pape qui s'est adressé aux participants, avec une allocution non écrite, énergique, ultra-concentrée et semée d'argentinismes, dont celui qui a retenu l'attention de toute la presse, y compris des journalistes du Vatican : "hacer lio" ("faire du foin", "du vacarme", "des vagues", voire "mettre le souk", "le bazar"), ce que l'évêque de Rome a dit attendre des jeunes catholiques dans leurs diocèses respectifs, pour ne pas dire la mission qu'il leur a confiée. Il a terminé ses propos déjà bien subversifs en disant à ses interlocuteurs combien il regrettait de les voir "en cage" (enjaulados), derrière les barrières de sécurité qui les empêchaient, pour des raisons d'ordre public compréhensibles, de se rencontrer librement (1), leur confiant, après une ou deux secondes d'hésitation, que lui-même savait désormais combien il était "moche" (feo) d'être derrière des barreaux. Pas de salves d'applaudissements après cette plaisanterie amère sur le mode de vie qui lui est imposé depuis son élection au trône de Pierre, aucun rire. Pour ma part, à travers la retransmission télévisée (2), j'ai plutôt perçu une forme de respect et peut-être même d'empathie de la part de l'assemblée.

Texte intégral de l'allocution, traduit en italien dans L'Osservatore Romano, daté du 27 juillet 2013
sous le titre : "Faites-vous entendre".
Cliquez sur l'image pour obtenir une résolution de lecture.

Hier matin, la presse argentine rendait compte de l'événement, sur lequel les médias européens non confessionnels semblent bien avoir fait l'impasse totale, y compris en langue espagnole (pourtant ce discours était aussi puissant que celui tenu le même jour sur la plage de Copacabana, pour la rencontre festive de l'accueil des JMJ, mais il est vrai qu'une autre actualité, tragique celle-ci, occupe encore la majeure partie des médias en Espagne).

Et oh surprise, hier matin, c'est Clarín qui relevait le mieux le contenu anticonformiste de ce discours, dans deux analyses distinctes, qui complètent un reportage sur l'événement, le tout sans jugement de valeur (3), alors que Página/12 restait à la traîne avec un seul et unique article contenant plus de récit anecdotique que d'analyse ! Le monde à l'envers.

Source : service de presse de la Conférence Episcopale d'Argentine

Pour aller plus loin :
lire l'article de Clarín sur la rencontre
lire l'analyse du discours du Pape dans Clarín (à se frotter les yeux et à relire deux fois avant de se convaincre qu'on ne se trompe pas)
lire l'autre analyse du discours du Pape, toujours de la même eau, dans Clarín (et re-frottage des yeux)
lire l'article de La Nación sur les réactions des jeunes argentins réunis dans la cathédrale de Rio

Dans un autre genre, il y avait aussi un à-côté portègnes des JMJ qui vaut son pesant de cacahuètes dans la presse argentine d'hier : les infructueuses tentatives d'interview du Commandant de la Garde Suisse et de l'un de ses subordonnées, qui étaient avant-hier à Buenos Aires pour le vernissage d'une exposition photographique sur leur historique régiment. C'est un vrai gag, car les deux militaires sont aussi bavards que des carpes, comme il sied d'ailleurs à leur fonction et à leur tradition (ils appartiennent tous deux à la petite Muette, 110 bonhommes en fraise, armés de hallebardes, mais entraînés comme des troupes d'élite) :
même gag sur Clarín, qui a lui aussi essayé de leur tirer les vers du nez et tente tant bien que mal de monter en mayonnaise les deux ou trois banalités arrachées à ces deux citoyens aussi discrets qu'Helvètes.
Le même sujet est abordé par La Nación, celui des trois qui se sort le mieux de cet exercice hors norme. Le caractère gaguesque de l'interview impossible n'apparaît plus dans cet article, le plus riche des trois en contenu, mais ne vous attendez pas à des révélations fracassantes. Le fonds demeure tout de même assez mince.

Enfin, un autre coup de chapeau à La Nación, le seul des journaux à se fendre d'un petit entrefilet, avec vidéo intégrée, sur la pause-maté du Pape sur son parcours le long de la plage de Copacabana, dans la nuit hivernale carioca.

Le Pape François buvant au mate (pour éléphant ou camélidé à la veille de traverser le désert)
qu'on lui a tendu dans la foule.
C'est très mal élevé de refuser un mate offert et, en plus, il faut tout boire. Donc ça dure un moment.

Visionner la scène sur TN via La Nación (les médias européens, la commentatrice anglophone de Radio Vatican incluse, n'ont pas compris grand-chose à ce qu'il se passait. Pourtant, ce n'es pas bien sorcier de savoir ce que c'est que le mate quand on est journaliste).

On peut comparer le contenu des articles argentins avec les sources vaticanes.
La différence est considérable, dans tous les sens.
Lire l'article de Radio Vatican en français (qui a traduit hacer lio par un doux euphémisme dans un français châtié du meilleur effet et titré sur l'aveu de souffrance du grand patron) (4). Il y a des sensibilités qui varient selon le point de vue du rédacteur.
Lire l'article du blog du VIS (Vatican Information Service), en français
Lire l'article de Radio Vatican en espagnol, avec audio intégré
Lire l'article du blog du VIS, en espagnol (attention aux citations du Pape, c'est de l'argentin dans le texte)


(1) En Argentine, lors des rassemblements de jeunes, le cardinal Bergoglio se mêlait sans aucun formaliste aux participants, laïcs et ordonnés. L'allusion au passé et à ces bonnes habitudes était transparente. Le fait qu'il ait pensé à la notion de cage en dit long sur ce qu'il a dû ressentir à son entrée dans ce bouillon de culture argentin, avec chants liturgiques des rassemblements de jeunesse et une grande agitation d'emblèmes nationaux en tout genre.
(2) J'ai regardé la rencontre sur le canal Internet du Centre Télévisuel du Vatican (CTV) en choisissant le son original et nu, sans le commentaire de Radio Vatican, pour capter le plus possible l'ambiance à l'intérieur de la cathédrale. D'après les journalistes argentins présents au milieu des pèlerins, il semblerait que la sonorisation intérieure était assez mauvaise, au contraire du signal sonore capté par le CTV, aussi bon que d'ordinaire. Les réverbérations de la sono sont peut-être à l'origine du peu de cas que la presse papier fait de cette douloureuse et discrète confidence finale. Les envoyés spéciaux n'ont peut-être pas bien capté ce qui se disait à ce moment-là.
(3) Les propos du Pape ne sont critiqués ni en bonne ni en mauvaise part. Cependant l'analyse des rédacteurs est claire : l'histoire se répète et l'allocution d'hier leur rappelle de très près les bouleversements venus de Vatican II qui, dans les années 70, ont fait naître sur leur continent la théologie de la Libération, avec tout ce que cela a impliqué par la suite sur le plan ecclésial et politique en Amérique Latine.
(4) Même licuar la fe a été difficile à traduire. Licuar : liquéfier (en l'occurrence, faire passer un aliment de l'état solide, qu'il faut se donner la peine de découper et de mastiquer pour l'ingérer, à l'état liquide, un simple jus qu'il n'y a plus qu'à boire sans avoir à mâcher). Je pense donc qu'il aurait mieux valu traduire par "faire de la foi une purée" ou "une compote". Brefs, des petits pots pour bébé à avaler à la cuillère.