Ce n'est pas "l'effet Guido" mais un long
travail d'enquête judiciaire qui a permis, avec l'aide des services
consulaires en place dans un pays européen, de découvrir la 115ème
des personnes recherchées par l'Association Abuelas de Plaza de
Mayo. La jeune femme qui a récupéré hier son identité de
naissance est la fille d'un couple de militants communistes purs et
durs (parti communiste marxiste léniniste), Héctor Baratti (né le
27 mars 1949, dans la Province de Buenos Aires) et Elena de la Cuadra
(née le 15 juin 1954, dans la Province de Corrientes), tous deux
arrêtés le 23 février 1977 puis détenus sans procès à La Plata.
On a retrouvé son corps à lui, qui a été dument identifié, mais
elle reste disparue et on n'a aucune trace de ce qu'elle a pu
devenir.
La maman de Elena, Alicia Zubasnadar,
est décédée en juin 2008. Co-fondatrice de l'ONG Abuelas de Plaza
de Mayo, elle en avait été la première présidente.
La jeune femme a pu être identifiée
grâce à un mail anonyme au contenu très précis parvenu à Abuelas
en 2010. La justice a entamé alors son instruction et grâce aux
services consulaires argentins, elle a pu informer de son identité
probable l'intéressée qui a assez rapidement accepté de procéder
à un prélèvement sanguin, réalisé le 25 avril dernier au
consulat argentin de son pays de résidence (non révélé par
Abuelas qui veut protéger l'intimité de cette personne et le
processus psychologique difficile et complexe qu'elle aura à
affronter dans les mois et les années qui viennent). L'échantillon
sanguin a ensuite été acheminé par valise diplomatique pour
aboutir courant mai à la Banque des Données Génétiques dont les
services d'anthropologie judiciaires ont procédé aux analyses
légales habituelles.
La jeune femme est née le 6 juin 1977
dans un commissariat de La Plata, capitale provinciale et ville
universitaire où vivaient les grands-parents De La Cuadra. A la
suite de cette naissance, le couple a reçu des coups de fils
anonymes et des bouts de papier griffonnés, glissés la nuit sous la
porte : c'est ainsi qu'ils ont été informés de cette naissance de
manière assez précise et qu'ils ont aussitôt entamé des
recherches en tentant de remuer ciel et terre pour récupérer leur
petite-fille. Sur l'attestation de naissance qui a servi à la
déclaration d'état-civil falsifiée, apparaît le nom d'une
sage-femme impliquée dans plusieurs rapts d'enfant sous la dictature
(en Argentine, ces agissements tombent sous le coup d'une loi qui
réprime la traite des personnes).
La jeune femme a été adoptée par un
couple sans lien avec les institutions de la répression
politico-militaire de ces années dictatoriale mais ces gens l'ont
déclarée comme leur fille biologique, qu'elle n'était donc pas, ce
qui constitue en Argentine (et ailleurs aussi) un crime dont ils
auront à répondre devant un tribunal.
Un prêtre, condamné depuis pour
crimes contre l'humanité (c'est la désignation des crimes perpétués
par la dictature) a assez vite pris contact avec les De La Cuadra
pour les tâcher de les persuader, à force d'arguments chrétiens
pervertis, qu'il leur fallait cesser les recherches et se résigner à
l'insoutenable disparition du couple et à celle de l'enfant dont ils
savaient pourtant qu'elle vivait. La famille avait toutefois connu
personnellement le père Pedro Arupe, alors général de la Compagnie
de Jésus. Elle put donc entrer en communication avec lui à Rome et
Arupe, depuis la maison générale de Rome, les renvoya à son tour
vers le père Jorge Bergoglio, alors provincial d'Argentine. Il n'est
donc pas impossible que ce dossier réveille, dans les colonnes de
Página/12
ou tout au moins au sein de son comité de rédaction, les
rumeurs sur ce que l'actuel Pape François a fait, n'a pas fait, a
écrit, n'a pas écrit, a omis de faire, d'écrire ou de dire, aurait
pu faire, écrire ou dire si et si et si... pendant les années de
plomb. Sur cette affaire précise et sur la visite de cette
grand-mère, l'un des tout premiers cas dont il ait eu connaissance,
il s'est assez longuement expliqué dans un livre qui a été publié
il y a plusieurs années, lorsqu'il était archevêque de Buenos
Aires, à quelques mois de sa démission pour atteinte de la limite
d'âge (les évêques en charge pastorale remettent tous leur
démission lorsqu'ils atteignent 75 ans).
Par ailleurs dans le petit monde
médiatique, on peut constater que l'effet Guido n'aura guère duré
: seul Página/12
donne à l'information la place qui lui revient dans l'actualité du
jour. Clarín
et La Nación
se disputent à qui fera l'entrefilet le plus discret et La Prensa
n'en parle tout simplement même pas.
Toutefois,
il n'est pas impossible que l'effet Guido se fasse sentir à travers
une vague sans précédent d'identifications dans les mois qui
viennent car les appels à Abuelas ont été nombreux dans les jours
qui ont suivi l'annonce des retrouvailles entre Estela de Carlotto
(qui reprenait hier son rôle institutionnel) et son petit-fils si
longtemps recherché.
Pour
aller plus loin :
lire
l'article que ce journal a publié en 2006 pour parler de Alicia
Zubasnadar de De La Cuadra, deux ans avant sa mort et que Página/12
a resorti de ses archives ce matin
consulter
la depêche de Telam avec vidéo intégrée de la conférence de
presse donnée hier au siège de Abuelas
lire
le communiqué de Abuelas.
Sur
le site de Abuelas, vous pouvez également lire le billet que le Pape
a personnellement adressée à Estela de Carlotto, après l'annonce
de l'identification de Ignacio Guido Montoya Carlotto, et l'article
que Página/12
a consacré à la publication de cette missive.